Autrefois précurseur dans le domaine de la MAO grand public, Music Maker nous revient dans une édition 2014 qui entend bien boucler la boucle. Voyons ce qu’il en est.
Rendons à Jürgen, Dieter et Erhard ce qui est à Jürgen, Dieter et Erhard : Music Maker fut le premier séquenceur à boucles de l’histoire de la MAO, bien avant eJay, Acid, ou Ableton Live, et surtout bien avant GarageBand ou Sequel. Le concept était brillant : dans un séquenceur audio réduit à sa plus simple expression, il s’agissait de composer un morceau par simple juxtaposition de boucles audio, à la façon d’un jeu de construction. Et force est de constater que, près de 20 ans après son invention, l’idée n’a rien perdu de sa pertinence, au point qu’elle est devenue un genre de soft à part entière. Le genre idéal, notamment, pour démarrer dans la MAO sans se prendre les pieds dans le tapis parfois complexe de l’informatique musicale.
Conscient de cela, Magix n’a jamais cessé de proposer au grand public de nouvelles versions de son logiciel phare, y ajoutant toujours plus de fonctionnalités et récupérant ou vulgarisant des concepts ou des fonctions issus de ses logiciels professionnels Samplitude et Sequoia. Sans surprise donc, cette fin d’année voit arriver la version 2014 (!) du logiciel qui se décline en 3 versions : normale à 60 €, Premium à 100 € et Premium accompagnée d’un clavier MIDI de 49 touches à 160 €. Nous nous intéresserons ici à la version Premium qui, comme à l’habitude avec l’éditeur allemand, contient encore plus de tout, toujours plus de plus et arbore fièrement sur sa boîte les exergues dithyrambiques de médias qui font autorité dans le domaine de la musique : Generation-nt.com et Télé Magazine (ah oui, quand même…).
« Plus de sons. Plus de possibilités » dit la boîte ? Nous allons vérifier cela…
En terrain connu
Ça commence mal : à la façon d’un shareware sponsorisé, l’installeur nous propose de nous équiper de Simplitec Simplicheck, un utilitaire d’optimisation du PC façon Norton Utilities. Vu que ce genre de logiciel prend souvent ses aises avec la base de registre de Windows (et pas forcément pour de bons résultats), on décochera prudemment la petite case qui était cochée par défaut pour passer outre et en venir à ce qui nous intéresse.
Le reste de la procédure se passe sans souci et sitôt l’enregistrement du logiciel réalisé, on se retrouve face un Splash Screen qui nous invite à utiliser le logiciel ou à regarder une vidéo de présentation de celui-ci. Sur ce point, Magix fait vraiment bien les choses (mieux que nombre de ses concurrents plus pros d’ailleurs) puisque la vidéo est en bon français et qu’elle est suffisamment claire et détaillée pour permettre au grand débutant de prendre ses marques avec le logiciel.
L’interface reprend les canons en vigueur pour ce genre de soft : une large fenêtre d’arrangement occupe les trois quarts haut de l’écran, tandis que le quart du bas est réservé à l’affichage de différentes interfaces accessibles depuis des onglets : banque de sons du logiciel, gestionnaires de fichiers et de presets, instruments virtuels, clavier virtuel et « contrôleur », une zone permettant d’accéder aux effets de l’objet. Car tout comme la version pro de Samplitude, Music Maker gère les effets en insert de piste ou en insert d’objet. Voyons ce qu’il en est à l’usage.
Musicmakons ensemble
Au sein d’une interface aussi claire qu’esthétique, on en vient vite à assembler son premier morceau en double-cliquant sur les boucles qui nous intéressent dans le Soundpool, la plupart étant déclinées dans plusieurs tonalités facilement accessibles. Lorsque la transposition ne convient pas, où qu’elle jure sur une partie de la boucle, il suffit de scinder cette dernière autant que nécessaire et de jouer ensuite avec des raccourcis-clavier pour effectuer des transpositions par saut d’un demi-ton vers les notes aiguës ou graves. Même chose du côté temporel puisqu’à l’aide de l’outil étirement, on peut tout à fait jouer sur le tempo d’une boucle sans altérer sa hauteur et ajuster au mieux le timing des éléments. Bien qu’ils soient loin d’offrir le naturel et les grands écarts d’un Melodyne, les algos de Pitch Shifting et de Time Stretching du logiciel s’en tirent correctement, et l’on obtient sans trop de problème ce qu’on désire.
Une fois l’arrangement et la structure achevés, il convient ensuite d’aller voir du côté des effets et des possibilités de mixage. Pour ce faire, une pression sur la touche « M » permet d’accéder à la console virtuelle qui, pour chaque piste, propose 2 slots d’insert et 2 sends en plus d’une tranche relativement complète (EQ graphique 10 bandes, réverb, delay, compresseur, filtre, disto et élargisseur de champs stéréo). Évidemment, on reprend cette même config pour le bus auxiliaire vers lequel sont routé les send, tandis que la tranche Master dispose elle aussi de deux inserts et de deux tranches : une première identique à celle des pistes à ceci près que l’élargisseur de champ a été troqué contre un processeur de Pitch Shifting et Time Stretching et une seconde orientée Mastering avec un EQ paramétrique 6 bandes, un élargisseur de champ stéréo, un maximiseur multibande, un limiteur accompagné, un visualiseur et enfin un outil permettant de cloner la signature spectrale d’un mix façon Har-Bal. Et c’est tout ? Non, car le soft vous propose en bout de chaîne d’activer un mode surround, ce qui vous permettra de gérer le positionnement en 5.1 de chacune de vos pistes. Et c’est vraiment tout ? Non, car comme expliqué plus haut, chaque objet audio dispose de sa propre section d’effets et de ses deux inserts à lui.
Des inserts qui serviront à affecter vos plug-ins VST ou Direct-X en plus de ceux proposés par Magix : Le compresseur AM-Track_SE, le processeur Lo-Fi BitMachine, deux chorus, deux delays, deux flanger, une disto, un phaser, une tranche dédié à la voix (compresseur, de-esser, gate), un filtre et l’ampli guitare Vandal_SE… et vos éventuels plug-ins Direct-X et VST.
On ne peut donc le nier : la quantité est de la partie. Mais ce n’est hélas pas un gage de qualité. Si certains effets s’en sortent (le Vocal Strip, simple et efficace, Vandal_SE ou BitMachine…), on ne pensera pas le plus grand bien de la réverb incluse, bien moche, tandis que la version allégée d’AM-Track est vraiment trop allégée et que certains effets font clairement double emploi. Parmi les nouveautés de cette version, on dispose aussi d’un éditeur de picth avec préservation des formants : si son interface est un modèle de clarté, les quelques essais que j’ai faits ne m’ont guère convaincu de l’intérêt de l’outil qui a tendance à introduire des glitches et des artefacts alors même qu’on n’a encore effectué aucune correction avec… et sur des fichiers relativement propres. À moins de vouloir faire du T-Pain/Cher Effect.
Et on pestera sur certains choix faits en dépit du bon sens : pourquoi, par exemple, proposer un EQ paramétrique sur le Master seulement, alors qu’on l’aurait voulu en insert de chaque piste plutôt qu’un EQ graphique ? On passera outre ce petit désagrément en recourant à ses propres plug-ins VST, pour aller voir ce qui se trame du côté des instruments virtuels dont Magix semble très fier si l’on en croit les réclames du logiciel.
Bella Vita
Bizarrement organisés en deux sections (Instruments VST et Synthétiseur d’objet), quatorze instruments sont proposés dans cette version Premium, voire un peu plus si l’on considère que le ROMpler Vita 2 contient quantité de sons. Même s’il n’y a rien de vraiment transcendant dans le lot, on notera quelques réussites : Power Guitar, tout à fait utilisable en conjonction avec Vandal_SE pour faire des rythmiques, les synthés Revolta et DN-e1, Jazz Drums, et Electric Piano ou Vintage Organ qui, bien que n’étant pas des émulations très réalistes, n’en demeurent pas moins exploitables sur certains presets, et encore quelques boîtes à rythmes correctes (BeatBox 2) ou la groovebox Loop Designer.
En revanche, les cuivres virtuels du nouveau Pop Brass ne m’ont pas paru très convaincants (façon « trompettes du juste prix » comme dirait Red Led) tandis que Vita alterne le correct et le médiocre, et qu’on se traîne toujours un Livid Drums sans intérêt et Robota ou Drum Engine qui font double emploi avec BeatBox 2. Mais encore une fois, dans la mesure où Music Maker gère les VST et qu’on trouvera quantité de freewares complétant ou remplaçant avantageusement les plug-ins fournis par Magix, tout cela n’est pas très gênant. Moins en tous cas que les performances globales du logiciel et ses nombreux bugs.
Bug’s Life
Premier problème ennuyeux : pour peu que vous composiez votre projet en laissant la lecture tourner (ce qu’on fait généralement avec ce type de logiciel), la plupart des accès aux instruments virtuels ou à l’explorateur de fichiers se traduisent par un bégaiement de l’audio extrêmement désagréable. Ce qui est amusant, c’est que sur mon Core i7 avec 6 Go de RAM, Music Maker peine même à lire sans hoqueter certains projets de démo fournis par l’éditeur : bon, il faut dire que ce sont des projets énormes contenant… 16 pistes ! Et de ce fait, on sourit en pensant à l’argumentaire marketing du soft précisant que le nombre de pistes est illimité… Et de ce fait, on comprend aussi pourquoi un logiciel d’optimisation du PC est proposé à l’installation.
Plus généralement, le logiciel répond mal : une pression sur Play nécessite la plupart du temps une seconde avant que la lecture ne commence et, parfois, sans qu’on comprenne trop pourquoi, le soft refuse de lire quoi que ce soit, ou alors il faut cliquer à deux reprises pour que la lecture se lance… Il arrive aussi que le menu contextuel sur le bandeau d’une piste n’apparaisse plus lorsqu’on fait un clic droit dessus… puis réapparaisse après qu’on a fait un clic droit sur un objet audio. Autre bug observé : on choisit un preset d’effets sur une piste Instrument (Livid en l’occurrence) sans parvenir à entendre de différence avant d’avoir arrêté et relancé la lecture. Le bug se reproduit parfois… ou pas, au petit bonheur la chance !
Et sans aller jusqu’au bug, soulignons qu’en dehors des boucles audio fournies par l’éditeur, l’usage de boucles lambda (Zero-G en l’occurrence) pose souvent des problèmes en termes de détection de tempo : la chose n’a rien de grave dans la mesure où l’on peut éditer cela avec l’outil Time Strecth, mais ça alourdit singulièrement le workflow, soit l’un des points les plus cruciaux sur ce genre de soft.
Étonnamment vu le contexte, j’ai eu relativement peu de plantages en dehors de la fois où j’ai essayé d’activer les effets audio sur une piste vidéo, ce qui ne présente évidemment aucun intérêt, mais demeure possible (on se demande bien pourquoi). On parlera donc d’un soft relativement stable en dépit de son comportement erratique et on soulignera qu’à ce niveau de prix et émanant d’un éditeur capable de faire des produits très professionnels par ailleurs (Samplitude et Sequoia sont des modèles de stabilité), ça mérite un joli carton rouge.
En mode Orangina Rouge
En marge de ces sérieux défauts, il y a encore quantité de petites choses qui agacent à l’usage, comme le fait que les fichiers soient trop succinctement décrits (Pour la batterie par exemple, impossible de savoir si un fichier comprend un Pattern ou un Fill avant de lancer sa pré-écoute) ou le sentiment que Magix, plutôt que de faire ce qu’on lui demande (nous livrer un logiciel stable et performant) s’éparpille dans des fonctions aussi bâclées qu’accessoires, comme ce module de composition automatique qui génère algorithmiquement des morceaux prêts à l’emploi. L’idée serait intéressante si le résultat ne prêtait pas à rire dans bien des cas :
Cerisier sur la pâtisserie, le logiciel est truffé de mauvaises traductions. On ne parle pas ici de fautes d’orthographe, mais bien de contresens qui témoignent clairement du peu de sérieux avec lequel la localisation a été réalisée : « Plate Reverb » est traduit par « Disque de Réverbération », « Documentation » est traduit par « Documentaire », « Warm room » par « Salle Chaude ». Bref, c’est un travail de gougnafier.
Note enfin pour le stagiaire en marketing chargé d’écrire les boniments autour du soft : le rôle d’un égaliseur paramétrique n’est pas d’améliorer la transparence.
Conclusion
On pourrait avoir toute l’indulgence du monde pour ce Music Maker 2014 s’il n’était pas vendu au prix de 60 € dans sa version standard et 100 € dans sa version Premium. Si la différence de tarif entre les deux moutures s’explique par l’ajout de fonctions, de boucles et d’instruments ou d’effets supplémentaires, Music Maker peine vraiment à faire valoir des atouts face à la concurrence d’un Acid Music Studio vendu 50 €, et qui lui est supérieur sur quasiment tous les plans.
Derrière son interface graphique soignée, le soft cache en effet un moteur audio asthmatique qui peine à bien reconnaître les tempos et bégaye au moindre chargement d’instrument virtuel. Du coup, en marge de quantité de gadgets pseudo-rigolos et en dépit d’une impression d’abondance et d’exhaustivité (cloneur d’EQ dans la section de mastering, outil de remixage live, soft Music Studio fourni gratuitement et qui semble être un vieux Music Studio bricolé, etc.), le logiciel prend des airs d’usine à gaz un peu vaine qui, à trop vouloir en faire, ne fait pas grand-chose de bien, et n’est pas convainquant sur l’essentiel.
2014 n’est pas commencé qu’on attend donc déjà l’édition 2015, en espérant sincèrement que Magix, capable de fort belles choses comme le montrent Samplitude ou Sequoia, ait à cœur de proposer un Music Maker digne de son nom, qui ne brille pas que par son marketing suranné. Le grand public et les débutants méritent beaucoup mieux que cela.
Fortement déconseillé.