Un peu moins en vogue aujourd’hui, les workstations ont la peau dure dans l’univers sans pitié des synthés. Il faut dire que leur côté couteau suisse permet de créer des morceaux complets ou dépanner le musicien dans bon nombre de situations…

Autre cas de figure, une aversion profonde pour tout ce qui touche à l’informatique, ses paramétrages, ses autorisations, ses mises à jour, sa latence, quelle que soit l’utilisation faite. En contexte de home studio, on est aussi parfois un peu contraint par l’espace, si bien que vouloir produire un titre de A à Z sans s’encombrer de multiples synthés, modules, effets et enregistreurs relève de la gageure. Et quand bien même, si par bonheur, on a la place et les sous, on peut vouloir piloter un parc bien fourni à partir d’une machine centrale, façon Seigneur des Anneaux dawless. Sur scène enfin, ça peut être la crainte du PC qui déjante en direct, il parait que ça arrive. Heureusement, il existe une solution matérielle, dernier rempart face à ce monde agressif, ce mauvais sort qui s’acharne, l’impossibilité de repousser les murs ou la lassitude de passer d’un synthé à l’autre : la workstation. Mais au juste…
Qu’est-ce qu’une workstation ?
On confond parfois workstation et arrangeur. Bien que ces deux instruments aient des liens de parenté dans leurs éléments constitutifs, il y a toutefois une différence d’approche fondamentale : avec une workstation, on crée un morceau de A à Z, son par son, effet par effet, section par section, le tout assemblé « à la pogne » dans un séquenceur ; avec un arrangeur, on opte pour une orientation performance, avec des possibilités de synthèse limitées, mais une puissante section accompagnement qui génère automatiquement une rythmique complète, harmonisant des accords plaqués en temps réel, sur lesquels on ajoute une mélodie ou du chant. Un arrangeur est plus approprié dans un contexte piano-bar ou bal avec une formation minimaliste (musicien seul ou musicien + chanteur). Il peut-être aussi très utile pour les compositeurs, permettant de tester rapidement différentes ambiances ou harmonisations. Quelques rares arrangeurs se révèlent aussi être de véritables workstations, c’est le cas du PA4X de Korg.
Petite histoire des workstations
Retour au siècle dernier. Dans le sillage du M1, la concurrence s’organise plus ou moins vite : côté USA, Ensoniq prend le flambeau, coiffant E-mu alors concentré sur les échantillonneurs. Citons les VFX-SD, SD-1, TS, MR. E-mu finira par intégrer une Rom à son Emulator-4, qui revendiquera le titre de workstation sous le vocable E-Synth. En 1992, Kurzweil sort un OVNI, cumulant synthèse modulaire virtuelle, échantillonnage, arpégiateur, séquenceur, effets : le K2000, digne héritier du K250. Il ne cessera d’être décliné, puis la marque abandonnera un temps les workstations avant de doter certains pianos de scène de fonctionnalités complètes (PC4, Forte). Récemment, le K2700 marque le grand retour de Kurzweil sur ce marché. Alesis sortira le Fusion, une workstation pleine de bons ingrédients, qui n’aura hélas pas le succès qu’elle mérite. Côté européen, ce fut morne plaine, on peut toutefois signaler les S2/S3 et l’Equinox sortis en 1995 et 1999 par GEM (Italie), société disparue depuis dans le cosmos.
Critères de choix
Choisir une workstation aujourd’hui est devenu quasi cornélien, parce que chaque constructeur a sa propre couleur sonore, ses domaines de prédilection, ses technologies, sa gamme, sa conception spécifique du produit et son positionnement prix. Voilà à notre sens les points prioritaires à scruter avant achat.
Palette sonore
Il n’y a pas de miracle, un synthé aussi complet soit-il n’est pas génial dans tous les types de sonorités. Déjà parce que le constructeur veut se démarquer, ensuite parce qu’il se base souvent sur des échantillons signature de la marque qu’il décline à travers les années. Donc tout va dépendre de l’utilisation, des styles musicaux visés, actuels et futurs, si on veut rentabiliser son achat sans perdre de la valeur en revendant tous les trois ans. C’est là qu’il faut se demander si la palette sonore peut être étendue, soit par chargement d’échantillons, soit par ajout de moteurs de synthèse (nous y reviendrons). Dernier point à regarder pour ceux qui font du live, la machine permet-elle des transitions douces entre les sons, en particulier les combinaisons multitimbrales ? Cela varie selon les modèles.
Qualité de fabrication
Ergonomie
On passe ensuite à un point crucial pour une workstation : l’ergonomie. Si elle est capillotractée, c’est un tue-l’amour, des galères en perspective et une revente douloureuse à terme. Questions-clés : combien y a-t-il de commandes directes (curseurs, potentiomètres, interrupteurs), comment sont-elles placées (logiquement, bien espacée ou trop serrées), quels paramètres peut-on modifier en temps réel (synthèse, sélection/activation/coupure d’un canal ou d’une piste de séquenceur, commandes de transport du séquenceur Play/Stop/Continue/Record/Avance/Retour, accès direct aux effets), de quels contrôleurs dispose-t-on (molettes, pads, rubans, capteur optique), comment se passe l’édition via les menus (défilé interminable de pages, onglets bien rangés, spéléologie, lisibilité, taille des caractères, facilité d’accès aux paramètres-clés), comment les programmes sont-ils triés (par numéro, par nom, par catégorie, par favori), peut-on créer des listes faciles à rappeler en live ?
En résumé, les questions d’ergonomie, c’est « vais-je pouvoir facilement créer un son, le retrouver dans une banque, le combiner à d’autres, l’envoyer dans différents effets, piloter plusieurs instruments externes, créer des motifs, les assembler en séquences et rappeler tout ça rapidement » ? Et la question qui fait flipper tout le monde sur scène : « combien de temps met la workstation à booter en cas de panne de courant » ? Souvent, vu tout ce qu’il y a à charger, la réponse est « un certain temps ». Et donc, y a-t-il des bogues connus et des risques de freeze avérés ?
Connectique
On passe ensuite aux entrées pour pédales : combien de pédales (interrupteurs, continues), sont-elles assignables, à quoi, pour chaque partie ou globalement ? Juste après, y a-t-il des prises CV/Gate pour piloter des instruments analogiques externes, combien, configurables pour quel type de signal, pilotées par quoi en interne ? Vient l’heure du Midi : combien de prises, quel format ? Concernant l’interface USB, que transmet-elle : Midi, CC, Sysex, banques, audio multipiste, stockage de données, OS ? La workstation peut-elle piloter directement des synthés hôtes par USB ? Certaines machines proposent des alternatives à l’USB pour le stockage, telles que des cartes SD. Enfin, on peut regarder le type d’alimentation (interne ou externe). Là encore, le niveau de gamme est discriminant.
Fonctions clavier de commande
Les workstations sont aussi des claviers de commande. Cela peut être intéressant de se poser la question de ce qu’on veut piloter, tant en interne qu’en externe. Cela dimensionnera au passage la taille idéale du clavier, les modèles en rack ayant disparu. Certaines marques déclinent leurs workstations en différentes natures de clavier au sein d’une même gamme. On regardera tout particulièrement le nombre maximal de parties pilotables, l’affectation des canaux Midi sortants (numéro, générateur interne, externe, les deux ?), le zonage du clavier, les fenêtres de vélocité et les filtres Midi (changements de programmes, contrôleurs physiques – touches, molettes, pédales, rubans, commandes en façade, pads, messages Midi classique, CC, RPN, NRPN). Certaines workstations sont limitées sur ces différents points, soit en nombre de canaux transmis, soit dans leur assignation (numéro de canal = numéro de partie), ce qui est pénalisant pour certains usages.
Moteurs de synthèse
D’autres intègrent des formes de synthèse alternatives à la lecture samples. On trouve la modélisation de pianos acoustiques, la modélisation de claviers électriques, la modélisation analogique, la synthèse FM, la modélisation physique, la modélisation d’orgues à roues phoniques, les articulations d’instruments acoustiques, la synthèse modulaire… Il faut donc bien étudier ce que proposent les marques et les tierces parties (styles musicaux, nombre et taille des banques d’échantillons, moteurs additionnels, qualité globale, tarif, type de licence – achat, mode SaaS, nombre d’installations simultanées, portabilité vers un autre instrument). Ce n’est d’ailleurs pas toujours clair d’une marque à l’autre.
Multieffets
Une workstation étant un instrument en principe autonome, elle doit pouvoir traiter simultanément plusieurs canaux sonores par des effets de nature différente. On s’attachera donc à analyser combien d’effets sont disponibles en même temps, s’ils sont partagés ou exclusifs par canal, comment se fait le routage pour chaque partie (insertion, bus, Sidechain), quels éventuels sacrifices sont faits quand on passe du mode programme simple au mode combinaison multiple ou séquenceur (autrement dit, que devient le son d’un programme simple traité par les effets quand on le met dans un contexte multitimbral ?).
D’une manière plus classique, on regardera la liste des algorithmes fournis, les éventuels effets à modélisation, le nombre de paramètres éditables, les possibilités de modulation en temps réel, les présélections d’effets fournies pour ne pas partir de zéro et la qualité sonore (en particulier les réverbes, qui sont parfois le talon d’Achille des synthés d’entrée de gamme). Les workstations disposent aujourd’hui d’effets globaux, pour l’ambiance générale d’un morceau (chorus, réverbe), le mastering (compresseur et limiteur multibande) et les corrections pour tenir compte du lieu d’écoute (EQ multibande). On scrutera aussi les éventuelles possibilités de traiter des sons externes ou un micro par des boucles d’effets. Ah tiens, y a-t-il un vocodeur ?
Arpégiateur
Les points-clés pour un arpégiateur sont les suivants : modes de synchronisation (internes, externes), types de motifs (simples, complexes, monodie ou polyphonie), nombre maximal de notes mémorisées pour générer l’arpège, possibilité de créer ses propres arpèges, transposition d’octaves, réponse à la vélocité, facteurs aléatoires (notes, Ratchets), nombre d’arpèges qui peuvent tourner simultanément, ça va peut aller de 1 à 16 !
Séquenceur
S’il y a bien un module déterminant pour les workstations, c’est le séquenceur. Il doit évidemment être multitimbral et capable de piloter des générateurs internes et des modules externes (Midi, USB, parfois en CV/Gate). Toutes les marques et produits ne sont pas à égalité dans ce domaine, on a d’ailleurs constaté des rétropédalages fâcheux chez certains fabricants, réfutant même l’appellation workstation pour leurs propres produits. On regardera d’abord le nombre de pistes, la capacité de notes, la nature de la mémoire des séquences (permanente ou effacée à l’extinction des feux) et les possibilités d’import/export de séquences (en interne, par exemple depuis le mode motif, ou en externe, sous forme de SMF de type 0 ou 1).
Dernier point, les pistes audio. Certains séquenceurs intègrent des pistes audio en parallèle des pistes Midi. Cela permet d’enregistrer des instruments externes ou des voix, ou encore de bouncer des pistes Midi pour récupérer de la place. C’est le cas chez Korg dès l’entrée de gamme, avec 16 pistes audio direct-to-disk. La concurrence permet la plupart du temps de générer un mix audio stéréo pour l’exporter ensuite.
Notre sélection
Aujourd’hui, il ne reste que quatre marques produisant des workstations : Korg, Roland, Yamaha et Kurzweil. Il y a donc peu de produits et peu de renouvellement. Tout va être question de gamme, de marque, de palette sonore, d’ergonomie, de qualité de construction, de possibilités d’extension et d’interfaçage avec l’extérieur (autres synthés en Midi, STAN logicielles en audio).
Moins de 1000 €
Entre 1000 et 2000 €
Le segment des workstations de moyenne gamme dans les 1000–2000 € est le plus disputé. Les modèles proposent tous au moins 120 voix de polyphonie sur 16 canaux multitimbraux. On peut encore trouver les modèles Krome EX (73 touches semi-lestées et 88 touches lourdes) datant de 2012. Bien mieux construit que le Kross 2 (qui a repris ses modes combinaison et séquenceur), il s’appuie sur un moteur PCM de 3,8 Go, un grand écran graphique tactile qui améliore considérablement l’édition et 8 multieffets. Une sorte de Kronos light concentré sur les PCM avec un séquenceur plus ergonomique, mais sans échantillonnage utilisateur ni extensions.
Plus de 2000 €
Conclusion
Après une domination du marché sans partage pendant une vingtaine d’années, les workstations ont aujourd’hui perdu de leur superbe, au profit de solutions logicielles imbattables en puissance pure. Pourtant, elles peuvent dépanner dans de nombreuses situations, que ce soit au studio, en répétition ou sur scène. Résultat, le nombre de marques présentes sur ce marché s’est considérablement réduit, tout comme la gamme qu’elles proposent, le plus souvent limitée à un modèle de milieu de gamme (1000–2000 €) et un modèle haut de gamme (plus de 2000 €). Cependant, elles intègrent de plus en plus de possibilités de synthèse et d’effets, mélangent différents moteurs à modélisation disponibles simultanément, avec une fiabilité maximale et sans latence. Mais pour combien de temps encore ?