Porter sur une plateforme modulaire et autonome le meilleur de la technologie maison, basée sur la modélisation de synthés vintage mythiques, tel est le pari d’Arturia avec l’Origin. Voyons si le résultat est à la hauteur de l’ambition…
La modélisation analogique remonte à une quinzaine d’années. C’est Clavia qui ouvre le bal en 1995 avec le NordLead. Les « Big 3 » japonais s’y mettent, mais seul Korg continue à sortir des machines de nos jours. En fait, ce sont surtout les Européens qui brillent par leur dynamisme en la matière : Novation (Supernova, sous la houlette de Chris Huggett, le père de l’Oscar), Access (Virus), Quasimidi (Polymorph, dont le créateur va mettre au point le Spectralis de Radikal), Waldorf (Q), Viscount / Oberheim (OB-12), Elektron (Monomachine) et Creamware (modules ASB). L’histoire de ces marques est toutefois très chaotique : certaines disparaissent brutalement, d’autres se repositionnent, d’autres se diversifient, d’autres enfin réapparaissent, parfois sous d’autres noms. Pour sa part, Clavia a poursuivi sa route et a lancé une série de synthés modulaires virtuels. En 2004, le G2X marque l’aboutissement de la gamme. Il s’agit d’une combinaison logiciel / matériel inédite : la connexion des modules est confiée à un logiciel et la production des sons ainsi synthétisés est confiée au synthé bourré de DSP. Résultats : une grande variété sonore, une profondeur de programmation inégalée, mais une autonomie relative (impossible de reconnecter les modules sans le logiciel), une intégration logicielle / matérielle archaïque (liaisons audio / Midi « à l’ancienne ») et un son somme toute assez numérique (aliasing et froideur).
On croyait donc la synthèse modulaire virtuelle au point mort, tout du moins sur du hardware, mais 2 projets très ambitieux viennent d’aboutir récemment : le premier est baptisé Solaris. Il est développé outre-Atlantique sous la houlette de John Bowen à qui l’on doit, entre autres, le Prophet-5 et le Prophet-VS. Il permet différentes formes de synthèses simultanées modélisées sur des synthés mythiques, avec un tas de commandes et de LCD pour les exploiter à fond en toute autonomie. Encore au stade de précommandes, il est annoncé pour la fin d’année. Le second projet, assez différent, a en revanche déjà débarqué sur le marché, sous le nom emblématique d’Origin. Il est le fruit d’Arturia, société française bien connue pour ses modélisations logicielles de célèbres synthés vintage (voir interviews des créateurs en fin de test). L’objectif : offrir une machine modulaire programmable autonome, avec des modules issus du meilleur des technologies maison. En avant, marche !
Guerre des boutons
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L’Origin est disponible en version module et annoncé en version clavier 5 octaves. Nous avons testé le module en OS 1.07. Des mises à jour sont déjà prévues cette année (voir encadré ci-contre). La conception est astucieuse. En démontant les flancs et la plaque avant galbée, on dégage les cornières pour la mise en rack 19 pouces. La machine occupe alors 6 unités de haut. La qualité de construction (made in France, en Alsace plus précisément) est très bonne : le métal blanc et les flancs en bois sont classieux. La machine est couverte de commandes : pas moins de 21 encodeurs, 33 potentiomètres, 81 boutons et 1 joystick (façon Prophet-VS) permettent de contrôler la pléthore de paramètres disponibles. Au centre trône un LCD couleur 320 × 240 pixels à luminosité et contraste ajustables. Les commandes sont regroupées en différentes sections de synthèse : oscillateurs / filtres / LFO / enveloppes sur la gauche, VCA / effets sur la droite et séquenceur en bas. Les potards peuvent répondre en mode saut (Snap) ou seuil (Hook), merci. Quand aux encodeurs, ils sont sensibles à la vitesse de rotation, permettant soit de sauter rapidement entre des valeurs extrêmes, soit d’éditer précisément une valeur. Une belle réussite !
Le LCD est entouré de 8 encodeurs assignables et 16 boutons. La machine opère suivant 8 modes principaux que l’on choisit avec la rangée inférieure de boutons. Chaque mode est subdivisé en pages menus que l’on sélectionne avec la rangée supérieure de 8 boutons contextuels. Dans chaque page, on choisit le paramètre à éditer avec les touches de navigation, à savoir un gros encodeur, 4 touches directionnelles et des touches Enter / Exit. Dans certaines pages, l’édition peut se faire en complément avec les commandes des différentes sections du panneau avant (les potards par exemple), ou encore avec les 8 encodeurs situés de part et d’autre de l’écran. Tout ceci peut paraître un peu confus. Sur l’arrière, mise à part la borne pour alimentation externe à bloc central, on découvre une connectique professionnelle et abondante : pas moins de 5 paires de sorties stéréo symétriques (Main et 4 Sub), une prise casque, une paire d’entrées audio stéréo symétriques, une sortie S/P-Dif Cinch, 2 prises pour pédales, un trio Midi et une prise USB 2 hôte. Tout ceci est placé en retrait, ce qui permet un câblage parfait et sans débord dans un rack.
Exemples sonores
Dans l’Origin, il n’y a pas de PCM congelés en mémoire, mais de puissants DSP qui synthétisent le son en temps réel. La sortie audio s’opère en 44,1 ou 48 kHz, au choix. Arturia annonce avoir tout particulièrement soigné 4 aspects essentiels du son : absence d’aliasing (effet de repli de spectre dans les aigus, conduisant à des bruits métalliques), reproduction de l’effet de décharge des condensateurs des VCO (arrondissement des formes d’onde), fluctuation des VCO (instabilité des périodes d’oscillation) et comportement non linéaire des circuits de filtrage (en particulier à résonance élevée). L’Origin renferme 1000 programmes dont 400 préchargés. Pour s’y retrouver, la machine permet de filtrer les programmes avec 2 critères à choisir parmi une liste : instrument modélisé, catégorie, projet et par auteur. Très utile !
Jugeons maintenant sur pied les résultats de la modélisation. Les basses sont globalement réussies, avec du gros, du gras et du lourd : voici quelques basses Minimoog, Taurus, ARP2600, TB-303, Sub pour s’en convaincre. Sur les Leads, l’Origin s’en sort également très bien, avec de monstrueux empilages d’oscillateurs. Les outils de synthèse permettent de recréer certains claviers vintage célèbres. Bizarrement, les sons de cordes sont décevants, les PWM ayant tendance à saturer assez vite dès qu’on joue en polyphonie, même en réduisant les niveaux audio. C’est un peu moins flagrant sur ces exemples de cuivres, dont certains sont inspirés du JP-8 et du CS80. Dès que l’on filtre un peu, cela devient plus intéressant : 2 modules de filtre et le joystick pour piloter le tout et c’est parti pour des nappes ambiantes vivantes et planantes. Le même joystick combiné à des oscillateurs à tables d’onde permet de recréer des ambiances à la Prophet-VS en temps réel. Avec l’architecture modulaire, le séquenceur et un peu de patience, on peut même créer des boucles de batterie simplifiées au sein d’un même programme. Pour ceux qui veulent se faire une idée du grain, de la patate et des filtres des originaux, voici quelques exemples faits rapidement et sans aucun effet : Jupiter-8 (arpèges, basses, cuivres, strings, pads, synchros), Prophet-VS (cuivres, pads analogiques, pads hybrides, solos pads hybrides) et Minimoog Voyager (basses, leads, attaques rapides).
Synthèse modulaire
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L’Origin met à disposition un certain nombre de modules que l’on peut interconnecter avec des cordons virtuels : oscillateurs, mixeurs, filtres, modulateurs (LFO, enveloppes, Ring Mod, Bode Shifter) et contrôleurs (suivi de clavier, joystick, Midi…). Un programme peut contenir jusqu’à 30 modules, parmi lesquels 4 VCA toujours présents en sortie. Assez vite, on cherche le module vocodeur, mais en vain… dommage, avec les 2 entrées audio… mais il paraît que c’est prévu pour plus tard du côté de l’Isère, lors d’une future mise à jour de l’OS. Pour construire un programme, il convient de structurer les modules. Pour ce faire, l’éditeur offre 2 pages : l’une pour gérer les modules (Rack), l’autre pour les connecter (Patch). Tout ceci se fait avec des boutons et des listes déroulantes. Un écran tactile avec stylet façon Nintendo DS aurait fait merveille pour câbler les modules « à la main ». Les cordons de liaison (Patch) peuvent être de différentes natures : audio, modulation ou trigger. L’éditeur les affiche dans des couleurs distinctes, pour faciliter la compréhension du patch. La représentation est schématique, on est loin des chapelets de câbles chers à Clavia sur la série Modular. C’est maintenant que la taille de l’écran paraît insuffisante.
Un module peut gérer plusieurs entrées et sorties de modulation, dans la limite de 64 connexions par programme. Tout ceci pourrait décourager les habitués des synthés précâblés, mais Arturia a judicieusement prévu quelques points d’appui : d’abord, une fonction « Auto Connect » permet de laisser l’Origin gérer la création automatique des liaisons les plus vitales, par exemple le suivi de clavier vers la fréquence de l’oscillateur, le trigger clavier vers le trigger d’enveloppe… On trouve aussi des configurations courantes précâblées des modules : 2 VCO, 1 filtre, 2 enveloppes, 2 LFO. Il suffit de les appeler à la création d’un nouveau programme et on part avec quelques biscuits sous le coude. Mieux, l’Origin dispose d’un gabarit de Minimoog (voir encadré ci-dessus), tout bien préarrangé avec les modules modélisés sur ses composants essentiels (oscillateurs et filtre). La polyphonie maximale est de 32 voix, mais à l’usage, on est plutôt sur 6 à 8 voix dès qu’on fait appel à une configuration digne de ce nom (2 oscillateurs, 2 filtres, 2 enveloppes, 2 LFO). Les développeurs travaillent d’ailleurs sur des optimisations de code pour améliorer les stats dans ce domaine.
Oscillateurs par 9
Un programme peut contenir jusqu’à 9 oscillateurs indépendants, suivant la complexité et le nombre des autres modules utilisés. Les oscillateurs ont été modélisés sur des machines prestigieuses : Minimoog, ARP 2600, CS80, Jupiter-8 et Prophet-VS. Un 6e oscillateur « light », moins performant, peut être utilisé pour alléger le CPU. L’oscillateur de Minimoog reprend les caractéristiques de l’ancêtre : accordage large (Lo-2–4–8–16–32’) avec des ondes dent de scie, carré, rectangle large, rectangle étroit, triangle asymétrique, triangle et bruit blanc. Plus complet que l’original, il offre des entrées de modulation pour la fréquence, le volume et la largeur d’impulsion. La modulation de fréquence peut se faire à des niveaux audio (avec la sortie d’un autre oscillateur). Les instabilités du Minimoog sont bien reproduites, on s’en rend compte dès qu’on associe plusieurs oscillateurs. C’est d’ailleurs intéressant de comparer cet oscillateur au modèle « light », droit comme un I. Pour l’ARP2600, la tessiture est un peu plus réduite (pas de 2’), avec des ondes dent de scie, carré variable, sinus, triangle et bruit blanc. Le son est beaucoup plus tranchant et agressif que le Moog, mais l’instabilité est là aussi bien modélisée.
L’oscillateur de CS80 varie de 2 à 16’, avec les ondes dent de scie, carré variable, sinus et bruit blanc. Le son est cette fois plus scintillant et dispose d’une certaine brillance. Pour le JP-8, on dispose des mêmes types de paramètres, avec en plus une entrée pour la synchronisation de l’oscillateur. Nous avons trouvé le son beaucoup plus droit et stable que l’original, avec ses oscillateurs discrets ; mais quand on mélange 2 oscillateurs, on retrouve les imperfections caractéristiques de leur accordage relatif, bien vu ! A noter qu’il n’y a aucun aliasing, du moins tant qu’on ne module pas tout ça à des niveaux audio. Enfin, l’oscillateur de Prophet-VS reprend les 96 ondes numériques sur un cycle qui ont fait le succès de la machine : ondes de base, cloches, orgues, spectres, bruits… Dans ce cas, l’Origin est limité à 4 oscillateurs « WT ». Le résultat est beaucoup plus clean que les ondes 12 bits de l’original. Le VS originel sonne plus organique, plus vivant, mais il est aussi bourré d’aliasing qui le rend parfois injouable dans les aigus. Sur l’Origin, aucun aliasing tant qu’on ne module pas les oscillateurs à haute fréquence.
Filtres par 4
Sur un synthé classique, les oscillateurs une fois mixés attaquent un module de filtre. Mais l’intérêt de l’Origin, c’est de ne pas envoyer tous les oscillateurs au même endroit. Rien n’empêche de mélanger 4 modules d’oscillateurs 2 par 2, de les envoyer dans 2 modules de filtre séparés et de combiner ensuite la sortie des 2 filtres. Un programme d’Origin peut faire appel à un maximum de 4 filtres simultanés (suivant la charge du DSP), ce qui suffit largement dans la plupart des cas. Les mêmes instruments que précédemment ont été modélisés, mis à part le Prophet-VS, dont le filtre 4 pôles ultra résonant basé sur le CEM3379 a été mis de côté. Le filtre de Minimoog reprend les mêmes termes et caractéristiques que l’original. Il s’agit d’un passe-bas à 4 pôles dont la résonance (Emphasis) peut entrer en autooscillation. Pour l’ARP2600, c’est un peu plus confus, puisque l’Origin propose un filtre passe-bas 2 ou 4 pôles. En fait, les 2600 ont uniquement été équipés de filtres passe-bas 4 pôles. Pour être précis, les premiers ARP2600 (gris) utilisaient une copie de filtre Moog (le 4012). Une décision judiciaire oblige alors ARP, vers 1975, à designer son propre filtre 4 pôles (le 4072). C’est ce filtre qui équipera le 2600 « orange » et tous les produits suivants (Odyssey Mk3, Axe, Omni, Quadra…). Le mode 2 pôles du filtre Arp de l’Origin n’a donc rien à voir avec le 2600, encore moins avec le filtre 2 pôles de l’Odyssey Mk1 (le blanc). C’est tout simplement une création de toutes pièces faite à partir de la modélisation 4 pôles du 2600.
Le CS80 et le JP-8 possèdent 2 filtres (passe-haut et passe-bas). Pour simuler ces filtres, il faut utiliser 2 modules en série sur l’Origin, ce qui complique un peu les choses. Le filtre du CS80 est de type 2 pôles ; très musical et idéal pour les cordes cuivrées, il a la particularité d’offrir une entrée de modulation pour la résonance. Quant au JP-8, il comporte un HPF 1 pôle statique et un LPF 2 ou 4 pôles dynamiques. Ces filtres sont très doux et beaucoup plus subtils que les filtres à l’américaine ; même poussée à l’extrême, la résonance du filtre du JP-8 s’arrête juste avant l’autooscillation, comportement typique bien respecté sur l’Origin. Enfin, le filtre « light » est de type multimode (LPF 2/4 pôles, HPF 1/2/4 pôles, BPF 2/4 pôles et Notch) ; là encore, on peut moduler fréquence de coupure et résonance, tout en économisant les ressources DSP, au prix d’un grain assez neutre et ultra stable. Globalement, la réponse des filtres « phares » de l’Origin est assez fluide, sauf à résonance élevée où on entend des effets de pas, contrairement aux synthés vintages analogiques (du moins ceux sans mémoires). Voici un son standard passé dans un des filtres passe-bas, puis dans un passe-haut.
Modulations polyphoniques
Né pour les modulations extrêmes, l’Origin offre une pléthore de modules dédiés : jusqu’à 8 enveloppes ADSR avec délai et segment de pré-Decay. Les attaques sont un peu molles juste après le zéro, mais les Decay permettent de reproduire en partie le click caractéristique des synthés analogiques, à faible valeur. Chaque segment est modulable en temps réel. Viennent ensuite 4 LFO polyphoniques avec 5 formes d’ondes, synchro au tempo et entrées multiples de modulation. Quant au Ring Mod, il permet de multiplier 2 signaux (sorties audio des oscillateurs), afin de créer de nouvelles harmoniques, idéal pour les signaux métalliques (cloches, gongs).
Hérité des gros modulaires Moog et unique en son genre, le module Bode Shifter (1 seul module par programme, car il consomme des ressources DSP !) permet de translater, via une entrée de modulation, les fréquences du signal audio d’entrée, introduisant de nouvelles harmoniques (effets métalliques). En sortie, on récupère le signal d’entrée et les signaux modulés (translations positives et négatives). À cette panoplie, il manque toutefois quelques modules simples et utiles, tels que générateurs de rampes ou générateurs de fonctions mathématiques. Une autre fois peut-être…
Modulations globales
L’enveloppe 2D est une version améliorée de l’enveloppe vectorielle du Prophet-VS. Ce dernier utilise une architecture à 4 oscillateurs numériques placés en croix. L’enveloppe vectorielle permet de passer progressivement entre différents mixages des 4 oscillateurs, obtenus en déplaçant le joystick. Au centre, les 4 oscillateurs sont tous à 25% du volume total (25/25/25/25). A une extrémité de la croix, les oscillateurs sont à 50/25/25/0. Sur l’Origin, les choses sont plus complexes : on place 4 ensembles de paramètres au choix à chaque extrémité de la croix (oscillateurs, sources audio, modulations), l’enveloppe 2D permettant alors de faire évoluer le mixage relatif des 4 ensembles. Elle offre 5 points, c’est-à-dire 5 mixages relatifs entre lesquels on définit des temps de passage (segments), avec possibilités de bouclage entre différents segments.
Le module Galaxy permet de créer des signaux de modulation très complexes, issus de l’interaction de 3 LFO. En voici les détails, réservés à ceux qui n’ont pas séché leurs cours de maths : imaginons un point P qui se ballade dans un plan déterminé par 2 axes fixes X et Y (abscisses et ordonnées) qui se coupent en O. Imaginons maintenant 2 autres axes perpendiculaires appelés A et B qui se coupent aussi en O. Le premier LFO fait osciller le point P selon l’axe A, le deuxième fait osciller le point P selon l’axe B et le troisième fait osciller l’angle Phi formé par l’axe A et l’axe X (horizontal). Les projections du point P sur les axes X et Y donnent alors 2 valeurs de modulations, que l’on envoie sur n’importe quelles entrées de modules. Voilà pour les maths… Pour terminer, on trouve 2 LFO globaux synchronisables à 5 formes d’ondes (dont 1 aléatoire), avec délai, fade-in, symétrie de certaines formes d’onde et synchro au tempo global. Tous les paramètres de ces LFO sont eux-mêmes modulables en entrée, ce qui permet d’aller bien au-delà des formes d’onde de base pour créer des modulations cycliques complexes.
Séquences et arpèges
Fidèle à la tradition des modulaires analogique, l’Origin dispose d’un séquenceur 32 pas à 3 lignes. Il permet de moduler en temps réel différents paramètres dont la valeur est modifiable par la ligne de 16 encodeurs située en partie inférieure de la façade avant. En affectant l’une des lignes à la fréquence des oscillateurs, on peut créer des lignes mélodiques. Des commandes dédiées permettent de lancer les séquences, de couper ou lire n’importe quelle ligne, en avant ou en arrière, de bloquer certains pas… on dispose même de paramètres de quantisation, de Slide, des enveloppes AR et du swing. Bref, de quoi s’amuser longuement, comme dans ces exemples audio, avec au passage une illustre référence à l’histoire de la synthèse !
Par opposition aux véritables séquenceurs analogiques, l’Origin est capable de gérer plusieurs entrées et sorties de modulation par ligne (à concurrence des 64 cordons au total pour un programme). L’édition de tout ce beau monde est graphique, ce qui permet de s’en sortir facilement malgré la profondeur offerte. La sauvegarde des séquences est indépendante des programmes : il y a 256 séquences utilisateur dont 128 préchargées. En alternative au séquenceur, on peut utiliser le petit arpégiateur interne, très simpliste : 4 modes de jeu (haut, bas, alterné, aléatoire) sur 1 à 5 octaves. C’est tout, mais c’est mieux que rien et ça complète très bien toute la panoplie de modulations…
Effets par 3
La section effets de l’Origin repose sur 3 multieffets dont certains paramètres sont synchronisables au tempo. Cela permet soit de traiter les programmes internes, soit des sources externes connectées aux entrées stéréo. Les effets peuvent être routés en série (1=>2=>3) ou en parallèle. Rappelons que chaque programme dispose de 4 VCA en permanence. Chaque VCA offre un niveau, un panoramique et 3 départs vers les effets (avec action pré / post fader commutable lorsque le routage est en parallèle) et 3 retours stéréo. Les algorithmes disponibles sont Chorus, Délai, Réverbe, Distorsion et Dual Phaser. On ne peut utiliser les algorithmes de Chorus, Délai ou Réverbe qu’une seule fois par programme, puissance DSP oblige. Le Chorus offre les paramètres de profondeur, vitesse, largeur, délai, feedback, dosage (pour le mode série) et forme d’onde. Il peut être synchronisé au tempo global. Nous l’avons trouvé trop discret et assez neutre, rien à voir avec un Chorus analogique de JX-3P ou de Synthex.
Le délai stéréo gère 2 lignes à retard avec temps et feedbacks séparés pour les canaux gauches et droits. On peut aussi régler l’atténuation des hautes fréquences, le mode ping-pong, le dosage (en mode série) et la synchro au tempo. La réverbe est (trop) basique, puisqu’on ne peut en définir que la taille, l’atténuation des hautes fréquences et le dosage (en mode série). C’est peu, nous réclamons un vrai paramètre de temps et plusieurs ambiances (pièces, plaques, portes). De plus, elle sonne très métallique, avec des effets de bouclage sur les temps les plus longs. La distorsion offre un réglage de drive et 2 modes de saturation. Enfin, le Dual Phaser permet de recréer un couple de Phasers stéréo, avec profondeurs, vitesses, feedbacks et formes d’ondes séparés. Là encore, on peut régler le dosage de l’effet et synchroniser la vitesse de balayage au tempo. Idéal pour les sons d’ensemble à la Solina ou Trident.
Programmes par 4
En mode multitimbral, l’Origin est capable de gérer 4 programmes simultanés, ce qui peut paraître peu dans l’absolu, mais suffisant au regard de la polyphonie et de l’épaisseur des sons que produit la machine. La mémoire renferme 256 emplacements, dont 100 préchargés. Chaque programme est affecté à une piste où l’on règle le numéro de canal Midi, la tessiture, la transposition (sur +/- 2 octaves) et le volume. La piste est envoyée simultanément sur la sortie principale stéréo et la sortie auxiliaire stéréo qui lui est affectée dans le dur : piste 1 sur paire 1&2, piste 2 sur paire 3&4… Il est donc très facile de créer des points de split, des empilages ou des combinaisons multitimbrales indépendantes.
Il manque cependant un certain nombre de paramètres vitaux, tels que des fenêtres de vélocité ou encore le filtrage des contrôleurs physiques / Midi. La bonne nouvelle, c’est que chaque programme conserve ses réglages indépendants de séquences / arpèges et d’effets, contrairement à ce qu’on peut lire dans l’actuel manuel (en anglais). L’Origin permet d’éditer les programmes dans leur contexte de Multi. À la fin des opérations, au moment de sauvegarder le Multi, l’Origin propose en même temps la sauvegarde du (des) programme(s) ainsi modifié(s) dans un nouvel emplacement. Il suffit alors de cocher les cases correspondantes dans la boîte de dialogue. Bien vu !
Live et macros
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Afin d’agrémenter le jeu Live, qui devrait être l’apanage de tout synthé qui se respecte, et pas seulement des machines vintage ou de leurs clones à modélisation, l’Origin offre une page spéciale dans laquelle on affecte certains paramètres aux 8 encodeurs entourant l’écran et au joystick. À peu près tout ce qui constitue un programme est assignable. C’est également là que l’on définit les contrôleurs Midi. Enfin, on peut y gérer des macrocommandes, c’est-à-dire des actions groupées via les commandes des différentes sections de synthèse en façade : par exemple, lorsqu’on tourne le potard de fréquence de la section oscillateur, on peut agir sur un ou plusieurs oscillateurs ; idem pour la fréquence des filtres, la vitesse des LFO, ou encore les segments ADSR des enveloppes… bien pratique, vu la complexité de certains patches. Concernant le joystick, on dispose de 3 ensembles de réglages. Pour chacun, on définit les 2 paramètres à modifier en temps réel correspondant aux 2 axes. Chaque axe peut avoir une réponse unipolaire (par exemple pour la coupure du filtre) ou bipolaire (pour le pitch).
Cocorico !
Sans chauvinisme, voilà une machine qui ne laisse pas indifférent. Dans un ensemble compact et très bien construit, Arturia a réussi le pari de concentrer un puissant synthé modulaire aux possibilités infinies et complètement autonome. Au-delà la modélisation de parties vitales d’instruments mythiques, c’est surtout la panoplie sonore ultra large qui nous a le plus impressionnés. L’Origin évoque tour à tour les basses bien grasses et les leads déchirants des gros modulaires et des tout p’tits Moog, les textures vectorielles de Prophet-VS, les empilages numériques de PPG, les nappes cuivrées de JP-8 et les cordes brillantes de CS80… Tout n’est pas parfait, puisque les ensembles polyphoniques saturent très souvent, en particulier ceux utilisant les PWM. De même, les modulations hautes fréquences apportent leur lot d’aliasing et autres artefacts numériques dans les extrêmes aigus. Mais tout ceci peut être corrigé, d’autant que des améliorations sont d’ores et déjà prévues. Quoi qu’il en soit et en l’état actuel des choses, Arturia a réussi son tour de force, faisant de l’Origin un synthé profond, évolutif, fait pour l’expérimentation et la construction jour après jour de délires sonores en tout genre ; et dans ce domaine, il n’a pas de concurrence.
Interview des créateurs de l’Origin
Frédéric Brun, président d’Arturia et Philippe Wicker, chef du projet Origin
AF : quel est votre parcours professionnel ?
PW : de formation à la base universitaire scientifique, j’ai commencé à travailler en 1981 comme technicien électronicien. Puis comme concepteur de cartes électroniques pour Thomson-CSF (radars). Je suis passé progressivement du hardware vers un mix hardware/software, puis finalement sur du soft pur. En parallèle, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur, à la suite de quoi je suis passé de la conception de cartes électroniques à la conception de sous-ensembles complets (architecture hard + soft). Chez Arturia, je travaille à nouveau sur un système mixte.
AF : vous êtes à l’origine spécialisé dans le soft, pourquoi lancer une plateforme matérielle ?
FB: c’est au départ une demande des utilisateurs de nos synthétiseurs logiciels, formulée dès 2003, au moment de la sortie du Moog Modular V. Nous avons jugé qu’il était intéressant de répondre à cette attente, et même d’aller au-delà de la demande initiale (une version hard avec les mêmes possibilités et qualités sonores que le soft), car une plateforme matérielle dédiée offre des avantages spécifiques à certains types de musiciens, ceux qui font de la scène notamment. Un système fermé stable, puissant, sans latence et contrôlable apporte une expérience musicale unique. C’est différent des synthétiseurs logiciels qui ont leurs propres avantages, d’ailleurs.
AF : quel a été votre rôle sur l’Origin ?
FB: Philippe était le chef de projet, j’étais le chef de produit (définition marketing du produit, constitution / allocation des ressources, observance du budget).
PW : j’ai participé à la définition de l’architecture hardware. Puis j’ai défini l’architecture logicielle et dirigé l’équipe de développement software. En tant que développeur, j’ai travaillé sur l’OS des DSP et sur la refonte de la librairie audio Arturia pour qu’elle « rentre » dans les DSP.
AF : quelles ont été les principales difficultés rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
PW : trouver le bon équilibre entre ce qu’on voulait mettre dans la machine et ce qu’il était possible de faire. La recherche de cet équilibre nous a demandé du temps et on a dû réécrire le code de la librairie audio Arturia pour tenir compte des contraintes mémoires sévères sur une architecture embarquée à base de DSP.
AF : de quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui ?
PW : en tant que musicien, c’est d’avoir participé à la création d’une belle machine comme Origin. En tant que technicien, c’est d’avoir réussi à sortir une machine complexe qui marche, enfin je crois :-)
AF : sur quelles améliorations d’OS travaillez-vous ?
PW : augmentation de la polyphonie, nouveaux gabarits (CS80, Jupiter-8, ARP2600), un plug-in AU/VST…
AF : quels sont les projets d’Arturia ?
FB: nous avons annoncé pas mal de choses, notamment une très belle mise à jour pour Brass. C’est quasiment un nouveau produit tant nous sommes allés loin dans la refonte de cet instrument virtuel, aux côtés de l’Ircam. Il est clair que le modèle physique est une direction qui nous intéresse et à laquelle nous croyons. Nous aurons d’autres produits dans ce domaine. Nous aurons également de nouveaux produits synthés, notamment des mises à jour pour Origin qui est devenu le vaisseau amiral de notre gamme. La version clavier sera une étape importante pour nous et nous l’anticipons pour l’automne prochain. Nous aurons enfin un produit d’une nature nouvelle, probablement en début d’année prochaine. Je ne peux pas en dire plus, mais nous travaillons en respectant les valeurs qui ont fait notre force jusqu’ici : l’innovation, la qualité sonore et la simplicité de prise en main.