Faisant partie des nouveaux produits lancés par Native à l’occasion de la sortie de la Komplete 7, Prism est un synthétiseur polyphonique. À modélisation. Voyons ce qui se cache sous cette appellation.
S’il est une pratique que Native compte visiblement voir s’installer, c’est celle qui voudrait que presque tous les musiciens, compositeurs, producteurs et intervenants dans le domaine du son et de la musique disposent d’un des “lecteurs” gratuits dérivés de ses instruments et logiciels payants. En effet, l’éditeur se concentre sur la production de contenu (à base d’échantillons ou purement logiciel) à intégrer dans Guitar Rig Player, Reaktor Player, Kore 2 Player ou Kontakt Player. Le meilleur moyen de fidéliser une clientèle, en l’habituant à travailler au sein d’un environnement qui lui sera vite indispensable.
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Ainsi, après moult produits pour Kontakt, dont le récent Vintage Organs (test ici), sont arrivés les produits pour Guitar Rig (Reflektor, test ici et Rammfire). Reaktor de son côté a régulièrement été doté d’extensions, comme les Electronic Instruments 1 & 2. Mais c’est la première fois que plusieurs produits peuvent être utilisés avec l’hôte gratuit Reaktor 5 Player, indépendamment de Reaktor 5 (ces produits sont bien entendu aussi utilisables avec ce dernier). On voit donc arriver Spark (non, pas celui de TC/i3, l’autre…), et celui qui nous intéresse aujourd’hui, Prism. Notons qu’à l’origine et au développement de ces deux synthés, se trouve le concepteur de Reaktor et fondateur de Native, Stephan Schmitt.
En route pour un voyage à travers Prism.
Introducing Prism
Utilisant un principe de modélisation physique, Prism ne disposera évidemment pas de la topologie habituelle des synthés (si tant est qu’il en existe une…). Pas d’oscillateurs ici, ni d’échantillons, mais une chaîne de composants bien particulière. On ne va pas paraphraser le manuel, qui est d’ailleurs disponible en téléchargement chez l’éditeur indépendamment de l’achat du synthé, mais un petit éclairage semble nécessaire.
Un Exciter crée le signal (continu ou par impulsion, ou un mélange des deux). Ce signal est dirigé vers ce que Native appelle une Modal Bank (incluse dans Reaktor depuis l’update 5.5.1), un ensemble de filtres passe-bande résonants, chargés de restituer les variations d’un objet physique, chaque variation disposant de sa fréquence, de son amplitude et de son enveloppe. Ces “variations”, ce contenu harmonique, sont appelés Partials, comme en synthèse additive (certains principes de Prism en sont assez proches). Plusieurs possibilités de modulation via LFO et enveloppes sont offertes, pour 26 destinations possibles. On y rajoute un délai polyphonique, des étages de saturation, un mixeur Voice Processing, cinq effets en série (Cabinet, filtre 8 pôles H/LP, Flanger, Echo et réverbe) et deux boucles de feedback (une par voix, l’autre en sortie de la chaîne d’effets). Possibilités de synchronisation au tempo et contrôleurs Macro complètent le tableau.
Voyons comment tout cela fonctionne.
I’m so Exciter
Commençons par le commencement. L’éditeur, dans sa grande bonté (heureusement…), a bien voulu programmer un peu plus d’une centaine de sons de base, les premiers exemples pour ce test partiront du premier, intitulé sobrement… Default. Avant de commencer, notons au centre du synthé un écran Value, qui affiche les valeurs du paramètre en cours de réglage. Plus pratique à mon avis que l’éternel pop-up en surimpression, qui parfois a tendance à décrocher, ou à se révéler peu lisible.
L’Exciter permet donc d’envoyer un son impulsionnel (rotatif Impulse) et/ou du bruit (Noise). Ce qui donne ceci (impulse, noise puis les deux) :
C’est le son de base, qu’il va falloir enrichir, filtrer, doter de modulations pour obtenir toute sorte de sonorités. On commence directement dans l’Exciter, qui est pourvu de deux filtres résonants (Low Cut et Hi Cut). Le filtre Hi Cut répond à la vélocité (rotatif Vel), et les deux sont dotés d’un suivi de clavier (Track).
Paramètres fondamentaux au centre de l’Exciter, FB détermine le niveau de signal réinjecté (réglage bipolaire) et Ext y additionne celui en provenance de la chaîne d’effets (actif si FB est différent de 0). Time et F Max permettent d’ajuster le signal à impulsion (pourcentage et durée de la forme d’onde rectangulaire) obtenu par conversion du Feedback.
On entend ici le son d’une Impulse avec un très léger ajout de Cabinet et du filtre 8 pôles, puis l’effet du Feedback de l’Exciter, et enfin l’ajout de Ext. Le Feedback passe d’une polarité à une autre. Les niveaux de sortie pouvant être très élevés sans prévenir, j’ai placé un limiteur en fin de chaîne audio, même si un Soft Clipper est intégré au niveau de la sortie de Prism. On n’est jamais assez prudent (attention, d’ailleurs, les niveaux de feedback sont assez violents…).
On l’entend, la simple forme d’onde du départ peut s’enrichir sérieusement rien qu’à ce stade.
Modulation of light
Élément tout aussi fondamental pour l’Exciter, son enveloppe. C’est là en effet que sera réglée la durée de l’Impulse (et celle du bruit, voir aussi plus bas), grâce à une enveloppe à cinq segments, attaque (A), chute 1 (D1), chute 2 (D2, le point de rupture étant paramétré via B), tenue (S) et relâchement ®. Cette Envelope répond elle-même à plusieurs sources de modulation bipolaire, la vélocité sur le niveau (Vel-Level, avec une plage dynamique de 43 dB…) ou sur l’attaque (Vel-Attack), le suivi de clavier sur le volume (Level Scale) et sur la durée (Time Scale). Un autre paramètre important est disponible via l’interface, et permet d’ajouter une destination à la vélocité, il s’agit de Vel-Target (bipolaire, 28 destinations). Vient ensuite l’enveloppe de modulation, qui propose exactement les mêmes réglages que la première.
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Cette deuxième enveloppe sera assignée à différentes destinations, grâce à la section Env Amounts. Cette section permet de contrôler l’évolution temporelle du bruit (Noise), de la hauteur (Pitch bipolaire), de la fréquence du filtre Hi Cut (Exc Cut, bipolaire), du Lo Cut de la Modal Bank (MDL Cut, bipolaire), de la somme du mixeur de sortie (Sum) et d’une destination à choisir dans un menu déroulant (Amount, bipolaire). À noter, concernant cette section, une certaine confusion dans le manuel qui inverse des fonctions, voire ne reprend pas la terminologie de l’interface du logiciel…
Autre source de modulation, le LFO, disposant de réglages de vitesse (Rate, en Hz), de suivi du clavier (Track), de pente d’entrée en action (Fade In), du choix du point de démarrage de la forme d’onde (Phase, bipolaire) en conjonction avec Sync, et de la symétrie de la forme d’onde (à base de triangle seulement). Ce LFO pourra être assigné à deux destinations, avec un taux d’action (Amount) par source.
Modal Bank, bien plus…
On en arrive au cœur du synthé, la fameuse Modal Bank. Il faudra régler ou consulter d’abord la section Global Control, qui permet de définir le nombre de voix, le nombre total de Partials (avec allocation dynamique) et le nombre maximum de Partials par voix (jusqu’à 200), l’accord global, le suivi global de clavier, le désaccord pour l’unisson et un désaccord aléatoire. Bien évidemment, plus on augmente le nombre de Partials, plus la consommation CPU augmente.
Le contenu en harmoniques du son peut être modifié de plusieurs manières. Première chose, l’éditeur a inclus à cette étape aussi, un Cutoff qui par défaut coupe déjà des fréquences. L’exemple suivant reprend notre son Default de départ additionné d’un peu de bruit et de Feedback, puis une fois le Cutoff complètement ouvert (inactif) :
Ce Cutoff réagit à la vélocité (Vel), peut adopter diverses pentes (Slope, on peut obtenir un filtre du 12e ordre, c’est-à-dire une coupure de 72dB/oct…) et pour aller au plus rapide, Native a inclus un rotatif Fund, qui réduit progressivement toutes les harmoniques pour ne laisser que la fondamentale.
On peut aussi augmenter l’écart entre les harmoniques, ce qui conduit progressivement à des timbres plus métalliques voire complètement atonaux, grâce aux paramètres Bend et Multi de la sous-section Ratios de la Modal Bank. Le premier ajoute un écart proportionnel, le second fait intervenir une sinusoïde qui modifie ces proportions. On dispose ensuite d’un filtre (HP) qui limite le niveau de Bend sur les Partials les plus élevés.
Sur le même son de base que tout à l’heure, l’action de ces deux paramètres (le Cutoff est inactif) avec le HP sur sa position par défaut, puis réglé sur 1 (attention au brusque changement de niveau à la moitié du fichier…) :
On continue avec la sous-section Decays qui contrôle les temps de chute des Partials, grâce aux paramètres Time et Hi Amp (pour les Partials aigus). Deux réglages de suivi de clavier et de temps de relâchement complètent la gestion temporelle des Partials.
…qu’une banque de filtres
Le son continue via un Comb Filter (filtre en peigne) avec réglages du contenu en Partials des deux composantes A et B, du décalage du départ de l’effet (Shift), de la balance entre A et B et de l’inversion de phase (boutons A et B, les Partials deviennent orange dans le visualiseur, qui est très confortable, d’ailleurs). On trouve ensuite un Ring Modulator (RM), mixant son action avec le son résultant de la balance A/B, et on termine par 2ND H, qui modifie le taux de la seconde harmonique (et les harmoniques paires suivantes), dans le circuit de saturation.
Les paramètres ne manquent pas, et si la synthèse peut sembler peu familière au début, la clarté de l’interface et l’organisation des réglages permettent de trouver rapidement le son que l’on cherche. Voire celui qu’on n’attendait pas.
On finit cette partie de synthèse pure par la section Voice Processing, incluant deux sous-sections, la première comportant un Delay polyphonique et un filtre all-pass, avec suivi de clavier. La conjugaison des deux effets permet d’obtenir un délai dépendant des fréquences, ce qui est du meilleur effet sur des sons solos, par exemple (on peut ainsi choisir d’avoir plus d’écho dans les aigus, ou inversement).
Dernière sous-section, Mixer offre plusieurs possibilités de mixage entre le signal somme (Sum, ce qui part directement dans la chaîne d’effets), celui de l’Exciter, du Delay, de la Modal Bank et de l’étage de saturation.
FX et sons
Derniers éléments, les effets. Chacun dispose de son propre paramètre Mix, et la chaîne n’est pas modifiable. On retrouve là l’expérience de Native en la matière, avec un simulateur d’ampli/baffle, un Flanger, un Echo (avec possibilité de synchro au tempo de l’hôte et une Reverb aux réglages succincts (Size, Lo et Hi Cut). Tous ces effets font exactement ce qu’on attend d’eux, ni plus ni moins. On est loin bien sûr de plugs dédiés, mais dans ce contexte d’utilisation, ils s’en sortent très bien. Tellement bien, qu’on s’aperçoit d’ailleurs que certains sons fournis tiennent plus leur originalité et leurs qualités d’une programmation intelligente des effets que de la synthèse à proprement parler…
Un des effets mérite qu’on s’y attarde, c’est le 8-Pole Filter. Son appellation est trompeuse, au sens où il intègre en fait quatre filtres 4 pôles (24 dB/oct.) : sur chaque canal (L/R), Native a intégré un filtre HP et un filtre LP. On déplace la fréquence de coupure grâce à Center, on peut décaler droite et gauche avec LR Offset, effectuer la balance entre LP et HP (Balance), accentuer l’écart ou au contraire faire se chevaucher les filtres (Gap, bipolaire) et on dispose pour finir d’une résonance. Tout l’intérêt de ce filtre vient de ce qu’il peut être complètement automatisé à l’intérieur de Prism via les deux Master Control, en complément de toutes les modifications déjà effectuées au sein de la partie purement synthèse. N’oublions pas non plus que le signal sortant de la chaîne peut être réinjecté dans le circuit de synthèse grâce au Feedback.
Encore une fois, il est fondamental dans la programmation de Prism d’user de toutes les possibilités de modulations qui sont nombreuses et subtiles, ce qui permet de créer de fines variations dans le son, gage de vie, d’intérêt, de finesse sinon de réalité (ce qui n’est pas forcément le but systématiquement). Sans oublier la réaction à la vélocité, fondamentale pour l’expressivité du synthé.
Bilan
Avant de conclure, voici quelques exemples de sonorités typiques de Prism. Dans l’ordre, on entendra des sons des familles suivantes : Bass, Bells, Keys & Mallets, Leads, Pads, Plucked et Soundscapes.
- 05-latelybass00:16
- 06-chimelion00:32
- 07-polynesian00:31
- 08-morphicresonance00:37
- 09-ethnicflute00:15
- 10-pads01:21
- 11-chinesezither00:31
- 12-soundscapes01:27
Le synthé excelle bien entendu dans tous les sons de type cloche, percussions, métal, bois, cordes, etc. J’avoue avoir ainsi un faible pour toutes les percussions tonales, et plutôt celles à base de “bois” ou autre “matériau” peu résonant, sans brillance excessive. On retrouve cependant beaucoup de couleurs sonores propres à la FM, et certains sons pourraient être réalisés très simplement sur mon SY99, sans forcément utiliser les échantillons d’attaque, voire sur un FM7/FM8. Je n’inclus pas le DX7, car comme je l’ai déjà mentionné, les effets rentrent parfois dans une part significative du sound design.
Presque paradoxalement, Prism est aussi très bon dans les sons irréels, dans les ambiances, car il apporte une touche étrange de réalité là où l’on n’attendrait que de l’abstrait pur et dur. Certes sa synthèse demande une habitude, le geste créatif n’est pas le même que sur un analogique ou un VA, il s’agit plus d’un synthé “cérébral” que d’un synthé “intuitif”. Même si l’expérimentation n’est pas interdite, au contraire. Face à la concurrence, Prism se place au centre de ce qui se fait : il n’est pas comparable à un Tassman, ce qui est logique, ne revendiquant pas du tout de jouer dans la même cour. En revanche, face à un Structure, dont l’interface est assez absconse, pas intuitive pour un sou (l’avantage étant qu’il est inclus avec Logic…), Prism se révèle plus simple, voire plus rond.
Il y a quand même un gros moins : il est quasi impossible d’utiliser le synthé live, ou d’automatiser les changements de programme dans un séquenceur, car le passage rapide d’un son à l’autre génère tout un tas d’artefacts sonores, des échos qui continuent sans hauteur déterminée, à des sweeps incongrus en passant par des bruits de toute sorte. Dommage… Reste que ce type de synthèse a encore une signature sonore très particulière : si l’on veut des nappes riches, des cuivres qui claquent, des basses percutantes, il vaut mieux chercher ailleurs. En revanche, si l’on est à la recherche de sonorités percussives, brillantes, métalliques voire froides, et d’un outil incitant à penser la synthèse différemment, Prism sera tout à fait à sa place. Son prix est aussi un atout (69 €), et le fait de disposer maintenant d’un lecteur gratuit Reaktor Player est évidemment un plus.