Le Take 5 promet la synthèse analogique polyphonique dans un clavier compact bourré de commandes directes, facile à appréhender au premier regard. Voyons si le gros son et les bonnes idées sont aussi au rendez-vous…
Sequential vient de passer récemment sous la bannière du groupe Focusrite. Le Take 5 sera donc le dernier synthé entièrement développé sous l’ère Dave Smith qui, après avoir franchi la barre des 70 ans, poursuit désormais sa longue et prestigieuse carrière comme consultant de luxe au sein de son ex-entreprise. Après les petits hybrides, les moyens analogiques, les gros hybrides, les petits analogiques, les moyens hybrides et les gros analogiques, c’est donc le tour des synthés polyphoniques analogiques compacts, une race finalement encore peu répandue, dont le premier spécimen remonte au milieu des 80’s, si notre mémoire est bonne, avec le VX600 signé Akai, un synthé analogique 6 voix doté d’un clavier 3 octaves. Chez Sequential, ce rôle était tenu par le MophoX4, sorti en 2012. Mais le synthé manquait de commandes directes, forçant l’utilisateur à plonger dans les menus. Aujourd’hui, l’analogique est avant tout recherché pour son grain spécifique et sa prise en main immédiate. Take 5 signifie tant « prise numéro 5 » que « prends 5 minutes de pause ». Voyons alors si le nom est bien choisi…
Prenons une pause
Le Take 5 reprend le design et les matériaux du Pro 3 version classique, avec des flancs en plastique et un panneau fixé sur une coque métallique très compacte (64 × 32 cm). La construction est soignée, avec des potentiomètres bien ancrés. On est toutefois loin de la classe des Prophet-5/10 Rev4, les capuchons en plastique gris un peu grossier y sont d’ailleurs pour beaucoup. Comme sur le Pro 3, les potentiomètres sont trop résistants : les mains frêles pourront les trouver désagréables, mais c’est mieux que des rotatifs trop lâches. La façade tranche avec l’austérité du Mophox4. Elle est même luxuriante, avec ses nombreuses commandes directes et son écran OLED, affichant le nom des programmes et quelques pages de menu, mais pas la valeur des paramètres en cours d’édition, un choix délibéré des concepteurs, fichtre !
Au total, on dénombre 37 potentiomètres, 10 encodeurs et 50 boutons poussoirs, organisés par module : en partie centrale (fond gris), les oscillateurs, le mixeur, le filtre et les enveloppes ; en partie supérieure, le volume, la saturation finale, les LFO, la matrice de modulation, l’éditeur central, l’arpégiateur, le séquenceur et les effets ; en partie inférieure, les deux molettes, le gilde, le mode vintage, la transposition par octave, le split inférieur, la touche Hold et la section mémoires avec ses touches directes et son petit écran à 3 diodes 7 segments. Extrêmement astucieuse, une fonction de séparation permet de transposer la partie inférieure du clavier sur 1 ou 2 octaves vers le bas ; cela permet de jouer, avec un même son, des accords et des basses malgré les 44 touches du clavier (Fatar TP/9 semi-lesté sensible à la vélocité et à la pression, de très bonne qualité). Des fonctions bien pratiques telles que Compare / Write / Init permettent de faciliter la programmation.
La connectique, assez dépouillée, est située à l’arrière : deux sorties audio gauche/droite, une sortie casque et deux prises pour pédales (interrupteur / modulation), le tout au format jack 6,35 mm, trois prises Midi DIN (In/Out/Thru), une prise USB (Midi, données), une borne pour cordon secteur (alimentation interne, chouette !) et un interrupteur secteur. Sequential a eu la bonne idée d’éloigner la partie secteur de la partie audio, évitant la pollution audio ou les variations de température, bien vu…
Cinquième prise
Le Take 5 totalise 256 programmes (128 permanents et 128 modifiables), ce qui est quatre fois moins généreux que le Pro 3. La sélection est toujours aussi peu pratique, nécessitant de choisir une banque avec la touche Shift, puis un numéro de programme parmi les 16 que contient la banque. Un double appui sur les touches 1 à 16 aurait réglé le problème, mais bon, on n’est jamais contents… Au premier allumage, tout semble parfaitement accordé, pas besoin de lancer la calibration recommandée pour mettre de l’ordre dans les VCO et les VCF. D’ailleurs nous avons trouvé les VCO bien stables. Les niveaux de sortie sont élevés et le bruit de fond absent, c’est presque surprenant pour un synthé analogique polyphonique.
La Take 5 apporte la panoplie sonore habituelle d’un synthé analogique polyphonique : cuivres, strings, nappes, orgues, cloches, basses, lead, bruits… rien de très surprenant en fait, serions-nous blasés ? Mention spéciale aux basses résonantes qui conservent du poids dans le mix. On trouve aussi des sons très évolutifs qui laissent préfigurer une matrice de modulation confortable, ce qui démarque le Take 5 des Prophet-5/6/10, mal équipés en la matière. En fait, il s’apparente plus au REV2 sur pas mal d’aspects. Du coup, on peut à juste titre hésiter entre les deux, dans la mesure où le Take 5 reste très classique, avec ses deux VCO, son Sub VCO et son VCF passe-bas 4 pôles. Le son est bien moins agressif que celui du Pro 3, même en mettant toutes les voix à l’unisson et en poussant les différentes saturations. En résumé, un gros son analogique solide, mais pas extravagant.
- Take 5_1audio 01 Poly Synth00:49
- Take 5_1audio 02 EP Splitdown00:30
- Take 5_1audio 03 Sync Lead00:11
- Take 5_1audio 04 Unisson Bass00:19
- Take 5_1audio 05 Matrix Brass00:14
- Take 5_1audio 06 Area 5100:39
- Take 5_1audio 07 Big Bottom01:18
- Take 5_1audio 08 Centauri Strings00:46
- Take 5_1audio 09 Belly Bello00:59
- Take 5_1audio 10 Hi Arp01:28
Génération analogique
Le Take 5 est un synthé polyphonique 5 voix monotimbral. Le son est produit par deux VCO SSI2130, capables de générer des ondes continues modulables, passant par sinus, dent de scie, impulsion à largeur variable. On ne part donc pas du triangle comme sur le Pro 3 ou le Prophet-6. De même la PWM est asymétrique (de carré à zéro). Ils peuvent être accordés grossièrement sur plus ou moins deux octaves et sur plus ou moins sept demi-tons. Via le menu, on peut régler finement le pitch des VCO, désactiver le suivi de clavier de chaque VCO et régler séparément leurs temps de Glide lorsque la fonction est activée (temps ou vitesse constant). Ils peuvent aussi suivre l’un des 65 tempéraments internes (64 réinscriptibles via Sysex). Le VCO2 peut synchroniser le cycle du VCO1 et le moduler en fréquence exponentielle. Dans le mixeur, on règle le niveau de chaque VCO (ou la quantité de FM du VCO2 si la fonction et activée), ainsi que celui du Sub VCO (onde carrée à l’octave inférieure) et du générateur de bruit (blanc ou rose). Du plutôt classique, donc.
Allez, on passe au VCF, de type 4 pôle résonant, capable d’auto-osciller. Il utilise le circuit SSI2140 déjà présent sur le Prophet-5/10 Rev4, pour simuler le mode Rev1/2. Une bonne alternative au CEM3320 et une simplification de l’industrialisation, puisque les SSI2130 et SSI2140 sont des CMS. Sans égaler son modèle SSM2040 qui restera pour nous l’un des meilleurs VCF intégré de l’histoire si ce n’est le meilleur, c’est un filtre qui fonctionne très bien sur un synthé polyphonique, à la fois colorant et résonant, sans outrance. La fréquence de coupure est réglable sur 1024 pas, ce qui évite les effets d’escalier audibles lorsqu’on tourne le potentiomètre homonyme. Elle est modulable par le suivi de clavier (via le menu), l’une des deux enveloppes en façade (assignables à la vélocité) ou la matrice de modulations (nous y reviendrons). Pousser la résonance n’écrase pas les basses car le filtre est compensé. Le revers de la médaille, c’est que le pic de résonance est moins émergeant que sur un filtre non compensé. Si on veut conserver un pic suffisant, le point clé est de limiter les niveaux d’entrée des VCO, typiquement régler les potentiomètres entre 10 et 12 h. On peut ajouter une saturation analogique, un peu trop discrète à notre goût ; nous l’avons trouvée surtout efficace sur les sons aigus type cloches où elle ajoute un côté métallique intéressant.
Conversion numérique
En sortie de VCF, le signal est converti en numérique. Quoi ? Oui ! Non ? Si ! Le Take 5 n’est donc pas un synthé dont le signal est purement analogique, puisque point de VCA après le VCF comme à l’accoutumée. Nous avons discuté de ce choix avec les développeurs de Sequential : ils ont préféré cette solution permettant de conserver un son top niveau tout en évitant les problèmes liés aux VCA (repisse, bruit de masse, ajout de bruit de fond), considérant que le VCA ont aujourd’hui plus d’inconvénients que d’avantages par rapport à une numérisation. En plus, cela permet facilement de créer des modulations polyphoniques à niveau audio avec la sortie VCF et le signal final. C’est donc une évolution majeure dans l’histoire des synthés analogiques polyphoniques de la marque et peut-être une nouvelle étape dans les choix technologiques.
Le volume final est modulable par l’une des deux enveloppes. Une saturation numérique stéréo dosable est également présente en bout de chaine. Heureusement, elle est plus présente que la saturation du filtre et permet de créer des effets de feedback musicaux sur les leads ou de l’overdrive sur les accords. Les voix peuvent être jouées à l’unisson (1 à 5 voix), avec désaccordage fin ou mémoire d’accord. Le potentiomètre Vintage permet de simuler des inconsistances de comportement ou de calibration entre les voix (VCO, VCF, enveloppes), comme sur un synthé vintage. Nous l’avons trouvé plus timide (moins caricatural) que sur le Prophet-5 Rev4. Au global, nous n’avons pas trouvé que le son du Take 5 souffrait d’une quelconque manière du passage en numérique juste après le VCF. Par contre, Sequential aurait pu profiter de cette conversion pour offrir l’audio via USB.
Modulations matricielles
Pour moduler le son, on a deux LFO, deux enveloppes et une matrice de modulations. Les deux LFO sont identiques, à ceci près que le premier est global (toutes les voix sont modulées en même temps) et le second individuel. C’est une bonne idée, car on se rend compte à l’usage que la plupart des destinations se prêtent mieux à l’un ou l’autre type de modulation. Ils peuvent produire les ondes triangle, rampe, dent de scie, carré et S&H. La fréquence varie de 0,022 Hz à 500 Hz (donc modulation audio) ; elle peut aussi être synchronisée à l’horloge. Un bouton permet d’assigner rapidement une destination. Via le menu, on peut décider du mode d’oscillation de chaque LFO, libre ou redéclenché.
On trouve aussi deux enveloppes DADSR modulables par la vélocité et directement routables à deux destinations : pour l’enveloppe 1, VCF ou Auxiliaire, avec modulation bipolaire ; pour l’enveloppe 2, VCA, VCA+VCF ou VCF + Gate, avec modulation positive. Lorsque l’enveloppe 2 contrôle le VCF, l’enveloppe 1 passe en mode Auxiliaire. Réciproquement, lorsque l’enveloppe 1 contrôle le VCF, l’enveloppe 2 contrôle le VCA. Ces enveloppes sont toutefois disponibles pour la matrice de modulation, ouf ! Seuls les paramètres de délai nécessitent de passer par le menu. La réponse des enveloppes est impeccable, permettant d’aller des sons claquant aux lentes évolutions.
C’est aussi via le menu que l’on accède à l’édition complète de la matrice de modulation. Sur ce point, le Take 5 ressemble davantage à un REV2 qu’à un Prophet-5 ou 6, très limités en modulations. Ici, on a 16 cordons, permettant d’assigner 19 sources (sub audio et audio) à 56 destinations. Avec la façade et l’écran, il est très intuitif d’assigner directement une source à une destination, en bougeant un contrôleur source ou une commande destination, puis de régler la quantité de modulation (bipolaire). Parmi les sources : le VCO2, le bruit, la sortie du VCF, la sortie audio, les LFO, les enveloppes, les contrôleurs physiques, la vélocité, la pression, le suivi de clavier, les pédales, un générateur aléatoire, une valeur fixe et l’espacement des voix (à assigner au panoramique, par exemple). Parmi les destinations : tous les réglages de fréquences des VCO, les positions d’ondes, le volume de chaque source sonore, le niveau de FM, la coupure du VCF, la résonance, le drive, la saturation de sortie, le panoramique, les paramètres d’effets, les paramètres des LFO, les segments des enveloppes et les quantités de modulation des 16 cordons. Bref, de quoi faire, et de quoi faire vite !
Effets numériques
Le Take 5 intègre deux effets dérivés du Pro 3. La différence tient au fait que le premier est un véritable multieffets alors que le second est dédié à la réverbe. Au programme du premier, délai stéréo, BBD simulé, chorus, flanger, phaser, filtre passe-haut, distorsion, modulation en anneau et haut-parleur tournant. Chaque effet dispose de trois réglages basiques accessibles en façade et une fonction de synchronisation des temps. Pour la réverbe, il faut se contenter d’un seul algorithme de simulation à plaque, avec réglages en façade de mix, atténuation des hautes fréquences, prédélai, déclin et tonalité.
Comme déjà évoqué, les paramètres d’effets sont des destinations de la matrice de modulation, cela les lie d’autant mieux aux programmes. Niveau qualitatif, c’est du très bon, que ce soient les délais, les chorus ou la réverbe (avec un joli prédélai et une extinction tout à fait crédible), avec peut-être deux bémols pour le phaser pas assez appuyés et le rotary au contraire en manque de subtilité quels que soient les réglages. Allez, un petit effort, cela pourrait être amélioré et facile à mettre à jour par OS.
Arpège ou séquence
Le Take 5 hérite de l’arpégiateur de ses prédécesseurs. On règle le tempo avec un potentiomètre dédié ou la touche Tap dans la section horloge, la division temporelle avec un second potentiomètre, le motif (en haut, en bas, alterné, aléatoire, comme joué), la plage d’arpège (1–2–3 octaves), le nombre de répétition à chaque pas (0–1–2–3 notes) et le comportement de la pédale de maintien. Rien d’inhabituel. Les notes arpégées peuvent être transmises en Midi. Bref, du très classique, mais sympathique.
Passons au séquenceur à pas. Il s’apparente à celui des Prophet-6 / OB-6. On enregistre des notes en polyphonie avec leur vélocité, par incrémentation, jusqu’à 64 pas. On peut entrer des liaisons et des silences en même temps ou après coup. On peut corriger des notes pas par pas après enregistrement ou ajouter des notes en fin de séquence, mais nous n’avons pas trouvé comment insérer ou supprimer un pas, ni sur le synthé, ni dans le manuel ! Lorsqu’une séquence tourne, on peut jouer par-dessus à concurrence de la polyphonie disponible. Pour transposer, il faut maintenir la touche Record pendant la lecture, ce qui n’est pas choquant pour un séquenceur polyphonique. On peut lire la séquence uniquement en avant et il n’y a pas d’enregistrement de mouvements des commandes, cela reste donc très basique. Les notes séquencées peuvent aussi être transmises en Midi et les séquences sont sauvegardées avec les programmes.
Fin de la pause
Le Take 5 est l’un des rares synthés polyphoniques analogiques compacts dotés de touches standard avec réponse dynamiques de qualité. Grâce à une astucieuse fonction permettant de transposer la partie inférieure du clavier aux octaves inférieures, on en oublierait presque les 44 touches. Si bien que les cinq voix sont le plus souvent bien exploitées. C’est un synthé immédiat à appréhender, car ses fonctionnalités sont simples et la plupart des commandes directement accessibles. Sequential a eu la bonne idée de conserver une matrice de modulation, très facile à paramétrer sans se perdre dans les menus. De même, on apprécie la section effets et l’arpégiateur intégrés. Par contre, le séquenceur mérite des améliorations, notamment en édition. Sur le plan sonore, le Take 5 se concentre sur des sons analogiques polyphoniques classiques, puissants, ronds, gras, contrairement au Pro 3 qui pique beaucoup plus. La conversion numérique du signal en sortie de VCF peut sembler radicale sur le papier, mais ne pose pas de difficulté au plan qualitatif, bien au contraire. Certains pourront regretter un manque d’originalité dans les outils de synthèse ; pour notre part, nous saluons le tarif aussi compact que le format, qui destinent le Take 5 au musicien itinérant ou au studio où la place est comptée, en quête de standards analogiques polyphoniques. Un Award Audiofanzine qualité/prix bien mérité !