Objet d'un réel engouement à l'étranger, le séquenceur Tracktion est plutôt méconnu en France. Les choses devraient toutefois changer puisque Mackie s'occupe désormais de le distribuer dans nos contrées. Une bonne occasion de revenir sur un logiciel aussi pertinent que novateur...
Il est loin le temps où Cubase, Cakewalk et Logic régnaient sans partage sur le petit monde des séquenceurs. Même si les dinosaures font toujours figure de références et de partagent l’essentiel du marché, de nombreuse alternatives ont vu le jour qui, par leurs aspects novateurs ou par leur rapport qualité/prix, ont su gagné les faveurs de nombres de musiciens. C’est le cas de Massiva, devenu depuisEnergy XT, mais c’est aussi celui de Muzys ou encore de Tracktion, qui nous occupe aujourd’hui.
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Développé par Raw Material Software et distribué depuis peu par Mackie, ce séquenceur MIDI/Audio a en effet su, en quelques mois, fédérer une large communauté d’utilisateurs, suscitant l’intérêt des uns, éveillant l’enthousiasme des autres et provoquant, chez certains, des passions telles qu’on n’en avait plus vues depuis la glorieuse époque où Notator et Pro 24 se crêpaient le Piano Roll par releases interposées…
A l’évidence, un mauvais logiciel ne ferait pas autant de bruit. Reste à voir toutefois ce que ce petit jeune a dans le ventre et s’il a de quoi en remontrer aux vieux briscards de la séquence question fonctionnalités et ergonomie.
Après une installation relativement courte (le soft pèse moins de 5 Mo avec ses morceaux de démonstration, et moins de 2 Mo sans ces derniers) et un double-clic sur le raccourcis déposé sur le bureau, on se retrouve face à l’interface du logiciel. Avec ses grands aplats de couleurs pastelles, cette dernière joue la carte d’une sobriété qui n’est pas sans rappeler le design épuré d’Ableton Live ou de Massiva / EnergyXT. Mais ce qui frappe avant tout dans cette interface, c’est son minimalisme quand une seule fenêtre à trois onglets suffit à loger toutes les commandes et les éditeurs du logiciel, ce qui, convenons-en, constitue un véritable tour de force en terme d’ergonomie.
Tirez les premiers, messieurs les onglets
Projects, le premier onglet, est dévolu à la gestion des projets (!), chacun disposant de son propre dossier où sont rassemblés le fichier de séquence (au format *.trkedit) et les fichiers audio auxquels il recourt. Un explorateur permet bien évidemment de naviguer dans l’arborescence du disque dur mais on dispose aussi d’un moteur de recherche pour retrouver un sample sans avoir à fouiller un à un les répertoires : c’est plutôt bien vu. C’est aussi dans cette onglet que se trouve tout ce qui touche à l’import ou à l’export de données, du rip de CD Audio à l’archivage d’un projet avec ou sans compression…
Dans la partie inférieure de l’interface, un cadre vous donne des informations relatives à l’objet sélectionné au dessus. En cliquant sur un fichier audio, vous avez ainsi accès à tout son pedigree : son nom bien sûr (avec possibilité d’intégrer un commentaire), sa forme d’onde que vous pouvez éditer sommairement, mais aussi son historique qui vous rappelle les « grandes étapes de sa vie » (Pour l’essentiel, les différentes compressions dont il a fait l’objet)… Si l’on ajoute à cela la possibilité d’effectuer une recherche sur les fichiers orphelins (fichiers n’étant rattachés à aucun projet), il devrait être très difficile, même pour les plus bordéliques d’entre nous, de ne pas bosser avec un minimum d’organisation.
Settings, le second onglet, est dédié aux options diverses (Chemin des répertoires de plug-ins, raccourcis claviers, cache du logiciel, nombre d’annulations disponibles, etc.) et à la configuration matérielle de votre ordinateur. C’est ici qu’on spécifiera quelles entrées/sorties MIDI et Audio utiliser et qu’on réglera dans le détail le pilote ASIO de sa carte son. C’est aussi à cet endroit qu’on définira la résolution audio du projet en cours…
A priori donc, un onglet que vous ne visiterez pas souvent une fois le logiciel réglé selon vos goûts, surtout qu’il est possible d’enregistrer et d’importer ses réglages personnels dans le cas d’une réinstallation.
Le troisième et dernier onglet n’est disponible que lorsqu’un projet est ouvert, projet dont il prend d’ailleurs le nom.
C’est sans conteste l’onglet le plus important et celui dans lequel vous passerez l’essentiel de votre temps puisque c’est ici que vous pourrez enregistrer/lire, arranger et mixer vos séquences MIDI & Audio. Dans la mesure où il représente près de 80% du logiciel à lui tout seul, une visite guidée s’impose…
Tracktion avant
Couvrant la majeure partie de l’interface, la fenêtre d’arrangement reprend les conventions habituelles : Les différentes pistes sont empilées sur l’axe vertical, cependant que l’axe horizontal permet d’agencer les éléments dans le temps, comme c’est le cas dans Cubase et compagnie. Bien entendu, on peut définir le zoom vertical accordé à chaque piste, histoire d’avoir l’œil sur l’essentiel…
Sur les pistes, les données MIDI ou Audio sont représentées dans des rectangles appelés Clips qui sont l’équivalent des Parts ou des Containers qu’on trouve chez les concurrents. Un doucle-clic sur un clip lance sa lecture s’il contient des données audio, ou fait basculer l’affichage en mode Piano Roll s’il abrite des données MIDI. Le Piano Roll, puisqu’on en parle, est sans histoire : bien qu’un peu trop minimaliste à mon goût, il permet une édition simple et rapide des notes et des différents contrôleurs.
Tracktion arrière
Juste sous la fenêtre d’arrangement, on trouve une autre fenêtre, moins haute mais toute aussi large, qui sert à afficher une multitude d’informations et de commandes selon l’objet sélectionné : Nommée Panneau de propriétés, cette dernière servira à paramétrer les plug-ins ne disposant pas d’interface graphique, elle affichera les options de quantisation lors d’un clic sur un clip MIDI, les options de Pitch Shift, fondu et bouclage pour un clip audio, etc. Bref, c’est la fenêtre à tout faire, dont la géométrie variable permet d’économiser pas mal de place au niveau de l’interface.
A gauche de cette fenêtre, un cadre rassemble l’essentiel des « commandes généralistes » : Import/Export, Presse-papier, Sauvegarde, Undo/Redo, Aide, Options mais aussi les fonctionnalités d’automation, d’affichage (Expansion/Réduction des pistes), de Timecode ou le métronome.
Toujours dans la partie inférieure mais à l’extrême opposé, on trouve le bloc de commande avec ses habituelles touches de magnétophone permettant de déclencher la lecture ou l’enregistrement, d’utiliser l’avance ou le retour rapide, de boucler une portion, d’activer le mode punch-in, etc…C’est aussi à cet endroit qu’on accède à la piste Master, si encastrée qu’on aurait pu la louper… Bizarre, bizarre, mais dans la mesure où elle sert à définir le volume global, on peut comprendre que les développeurs l’ait placée aux côté du bloc de commande.
Vous l’aurez compris, l’interface du logiciel est peu commune mais c’est au niveau des deux colonnes flanquées à gauche et à droite de la fenêtre d’arrangement que Tracktion se montre le plus anti-conformiste… et le plus novateur. La première de ces colonnes est en effet dévolue à l’affectation des entrées tandis que la seconde n’est ni plus ni moins que la table de mixage du logiciel.
2 Colonnes à la une
Avec cette architecture, utiliser un instrument virtuel et lui assigner un ou plusieurs effets s’apparente à un petit jeu de lego. Le seul hic de l’affaire réside dans la dénomination desdits blocs qui sont appelés 'Filters’ ('filtres’ en bon français). Toutefois, comme on se fait relativement vite à cette terminologie maladroite, force est de constater que le système est diablement intuitif.
Dès qu’on veut ajouter un instrument virtuel ou un effet, on « e;drag and drop »e; l’icône New Filter à l’endroit même où l’on veut le placer. On choisit ensuite le plug-in dans un menu déroulant et l’affaire est jouée.
Extrêmement simple, ce fonctionnement offre aussi une grande souplesse : un simple cliqué-glissé suffit à changer l’ordre des plug-ins placés en insert sur une piste, ce qui rend l’opération autrement moins fastidieuse qu’avec un séquenceur classique (Sur Cubase, pour inverser l’ordre de deux plug-ins, il faut ainsi les décharger et le recharger, en perdant de ce fait tous les réglages).
Et l’assignation d’effet ne se joue pas qu’on niveau de la piste puisqu’on peut aussi affecter un ou plusieurs effets à un clip audio de manière non destructive.
Une fonctionnalité qui n’est pas sans évoquer le concept d’ « objets audio » cher à Samplitude.
Tracktionrack, Go !
Les plus sagaces l’auront toutefois remarqué : si génial soit-il, ce système ne gère que l’insertion d’effets. Et comment fait-t-on pour faire un bon vieux Send FX, alors ? Ben, on rack !
Via le bouton 'racks’ situé à droite de 'new filter’, on a en effet la possibilité de créer… un rack virtuel qui pourra accueillir autant de plug-ins qu’on le désire. Là où cela devient intéressant, c’est qu’une fois créé, le rack est disponible comme n’importe quel autre plug-in depuis 'new filter’, ce qui permet de l’utiliser pour plusieurs pistes en même temps.
Je m’explique avec un exemple concret : pour envoyer deux pistes dans une réverb, on crée un rack contenant la réverb (suivie, pourquoi pas, d’un petit filtre et d’un compresseur…) qu’on prendra bien soin de nommer RackVerb par exemple. Pour affecter ce dernier aux deux pistes, il suffit ensuite de l’insérer comme n’importe quelle autre plug-in sur chacune des pistes, en sélectionnant RackVerb via la commande 'new filter’. En-fan-tin !
La chose est d’autant plus pratique qu’on peut créer une multitude de racks et qu’on peut sauvegarder des 'presets de rack’ pour disposer de chaînages prêts à l’emploi. Sur ce point, Tracktion évoque la puissance d’un EnergyXT ou d’un Plogue Bidule… Finissons enfin par le préciser : les racks, comme tous les autres plug-in d’effets, peuvent être affectés à une piste comme nous l’avons vu, mais aussi à un clip ou à la section Master. Seule limitation : un rack ne peut contenir un autre rack mais cela n’a rien de bien gênant.
Play… and Plug ?
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Une fois assimilés ces concepts, la construction d’un morceau s’avère être une vraie partie de plaisir, jalonné de bonne surprises… mais aussi de quelques déceptions.
Côté plug-ins, on regrettera ainsi le peu d’effets fournis par rapport aux autres séquenceurs (8 seulement), et la qualité approximative de certains d’entre eux : la réverb, notamment, est à oublier à moins que vous ne soyez un aficionados de l’artificiel et du métallique. Cela n’a toutefois rien de préjudiciable dans la mesure où la compatibilité VST du logiciel lui permet d’accueillir les nombreux et excellents freewares qu’on peut trouver sur le Net. La chose semble d’ailleurs suggérée par les développeurs puisque dans le répertoire '3rd Party’, on trouve une petite dizaine de plug-ins de la collection MDA, l’une des plus anciennes références en la matière.
On a d’autant moins de mal à pardonner la qualité moyenne des effets que le seul instrument virtuel fourni est pour sa part très réussi. Il s’agit d’un petit sampler utilisant des fichiers Ogg Vorbis (un algorithme de compression destructive similaire au MP3 mais offrant de meilleurs résultats et développé en Open Source) en guise de banque de son. Certes, ce dernier est à cent lieues des Kontakt, HALion et autres MachFive, mais il est aussi extrêmement simple à utiliser et, on s’en rend compte avec les morceaux fournis en démos, d’une efficacité redoutable. L’usage de fichiers compressés lui permet en outre d’être très économe en terme de ressources, ce qui s’avère vital car à jouer avec les plugs sur piste, sur clip ou en rack, on a vite fait de saturer le processeur…
A ce propos, notez que Tracktion dispose d’une fonction Freeze qui permet d’effectuer un rendu audio temporaire d’une piste, ce qui soulage la machine des calcul en temps réel liés aux effets et aux instruments virtuels. Or, la chose marche bougrement bien ! Mieux même que chez certains concurrents : suivez mon regard…
Tracktion le rebelle
Puisqu’on parle d’Ogg Vorbis, autant évoquer une autre carence qui m’a surpris : le logiciel ne gère pas le format MP3. Or, si je n’ai rien contre ce bon vieux OGG, force est de constater que le codec qui fait cauchemarder Pascal Nègre est devenu, au fil des années, un standard sur lequel il est dur de faire l’impasse. Vous vous en doutez d’ailleurs : Real Audio, Windows Media Audio et le format Quicktime Audio sont aux abonnés absents, cependant qu’aucun support de la vidéo ou du 5.1 n’est prévu. Vu l’aspect intrusif de certains formats qui polluent nos machines avec des players lourdingues bourrés de spywares, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Mais, d’un autre côté, les utilisateurs qui cherchent un séquenceur plus orienté multimédia/broadcast passeront leur chemin… Que les choses soient claires : Tracktion est un logiciel pour musiciens, et pour musiciens seulement. A ce titre, il ne boxe définitivement pas dans la même catégorie que Cubase, Sonar ou Logic qui ont bien plus le souci de répondre aux besoin de l’industrie et des professionnels, tout en satisfaisant les musiciens.
Pour revenir au strict domaine de la musique d’ailleurs, on trouve des choses perfectibles dans Tracktion : la quantisation MIDI, notamment, est un peu basique avec sa précision de 1/64 de beat au max, en dépit de la possibilité d’utiliser des 'Groove Templates’.
De surcroît, en ces temps où les boucles sont devenues les matières premières de bien des genre musicaux, il est regrettable que le calage de plusieurs clips audio ne soit pas plus automatisé…
Dur de devoir Time Stretcher à l’ancienne quand on a goûté à la simplicité du Live d’Ableton. Enfin, à de rares occasions, on pourra regretter l’absence d’un éditeur d’événements, si pratique lorsqu’il s’agit d’éditer au millimètre un pitch bend mal contrôlé…
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Idem pour l’éditeur de partition qui brille ici par son absence. Certes cela n’a rien de très grave dans la mesure où les solfégeux sont une espèce rare mais cela aurait tout de même été un plus appréciable. Qui sait ? La chose sera peut-être présente dans Tracktion 2, dans un quatrième onglet…
Il me faut cependant l’admettre, il est facile de trouver des défauts à Tracktion en le comparant à des logiciels qui, pour certains, sont vendus dix fois plus chers. Car c’est un fait, si je n’aurais pas été choqué de voir le logiciel de Raw Material vendu aux alentours des 300 €, ce dernier se situe sous la barre des 150 € ! A ce prix là, il peut sans conteste se targuer d’offrir l’un des meilleurs rapports qualité/prix du marché, aux côtés du surprenant Music Studio Deluxe 2004 de Magix.
Le séquenceur qui lave plus blanc ?
Il me reste à répondre à la fatidique question : est-ce qu’un Cubasien indécrottable comme je le suis serait prêt à échanger son baril de Charlie Steinberg contre deux barils de Raw Material ? Et la réponse, si brutale qu’elle puisse paraître après tant d’éloges, est non… pour l’instant.
Pourquoi ? Parce qu’en dépit de sa remarquable ergonomie, de son prix, de sa stabilité et de ses aspects novateurs, Tracktion est encore un jeune séquenceur qui, en terme de fonctionnalités ou de versatilité, n’est pas en mesure de rivaliser avec les usines à gaz de Steinberg, Cakewalk ou Emagic. En outre, il y a le problème des habitudes qui sont dures à perdre : on ne met pas dix ans à apprendre tous les raccourcis clavier de son séquenceur fétiche pour s’en séparer du jour au lendemain, au profit d’un logiciel si différent qu’il faudra revoir un à un tous ses réflexes de travail.
Reste que si j’étais un piou piou sorti de l’oeuf et faisait mes premiers pas dans la MAO, je crois que je ne pourrais rêver meilleur logiciel pour débuter. Super abordable, performant, doté d’une vraie personnalité, Tracktion est taillé sur mesure pour les créateurs qui veulent au plus vite passer de l’idée à l’audio. C’est un vrai séquenceur Audio/MIDI pour musicien, à mille lieues de l’approche 'ingé son’ de logiciels comme Samplitude. Et c’est ce qui fait sa force ! D’ailleurs, il se pourrait bien que nombre d’adeptes de logiciels plus renommés l’utilisent en second séquenceur, comme bloc-note musical de luxe… D’ailleurs, il se pourrait bien que je le fasse… D’ailleurs, je vais le faire de ce pas…
Une future référence donc, sans l’ombre d’un doute.