Brisant sa routine de création de plug-ins d’effets, l’éditeur Waves déboule là où l’on ne l’attendait pas, et présente un synthétiseur virtuel, Element. Comment ce logiciel peut-il trouver sa place au sein d’une offre déjà pléthorique ?
Dans notre monde audionumérique, les éditeurs se font souvent concurrence en empiétant sur le terrain de l’autre, et il n’est pas rare qu’apparaisse ainsi dans un catalogue un produit que l’on n’attendrait pas forcément. Car, même si les sorties incessantes peuvent souvent pousser le musicien/ingénieur/technicien du son (ou plus souvent vu comme un consommateur ?) à ressentir une certaine lassitude, voire à devenir complètement blasé (qui a encore besoin d’une énième émulation d’un EQ ou d’un compresseur vintage ?), il arrive parfois que l’on soit vraiment surpris, dans un premier temps sans tenir compte de la technique employée ou du son en résultant, par l’orientation prise par l’un ou l’autre éditeur. Pourtant, on devrait être habitué, en gardant en tête les casquettes multiples que peuvent porter les grands du domaine, hardware et/ou logiciel : par exemple une entreprise d’horlogerie se transformant en facteur d’orgues puis de pianos, de moteurs et motocyclette, de luthier électronique, d’instruments et vents, d’effets et de consoles, etc. (on aura reconnu …).
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Reste que la spécialisation d’un éditeur logiciel dans un domaine particulier nous aura peut-être conforté dans une vision assez restreinte des domaines dans lesquels il pourrait intervenir. Dans le cas qui nous préoccupe ici, Waves surprend bien son monde. Entre la déclinaison jusqu’à plus soif de plugs datés au sein de différents bundles, et la sortie d’émulations de processeurs de légende, y compris l’association avec des ingénieurs réputés, on n’imaginait pas l’éditeur nous offrir un synthé (bien entendu se présentant comme un VA, un analogue virtuel). Dépiautons donc la bête, pour voir et entendre ce qui se cache sous la sobre appellation.
Introducing Waves Element
Le synthé est pour l’instant disponible chez l’éditeur au tarif de 99 dollars, mais passera bientôt à 200 (respectivement à peu près 74 et 150 euros). L’éditeur ayant pour politique d’englober tous ses plugs dans une même version, le synthé se voit donc paré dès sa naissance d’un v.9.2.4. L’installation ne pose pas de problèmes particuliers (moins complexe qu’à l’époque iLok), il faut charger l’un des installeurs appropriés (différent selon que l’ordi hôte est utilisé off- ou online), sélectionner le ou les plugs désirés, puis l’autoriser via l’application fournie, avec sélection de destination, soit sur le disque dur de l’ordi hôte soit sur une clé USB, sachant que l’on peut facilement déplacer cette licence dans un My License Cloud (le nuage devient incontournable, décidément, est-ce bien ou mal, on en rediscutera. Peut-être…), afin de pouvoir l’utiliser sur tout ordinateur connecté (un ordi à la fois).
On retrouve le dossier familier Waves dans Applications, rempli de dossiers et fichiers (pour un seul plug dans mon cas, je n’ose imaginer l’état des lieux avec un bundle Mercury). L’éditeur utilise toujours des Shells (sources de casse-tête à une certaine époque), ce principe d’hébergement/ouverture des plugs dans une « coquille » au sein d’un hôte. Waves n’est pas le seul à utiliser ce genre de procédé, même si certains éditeurs le dissimulent plus ou moins. On appréciera la présence d’une version autonome (standalone), ce qui devrait être la norme dans le domaine des synthés virtuels.
La version 9 intègre le support du 64 bits, tant mieux, débarrasse l’utilisateur de la nécessité de l’iLok, encore tant mieux, offre le nouveau système d’autorisation, le retour de tant mieux, et permet même de récupérer gratuitement les licences perdues pour cause de matériel déficient, le retour du fils de tant mieux.
En revanche, le WUP annuel reste toujours la règle (200 ou 300 dollars l’année…), avec cette étrange impression de payer continuellement pour un logiciel pourtant déjà acquis. Par exemple, mon bundle Gold en version 6 ne me sert plus à rien, incompatible avec les OS et logiciels que j’utilise, pour cause de WUP non renouvelé ; cela m’aurait coûté entre 1000 et 1500 dollars simplement pour obtenir la compatibilité attendue (et quelques plugs supplémentaires non désirés), soit deux fois le prix du bundle à ajouter à son prix d’achat (et quasi quatre fois au tarif actuel !) ! Sans compter l’expérience vécue par certains d’un WUP s’arrêtant à quelques jours de l’intégration d’un nouveau plug, d’un nouvel update, alors que l’année écoulée n’a rien apporté… Bref.
Une architecture élémentaire
Du côté de l’architecture et de l’ergonomie, l’éditeur a vu simple, compact et efficace. L’option de réunir toutes les commandes dans une seule fenêtre se révèle d’expérience assez redoutable d’efficacité, et l’on retrouve ce qui fait l’un des plaisirs de l’analo : un bouton, une fonction. La fenêtre unique rappelle vaguement les synthés Tone2, le Sylenth 1 ou les ancêtres Roland. La technique mise en œuvre est celle dite Virtual Voltage, sur laquelle on n’en saura pas plus que ça…
L’organisation est claire et classique, deux oscillateurs (plus quelques suppléments), un filtre multimode et multipente, une section d’effets, quatre LFO, trois enveloppes, un EQ, une matrice de modulation, un arpégiateur/séquenceur à pas, et une section de sortie et divers paramètres. Au-dessus, la classique barre de menu Waves, offrant Undo et Redo (garde en mémoire les 32 dernières actions), un A/B, une partie permettant de garder certains réglages (les assignations Midi Learn, le séquenceur, le tempo) lors de changements de présets qui devrait être reprise par tous les éditeurs, des flèches de défilement et la gestion des présets (très nombreux, classés en 12 familles).
Côté oscillos, deux modes de fonctionnement, VCO ou DCO, le second redémarrant la forme d’onde à son point zéro à chaque nouvelle note, le premier non. Ils ont en commun les réglages d’accord grossier et fin (demi-tons et centièmes), cinq réglages de pieds (2’, 4’, 8’, 16’ et 32’), quatre formes d’onde, sinus, dent de scie, triangle et carrée avec PW, et un petit écran plus ou moins réactif affichant la forme d’onde en cours. Plusieurs fonctions sont ensuite propres à chacun : l’oscillateur 1 dispose ainsi d’une Sine Mod, qui permet de moduler la forme d’onde via une sinus (attention, il ne s’agit pas ici de modulation de hauteur comme peut le faire un LFO, mais bien de la forme d’onde, donc des harmoniques présentes ou non). Fonction intéressante, surtout en mode VCO, la forme d’onde se modifiant en temps réel ; ici un exemple sur une triangle, d’abord non modulée, puis avec le Sinus à 30 % (un seul Osc, tous les réglages par défaut, c’est-à-dire neutres) :
On peut déjà constater plusieurs choses : les formes d’ondes naturelles (c’est-à-dire sans aucun effet ni modulation) en mode VCO ne sont pas stables en accord, variant très précisément et très régulièrement de plus à moins cinq centièmes de ton. Si c’est censé émuler le comportement d’un oscillo analogique, pourquoi lui avoir donné cette régularité ?
Deuxièmement, en voulant vérifier cette modulation (légère mais audible), j’ai aussi ouvert toute une batterie d’outils de mesures, et, ô surprise, le synthé fournit un bruit de fond continu (un quasi bruit blanc), certes aux alentours de –105 dB, mais qui rappelle quelques manipulations sonores déjà implémentées par l’éditeur dans ces émulations d’EQ API ou SSL (c’est mentionné dans leurs manuels).
Ensuite, en mode DCO, l’accord reste stable. Mais la forme d’onde aussi. Autant en VCO, on entend la modulation, autant en DCO on reste sur la forme d’onde modifiée.
L’oscillateur 2 offre lui une Synchro, un réglage FM (la fréquence du 2 est modulée par le 1) et un autre PhM (phase du 2 modulée par le 1). La configuration à deux oscillos se voit ainsi dotée de plus de possibilités sonores qu’habituellement, tout du moins dans ce type de synthé. D’autant qu’elle est complétée par un Sub (triangle), un Noise et un réglage de Ring Modulation, et d’une balance entre les deux Osc. Cette section supplémentaire offre aussi les réglages de Legato, Portamento, Mono et Unison, ce dernier provoquant en plus de son jeu sur le décalage de phase une augmentation sensible des fréquences supérieures.
Filtre et modulations
Côté filtrage, rien d’innovant, mais ce que l’on attend disons par défaut : un filtre résonant multipente (12 ou 24 dB/oct.), multimode (Low, High Pass, Band Pass et Reject), un Cutoff de 20 à 20 000 Hz, un suivi de clavier et un taux bipolaire d’action de son enveloppe ADSR dédiée. On y ajoute deux réglages communs à toutes les enveloppes, Vel, réponse (ici) du filtre à la vélocité, et surtout Shape, qui permet de rendre convexes ou concaves les trois segments de durée. Plutôt original et très efficace, bravo les développeurs. Cette enveloppe pourra d’ailleurs être utilisée comme source de modulation via la matrice (voir plus bas). On finit par un réglage FM, dosant le taux de modulation de fréquence sur la fréquence de coupure par l’oscillateur 1.
D’un point de vue sonore, le filtre se montre plutôt timide, et adopte un comportement parfois surprenant dans son rapport entre fréquence de coupure et résonance, notamment au niveau de la course des potards. Dans l’exemple suivant, on entendra une séquence à plusieurs hauteurs, avec différents balayages de filtre et de résonance (mode quatre pôles) :
On trouve ensuite quatre LFO, offrant chacun six formes d’ondes, deux d’entre eux pouvant être synchronisés via divisions rythmiques (de quatre mesures au 1/32e de noire), les deux autres disposant d’un Rate, pouvant travailler dans le domaine audible (jusqu’à 100 Hz), ce qui permet des choses intéressantes, par exemple lors de modulations sur le volume, faire de la simili FM, etc.
Ces LFO seront routés sur la majeure partie des réglages du synthétiseur via une matrice de modulation, avec source, taux de modulation, destination et inversion de phase (inversion de l’action de la modulation). Hélas, cette matrice ne comporte que six slots, ce qui fait qu’il n’en restera que deux une fois les quatre LFO assignés. Ce qui est bien peu, vu que c’est aussi dans cette matrice que l’on assignera Aftertouch, molette, enveloppes (filtre et Env 3), séquenceur, bend, vélocité, etc. Notons d’ailleurs que bien peu des présets comportent de l’Aftertouch, ce qui semble assez incompréhensible en matière d’expressivité.
Pour en finir avec les modulations, hors séquenceur, il nous reste deux enveloppes, l’une librement assignable via la matrice (Env 3), l’autre assignée au VCA. Toutes deux offrent quatre segments, la réponse à la vélocité et le réglage maison Shape.
L’enveloppe VCA offre, elle, un réglage supplémentaire, Punch, apportant de prime abord une belle rapidité d’attaque. Voici un exemple de son, sans et avec, qui est assez parlant :
Mais, à force de jouer et d’écouter le résultat, très régulier d’un point de vue son, surgit la question : comment cela est-il produit d’autant qu’il est impossible d’atteindre exactement ce résultat avec les seules enveloppes du synthé ?
D’abord, notons que les oscillos se comportent bizarrement quand on les coupe (boutons On/Off), pusiqu’ils continuent à produire du son pendant une petite dizaine de notes après coupure. Étrange… Ensuite, on va d’abord essayer d’identifier ce qu’apporte précisément Punch. Pour cela, l’enveloppe VCA sera réglée au minimum (mais Sustain à fond). Dans l’exemple suivant, on entendra quelques notes sans Punch, puis avec :
Ensuite, le Sustain est ramené à zéro, et on reprend le même principe, mais en accordant aux différentes hauteurs l’oscillo (2', 4', 8', 16' et 32') :
Premier constat, l’enveloppe d’origine n’est pas parmi les plus rapides… Deuxième constat, le rapport hauteur de l’attaque ainsi rajoutée et note jouée n’est pas très clair, la première semblant se balader dans les octaves assez bizarrement quand on change en temps réel la hauteur de pieds. La production de crêtes est elle aussi décorrélée de la vélocité, cela devient évident dans les notes graves. Cela devient encore plus bizarre quand on coupe les oscillos et que l’on met le Sub à fond, puisque le son de Punch reste actif mais à une hauteur différente de celle produite si l’on joue un oscillo à cette même octave. Et pour finir, le Ring fonctionne même si les oscillos sont coupés (et le Punch se comporte alors de façon aléatoire). Un petit coup d’œil dans un éditeur ne donne pas réellement d’infos, sauf à lire une forme d’onde bien différente de celle d’origine (voir capture d’écran avec Punch, en haut, et sans, en bas, aux différents pieds des oscillos).
L’utilisation d’un compresseur caché semble peu probable vu le type de réglages qu’il impliquerait en fonction de l’audio proposé et la latence induite. Alors, oscillo/enveloppe supplémentaires invisibles ? Échantillons de sons percussifs mixés au signal d’origine ? Je ne peux rien affirmer, mais le procédé me semble pour le moins étrange : pourquoi ne pas proposer dès le départ des enveloppes rapides (de nombreux éditeurs le font), avec maîtrise du musicien sur leur programmation au lieu d’un phénomène inexpliqué donnant l’impression de rajouter des harmoniques aigus au son sans autre possibilité d’action que de passer de On à Off… Me restait en mémoire, point de vue déception, le souvenir d’un Paz (analyseur de signal de l’éditeur) dont la fréquence analysée/reconnue n’était plus la même selon la fréquence d’échantillonnage utilisée, mais là, on atteint quand même une certaine limite dans la façon de procéder, en tout cas pour moi quasiment rédhibitoire…
Bilan
D’abord les points positifs de l’instrument : ergonomie bien conçue, tout est sous les yeux et la main, pas de multipage, on accède directement et simplement aux réglages souhaités. Même chose pour l’automation ou l’assignation des contrôleurs Midi, effectuées d’un simple clic droit. Les oscillos disposent de suffisamment de fonctions pour dépasser leur configuration de base, et la fonction Sine Mod est très intéressante, tout comme le Shape des enveloppes, original et réussi. Filtres, EQ et arpégiateur (même s’il manque une fonction Tie) sont eux aussi, sinon décapants, en tout cas efficaces.
Mais le manque de personnalité du son, la matrice sous-dimensionnée, les effets pas à la hauteur (un seul réglage pour les Chorus, Reverb, la disto et le Crusher n’ont pas grand intérêt), les lacunes de l’arpégiateur (pas de fonction Tie, par exemple), le comportement parfois étrange de la section oscillos/Sub/etc., le filtre sans grand caractère ont tendance à passer au-dessus des qualités, à plus forte raison si l’on y ajoute le bidouillage incompréhensible de la fonction Punch.
À bientôt 200 dollars le logiciel, il y a bien d’autres synthés dans cette gamme de prix au son et aux performances bien supérieurs, sans compter la dimension « innovation » ici quasi inexistante. On peut télécharger une démo (même si la procédure est un peu longue) afin de se faire une idée. Bref, autant Waves a montré une expertise incontestable dans le domaine des effets, depuis ses débuts jusqu’à son virage vers l’émulation de racks et modules de traitements vintage, autant son premier pas dans le domaine de la synthèse me semble peu concluant.