Dans le sillage de l’Argon8, synthé numérique à tables d’ondes, Modal présente le Cobalt8, basé sur une modélisation analogique étendue. Un synthé suffisamment différent pour constituer une proposition intéressante ?
Deux ans après la série Argon, la firme britannique Modal Electronics a débuté une nouvelle série de synthés numériques, baptisée Cobalt. Initialement disponible en modèles clavier et module polyphoniques 8 voix, comme son prédécesseur, le synthé a récemment été décliné en version compacte d’entrée de gamme à 5 voix et mini-touches, le Cobalt 5S. L’ami Arthur (Domicidre) nous en a fait un tuto détaillé dans un numéro récent de l’important c’est le synthé. Du coup pour ce test, nous nous sommes concentrés sur le modèle du milieu de gamme, le Cobalt8, doté d’un clavier 3 octaves. Il est aussi disponible en version 8X (5 octaves avec les commandes excentrées à gauche) et 8M (module compact avec commandes concentrées). Nous avons testé la machine en version système 1.2.
Trapu et lourd
En sortant le Cobalt8 de sa boîte, on se fait la même frayeur qu’avec l’Argon8 : le colis est lourd mais le petit carton Modal est tout fin. Heureusement, les pains en mousse internes sont larges et protègent le synthé des risques liés à un emballage bien trop juste. En plus du synthé, on trouve une alimentation externe (bloc cheap placé à l’extrémité, avec différents embouts interchangeables pour différents pays), un cordon USB et une simple feuille A4 en guise de guide de prise en main, décidément ça ne s’arrange toujours pas chez Modal. Le synthé pèse un poids certain, 5,6 kg, pour à peine 55,5 × 30 × 10 cm ! La machine offre un look qualitatif, comme la série Argon dont elle reprend le format et les matériaux.
En matière de construction, le meilleur et le pire cohabitent. Le meilleur, c’est une épaisse façade en alu anodisé, une coque en métal peint, une sérigraphie claire sur fond bleu métal parfaitement lisible, des flancs en bambou teinté, un petit écran OLED graphique blanc sur fond noir hyper contrasté, un bâton de joie à ressort très précis à 4 sens de modulation, un clavier dynamique 3 octaves TP/9S Fatar semi-lesté très agréable au toucher, sensible à la vitesse et à la pression. Là encore, on est sur les mêmes standards que la série Argon, à la couleur et aux commandes près. Notre joie retombe à nouveau dès qu’on commence à manipuler les 29 encodeurs (27 lisses et 2 crantés de part et d’autre de l’écran) : ils bougent pas mal sur leur axe, leur résistance est très insuffisante et la matière du capuchon est un plastique lisse désagréable au toucher. En fait, le Cobalt8 reprend exactement le même boîtier et les mêmes commandes que l’Argon8, seule la sérigraphie change…
Ergonomie mitigée
L’ergonomie est en tout point identique à celle de l’Argon, avec des sections placées de la même manière : LFO, oscillateurs, transposition d’octave (-3/+4), modulations, filtres, mode de jeu, effets, enveloppe, volume, arpégiateur, séquenceur. Elles sont toujours placées en quinconce dans une britannique logique, mais on arrive à s’y retrouver. Il faut bien chercher pour pointer quelques rares différences avec l’Argon (oscillateurs, réglage de l’entrée audio vers les effets). La touche Init n’a pas été oubliée mais la fonction Compare est toujours introuvable. Une fonction permet de créer des patchs aléatoires. Il n’y a qu’un encodeur-poussoir cranté pour naviguer au sein de 500 programmes, sans classement par catégorie. Les mémoires bouclent entre les numéros 500 et 1, ouf ! Pour naviguer dans les menus, un second encodeur-poussoir sert à sélectionner les pages et choisir le paramètre à éditer lorsqu’on appuie dessus, on a vu plus pratique. On a pas mal de commandes directes sous la main, mais quasiment toutes possèdent des fonctions multiples (deux ou trois) et certaines sont partagées, comme les LFO et les enveloppes. Il faut donc jouer du Shift en permanence et dans certains cas, c’est la galère (pour basculer entre les LFO 2/3 et assigner une destination de modulation, on n’arrête pas de se planter…).
La connectique, absolument identique à celle de l’Argon8, est regroupée sur le panneau arrière. Elle n’est pas vissée et la carte bouge beaucoup, ça craint. Au programme, du classique, sans surprise ni oubli : au format jack 6,35, on trouve une sortie casque stéréo, deux sorties lignes gauche (mono) / droite, deux entrées pour pédales (interrupteur et continue). Au format mini-jack, il y a une entrée audio stéréo (routage vers les effets mais pas vers le filtre), une entrée synchro et une sortie synchro type Korg. Pour le numérique, on a deux prises Midi Din (entrée et sortie commutable en Thru) et une prise USB hôte (Midi uniquement, dommage, on aurait aimé l’audio). A côté de l’interrupteur secteur, il y a une borne pour l’alimentation externe 9VDC/1,5A/C+, un classique dans ce niveau de gamme.
Blue notes
Le Cobalt8 est un synthé numérique monotimbral polyphonique 8 voix. Les 500 mémoires internes renferment 300 sons préchargés réinscriptibles. Ils donnent un aperçu assez représentatif de ce que le synthé est capable de produire : non seulement des sons VA classiques (basses, synthés poly, cuivres, cordes, nappes planantes, leads, synchro, Supersaw technoïdes), mais toute une panoplie de sons moins communs (nappes à filtre passe-haut ou passe-bande, formants de voix, textures évolutives). On sent tout de suite que la section filtre est souple et qu’elle peut avoir du potentiel si on s’y attarde un peu. Elle sera utile pour atténuer le côté métallique du son brut ou au contraire le renforcer avec certains profils de filtres sélectifs (passe-bande, réjection).
En dehors de ce registre, le Cobalt8 est très à l’aise dans des territoires plus frais. On se prendrait parfois à croire qu’on a un synthé hybride (il ne faut pas hésiter à pousser le filtre et prendre le temps de bien explorer tous ses réglages) ou à ondes vectorielles (on sent des oscillateurs originaux avec des possibilités de modulation avancées). Enfin, le Cobalt8 offre son lot de percussions et de sons plus barrés, genre effets spéciaux hyper modulés. Des arpèges et des séquences viennent enrichir cette panoplie sonore finalement large pour un synthé qui se positionne en VA. Un dernier mot sur les niveaux audio, assez faibles, comme déjà relevé sur l’Argon8, un bon 10dB en dessous de la « normalitude », il va falloir jouer du gain. Curieux, car le signal est exempt de bruit de fond, Modal aurait pu faire l’effort de le booster un peu plus dès le départ.
- Cobalt8_1audio 01 Digital Choir00:49
- Cobalt8_1audio 02 Arp Alg01:20
- Cobalt8_1audio 03 Spread It01:06
- Cobalt8_1audio 04 Ring Bass01:05
- Cobalt8_1audio 05 Blade Tears01:08
- Cobalt8_1audio 06 FM Things01:04
- Cobalt8_1audio 07 Mellow Pad01:07
- Cobalt8_1audio 08 4LP Bass01:00
- Cobalt8_1audio 09 Vary Pad01:19
- Cobalt8_1audio 10 Phase Mode01:50
Pour ceux qui veulent des sons professionnels prêts à l’emploi, nous recommandons la banque Janus de l’ami AFien Musicdesign, qui nous a fourni les extraits sonores suivants :
- Janus 01 Chronos00:47
- Janus 02 Blade Runner 204901:01
- Janus 03 Ades00:43
- Janus 04 Analopoly00:37
- Janus 05 Analog Strings00:19
- Janus 06 Odyssey00:21
- Janus 07 Eminent00:59
- Janus 08 Orion00:43
- Janus 09 T80000:38
- Janus 10 Polaris00:39
VA étendue
Le Cobalt8 est un synthétiseur à modélisation analogique étendue. Que signifie-ce ? Eh bien que pour chaque oscillateur, plutôt que proposer une onde basique à envoyer se faire filtrer, on dispose de 40 algorithmes, intégrant de complexes arrangements d’ondes et de nombreuses possibilités d’intermodulations. On choisit donc un algorithme, puis on modifie en continu les deux paramètres qui le caractérisent (ces paramètres sont des destinations de la matrice de modulation, nous en reparlerons plus tard). Du coup, on accède rapidement à une large palette sonore avec un seul oscillateur, on expérimente sans perdre de temps.
Parmi les 40 algorithmes : ondes VA variables en continu avec désaccordage ou réduction de bit, empilages virtuels de différentes ondes basiques avec désaccordage, PWM variées, synchronisations virtuelles de différentes ondes, ondes à symétrie variable, modulation d’amplitude de différentes ondes, modulation en anneau de différentes ondes, FM variées et générateurs de bruit de différentes couleurs. Bref, un florilège de tout ce qu’on peut trouver en matière de générateurs sonores analogiques modulés et intermodulés.
L’écran graphique s’avère d’une bonne pédagogie, affichant en direct la forme d’onde obtenue quand on bouge les deux paramètres contextuels de chaque algorithme, de manière certes un peu simpliste, mais bien utile quand même ! Chaque oscillateur peut ensuite être accordé sur +/- 2 octaves par demi-ton et par centième. On trouve même une simulation de dérive d’accord et de phase, paramétrable par oscillateur. Un paramètre permet d’alterner les voix en stéréo, idéal pour créer de larges nappes ou de puissants unissons. Les oscillateurs passent ensuite dans une simple balance avant de rejoindre le filtre.
Filtre en échelle variable
Le filtre du Cobalt8 diffère de celui de l’Argon8. Il s’agit d’un filtre modélisé en échelle 4 pôles multimode résonant, avec un potentiomètre dédié pour passage continu entre 4 différents modes : passe-bas 4 pôles / passe-bande / passe-bas 1 pôle hyper résonant, Passe-bas 4 pôles / passe-bande / passe-bas 1 pôle, passe-haut 4 pôles / réjection / passe-haut 1 pôle, double réjection. Le premier modèle n’est pas compensé, alors que les trois autres le sont, c’est-à-dire qu’il y a moins de perte de fréquences à résonance élevée, mais du coup la résonance est moins prononcée. Des choix pertinents par rapport aux types d’ondes à filtrer et complémentaires par rapport aux filtres de l’Argon8, qui du coup possède une couleur sonore différente.
On peut directement régler la fréquence de coupure du filtre avec un gros encodeur lisse (sans valeur affichée, seule la réponse du filtre est représentée graphiquement – le constructeur indique une plage de 0 à 22kHz), ainsi que la résonance et le morphing en continu. Là encore l’écran reflète le profil de filtrage en cours. Le contour bipolaire de l’enveloppe de filtre se règle également en direct. La réponse en fréquence est très lisse avec l’encodeur dédié, alors que via le menu, elle se limite à 128 valeurs. Le suivi de clavier est assignable dans la matrice de modulation (voir ci-après). Les différents modes de filtres sont judicieusement choisis, ont du grain quand on rentre un peu dedans et permettent un grand nombre de variations, rapidement accessibles via les potentiomètres de coupure, résonance et morphing. Vient ensuite l’étage d’amplification. Le volume est modulable par une enveloppe dédiée. Il n’y a pas de réglage de panoramique, seulement un paramètre d’élargissement stéréo, entre voix paires et impaires, non modulable. Nous aurions aimé que Modal revoie son logiciel sur ce point, c’est raté ! On trouve aussi différents modes de voix : poly, mono, unisson (2–4–8 voix, utile pour faire peser les basses), empilage polyphonique (2 ou 4 voix), accord (non mémorisé) et accord inversé (ajout d’une ou deux octaves par rapport à l’une des notes d’un accord).
Modulations généreuses
Comme l’Argon8, le Cobalt8 est largement modulable. On trouve un portamento polyphonique dont on peut régler le temps. Suivant le signe de la valeur, il peut être automatique ou déclenché par liaison de note. Viennent ensuite trois LFO (un global, deux polyphoniques) à ondes discrètes (sinus, triangle, carré, rampe, dent de scie, S&H, S&H lissée) ; l’onde sélectionnée apparaît à l’écran sous forme graphique, sympa ! On perd donc les ondes continues de l’Argon8, mais on gagne un LFO. L’oscillation peut être libre, redéclenchée à chaque note ou jouée sur un seul cycle. La vitesse des LFO peut être réglée à la main (hélas sous les fréquences audio) ou synchronisée au tempo suivant différentes divisions. Il n’y a en revanche ni réglage de délai, ni fondu. Pour assigner un LFO à un paramètre de synthèse (et d’effets pour le LFO1), on allume le bouton du LFO et on tourne l’encodeur de la destination ; la quantité de modulation, bipolaire, est réglée via l’encodeur de destination ou avec le potentiomètre de données. Il y a aussi trois enveloppes ADSR : deux assignées dans le dur au filtre et au volume, la troisième assignable via la matrice de modulation. La quantité de modulation de l’enveloppe de filtre et de l’enveloppe assignable sont bipolaires. On trouve aussi 8 types de réponse d’enveloppe, allant des sons percussifs très secs aux longs pads évolutifs (jusqu’à 10 secondes pour le Release).
La matrice de modulation comprend 8 cordons libres permettant de relier 12 sources à 52 destinations, avec modulations bipolaires cumulables. Les sources sont les 3 LFO, l’enveloppe de modulation et 8 contrôleurs physiques : numéro de note (suivi de clavier), vélocité, pression, pédale et les 4 directions du bâton de joie (+X/-X/+Y/-Y). Les destinations concernent les 2 paramètres d’onde, le(s) pitch(s), la balance des oscillateurs, les LFO (vitesse, quantité, forme d’onde), le filtre (coupure, résonance, morphing), les enveloppes (chaque segment et la quantité d’action), le glide et tous les paramètres d’effets. Déjà dit, la largeur stéréo est passée à la trappe dans la liste des destinations et il n’y a pas de réglage de panoramique. Toutes les combinaisons sources / destinations ne sont pas possibles, en particulier les sources polyphoniques vers les destinations mono, ce qui semble normal. Aux 8 cordons de modulation assignables s’ajoutent 4 cordons préassignés, avec modulation bipolaire : suivi de clavier sur la coupure du filtre, bâton de joie vers le haut (+Y) sur la quantité de LFO1, pression sur la coupure du filtre et vélocité sur l’enveloppe de volume.
Triples effets
En sortie de l’étage d’amplification, le son passe dans trois multieffets stéréo placés en série. La distorsion présente sur l’Argon8 est passée à la trappe, paf ! On peut router un signal audio externe vers les effets (ou directement en sortie stéréo). Les trois effets stéréo font chacun appel à 11 algorithmes : chorus, phaser, flanger positif, flanger négatif, trémolo, basse-fidélité, haut-parleur tournant, délai stéréo, délai ping-pong, délai croisé et réverbe. On ne peut charger qu’une seule fois un algorithme donné dans l’un des trois effets.
Il y a 6 paramètres disponibles par effet, accessibles avec 3 encodeurs et la touche Shift. Parmi ceux-ci, les temps de délai peuvent être synchronisés à l’horloge de la machine suivant différentes divisions temporelles. Cela permet de les faire tourner en synchro avec les LFO, arpèges et séquences. Pour faciliter les choses, la section effets comprend 100 Presets réinscriptibles (multieffets complets et effets simples). Tous les paramètres d’effets sont modulables comme nous l’avons vu précédemment, super ! La qualité des effets est assez variable suivant l’algorithme : délais impeccables, phaser et flanger corrects, mais rotary, chorus et réverbe pas terribles (insipides ou métalliques, ce qui colle moyennement avec les sons orientés VA).
Arpèges et séquences
On active l’arpégiateur en appuyant sur la touche du même nom. La maintenir permet d’enregistrer des notes avec le clavier (ou via Midi) et des silences, à concurrence de 32 pas. On choisit ensuite la division temporelle, puis le mode de lecture (8 motifs transposés de 1 à 4 octaves, avec les modes pendulaires, Shuffle et aléatoire, mais pas de mode accords), le swing (bipolaire, donc avec avance ou retard de note) et la durée de porte. Un mode permet de maintenir l’arpège au relâchement de touches, avec possibilité de maintien (combinaison de touche). Les notes entrées ne sont évidemment pas sauvegardées dans les programmes, seuls les paramètres décrits ci-avant le sont, rien de choquant…
Le Cobalt reprend le séquenceur développé pour l’OS V2 de l’Argon8. Il est capable de fonctionner en temps réel ou pas à pas, mais changer de mode initialise la séquence, ces deux modes étant exclusifs, c’est ballot ! En temps réel, on peut enregistrer jusqu’à 512 notes avec quantification à l’entrée et 4 lignes d’automation de paramètres. En pas-à-pas, on dispose de 64 pas polyphoniques 8 voix et des mêmes automations. Seules les modalités d’enregistrement changent. A coups répétés de combinaisons de touches, on peut éditer chaque pas. On peut aussi éditer les notes et les automations à la volée alors que le séquenceur tourne, entre deux points de lecture (par écrasement ou ajout). En lecture, on peut changer les points de bouclage ou boucler sur un seul pas à la volée. On peut aussi transposer la séquence en maintenant le bouton Transpose et en jouant au clavier. Les notes arpégées / séquencées peuvent être transmises en Midi. Il y a 100 mémoires, chaque programme pouvant conserver un lien vers un numéro de séquence. Elles sont préchargées d’usine, pour bien débuter.
Conclusion
Après l’Argon8, le Cobalt8 vient enrichir la gamme de synthés numérique milieu de gamme signés Modal. Positionné synthé VA, on ne peut pas dire que les sons analogiques pêchus, gras et chauds soient son domaine de prédilection. C’est en revanche un candidat solide pour qui recherche des textures complémentaires. En effet, la machine excelle dans les pads de toutes les couleurs et les textures évolutives, grâce à ses oscillateurs originaux à algorithmes, son filtre multimode polyvalent et ses sérieuses possibilités de modulation. Dans chaque section, un choix restreint et judicieux de paramètres permet d’obtenir une grande variété sonore. De ce point de vue, c’est bien joué ! En revanche, l’ergonomie n’est pas au rendez-vous, avec recours systématique à la fonction Shift, rendant indispensable l’excellente appli maison pour le synthétiste sérieux. La section effets est hétérogène, tout comme la qualité de construction, mêlant un très bon clavier dans un boîtier robuste à des encodeurs médiocres. Un peu plus cher que l’Argon8, le Cobalt8 offre une alternative intéressante à son frère de son sur le plan de la synthèse et du grain, toutes choses égales par ailleurs.