La sortie d'un effet Fabfilter est toujours un petit événement, même si à l’heure des plug-ins "intelligents" ou très bon marché, les Néerlandais font face à une rude concurrence. De fait, nous n’attendions rien de particulier de cette Pro-R 2. Et nous avions bien tort…
Au-delà de tout reproche en termes de qualité audio et dotée d’une de ces interfaces dont Fabfilter a le secret, la Pro-R est devenue la « go to » réverbe de quantité d’utilisateurs. De tous ? Non, pas pour autant car s’il fut un temps lointain où les réverbes de qualité se comptaient sur les doigts d’une main, le marché regorge aujourd’hui de plug-ins tous plus enthousiasmants les uns que les autres. Sans même parler des réverbes à convolution d’Audio Ease, Overloud ou de Liquidsonics ou des classiques signés Lexicon, Sonnox ou Eventide et des nombreuses émulations qu’on trouve ça et là (PSP, Wave Alchemy, UA), on évoquera les produits innovants d’éditeurs comme Izotope, 2CAudio ou Sonible. Et comme si tout cela n’était pas assez, voici qu’un viking nous propose des plug-ins d’une qualité hallucinante à 50$, au point de devenir le chouchou de beaucoup d’entre nous… Bref, pour se hisser au-delà de cette mêlée bien dense, faire un bon produit ne suffit pas, il faut faire le meilleur ; c’est vous dire la pression qui repose sur les épaules de Fabfilter !
Sauf que les Néerlandais, on le sait, ne sont pas des rigolos : leur Pro-Q demeure notamment le plus utilisé des EQ aujourd’hui, leur Pro-L est devenue une vraie référence également, tout comme Pro-C, Pro-MB, Pro-DS, Saturn… Et comme ils n’ont pas l’habitude de sortir des produits qui ne soient pas mûrement pensés et parfaitement réalisés, on se jette du coup sur l’installeur pour voir de quel bois se chauffe cette Pro-R 2.
R comme Retrouvailles
On ne change pas une formule qui gagne et Pro-R 2 reprend donc le design et les couleurs de Pro-R, à savoir un mélange de bleu, de violet et de noir sur lesquels tranchent des textes blancs et des contrôles orangers tandis que la visualisation évoque des volutes de sable saharien. On retrouve aussi pour l’essentiel l’organisation de la première version, deux courbes dans la fenêtre principale (l’une pour l’EQ post-réverbe et l’autre pour le Decay Rate EQ qui permet d’orienter le travail de l’algo). Dans la partie supérieure de la fenêtre sont remisés tous les contrôles pour configurer l’effet, et c’est là qu’on trouve le plus de nouveautés puisque les sept potards de la V1 sont désormais au nombre de neuf…
Au centre, on trouve toujours le gros potentiomètre Space qui définit le temps de réverbération, de 0,20 seconde à un confortable 10 secondes… sauf qu’il est flanqué d’un second potard qui permet de multiplier ou diviser ce temps : on peut ainsi obtenir un temps de réverbe allant de 0,05 secondes à… 40 secondes ! La Blackhole d’Eventide n’a qu’à bien se tenir !
Dans la partie gauche, quatre réglages nous attendent : Predelay, réglé en ms ou synchronisable au tempo, Character qui permet d’introduire des modulations jusqu’à un effet chorus, Thickness qui joue à la fois sur la densité, la saturation et la non-linéarité de l’effet et Distance qui vous place plus ou moins proche de la source.
De l’autre côté, un bouton Brightness permet de jouer sur l’absorption plus ou moins grande des hautes ou basses fréquences, façon Tilt EQ. Ducking est un compresseur rudimentaire qui permettra d’atténuer l’effet lorsque le signal dry se fait entendre, pour une meilleure intelligibilité de ce dernier, et Stereo Width permet de définir sans surprise la largeur de l’effet : à 0%, on est en mono, on progresse jusqu’à 50% vers la True Stéréo, puis jusqu’à 100% vers le double Mono. On peut même monter à 120% où le signal Side est alors amplifié par rapport au centre, ce qui, outre l’effet de largeur, permettra d’obtenir une meilleure compatibilité mono. Sans surprise, Mix complète tout cela pour doser l’équilibre entre son traité et son non-traité, sachant qu’on peut le verrouiller pour qu’il demeure le même lorsqu’on change de presets…
Et c’est tout ? Point du tout, car on dispose de trois nouveaux boutons. À droite, un petit flocon de neige permet de geler l’effet (la réverbe est alors suspendue), mais on dispose aussi d’un Auto-Gate, réglable en millisecondes ou synchronisable au tempo : vous vouliez des réverbes 80’s pour vos caisses claires ou vos toms façon Phil Collins dans In the Air Tonight ? Vous les avez ! Enfin, dans la partie gauche, on peut désormais choisir entre trois algos de réverbération : Modern reprend l’algo de la première Pro-R, Vintage est modélisé d’après les premières réverbes numériques, et Plate est enfin une modélisation de réverbe à plaque…
Voilà qui s’avère donc ultracomplet, et pour se donner une idée de la façon dont tout cela sonne, on se rue sur le gestionnaire de presets où nous attend une double surprise…
Du son d’IR aux algos d’aujourd’hui
On dispose tout d’abord d’un nouveau gestionnaire de presets qui permet de parcourir l’arborescence de ces derniers mais aussi d’effectuer des recherches via un moteur, par nom ou par tags, avec la possibilité d’ajouter ses propres tags : c’est parfait.
Et plus que parfaite, une sacrée surprise nous attend au bas de la fenêtre : Import IR ! Vous avez bien lu : Pro-R 2 peut importer les réponses à impulsion. Précisons-le toutefois, la réverbe de Fabfilter n’est pas devenu un processeur à convolution pour autant, et il ne s’agit pas ici de faire concurrence à Altiverb ou consorts qui demeureront de meilleurs choix pour avoir l’exact rendu de la réverbe.
Lorsqu’on importe une réponse impulsionnelle, le logiciel va en effet s’autoconfigurer pour donner un équivalent algorithmique à la convolution enregistrée, ce qui offre ensuite toute latitude pour éditer ses caractéristiques et sauver cela dans un nouveau preset. L’idée est d’autant plus brillante qu’elle s’accompagne d’une belle animation de l’interface. Mon Dieu que ces Hollandais sont forts !
Et c’est tout cette fois ? Vraiment tout ? Non, même pas ! Car suivant l’évolution du marché qui, avec le Dolby Atmos, s’est enfin plus largement mis au multicanal, Pro-R 2 gère désormais le son surround… Comment cela se passe ? De façon assez transparente pour l’utilisateur, plus en tout cas que chez certains éditeurs qui déclinent 12 versions d’un même plug-in au mépris du bazar dans nos répertoires VST (suivez mon regard). Tout seul comme un grand, Pro-R 2 détecte en effet la nature de la piste sur laquelle il se trouve. Si c’est une piste multicanal, il vous affichera ainsi les vu-mètres correspondants tandis qu’une nouvelle option apparaîtra au bas de la fenêtre, vous permettant de définir d’une part le niveau du canal LFE, celui du centre, celui du haut et le taux de crossfeed, et d’autre part la balance avant/arrière de chacun des réglages.
Je vous l’avoue : n’étant ni équipé d’une config surround ni un grand spécialiste du multicanal, je ne saurais me prononcer sur la pertinence de tout cela, sachant que Fabfilter n’a pas poussé ce pan de son logiciel jusqu’à intégrer un encodage Ambisonic. Nous ne sommes donc pas face à un concurrent des produits de Dear Reality ou d’Audio Brewers, ce qui ne nous empêchera pas d’aller voir comment cela sonne en bonne vieille stéréo…
Le son de choses
On commencera avec une caisse claire et une voix qui permettent d’apprécier les différences entre l’algo Modern, le Vintage et la modélisation de Plate :
- PRO-R2-Snare-Dry00:04
- PRO-R2-Snare-Modern00:04
- PRO-R2-Snare-Vintage00:04
- PRO-R2-Snare-Plate00:04
- PRO-R2-Vocal-Dry00:10
- PRO-R2-Vocal-Modern(2)00:12
- PRO-R2-Vocal-Vintage(2)00:12
- PRO-R2-Vocal-Plate(2)00:12
C’est aussi l’occasion de tester le ducking intégré, sans puis avec :
- PRO-R2-Vocal-Modern(2)00:12
- PRO-R2-Vocal-Ducking00:10
Pour se faire une idée de la fonction Gate, la batterie sera plus indiquée :
- PRO-R2-Drums-Dry(2)00:07
- PRO-R2-Drums-gatedsnare00:06
Ça marche carrément ! En sachant qu’à la croisée de tous les paramètres du logiciel, on peut vraiment obtenir tous types d’espaces, et que les 40 secondes de temps de réverbe permettent d’aller titiller la Blackhole d’Eventide :
- PRO-R2-Drums-Dry(2)00:07
- PRO-R2-Drums-Ambiance00:07
- PRO-R2-Drums-Ambiance200:07
- PRO-R2-Drums-Plate00:07
- PRO-R2-Drums-Vintage Hall00:07
- PRO-R2-Drums-40s00:25
On s’intéressera aussi à l’apport de la fonction Thickness, jouant tant sur la densité que la clarté de la réverbe. Passé le piano dry, vous entendez la réverb avec Thickness à 0, puis à –100 puis à 100 :
- PRO-R2-Rhodes-Dry00:16
- PRO-R2-Rhodes-Thickness000:20
- PRO-R2-Rhodes-Thickness-10000:20
- PRO-R2-Rhodes-Thickness10000:20
Et évidemment, ce bon vieux Rhodes donnent envie de pousser Character à fond pour aller chercher des modulations qui font un magnifique chorus :
Nous reste à juger de la fonction d’import des réponses à impulsion. On comparera ainsi le résultat obtenu avec des réponses impulsionnelles réalisées par Samplecraze sur la Bricasti M7 et rendues par la ConvolutionXT, puis ce que Pro-R 2 en a fait (les fichiers « - Import ») :
- PROR2 – BricastiHeavyAmbience00:08
- PROR2 – BricastiHeavyAmbience – Import00:08
- PROR2 – BricastiSunsetChamber00:08
- PROR2 – BricastiSunsetChamber- Import00:08
- PROR2 – BricastiStudioA00:06
- PROR2 – BricastiStudioA – Import00:06
Où l’on comprend que Pro-R 2 n’est pas un cloneur de réverbe et qu’il ne va pas se muer d’un coup d’un seul en une réplique parfaite de Bricasti M7, mais plutôt un imitateur doué et que l’analyse des réponses impulsionnelles qu’on lui soumet est plutôt juste en termes de timing comme de densité : on obtient ainsi des ersatz tout à fait exploitables et qui, une fois dans le mix, feront d’autant mieux le job qu’on peut affiner le modèle soi-même. C’est d’autant plus important que le soft fait toutes ses imitations avec l’algo Modern quand le Vintage ou le Plate seront parfois plus indiqués en fonction de ce qu’on lui donne à manger…
Reste à voir comment le plug-in s’en sort avec une réverbe à ressorts, vu que c’est l’impasse que s’est permis Fabfilter pour cette Pro-R 2. Pour le savoir, on se servira de deux IR de Space Echo, plus ou moins saturées. C’est cracra à souhait mais il s’agit d’apprécier les limites du logiciel :
- PROR2 – RE201lowdrive00:08
- PROR2 – RE201lowdrive – Import00:08
- PROR2 – RE201highdrive00:08
- PROR2 – RE201highdrive – Import00:08
Et je dois dire que, même si on ne peut pas parler d’une réverbe à ressorts à l’arrivée dans Pro-R 2, il est quand même assez étonnant de voir comme le logiciel se débrouille pour mimer les résonances de l’original : pour ce faire, il va faire des cloches violentes dans le post-EQ, ce qui ne sera pas forcément heureux en termes de résultat, vu que le côté canard va vite générer des fréquences qui tournent…
Il n’y a pas de miracle donc, même si le soft étonne, au point qu’on se dit que la fonction mériterait même mieux : plutôt que de devoir passer par une réponse impulsionnelle, on rêve que Pro-R 2 soit en mesure d’écouter un autre plug-in de réverbe pour l’imiter. Sa capacité de mimétisme lui assure en tout cas de pouvoir en partie se substituer à pas mal de réverbes concurrentes : vous ne juriez que par les Plate de votre Softube TSAR, les Halls de votre VintageVerb ou les rooms de votre 2016 Stereo Room ? Au prix d’un peu d’huile de coude, vous pouvez importer vos presets favoris dans Pro-R 2 et gageons qu’avec un petit peu d’édition, vous obtiendrez quelque chose de suffisamment proche pour vous permettre de bosser avec un seul et unique plug-in, ce qui simplifiera grandement votre quotidien.
Certes, on aimerait que Fabfilter se penche sur le sujet très particulier de la Spring, même si l’usage des réverbes à ressort ne relève pas forcément d’un outil comme Pro-R 2 car ce sont des effets qu’on utilise plus en insert pour donner un gros caractère à des sons qu’en envoi pour travailler la spatialisation dans le mixage (encore que je sois un gros fan de ce que propose PSP avec Springbox et Nexcellence, même pour du mix)…
On aura le même raisonnement en notant l’absence de distorsion ou d’inversion comme de pitch shifter pour faire des Shimmer reverb, ce qui fera que Pro-R 2 ne concurrencera pas les plug-ins orientés sound design comme on en trouve chez Eventide avec MangleVerb ou Native Instruments avec Raüm, par exemple. Notons toutefois que les 40 secondes de temps de réverbe font qu’elle suppléera sans problème une Blackhole… Et redisons-le : ces manques ne sont toutefois pas des défauts rédhibitoires, la Pro-R 2 étant avant tout pensée comme un outil pour le mixage et non un effet spécial, ce qu’elle fait extrêmement bien en étant à la fois complète et simple à comprendre puis paramétrer…
Conclusion
Fabfilter a encore frappé, et il a même frappé d’une des plus magistrales façons de toute son histoire en nous livrant un plug-in à la fois extrêmement ergonomique et diablement complet. Pro-R était déjà une excellente réverbe mais cette Pro-R 2 propose tant de choses dans une interface si aboutie et avec tant de polyvalence que nombre de concurrents, même les meilleurs, vont devoir revoir leur copie. Car si elle ne remplacera pas telle émulation ou tel processeur à convolution pour certains cas précis, s’il lui manque encore d’émuler les très particulières réverbes à ressorts et peut-être de s’aventurer sur des terres plus créatives, la Pro-R 2 a tout du plug-in que l’on dégainera en premier lieu avant les autres, parce qu’elle fera parfaitement l’affaire dans 95% des cas en trois clics. La mise à jour vaut-elle donc le coup pour les utilisateurs de Pro-R ? Un million de fois oui ! Quant à ceux qui ne possédaient pas la version précédente, avouons que son prix n’a rien de déplacé en regard de ce qui nous est proposé comme de la concurrence, d’autant que l’éditeur a un système intelligent de remises pour récompenser ses plus fidèles utilisateurs.
Bref, une nouvelle référence est née, et il nous tarde du coup de voir ce que les Néerlandais vous nous pondre pour la suite, vu qu’un certain nombre de leurs plug-ins attendent encore de passer en V2, quand un en particulier attend de passer en V4…