Principalement connu pour ses synthés virtuels à base de samples et pour son impressionnant sampler virtuel Falcon, UVI s'est aussi fendu de quelques excellents plug-ins d'effets. Et c'est dans ce cadre qu'après la réverb Sparkverb, le delay Relayer et le chorus Thorus nous arrive Rotary qui, comme son nom l'indique, simule la cabine à HP rotatifs popularisée par la société Leslie.
Cela faisait un moment que l’idée de faire une vraie belle Leslie virtuelle trottait dans la tête des gens d’UVI. C’était en effet ce qui manquait principalement à Charlie, leur chouette banque de B-3 samplé sortie en 2003. Du coup, lorsqu’Arnaud Sicard d’Acousticsamples, collaborateur régulier d’UVI, s’est équipé de sa propre Leslie 122 dans l’optique d’améliorer son excellent B-5, l’occasion était donnée de se coller au projet, Arnaud fournissant samples et mesures de la bête tandis qu’UVI se chargerait d’en faire une modélisation digne de ce nom avec une belle interface comme ils savent si bien le faire. Le jeu en valait d’autant plus la chandelle que trois produits bénéficient à la fin de ce travail : Falcon, le sampler phare d’UVI, le B-5 d’Acousticsamples et le Rotary qui nous occupe, donc. Moi je dis : youpi !
Il était une fois la Leslie
Avant toutefois de nous jeter sur ce dernier, un petit rappel s’impose à l’intention des débutants et des curieux. En 1937, un électronicien du nom de Donald Leslie achète un des orgues Hammond qu’il a l’habitude de vendre et de réparer dans la boutique où il travaille. Son but est d’obtenir un ersatz acceptable d’un orgue à tuyaux, mais il est déçu par le manque de coffre de l’instrument une fois chez lui. Convaincu que l’écartement des différents tuyaux dans l’espace joue pour beaucoup dans ce problème, il se met en quête d’un système permettant de reproduire cela au moyen d’un haut-parleur rotatif (encore que ce ne soit pas le HP qui tourne réellement, ce qui poserait des problèmes de câbles). Au terme de nombreuses expériences, il décide même de splitter le signal en deux pour l’adresser à deux dispositifs rotatifs : deux pavillons pour les aigus (Horns), et un tambour pour les basses (Drum), entraînés par un même moteur via un jeu de courroies à deux vitesses de rotation possibles pour produire deux effets nommés Chorale (vitesse lente) et Tremolo (vitesse rapide). Or, comme tambour et pavillons ne font pas le même poids et en fonction de la tension des courroies, on observe une différence de vitesse entre les deux dispositifs cependant que la force d’inertie se répercute sur les temps d’accélération et de décélération de l’un et de l’autre. De ces différences naissent mille-et-une nuances lorsqu’on passe d’un mode à l’autre, et qui font que l’effet produit par la Leslie est bien plus riche et complexe que ne le sont la plupart des effets à modulation. C’est d’autant plus vrai que l’étage d’amplification comme les interactions acoustiques avec le caisson jouent grandement sur le son obtenu.
Évidemment, l’invention de Donald ne transforme pas l’orgue Hammond en orgue à tuyaux, mais le son obtenu est extrêmement intéressant, permettant d’avoir un usage musical de l’effet Doppler, soit quelque chose qui tient à la fois du trémolo et du vibrato, tout en ajoutant de l’épaisseur au son. Pas du tout convaincu par l’invention, Laurens Hammond refuse de commercialiser l’invention que Donald lui présente, poussant ce dernier à se lancer seul et à rencontrer le succès que l’on sait, bien au-delà de l’usage de l’orgue jazz et blues. À partir des années 60, on l’utilise ainsi sur de la guitare électrique (Buddy Guy, George Harrison, David Gilmour, Jimi Hendrix), sur de la voix (John Lennon) ou du piano (Richard Wright) et certains constructeurs ne tardent pas à vouloir reproduire l’effet au format pédale. C’est ainsi que naitra, entre autres, la célèbre Uni-Vibe de Vox, devenue un effet à part entière en marge des simulations de Leslie plus réalistes qu’on trouve aujourd’hui.
Voyage en cabine
Dispo sous Mac et PC aux formats Audio Units, AAX et VST, le logiciel est comme d’habitude avec l’éditeur protégé par iLok logiciel ou matériel. Vous disposez ainsi de 3 licences à utiliser comme bon vous semble, que vous disposiez ou non d’un dongle USB, ce qui est suffisamment souple pour ne gêner aucun utilisateur tout en garantissant à UVI de ne pas voir son bébé piraté une semaine après sa sortie.
Passée la phase d’autorisation, on se trouve donc face à l’interface du logiciel qui s’avère des plus séduisantes en conciliant deux univers graphiques très différents. Regroupant les commandes de base de l’effet, la partie inférieure présente un panneau de bois photoréaliste évoquant notre chère Leslie tandis que dans la moitié supérieure et dans les paramètres avancés, c’est le flat design qui est à l’honneur, dans le sillage des plug-ins précédents d’UVI.
Commençons cette visite par le bas donc, avec une première ligne qui propose le fameux switch permettant d’arrêter la rotation (break qui veut dire frein) ou de la mettre en service en mode Tremolo ou Chorale, sachant que la vitesse de chaque mode est paramétrable en Hz. On se réjouit de voir que la plage couverte va de 0,10 Hz à 10 Hz, ce qui se traduit par 6 à 600 tours/minute et offre pas mal de possibilités, de la modulation la plus sage à la plus excitée. Juste en dessous, quatre potards permettent de gérer l’amplification, soit le niveau du gain en entrée et en sortie avec possibilité de faire saturer l’étage, et celui du tambour comme des pavillons.
La partie supérieure de l’interface permet de choisir le modèle de Leslie émulé (122,145, 30, 722, 760, 950, 16), mais surtout de configurer le positionnement des micros qui l’enregistrent : leur distance, leur écartement, leur orientation et leur alignement. Tout cela passe par un graphique très simple à comprendre même s’il n’est pas forcément représentatif de la façon dont beaucoup d’ingés son enregistrent une Leslie (un couple en haut pour capter les pavillons en stéréo, et un unique micro en bas). Renseignements pris, il semble que les deux micros que l’on voit de dessus « cachent » en fait deux autres micros, UVI ayant modélisé une prise de son faite avec deux micros sur les pavillons et deux micros sur le tambour.
En cliquant sur le petit engrenage à droite du navigateur de preset, on accède aux réglages avancés de l’effet. C’est ici qu’on précisera pour les pavillons comme pour le tambour les temps d’accélération et de décélération (de 100 ms à 10 s) et qu’on déterminera leur personnalité sonore via leur courbe de réponse en fréquences et leur directivité. C’est encore sur cette page qu’on pourra régler dans le détail la réverb de la pièce, la diffusion de l’enceinte ou qu’on activera la compensation de la latence liée aux micros virtuels.
Bref, l’ensemble est plutôt complet sans en faire trop non plus et s’il n’est pas possible comme dans le Melda MRotary de gérer jusqu’à 6 haut-parleurs et de disposer d’un EQ dynamique et d’une matrice de modulation de dingo, soulignons que Rotary propose une interface autrement plus claire et simple à prendre en main, en se concentrant sur l’essentiel : le son.
Rotary Club
Comme pour Thorus, le plug-in impressionne en effet par son excellent rendu sonore, quelle que soit la source qu’on lui soumet. Pas de glitch, pas de bizarreries au niveau du spectre : Rotary sonne vraiment très bien et de manière crédible. Voici ce que ça donne sur un orgue :
- organ dry 00:13
- organ 1 00:13
- organ 2 00:13
- organ 3 00:13
Mais voyez que ça marche très bien aussi sur d’autres sources :
- rhodes dry 00:12
- rhodes 1 00:12
- rhodes 2 00:12
- guitar dry 00:30
- guitar 1 00:30
- guitar 2 00:30
- guitar 3 00:30
Parmi les réussites du plug-in, on notera le réalisme des effets d’accélération et de décélération : on sent vraiment l’inertie des axes qui mettent du temps à atteindre leur vitesse maximale comme à s’arrêter.
Et même si ce n’est pas la vocation première de Rotary, on peut même le pousser vers des choses plus « sound designesques ». Voyez ce qu’il en est avec cette boucle de batterie par exemple :
- Drums dry 00:14
- Drums 1 00:14
- Drums 2 00:14
- Drums 3 00:14
Tout ça pour 80 balles, ce qui est assurément moins cher qu’une vraie Leslie et offre l’énorme avantage de prendre beaucoup moins de place. Ce qui est moins cher aussi que ses concurrents directs chez PSP ou Melda qui souffrent pour le premier d’une interface assurément moins engageante et pour le second d’un son moins convaincant selon moi, notamment dans les aigus. Alors quoi ? Tiendrait-on la Leslie virtuelle ultime ? Non, tout de même pas, à trois petites choses près.
La première n’est pas bien grave puisqu’elle concerne le manuel. Écrit en anglais, ce dernier propose une sympathique introduction, mais ne fait pas trop d’effort de pédagogie par la suite, se contentant de laconiques descriptions techniques pour des paramètres qui n’ont rien d’évident au premier abord. Il n’est ainsi pas aisé de comprendre le système de micro modélisé avec le diagramme qui laisse à penser à une simple captation en couple qu’on imagine à mi-chemin entre les pavillons et le tambour, d’autant que la notion de directivité qu’on rencontre dans les paramètres avancés (et qui s’applique aux HP) rajoute encore un peu de confusion et qu’elle ne fait l’objet d’aucun développement.
En dehors de ce détail, j’aurais deux autres petits regrets à formuler. Le premier, c’est qu’il est impossible de régler indépendamment la vitesse de rotation des pavillons et du tambour dont le ratio est fixé en interne dans le logiciel, alors que ça aurait pu être un champ de bidouillage intéressant.
La seconde, c’est que cette émulation qui se veut l’une des plus fidèles du marché (et peut-être la plus fidèle d’ailleurs) fait l’impasse sur un élément qui aurait concouru à la rendre plus réaliste encore : le bruit du moteur. Avant même que l’on joue une note, une Leslie fait en effet du bruit et il aurait été intéressant de garder cet aspect dans le plug-in, quitte à ce qu’il soit débrayable pour ceux qui veulent le son le plus clean possible. Il est aussi intéressant selon moi que le son de relâchement des pédales ou des touches sur un piano.
Convenons toutefois que ce ne sont là que de petits reproches face à ce qui est tout de même une très belle réussite.
Conclusion
Doté d’une belle ergonomie, la Leslie virtuelle que nous propose UVI ne passe pas loin du sans-faute, sachant que les quelques petits manques qu’on pourrait regretter sont probablement des choix assumés d’UVI pour ne pas tomber dans l’usine à gaz. L’essentiel est là surtout avec un son vraiment convaincant que ce soit sur un orgue ou sur d’autres types de sources. Et comme le plug a le bon goût d’être vendu à un prix très raisonnable, il ne fait aucun doute ce Rotary mérite sa place dans votre répertoire VST, AAX ou AU… juste à côté de Thorus !