Le retour d’un précurseur de l’échantillonnage orchestral, Miroslav Vitous, avec un nouveau produit, MV String Ensembles 2.0 Composer’s Dream. Plus de 12 ans après l’originale et 4 ans après la première version, que peut nous offrir cette bibliothèque ?
Il est des parcours étonnants, et remarquables, dans le domaine de la musique. Ainsi celui de Miroslav Vitous : enfant prodige, élève exceptionnel, multi-instrumentiste, nageur sélectionné aux Jeux olympiques de Munich en 1968 (si, si), départ aux États-Unis suite à l’obtention d’un Prix et d’une bourse pour Berklee en 1966, puis pratique intensive de la contrebasse, le début de la renommée avec Corea, la suite avec Weather Report et plus tard ses propres albums.
Non content de cette carrière qui laisse rêveur, Vitous s’est aussi fait remarquer dans le domaine de l’échantillonnage, tout particulièrement celui de la banque orchestrale. Ne trouvant pas chaussure à son pied (« crap » était le mot qu’il utilisait pour qualifier les produits existants à l’époque…), il a entrepris de réaliser à ses propres frais l’échantillonnage d’un orchestre complet, le Czech Philharmonic dans une salle de rêve, le Dvorak Symphony Hall, selon le placement exact des instruments. Puis, réalisant l’ampleur financière de la chose, il s’est auto-persuadé de la mettre en vente, pour le plus grand plaisir des acheteurs de l’époque puisqu’aucun outil comparable n’était alors disponible. Quelques années plus tard, il s’est tourné vers Sonic Reality et IK Multimedia, en leur confiant la bibliothèque plus tout le matériel non édité, ce qui a donné Philharmonik, présenté au Winter NAMM 2005 (on en trouvera le test ici).
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En 2009, l’envie lui reprend et il réalise la première version de Miroslav Vitous String Ensemble, cette fois-ci enregistrée dans les CNSO Orchestra Studios, toujours à Prague, avec des membres du Czech National Symphony Orchestra. Les critiques louent la qualité sonore, mais reprochent à la banque sa petite taille pour le prix (1399 $ prix public, 6,5 Go, correspondant à peu près à 40 Go, réduction permise par la décompression à la volée d’Engine, l’hôte choisi), son manque de fichiers bouclés, de seconds violons, etc.
En 2012, voici la version 2.0 de la bibliothèque. Étude.
Introducing Miroslav Vitous String Ensembles 2.0 Composer’s Dream
Cette nouvelle version est à la fois disponible sous forme physique (2 DVD) ou par téléchargement que l’on commandera sur le site de Best Service, le distributeur. Le prix reste le même quelle que soit la version choisie : 649 euros. Par téléchargement, le nombre de fichiers s’élève à six, pour un total de 7,42 Go. Une fois les .rar décompressés, on obtient une bibliothèque d’un poids de 11 Go qui, si l’on prend le ratio de compression habituel de Yellow Tools, correspond (sous réserve) à 65 Go d’échantillons. L’autorisation se fait par enregistrement sur le site avec un numéro de série fourni à l’achat puis challenge/réponse via le E-License Manager.
La bibliothèque est fournie avec Engine, l’instrument virtuel développé pour Best Service par Yellow Tools, ce qui signifie qu’elle est aussi compatible avec Independence, le sampleur haut de gamme de ce dernier éditeur. L’installation place dans le dossier idoine les éléments graphiques de la banque, la documentation, les échantillons (Images Files), les Layers (les instruments), Presets (pour Origami la réverbe à convolution) et les Projects (l’équivalent de Multis, incluant aussi des pré-réglages pour l’ensemble du logiciel). La documentation inclut une aide à l’installation, un manuel de prise en main, un manuel complet, une liste des articulations et un complément concernant l’update 2.0.1. Quasiment tout ce qu’il faut, sauf que le manuel, réalisé par Vitous lui-même dans un anglais parfois particulier, n’est pas d’une grande aide. Heureusement la liste des articulations permet au moins de comprendre les raccourcis des noms et envisager l’utilisation des programmes grâce à leur nomenclature. Et c’est tant mieux, car le nombre de programmes est hallucinant, plus de 550…
Tout pour toutes les situations ?
On retrouve bien sûr au menu les différents pupitres, Violins, Violas (altos), Cellos (violoncelles) et Basses (contrebasses). Mais aussi deux dossiers consacrés à des présets d’orchestre, en fait les sections jouant à l’octave ou à l’unisson. On salue l’initiative, car le rendu est totalement différent de celui obtenu en jouant au clavier sur deux octaves, par exemple.
Dans l’exemple suivant, on entendra d’abord une phrase de Cellos doublée « manuellement », puis la même jouée avec le programme Octave (dans ce dernier cas, une seule note à la fois).
Retour à nos sections séparées. Commençons d’abord par un survol des sections, afin de spécifier quel type d’orchestre est mis en œuvre. L’éditeur nous précise qu’il fournit deux banques en une, avec d’un côté des pupitres pour Large Ensembles, de l’autre pour Chamber Ensembles. Notons tout de suite que le nombre d’instrumentistes par section sort de l’ordinaire, puisque pour les ensembles importants, on compte 24 violons (répartis entre 14 premiers violons et 10 seconds violons, ou rassemblés en programmes uniques), 14 altos, 10 violoncelles et huit contrebasses (!). Et les ensembles de chambre sont tout aussi inhabituels : 14 violons, huit altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses. À titre de comparaison, l’orchestre à peu près standard est réparti comme suit : 14 premiers violons, 12 seconds violons, 10 altos, 8 violoncelles et six contrebasses.
Avec l’udpate 2.0.1, l’éditeur a offert une nouvelle série de programmes nommés Blend, dans lesquels les samples bénéficient de sortes de crossfades avec les échantillons adjacents, ce qui permet un passage d’un layer à l’autre plus progressif.
Les programmes par section sont classés selon une logique récurrente : une première catégorie ne faisant appel qu’aux layers de vélocités déclenchés par le jeu sur le clavier et la vélocité en découlant. Une deuxième catégorie reprend les mêmes complétés par le passage d’un layer à l’autre via la molette de modulation (la vélocité par le clavier reste active, ce qui permet un grand nombre de nuances).
La troisième catégorie de programmes reprend le même principe de choix via molette, mais cette fois-ci sans crossfade : on passera d’une articulation à l’autre de façon abrupte et sans possibilité de crossfade en temps réel. Quatrième catégorie, les Pads, qui portent parfaitement leur nom. Cinquième et dernière catégorie, les Round Robins, dont le principe est maintenant bien connu : une note répétée ne déclenchera pas le même sample, mais plusieurs selon un ordre défini ou au hasard.
Voici quelques exemples de programmes Round Robin, très généreux en échantillons alternatifs, puisqu’on peut en compter jusqu’à 32. Il y a quand même un truc, c’est-à-dire que le Round Robin n’utilise pas exclusivement des échantillons d’articulation semblables (par exemple que des Sustain), mais aussi des articulations proches, voire légèrement désaccordées (l’éditeur fournit un grand nombre de programmes dits Detuned) en passant des sections larges ou plus réduites (par exemple des Sustain avec l’ajout de la 1st Chair, un petit ensemble d’instruments solo conçus pour doubler quand nécessaire les ensembles). Ce qui pose parfois des problèmes de cohérence sonore.
Voici un exemple des Violas staccato, utilisant de façon aléatoire des programmes staccato en formation huit et 14 altos, plus des programmes staccato mf.
À l’écoute, cela semble un peu raide et présente malgré tout des répétitions. Mais ce serait oublier que MVSE (c’est plus court) est une bibliothèque d’ensembles. Et effectivement, dès que l’on rajoute les autres pupitres, cela va mieux, comme le montre l’exemple suivant (d’abord tel que le propose la banque, avec un petit réglage de release, puis ensuite placé dans un environnement).
Du nombre, toujours du nombre
Toutes ces catégories proposent aussi un grand nombre de sous-catégories : rien que pour les violons, on en compte 20, des Sustain au Tremolo, en passant par les Expressive, Legato, Pizzicato, Staccato, etc.
Une des premières actions serait donc de faire le tri dans tous ces programmes, afin de ne pas être encombré par trop des programmes qui ne correspondraient pas à une manière de travailler. Car le principe adopté par l’éditeur est celui d’une réponse au jeu direct, avec un son à l’enregistrement et une programmation effectués en fonction d’une technique de jeu en direct précise. Par exemple, pour les trilles, il ne fournit pas de cordes jouant cette figure, mais des programmes dédiés qui, s’ils n’ont pas tout à fait la véracité des trilles directement exécutés, remplissent quand même leur fonction, et surtout permettent ici de s’adapter à n’importe quel tempo. L’éditeur a cependant précisé qu’il fournirait lors d’un update des trilles réellement joués.
L’exemple suivant fait entendre des trilles avec accélération et ralentissement de tempo, sur les Violons.
Dans mon cas, je préfère les programmes faisant appel à la ModWheel, dont je juge l’action bien plus réaliste, puisque les crescendos se font via crossfade, que celle du jeu répondant uniquement à la vélocité, qui respecte certes les nuances, mais ne permet que des crescendos/decrescendos via la pédale de volume, et donc sans modification du timbre, ce qui est totalement irréaliste. Notons cependant que certains programmes annoncés comme avec crossfade n’en sont pas puisque la molette agit sur le volume via un des Modifiers disponibles.
On entend ici la différence entre les deux principes (via volume d’abord, via crossfade ensuite, à deux vélocités de départ).
De même, les programmes Blend sont plus réussis que ceux n’utilisant pas cette technique. J’enlèverais donc les programmes à base de vélocité uniquement que l’on retrouve dans les programmes ModWheel, puis ceux utilisant la molette, mais sans crossfade (dans lesquels la molette agit comme un interrupteur pour passer d’une articulation à une autre), etc. Ce qui représente déjà un sacré paquet de programmes et éclaircit d’autant la navigation dans les dossiers.
On regrettera donc de ne pas retrouver toutes les articulations présentes dans le dossier reposant sur la vélocité dans ceux des ModWheels. Néanmoins, on pourra, à condition de posséder Independence, reprogrammer les crossfades via ModWheel sur les articulations manquantes. C’est du travail, mais cela vaut le coup. Espérons cependant un update avant d’avoir fini la conversion de toute la banque…
Les programmes fournis sont donc censés répondre à tous les cas de figure ; on trouve ainsi des VS 24 Sus ff Lead max 2 voices, dont l’énoncé est suffisamment parlant, ou des CE 5 Leg Sus MWVelZ blend, signifiant cinq violoncelles en sustain, avec zones de vélocité et crossfade via ModWheel, dont les échantillons se recouvrent. Toutes les abréviations sont détaillées dans le fichier .pdf idoine.
L’éditeur fournit aussi les indispensables programmes utilisant des KeySwitches, dont aucune bibliothèque ne peut plus faire l’économie maintenant, tant le principe est idéal pour le jeu en direct.
Voilà un exemple en situation, utilisant principalement des Legato Expressive Blend avec crossfade via ModWheel.
Téléchargez les fichiers sonores : flac.zip
Bilan
Sans surprise (à l’exception du nombre de programmes disponibles !), on retrouve la qualité des précédentes réalisations de Vitous. Le son est là, avec ses caractéristiques propres (en particulier l’archet ultra présent sur les violons), la musicalité est toujours présente, renforcée par le nombre d’articulations fournies. Et n’oublions pas que l’on dispose de deux orchestres en un. On peut cependant se demander l’utilité de certains des programmes, comme les ModWheel sans crossfade, puisqu’un KeySwitch fait aussi bien.
On peut regretter ce qui faisait l’une des forces des toutes premières bibliothèques signées du bassiste, le placement dans un espace et sur une scène, qui permettait de placer très rapidement une base réaliste. La constitution des sections est aussi plutôt hors norme, et il faudra être très attentif à leur volume respectif. Et il est aussi dommage que quasiment tous les Release soient par défaut au minimum. On notera quelques programmes posant problème en termes de crossfade ou de tenue suivant la vélocité et la hauteur (par exemple le CE 5 Det MW VelZ, et quelques autres), ou certains crossfades qui n’en sont pas (molette agissant sur le volume). On peut aussi trouver quelques notes à vélocité égale plus courtes que d’autres au sein d’un même programme.
L’adjonction par l’update 2.0.1 des programmes Blend est un plus, même si l’on se demande pourquoi cela n’a pas été fait dès le départ. Les programmes via ModWheel sont très efficaces et musicaux, dommage que toute la banque ne soit pas conçue sous cet angle, bien plus pratique et réaliste.
Une alternative aux ténors du genre que sont VSL et EastWest, avec un genre de prédilection et un son (disons musique de film lyrique) que ne présentent pas les deux précités. Du beau travail, à un tarif plutôt bien ciblé (649 euros).