Lorsqu’une entreprise parmi les plus réputées pour ses émulations logicielles de synthétiseurs mythiques décide de proposer sa propre interprétation du Yamaha CS80, la curiosité est forcément piquée. Découvrons ce qui distingue la version de XILS-lab de la concurrence.

Si l’on vous dit « entreprise française basée à Grenoble, connue pour ses modélisations de haut vol de synthétiseurs légendaires », vous pensez à… XILS-lab. Non ?
Relativement discrète, mais reconnue pour l’excellence de ses modélisations, la société de Xavier Oudin a sorti, depuis 2009, une belle collection de synthétiseurs, de vocodeurs et d’effets. Citons, entre autres, la fantastique interprétation logicielle du PolyKobol II, le PolyKB III, ainsi que la reproduction du Roland RS-505, le XILS 505. Autre synthétiseur qui mérite d’être mentionné, l’Oxium. Celui-ci possède une architecture propriétaire conçue pour unifier des sonorités analogiques et modernes.
Alors qu’il y a quelques mois, XILS-lab présentait Les Diffuseurs — un pack de deux plugins d’effets simulant le fonctionnement et le son des haut-parleurs utilisés pour la sonorisation des Ondes Martenot — c’est à un monstre sacré de la synthèse analogique que l’éditeur s’attaque en ce début d’année : le Yamaha CS80.
Cette proposition est d’autant plus surprenante qu’à l’instar du Minimoog et du Prophet-5, les émulations logicielles du CS80 sont aujourd’hui nombreuses. Nous reviendrons sur les différents concurrents plus loin.
Le Yamaha CS-80 : histoire et caractéristiques d’un synthé mythique
Avant de nous plonger dans The Eighty, jetons un œil à son illustre inspirateur, le Yamaha CS80, qui est souvent considéré comme le summum des synthétiseurs analogiques vintage.
L’histoire du CS80 commence avec le Yamaha GX-1. Sorti en 1975, cet instrument colossal appartient à une époque où les premiers synthétiseurs polyphoniques faisaient leur apparition. Véritable monstre de près de 400 kg (!), le GX-1 offrait une polyphonie de 18 voix réparties entre trois claviers et un pédalier. Conçu à grands frais (on parle de plus de 23 millions de dollars en développement), il visait avant tout à démontrer le savoir-faire de Yamaha et se vendait 60 000 dollars à l’époque (ndrl, je vous laisse faire la conversion).
Sur ces bases technologiques, Yamaha a rapidement développé une gamme d’instruments plus accessibles, du moins en termes de taille et de prix (tout est relatif !). Les CS50, CS60 et CS80, ce dernier étant le modèle phare de la série.
L’un des aspects révolutionnaires du CS80 réside dans son approche entièrement intégrée de la polyphonie. Contrairement aux premiers modèles polyphoniques, souvent construits autour d’une structure modulaire comme les Oberheim à modules SEM, la série CS permet un contrôle global du timbre, évitant ainsi de devoir ajuster chaque voix séparément. Autre innovation majeure, le CS80 est l’un des premiers synthétiseurs à proposer des mémoires. D’un côté, une série de boutons colorés permet d’accéder à des sons préprogrammés (Strings, Brass, E Piano…), et, de l’autre, quatre mémoires utilisateur offrent la possibilité d’enregistrer ses propres réglages. La programmation de ces mémoires se fait via de petits curseurs dissimulés sous une trappe, reproduisant fidèlement les paramètres du panneau principal. On peut les rappeler rapidement via des boutons figurant à côté des mémoires fixes.
En plus de tout cela, le CS80 offre une sensibilité à la vélocité et un aftertouch polyphonique, qui, associés à un contrôleur à ruban, lui confèrent une expressivité hors du commun. Encore aujourd’hui, il demeure l’un des synthétiseurs les plus expressifs jamais commercialisés. À cela s’ajoute une richesse de timbres envoûtante. L’écoute des BO de Chariots of Fire et Blade Runner de Vangelis suffit à s’en convaincre.
Malheureusement, le CS80 est sorti la même année que le Sequential Circuits Prophet-5. Ce dernier repose sur un microprocesseur pour la gestion de la polyphonie et des mémoires, rendant son utilisation plus pratique. Cet avantage, ajouté à une taille plus compacte et un prix bien inférieur, a joué en sa faveur.
Interface graphique de The Eighty : ergonomie, presets et premiers pas
L’élégante interface graphique reprend globalement l’apparence et la disposition des commandes du CS80. Dans le cadre d’une modélisation de synthétiseur vintage, cette approche fait sens, car l’utilisateur recherche souvent autant la fidélité sonore qu’un certain workflow. Plusieurs tailles d’affichage sont disponibles, mais leur changement impose de redémarrer le plugin. Si l’ensemble est agréable à utiliser, l’interface demeure assez encombrante. Il aurait été judicieux d’intégrer une option permettant de masquer certaines sections pour optimiser l’espace à l’écran.
Tout en haut de l’interface, une barre d’outils donne accès à divers réglages généraux ainsi qu’aux presets, organisés à l’aide de trois menus déroulants. Ces derniers permettent de filtrer les sons selon des critères comme la banque, le type de son ou l’auteur du preset. Le navigateur de presets fait le job. Il est doté d’un système de tags et de favoris, mais pas d’une fonction de recherche.
Le CS80 est réputé pour l’expressivité de ses sons au caractère cuivré. Avec The Eighty, on retrouve aisément ces caractéristiques*. Très à l’aise dans les sonorités de cuivres et de cordes, il excelle également dans les basses et les leads expressifs, avec une identité bien marquée, très éloignée, par exemple, du caractère d’un Moog ou d’un Oberheim. Grâce à son modulateur en anneau particulièrement complet, il brille aussi dans la création d’effets spéciaux, de cloches et de sons métalliques divers.
Un contrôle MIDI complet est bien sûr proposé. À noter que les paramètres de vitesse des LFO, qu’ils soient synchronisés au tempo ou en mode libre, restent les mêmes. C’est une particularité relativement rare dans les plugins, pourtant très pratique, car elle évite de devoir assigner deux contrôleurs au même paramètre. Quant à l’aftertouch polyphonique du CS80, il est fidèlement reproduit, offrant une jolie réponse progressive. Malheureusement, pas de MPE.
Pas d’historique ni de fonction d’annulation non plus. Comme cela peut varier selon les DAW, il peut être utile de vérifier si celui utilisé prend en charge l’historique des plugins.
Tout au long du test, The Eighty s’est montré stable, avec une consommation de ressources dans la moyenne pour ce type de plugin. Par contre, l’ouverture du plugin semble un peu longue. Pour la petite histoire, un petit bug graphique était présent dans la version VST3, mais il a été corrigé dès le lendemain de mon signalement. Il faut saluer la réactivité et l’efficacité de XILS-Lab.
Plus globalement, après avoir parcouru divers forums et discussions, il ressort que le support client est très apprécié. De plus, les plugins sortis précédemment ne sont pas mis de côté et continuent de bénéficier d’améliorations régulières.
Structure sonore de The Eighty: trois lignes de synthèse pour un son riche
Ensuite, on trouve un filtre passe-haut suivi d’un passe-bas, tous deux avec une pente de 12 dB/oct. Chacun possède sa propre résonance, ce qui n’est pas si courant. Bien qu’ils ne partent pas en auto-oscillation, les résonances n’écrasent pas le signal. La couleur qu’ils apportent est particulièrement agréable, et la combinaison des deux s’avère très efficace pour sculpter le son.
Ces filtres peuvent être désactivés individuellement pour économiser le CPU. Ils sont contrôlés par une enveloppe assez particulière, comprenant un niveau initial, un niveau d’attaque, un temps d’attaque, un decay et un release. Vient ensuite un VCA avec cette fois une classique enveloppe ADSR. Ces enveloppes sont très rapides, permettant d’obtenir des sons très claquants, au point qu’il peut parfois être nécessaire d’adoucir l’attaque.
Chaque ligne de synthèse offre ses propres réglages de vélocité (appelé ici Initial) et de pression polyphonique (After) pour les filtres et le VCA. En plus, The Eighty permet également d’ajuster le panoramique, ainsi que de désactiver ou de muter la ligne. La troisième ligne est un bonus bienvenu. Même sur les présets classiques, il suffit de copier l’une des deux lignes sur la troisième, de régler une hauteur différente et d’ajuster légèrement quelques paramètres pour apporter encore davantage de corps et d’assise à un son.
Un LFO général est également présent, nommé « Sub Oscillateur ». Ça pourrait prêter à confusion pour les habitués de la synthèse soustractive, mais ces appellations inhabituelles font partie du charme des vieux synthétiseurs japonais, qui cherchaient à se démarquer de leurs concurrents américains (ndlr : voir les premiers Korg). Ce LFO propose les formes d’onde sine, triangle, dent de scie descendante, rampe, carré et noise. Il peut moduler les VCO, VCF et VCA et être synchronisé au tempo.
C’est aussi dans cette section que l’on règle la hauteur de chaque VCO, soit selon les paliers par défaut du CS80 (16’, 8’, 5⅓ ", 4’, 2⅓ ", 2’), soit de manière plus fine via un clic droit. Un contrôle général des filtres est également disponible (brillance, résonance).
Le Chorus/Vibrato, est bien sûr présent, avec ses réglages de vitesse et de profondeur, et semble fidèle à l’original en offrant une jolie couleur très soyeuse. L’interface graphique reprend le « ribbon controller », qui fait ici office de simple pitch bend.
Très complète, la synthèse de The Eighty est une véritable petite merveille. Elle permet de nombreuses choses tout en restant simple, une fois la philosophie de l’instrument assimilée.
Fonctionnalités de The Eighty : modulation, arpéggiateur et effets
Caché à gauche, sous le schéma de synthèse sérigraphié, à l’endroit où, sur le CS80, une trappe donne accès aux mini-curseurs de configuration des presets, se trouve un mixer 2D. Pour mixer les trois lignes, cette solution s’avère bien plus pratique que les trois curseurs restants dans la section de contrôle. On peut également l’animer à l’aide de deux algorithmes (Circle et Random), avec des réglages d’intensité et de vitesse.
Les autres ajouts sont dissimulés sous les grilles d’aération, en haut de l’interface graphique. Tout d’abord, on y trouve les réglages généraux, comme le nombre de voix (jusqu’à 16), le mode de fonctionnement des voix (circulaire ou reset), les modes mono (Low, Last, High), le legato et un unison allant jusqu’à six voix…
Vient ensuite une matrice de modulation à douze cordons, dont trois ont une source fixe (mod wheel, aftertouch, velocity), un ajout bienvenu pour insuffler encore plus de vie à un synthé qui n’en manque pourtant pas. Inutile de lister toutes les sources et destinations, mais les possibilités sont nombreuses. Par exemple, il est possible de moduler les paramètres d’effets avec du bruit ou les oscillateurs. Gros délire et nuits blanches de sound design garanties ! ;)
Le CS80 est un synthé qui prend toute sa dimension avec des effets, en particulier avec une jolie réverbération, comme une Lexicon 224 par exemple. À tel point que certains musiciens ayant eu la chance de jouer dessus et s’attendant à retrouver la même ampleur que celle de disques mixés et gorgés d’effets se sont retrouvés frustrés. XILS-Lab, comme d’autres, l’a bien compris et a inclus une petite collection d’effets que l’on peut positionner dans l’ordre souhaité : un délai stéréo, un phaser, une réverbe à trois modes (Small, Medium, Large), un égaliseur auquel la dernière version ajoute le Resonator du PolyM (la modélisation du Polymoog).
Malgré un nombre de paramètres restreints, tous ces effets sont d’excellente qualité et permettent d’obtenir rapidement le son recherché. Ils s’ajoutent au Chorus/Tremolo déjà présent.
The Eighty face aux autres émulations du CS-80
Jetons un petit coup d’œil aux concurrents de The Eighty.
Tout d’abord, le CS-80V d’Arturia. Il se présente, comme d’habitude avec cette marque, sous une interface graphique soignée et élégante. La gestion des présets repose sur le navigateur maison, à la fois intuitif et efficace, avec une collection bien conçue et parfaitement exploitable. L’émulation est de qualité, mais semble toutefois en retrait par rapport à The Eighty. On y retrouve une belle palette d’effets, ainsi que quelques ajouts axés sur les modulations.
Le Model 77 de Softube se présente sous une interface rappelant davantage le CS50 — voire le CS60 — que le CS80. Les noms des paramètres ont été standardisés (LFO remplaçant sub oscillator, par exemple), et les deux lignes de synthèse sont séparées en deux vues distinctes. Si cela allège l’interface, cette approche se révèle finalement peu pratique lors la de programmation, l’utilisateur devant constamment naviguer entre les pages. Fidèle à sa philosophie, Softube a opté pour une approche minimaliste en évitant d’alourdir l’instrument de fonctionnalités supplémentaires. Conscient toutefois qu’une réverbération est essentielle pour qu’un CS80 s’exprime pleinement, cet effet a été intégré, bien que limité à un unique curseur d’intensité. Côté son, alors que Softube avait impressionné avec le Model 80, sa modélisation du Prophet-5, le Model 77 laisse une impression plus mitigée. Le rendu semble relativement flatteur dans les médiums, mais en dehors de cette zone, le son manque d’ampleur, avec des aigus parfois agressifs.
Le Cherry Audio GX-80 présente bien avec une interface relativement bien pensée, bien qu’un peu confuse. Le navigateur de présets est efficace et propose une belle collection de sons. L’une des particularités est la présence d’une modélisation du filtre du GX-1, d’où son nom. Le GX-80 va encore plus loin que The Eighty en proposant quatre lignes de synthèse réparties sur deux couches. Quelques effets, de qualité moyenne, complètent l’ensemble. Sur le plan sonore, le GX-80 s’éloigne du CS80. Le rendu est principalement axé sur les médiums, avec un son droit et agressif. En revanche, cette prédominance des médiums permet de facilement le placer dans un mix.
Enfin, mentionnons le Memorymoon ME80, disponible uniquement sur Windows, qui n’a pas pu être testé ici. Sous une interface graphique un peu datée, sa fidélité à l’instrument d’origine est souvent saluée par les possesseurs de CS80.
Caractéristiques techniques
-
Plugin disponible aux formats VST 2.4, VST3, AU et AAX
-
Compatible Mac (Universal Binary) et Windows
-
Autorisation via iLok
-
Interface graphique redimensionnable
-
Plus de 500 presets inclus
-
3 lignes de synthèse indépendantes
-
VCO avec 4 formes d’ondes (Pulse, Triangle, Saw, Sine)
-
Filtres passe-haut et passe-bas avec résonance
-
Modulation en anneau, LFO global et enveloppes rapides
-
Matrice de modulation 12 points
-
Arpégiateur avancé et séquenceurs de modulation
-
Effets intégrés : delay, phaser, réverbe, EQ, resonator
-
Aftertouch polyphonique
-
Pas de compatibilité MPE
-
Pas de version standalone
-
Consommation CPU moyenne, temps d’ouverture un peu long
FAQ
Quelle est la principale inspiration derrière The Eighty ?
The Eighty s’inspire du Yamaha CS-80, un synthétiseur polyphonique iconique des années 70, rendu célèbre notamment par Vangelis.
The Eighty est-il fidèle au son du CS-80 ?
Oui, l’émulation est très réussie, avec un grain cuivré et expressif qui rappelle fidèlement le CS-80, tout en apportant des fonctionnalités modernes.
Qu’apporte la troisième ligne de synthèse ?
Elle permet d’enrichir facilement les sons en ajoutant de la profondeur, du corps ou des variations harmoniques.
The Eighty est-il compatible MPE ?
Non, il propose l’aftertouch polyphonique mais ne prend pas en charge le MPE, ce qui peut limiter certaines utilisations très expressives.
Existe-t-il une version standalone de The Eighty ?
Non, le plugin ne peut être utilisé que dans un hôte compatible (DAW), ce qui peut être un frein pour ceux qui préfèrent le standalone.
Quels sont les effets intégrés ?
Délai stéréo, phaser, réverbe, EQ, résonateur et le chorus/trémolo fidèle à l’original.