Après la réussite de Requiem, l’éditeur Tonehammer poursuit son exploration des ensembles vocaux avec Liberis, dédié aux chœurs et chorales d’enfants. Avec le même succès ?
Entre deux produits plus “légers”, voire plus loufoques comme ceux qu’il sort via son autre marque Microhammer, mais dans tous les cas réalisés avec la même exigence et la même qualité que les banques haut de gamme, l’éditeur Tonehammer propose des bibliothèques plus ambitieuses, comme la série dédiée aux voix chorales initiée avec Requiem, puis Requiem Light (test ici) et pour l’instant complétée par Liberis (sous-titrée Angelic Choir), dédiée aux chœurs d’enfants.
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L’éditeur a, à cet effet, enregistré l’ensemble Piedmont East Bay Children’s Choir, riche de 45 chanteurs et chanteuses, supervisé par Robert Geary, par ailleurs fondateur et chef de Volti et déjà présent sur Requiem, dans ce qui est un des lieux de prédilection de l’éditeur en matière d’enregistrement, une église (non identifiée) de Piedmont, dans la baie de San Francisco en Californie.
La bibliothèque est présentée par Tonehammer comme son projet le plus ambitieux. Simple effet d’annonce ou réalité ? Quand on connaît la qualité des produits déjà réalisés (voir par exemple le test des pianos de l’éditeur ICI), on peut déjà avoir un a priori favorable, même si personne n’est à l’abri d’une baisse de régime, sinon d’un raté. Ecoutons-voir.
Introducing Liberis
Disponible chez l’éditeur au tarif de 499 $, la bibliothèque se télécharge tout comme d’autres de ses produits via le TH Downloader. Cette application Java déjà mentionnée dans le test de Requiem Light se charge de rapatrier sur l’ordinateur tous les fichiers .rar. Le code fourni lors de l’achat déverrouille le téléchargement, il n’y a pas d’autre procédure d’autorisation, tous les échantillons et programmes étant watermarkés. Si l’on ne souhaite pas utiliser cette application, l’éditeur fournit aussi les liens directs, avec téléchargement conventionnel via le navigateur habituel.
Attention, la bibliothèque n’est compatible qu’avec la version complète de Kontakt 4 (à partir de 4.1.1), et ne fonctionnera donc pas avec le lecteur Kontakt gratuit (Kontakt Player). Une fois installée, la bibliothèque affiche un poids conséquent de presque 12 Go, pour plus de 13 000 échantillons en 24 bits/44,1 kHz (plus 3000 échantillons de legato et portamento). On doit aussi installer séparément les fichiers qui permettront d’utiliser l’interface graphique particulière créée par le développeur. On trouvera nombre d’informations sur la bibliothèque ICI, ainsi que le manuel ICI.
L’enregistrement a fait appel à une triple prise de son stéréo simultanée (évidemment…), de proximité (Stage), à mi-distance (Mid) et éloignée (Far), répercutée dans autant de dossiers. La bibliothèque est donc logiquement organisée selon ces trois prises, chaque Instrument (.nki) étant présent dans chacun des dossiers. Un dossier supplémentaire, All, contient des Multis (.nkm) réunissant les trois versions de chaque Instrument. Le tout compatible 5.1 bien entendu.
Ces instruments sont regroupés selon six familles, Choral Effects, Legato & Sustains, Marcato, Poly-Sustains, Marcato, Poly-Sustains, Soloists et Staccato. Les solistes consistent en deux voix de filles et une de garçon, on y reviendra. En bonus, fidèle à son habitude, l’éditeur a fourni des impulsions de réverbe, ainsi que des programmes faisant appel à du sound design plutôt que visant le réalisme dans le dossier Ambiences.
Interface, reprise
Même si elle reprend le principe de Requiem, le grimoire, les onglets ouvrant des pages et les cierges, l’interface de Liberis est un peu plus “raffinée” et un peu plus lisible, grâce à la typo simplifiée et à des boutons plus simples, modernes. La page Help demandera toujours de bons yeux, en revanche, le ton sur ton de bruns n’étant pas forcément des plus lisibles.
Certaines fonctions ont été simplifiées, d’autres enrichies, mais il sera difficile de faire un comparatif à ce niveau, puisque le “matériau” sonore n’est pas du tout le même. Liberis n’a pas de couverture, déjà. Ensuite, le principe de partie gauche variant suivant le programme, et de partie droite, Fine Tuning, regroupant quasiment toujours les mêmes réglages, est maintenu. Cette dernière page reprend les sections Shaping et Adjustments. On se reportera au test de Requiem Light pour le détail des fonctions communes.
Comme son aînée, la bibliothèque dispose de toutes les fonctionnalités Midi en termes de contrôles et de Keyswitches, sachant que ces fonctions permettent de jouer sur le volume, la dynamique, les enveloppes ou de choisir les sons, les mots, les types de phrases et autres variations offertes par Liberis.
La plupart des presets, de façon cependant moins systématique que dans Requiem, sont présentés en version utilisant la RAM, et en version conçue pour le streaming, portant la mention “dfd”.
Chantez, maintenant
Une précision de l’éditeur semble digne d’être mentionnée. En effet, il définit ainsi sa bibliothèque : “Liberis is not a “youth/children’s” choir, but an incredibly versatile scoring tool, which will fit in anything from gorgeous ethereal scores to desperately haunting solo voices, from traditional choral writing to more dark Elfman inspired styles of music.”
Ce qui permet d’expliquer certains choix, notamment, comme dans Requiem, celui des syllabes disponibles pour les programmes Phrase Builder et Quick-Chant. Rappelons rapidement le fonctionnement des premiers : l’interface consiste en une suite de cierges et un parchemin comprenant neuf syllabes (Ah, Doh, Fah, La, Mi, Ooh, Re, So et Tus), plus un Skip, une fonction Back (matérialisée par une flèche orientée vers la gauche) et une fonction Clear (un symbole Stop). En cliquant sur les syllabes, on les place sur chacun des cierges à la suite, Skip insérant un saut de pas. À chaque attaque du clavier, note à note ou en accord, on passe d’une syllabe/cierge, avec retour au début dès que l’on atteint la dernière syllabe. Les Keyswitches permettent de forcer le démarrage à partir de l’une ou l’autre syllabe.
On évitera les extrêmes, puisque dans les graves c’est un même échantillon qui est mappé de E2 à G#3 avec les déformations que l’on imagine, et que le phénomène est répété dans les aigus avec un même échantillon de A6 à E6. On se demande pourquoi l’éditeur a étendu autant les tessitures, au vu du résultat qui est plutôt inutilisable (dans le cadre, rappelons-le, d’une chorale d’enfants…). Voici une suite de syllabes dans les trois ambiances, Stage, Mid et Far :
Puis la même suite en utilisant le Multi réunissant les trois :
On remarque d’abord l’excellente qualité sonore, la justesse et la stabilité de la phase. L’éditeur propose jusqu’à trois couches d’échantillons Round Robin afin d’éviter tout effet mitraillette et en général un layer pp et un layer ff, dont les crossfades sont quasi imperceptibles. Ainsi que le fort contenu en basses fréquences, réverbération naturelle, que rien n’empêche de couper au mix. D’autre part, je n’ai ici pas du tout utilisé la fonction Swell, ni une quelconque automation de volume, d’où le côté un peu haché du résultat.
En jouant sur les réglages Attack, on peut adoucir cet effet, et l’ensemble se fond plus facilement. Il est ainsi très aisé de faire des maquettes de façon rapide, comme dans l’exemple ci-dessous, reprenant les voix de l’exemple de départ, la simulation d’une autre chorale (à gauche, avec un Multi All Sustains 8-vowel Pad), des voix masculines (Staccato avec Quick-Chant) venant de Requiem Light, et une nappe :
Et, à l’exception des voix à gauche, rappelons que ne sont utilisés que les programmes Staccato…
Quant aux instruments Quick-Chant, on y retrouve l’interface sous forme de grille, façon step sequencer, chaque syllabe disposant de sa propre ligne, dans laquelle on règle le déclenchement et le volume en cliquant-tirant sur autant de curseurs que désiré. Le principe est différent de Phrase Builder, puisqu’ici on lance une phrase de deux à huit mesures, synchronisée à l’hôte ou au tempo interne.
Toujours le même reproche pour ces programmes : l’interface aurait pu être plus grande, de façon à avoir toutes les syllabes sous les yeux, sans avoir à scroller.
Du côté de Legato
Commençons par les programmes Sustains 7-Vowel Master. On retrouve les réglages habituels, une série de voyelles (plus des Mmm) et la possibilité de les jouer de façon traditionnelle, en accords ou mélodie, ou en Legato avec option Pitch (léger effet de portamento entre les notes). Mais écoutons d’abord une suite polyphonique, utilisant la fonction Swell, et le passage d’une voyelle à l’autre via automation, dans le rendu successif des trois prises de son (le réglage Attack est à 169,3 ms). On ne me tiendra pas rigueur de la durée des accords, un peu trop longs et enchaînés trop rapidement pour être tout à fait réalistes, mais c’est aussi l’avantage du virtuel…
Puis les trois réunis dans le Multi habituel :
Là où Tonehammer fait très fort, et qui avait montré toute son efficacité dans Requiem, ce sont les fonctions Legato, puisque l’éditeur a conçu un script le rendant polyphonique pour certains programmes, mais oui (trois voix parallèles maximum). On peut jouer les notes legato, ou en accord, ou selon un mélange des deux.
Ce mélange dépendra de la limite d’intervention du legato : en réglant Range sur 3 par exemple, toutes les notes qui ne sont pas séparées de plus de trois demi-tons seront jouées legato, tandis que celles situées en dehors de cet intervalle seront soit jouées normalement (à la place de la précédente) soit ajoutées comme note d’un accord si l’on règle le paramètre Polyphony sur 2 ou 3.
L’exemple ci-dessous fait entendre plusieurs notes enchaînées (toutes les notes sont maintenues), avec un Range limité à 3. Dès que l’intervalle excède une tierce mineure, la note s’ajoute à la précédente, et le legato continue de s’appliquer, même aux voix inférieures, dès qu’on joue à nouveau une note dans les limites de l’intervalle déterminé :
On dispose aussi de programmes True-Legato. Cette fois, la vitesse à laquelle les transitions sont jouées (car ce sont bien des échantillons de transition et non pas de la modélisation) est réglable de façon continue, et non plus par paliers comme dans Requiem.
Une première aussi, la bibliothèque dispose de programmes True-Portamento, qui fonctionnent selon la même approche que les legato, intervalle maximum une octave, et polyphonie jusqu’à trois voix. En voici un exemple :
Intéressante aussi est l’utilisation du legato dans les programmes Poly-Sustain Chants. Ces programmes sont constitués de jusqu’à 12 mots différents, que l’on peut jouer en accords, tout en les sélectionnant via KS, comme sur tous les autres programmes, comme ceci :
On l’entend, la vitesse de relâchement et d’enchaînement des accords est trop rapide sur cet exemple pour aller au bout du mot entier. Il faudra donc faire attention au choix du tempo, et/ou partir des différents programmes proposés à 100 ou 140 BPM, ou les versions utilisant le time-stretch ou la synchro ou tempo. Attention aux résultats, Kontakt est imbattable sur les scripts, en revanche sur les algorithmes de time-stretch, il y aurait beaucoup à améliorer, comme le montre l’exemple suivant. :
L’éditeur a même inclus des programmes dotés d’échantillons de relâchement, qui déclenchent la dernière syllabe, si elle n’a pas été jouée, au moment où l’on lâche les touches. On peut d’ailleurs s’amuser à construire de nouveaux mots suivant la vitesse.
Pour en revenir au Legato, on peut, sur ces Chants, en l’activant et en jouant sur l’articulation des mots, et avec un peu de pratique, enchaîner plusieurs notes sur une même syllabe, ce qui est plutôt rare et ici très efficace. Exemple :
Solistes et bruits
Rien moins que trois solistes au programme, deux filles et un garçon. La Soloist Girl 1 et le Soloist 2 Boy disposent tout deux de programmes Poly-Sustains et Sustains 8-Vowel.
Voici la première :
Et le deuxième :
On le constate, ces jeunes gens ne sont pas forcément très assurés, la justesse peut fluctuer, mais c’est aussi tout l’intérêt de la chose.
La troisième est un peu plus âgée selon l’éditeur, et plus habile. On dispose des mêmes programmes plus deux programmes True-Legato et True-Portamento.
En reprenant l’un des exemples précédents, voilà un petit bricolage vite fait avec la troisième soliste au-dessus des voix, un piano léger (l’Elemental Piano du même éditeur, dont on trouvera le test ICI) plus une réverbe externe.
Dans le dossier Choral Effects, on trouve aussi bien des effets de clusters, de glissandos dissonants ou non, de percussions (rappelant très fortement Antidrum du même éditeur), des versions de chansons enfantines déformées, divers bruits, etc. En voici quelques exemples :
Enfin le dossier Ambiences renferme sept programmes ayant banni quasiment tout réalisme, dans la recherche de sons de type nappes, ainsi que quelques programmes faisant appel à l’Uberpeggiator déjà utilisé par l’éditeur, notamment pour ses pianos préparés (voir test ICI).
Bilan
Ça va devenir une habitude avec Tonehammer. On ne peut que reconnaître l’excellence de la bibliothèque, enregistrement, programmation, conception, sound design, travail de scripts, rien à redire, tout fonctionne, tout sonne. Peut-on regretter de manquer de syllabes ? Oui, on en voudrait toujours plus, tant leur mise en œuvre est rapide et efficace. Mais franchement, sinon, difficile de trouver des reproches intrinsèques à la bibliothèque.
Avec Requiem et Liberis, l’éditeur possède à son catalogue deux petits bijoux de produits à base de voix, dont la grande qualité, outre celle de leurs concepts et réalisation, réside dans leur originalité, dans leur approche plus créative que simplement utilitaire (même si l’on a parfois besoin de produits simplement utilitaires…) ou exhaustive, dans leur recherche de sonorités faisant appel à l’émotion plutôt qu’à la perfection et la froideur qui y est souvent associée. Bref, un indispensable pour le travail à l’image, une fois de plus signé Tonehammer.