En 2020, Korg réédite le célèbre ARP2600 en série limitée. Monté à la main au Japon, le synthé connait immédiatement un succès foudroyant. Le constructeur décide alors de produire une version modèle réduit en série. En pleine pandémie, il faudra deux ans pour que l’ARP2600M soit disponible…
L’ARP2600 est un synthé analogique légendaire produit dans la décennie 70’s. On le reconnaît immédiatement à son immense panneau vertical couvert de grands curseurs et de prises jacks de brassage, ses deux haut-parleurs intégrés et son clavier détaché encombrant capable de le piloter en duophonie. C’est un synthé semi-modulaire où on peut bousculer l’ordre préétabli dans la connexion des modules. On peut en tirer une infinité de sonorités, des plus classiques comme la basse fermée pêchue des albums de JMJ ou des plus délirantes comme la voix de R2D2. L’ARP2600 a été décliné en 4 modèles et 9 révisions : « Blue Marvin » (couleur bleue et boîtier en alu, avec le filtre 4012), « Gray Meanie » (le même en gris), 2600P (gris bleu en valise, comprenant 4 révisions avec différents VCO de qualité variable et le filtre 4012) et 2601 (orange sur fond noir en valise, comprenant 3 révisions, dont le passage, à partir de la V2, au filtre 4072 suite à un contentieux avec Moog). Les versions les plus convoitées sont celles à base de filtre 4012, plus gras et plus ouvert, le 4072 étant limité à 12 kHz suite à une erreur de conception.
Début 2020, Korg lance une réédition en série limitée sous la marque ARP, de taille identique, intégrant une électronique CMS, un pilotage basique Midi DIN/USB, les deux versions de filtre, le design étant identique au modèle 2600P. Les exemplaires s’arrachent à 4.000 € en quelques jours et se revendent 50% plus cher le lendemain, après la rupture de stock, la bêtise humaine dans toute sa splendeur. Mais le 2600 est sur la liste déferlante de Behringer : fin 2020, la firme sort le 2600, vite décliné en trois versions : rouge et orange, avec une réverbe numérique (500 €), puis Gray Meanie / Blue Marvin, avec une réverbe à ressort (650 €). Toutes trois intègrent des fonctions et modules supplémentaires bien sentis. C’est dans ce contexte, alourdi par la crise sanitaire, que Korg lance une version modèle réduit, l’ARP2600M, à 1.800 €. La guerre du brassage vient-elle de commencer ?
Modèle réduit
L’ARP2600M est la version compacte de l’ARP2600FS. Sa surface et son poids sont divisés à peu près par trois par rapport au grand frère (52 × 31 × 13 cm contre 84 × 51 × 23 cm – 6 kg contre 19 kg). Il est de taille équivalente au 2600 de Behringer, qui possède plus de commandes mais pas de haut-parleurs (cf. comparatif en encadré). Les premiers modèles ont été livrés avec un clavier à mini-touches microKey2, mais ce n’est désormais plus le cas. Pas bien grave, un KeyStep 37, avec ses fonctions supplémentaires (séquenceur, arpégiateur), fera bien mieux l’affaire. L’ARP2600M est livré dans une valise cabine à roulettes, écrin qui contient le module et les accessoires (cordons de brassage, alimentation externe, documents). L’extérieur est en matériau absorbant à mémoire de forme, l’intérieur contient un épais système de protection haute densité moulé aux formes du synthé. La classe !
La qualité de construction est superbe, avec une coque tout en métal bleu foncé reprenant les codes couleurs du 2600P. Les curseurs sont très précis et glissent parfaitement. C’est d’autant plus important que la machine en totalise 57 et que leur course se limite à 30 mm, pour régler tous les paramètres à part le gain du module d’ampli (rotatif). De même, les 82 prises de brassage, en jack 3,5 mm, sont fixées à la façade, tout comme la prise casque, en jack 6,35 mm. Enfin les 8 sélecteurs semblent résistants. De ce point de vue, c’est nettement supérieur à la qualité du B2600, qui était déjà pas mal. Le reste de la connectique est située sur le flanc gauche, bon à savoir si on veut habiller le module : sélecteurs de canal Midi et mode d’auto-extinction, sorties stéréo (jacks 6,35 mm), entrée Midi DIN (notes, pitchbend, modulation, portamento), port USB-A (entrée pour contrôleur Midi), port USB-B (entrée/sortie Midi pour PC) et borne 12 VDC à centre positif pour alimentation externe (bloc central + cordon IEC, ça passe).
Conception semi-modulaire
La prise en main de l’ARP2600M peut s’avérer au départ déroutante, le temps de bien repérer les différents modules, les fonctions, les signaux audio, les signaux de modulation et les routages précablés (petits symboles situés sous les curseurs). De même, quasiment tous les réglages sont continus, y compris l’accordage grossier des VCO, sur une large plage de fréquences. C’est assez perturbant pour ceux qui ont l’habitude des réglages discrets par octave et demi-ton. L’ARP2600M comprend une vingtaine de modules analogiques : 1 préampli, 1 suiveur d’enveloppe, 1 modulateur en anneau, 3 VCO, 1 mélangeur pré-VCF, 1 VCF, 1 enveloppe AR, 1 enveloppe ADSR, 1 déclencheur avec sorties Gate et Trig, 1 VCA, 1 mélangeur post-VCA, 1 réverbe à ressort stéréo, 1 générateur de CV duophonique, 1 sortie modulation, 1 multiple, 1 générateur de bruit, 1 portamento, 4 processeurs de tensions et 1 S&H. Sans oublier les deux petits haut-parleurs et leurs curseurs de volume, comme sur l’original, qui se défendent plutôt bien vue leur taille réduite. C’est donc la copie conforme de l’ARP2600, ce qui signifie qu’il manque le LFO originellement présent sur le clavier 3620 et l’arpégiateur du FS, qui auraient fait de l’ARP2600M un synthé complet, dommage !
Dans semi-modulaire, il y a modulaire, ce qui veut dire que l’utilisateur peut shunter les entrées et sorties jack des modules équipés, au moyen de cordons. On appelle cela « brasser » ou « patcher » en anglais : par exemple, envoyer la dent de scie du VCO1 dans le filtre (plutôt que l’onde carrée par défaut), moduler la PW du VCO2 avec le modulateur en anneau (plutôt que le bruit par défaut) ou encore piloter la fréquence du filtre avec la molette de modulation (plutôt que l’ADSR). Dès que l’on connecte un cordon de brassage à l’une des prises, on remplace la connexion préétablie. L’ARP2600M peut recevoir deux CV distincts pour jouer en duophonie (la voix la plus haute, CV2, peut être routée vers un VCO au choix, la voix la plus basse, CV1, joue alors les 2 VCO restants). Des combinaisons un peu pénibles sur le poussoir manuel de Gate à l’allumage permettent de choisir le mode d’assignation des voix du mode duophonique (maintien de notes comme sur l’ARP originel ou non) et le type de déclenchement des enveloppes (multi ou mono-trigger). Rien n’empêche de fabriquer de grosses toiles d’araignée de cordons entre l’ARP2600M et un système modulaire externe, idéalement au format Eurorack, puisque l’ARP2600M utilise des tensions normalisées à ce format. Revers de la médaille, aucun réglage n’est mémorisable ou pilotable en CC Midi, tout est analogique, l’audio comme les modulations.
Gros son typique
C’est au caractère sonore qu’on reconnaît un ARP2600. Le petit modèle de Korg s’en sort particulièrement bien, avec le son généreux typique de l’ancêtre. Sans utiliser tout de suite les cordons de brassage, on monte le niveau des VCO dans le mixeur avant VCF, qu’on laisse grand ouvert et non résonant. On passe à l’accordage grossier des VCO, en étant très minutieux avec les petits curseurs ; disons deux VCO accordés et le troisième à l’octave inférieure, tel un Sub qui aurait sa propre phase. Puis on passe à l’accordage fin avec la rangée de curseurs du dessous. Petit à petit, la magie s’opère, les VCO se désaccordent, le son s’épaissit. On ajuste les volumes pour que le Sub soit là sans dominer. Quand on pousse les niveaux, il y a une saturation naturelle du plus bel effet. On passe alors au réglage du VCF, dont on descend la fréquence à zéro. On ouvre un peu le D de l’ADSR (ASR à zéro) et on monte le contour d’enveloppe dans la section modulation du VCF. Le son est gras, généreux, claquant. Voilà, une bonne grosse basse emblématique d’ARP2600.
En poussant les niveaux des enveloppes AR et ADSR dans le VCA, on gagne du punch supplémentaire, les transitoires sont boostées. Nous sommes conquis, ce qui va continuer à être le cas en commençant notre brassage. Le son se complexifie, le modulateur en anneau est mis à contribution, le S&H entre en action avec sa triple bascule, le VCF se met en auto-oscillation, la réverbe à ressort produit son effet envoûtant, le synthé commence à gazouiller, le motivateur d’hyperespace est donc parfaitement opérationnel ! Voilà, il est déjà temps de se poser, nous reprendrons plus tard cette aventure sonore extraordinaire. Pas de mémoires, le prochain voyage sera différent, on le sait déjà, même si on a reporté notre programme sur la feuille de patch. Pareil si on télécharge le livre de patchs sur le site Korg, contenant les 100 programmes d’époque redessinés, chaque expérimentation est un nouveau voyage imprévisible.
- ARP2600M_1audio 1 Bang Bass02:23
- ARP2600M_1audio 2 Go Lead00:29
- ARP2600M_1audio 3 Grey Fade00:37
- ARP2600M_1audio 4 Solo Voice00:35
- ARP2600M_1audio 5 Artou Ditou01:18
Trois authentiques VCO
Entrons maintenant dans les détails de la synthèse. On dispose de trois VCO. Le premier produit simultanément une onde carrée fixe (routée par défaut vers le mixeur) et une onde dent de scie. On peut prélever les signaux en sortie de VCO pour les envoyer dans n’importe quelle entrée (audio ou pas). On peut moduler la fréquence du VCO1 par 4 sources prédéfinies (suivi de clavier, S&H, ADSR, onde sinus du VCO2) ou toute source reliée à l’une des entrées correspondantes. La quantité de modulation est définie par les curseurs situés à la verticale de ces entrées, c’est le cas pour tous les modules du synthé. Le VCO2 est le plus complexe. Il produit simultanément des ondes triangle, dent de scie, sinus et impulsion variable, chacune possédant sa sortie directe. On peut moduler sa fréquence par 4 sources prédéfinies (suivi de clavier, S&H, ADSR, onde carrée du VCO1) ou toute source reliée à l’une des entrées correspondantes. On peut régler la largeur de l’onde impulsion à la main ou la moduler, soit par le générateur de bruit (par défaut), soit par toute source reliée à l’entrée correspondante.
Enfin, le VCO3 produit simultanément des ondes dent de scie et impulsion variable (manuelle), chacune possédant sa sortie directe. On peut moduler sa fréquence par 4 sources prédéfinies (suivi de clavier, bruit, ADSR, onde sinus du VCO2) ou toute source reliée à l’une des entrées correspondantes. Chaque oscillateur peut être accordé entre 10 Hz et 10 kHz en continu (réglages grossier et fin). Pour chacun, on peut déconnecter le suivi de clavier, ce qui les transforme en LFO (0,03 à 30 Hz). Le générateur de bruit possède un niveau ajustable et une couleur variable en continu (rouge à blanc). Il n’est pas possible de synchroniser les VCO, dommage que Korg n’ait pas amélioré ses VCO dans ce domaine.
Deux authentiques VCF
L’ARP2600S intègre les deux versions du filtre passe-bas 4 pôles en échelle de transistors qui équipait certains ARP2600, sélectionnables par un interrupteur en façade. Le premier (4012 Moog) est plus rond et sa résonance est mieux maîtrisée. Le second (4072) est plus médium et sa résonance est plus sifflante. Le premier est globalement plus polyvalent, mais on a créé des basses résonantes fermées plus piquantes avec le second ; comme quoi il faut les deux ! Le filtre traite le signal issu du mixeur. Ce dernier est capable de mélanger cinq sources prédéfinies : sortie du modulateur en anneau, carré du VCO1, impulsion du VCO2, dent de scie du VCO 3 et bruit. Elles sont substituables, avec le même principe d’entrée et de curseur de dosage que pour les VCO. Pousser le niveau des sources fait saturer l’étage d’entrée du filtre, c’est très agréable.
Le filtre dispose aussi de trois entrées de modulation de fréquence. Suivi de clavier (fixe à 100%), enveloppe ADSR et onde sinus du VCO2 (FM audio). Même principe que pour les modulations des VCO, on peut les substituer avec ce qu’on veut, en basse fréquence ou en audio ; il ne faut d’ailleurs surtout pas se priver de moduler le filtre par des sources audio discontinues, c’est comme ça qu’on fabrique la voix de R2D2 avec une résonance en auto-oscillation. Les réglages du filtre sont constitués de la fréquence de coupure (réglages continus grossiers et fin de 10 Hz à 10 kHz, qui dépassent cette valeur suivant les modulations qu’on y injecte) et de la résonance, qui peut aller en auto-oscillation.
VCA et réverbe stéréo
La sortie directe du filtre peut être prélevée via un jack dédié ou routée par défaut au VCA. Celui-ci offre un réglage de gain initial, deux entrées audio substituables (VCF et modulateur en anneau) et deux entrées de modulation substituables également (AR linéaire et ADSR exponentielle). En sortie, un mélangeur permet de doser deux sources (VCF et VCA par défaut), suivi de deux entrées post-fader et d’une sortie mélangée. Puis viennent le réglage de panoramique et les départs séparés vers la réverbe à ressort stéréo. Celle-ci possède une entrée substituable (mixeur final par défaut), deux curseurs de niveau (canaux gauche/droit), deux entrées (gauche/droite) pour mélanger un signal stéréo externe sur le circuit de retour et une sortie mono directe.
Plein de modulations
Si on regarde objectivement le nombre de modules de modulation, l’ARP2600M n’est pas exceptionnel. C’est surtout les possibilités de routage très bien étudiées qui lui confèrent toute sa puissance. Cela débute par deux enveloppes (AR et ADSR) extrêmement rapides, avec des courbes caractéristiques bien reproduites ici. Pour ajouter de la patate, on peut pousser les modulations des deux enveloppes en même temps dans le VCA. Les enveloppes sont déclenchées par le Gate interne ou via une entrée préassignée au S&H. Chacune possède une sortie directe, en plus de routages préassignés (VCO séparés, VCF, VCA). Par contre, il n’y a pas d’entrée de modulation sur leurs segments, dommage. On peut récupérer les signaux Gate/Trig pour les envoyer ailleurs, sur un module externe par exemple. Retour en haut à gauche du panneau, où on trouve un préampli avec réglage de gain et facteur de puissance (x10, x100 ou x1000), utile pour traiter de l’audio ou contrôler le signal entrant dans le suiveur d’enveloppe, son voisin du dessous. Ensemble, ils permettent de transformer n’importe quel signal entrant en tension de commande. On passe au modulateur en anneau, dans la même zone, créant par défaut une intermodulation de l’onde dent de scie du VCO1 et de l’onde sinus du VCO2. On peut bien sûr remplacer ces signaux par ce que l’on veut. On peut aussi optimiser le mode de réponse (élimination de la composante continue ou pas). La sortie du modulateur en anneau est précâblée vers le mixeur préfiltrage, mais on peut l’envoyer partout ailleurs.
Passons à la partie inférieure du panneau. On y trouve d’abord les sorties CV voix basse, CV voix haute (mode duophonique déjà évoqué) et modulation (CC1 Midi). Juste en dessous, un multiple à trois prises permet de distribuer un signal vers plusieurs destinations (trois, c’est une de moins que les quatre de l’ARP2600FS feront remarquer les esprits les plus pointilleux). Plus au centre, on a des processeurs de tension : l’un mélange deux signaux entrants, les atténue de 10V, les module par un signal asservi au suivi de clavier et inverse le tout. Le suivant ajoute 10V au signal entrant et inverse le tout en sortie. Le dernier lisse le signal entrant suivant un temps ajustable ; il est optimisé pour le suiveur d’enveloppe. Juste à côté, on trouve le module S&H, assez élaboré. Il est produit par le bruit interne (substituable) et une horloge (interne ou externe). Il dispose d’un niveau ajustable, d’une vitesse ajustable, d’une entrée horloge, d’une sortie horloge et d’une sortie de modulation. L’horloge contrôle aussi une bascule, capable d’alterner deux signaux entrants parmi trois. C’est aussi en partie basse du panneau que l’on trouve les deux haut-parleurs et leurs curseurs de volume respectifs. Ces derniers pilotent le volume casque lorsqu’un casque est branché à la prise idoine, ce qui a pour effet de couper les HP.
Conclusion
L’ARP2600M est la réplique en modèle réduit de l’ARP2600FS, lui-même une fidèle réédition un poil modernisée de l’ARP2600 des 70’s. Représentant le tiers de la surface et du poids, il offre les mêmes fonctionnalités et le même son emblématique, gros, gras, pêchu et largement modulable. Le Midi DIN et USB s’est invité pour piloter les notes et le pitch. On aurait aimé plus de nouvelles fonctions, que ce soit sur le plan de la synthèse (synchro des VCO, PWM généralisée, LFO) ou du pilotage (trois CV distincts pour la paraphonie, arpégiateur). Comme tout bon semi-modulaire sans mémoires, l’ARP2600M nécessite un temps d’apprentissage, d’autant que les paramètres se règlent en continu avec des curseurs de taille réduite, heureusement précis et agréables. Peu encombrant, il est facilement transportable avec une seule main et bien protégé dans sa valise cabine. Ce soin va de pair avec une excellente qualité de construction (matériaux, connectique ancrée, composants), qui explique en grande partie le tarif élevé de 1.800 €. Tarif que les musiciens ne manqueront pas de rapprocher des 650 € demandés pour les modèles Behringer équipés de réverbe à ressort ; clairement, ces derniers ont pour eux le prix, les curseurs plus longs et les possibilités de synthèse supérieures. L’ARP2600M l’emporte quant à lui sur la qualité de construction ainsi que le son, plus incisif, plus présent, plus authentique.