Au menu du jour et pour réchauffer un peu nos esgourdes engourdies par le froid, je vous propose un plat du jour léger, mais nourrissant : un duo de têtes SWR (dont un amplificateur de puissance et un ampli-préampli), accompagné de sa sauce “Class D” et de son émulsion semi-paramétrique.
Moi, si on me proposait ça au restaurant, j’en saliverais sur le champ ! Et à l’heure où la gastronomie gallo-moderne fait son entrée au patrimoine mondial de l’UNESCO, il me prend l’envie soudaine de vous parler Fooding. Mais quel est le rapport entre trois kilos de pommes de terre nouvelles et un système d’amplification de 800 watts ? Primo le poids et secundo : les deux tiennent sans problème dans le compartiment à légumes d’un petit frigo. À nous de déguster cette version SWR de l’ampli dit “Class D”, de plus en plus proposé sur le marché par les concurrents de la marque et aujourd’hui adopté par cette dernière.
Tout ce qui est petit est mignon…
Et en plus ça tient dans la poche de ma housse de basse. Car tout l’intérêt de l’ampli à découpage et de pouvoir miniaturiser considérablement les dimensions et le poids d’un système puissant. Imaginez-vous, balader vos 400 watts sur un vélo en chemin vers le studio d’enregistrement. Et si cela n’est pas suffisant à inspirer votre intérêt, représentez-vous la même chose avec 800 watts ! Avec en prime, un préampli à lampe, un égaliseur semi-paramétrique, un compresseur et un Enhancer ; c’est tout l’univers de la marque qui a été miniaturisé dans un boîtier aux dimensions bien pratiques :
Pour la Headlite : 4,6 × 21,6 × 24,8 cm pour 1,7 kg, et pour l’Amplite : 4,6 × 21,6 × 24,8 cm pour 1,36 kg. Du délire ! Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, je ne vous priverai pas de l’historique de cette compagnie et de ce qui distingue la Class D des autres types d’amplificateurs du marché. Point assez technique, mais au combien important.
Garage Brand
Le début des années 80 voit la tendance musicale se rapprocher d’un son plus propre, moins brut et donc plus sophistiqué qu’il ne l’était durant la décennie précédente. La New Wave déboule sur les ondes avec ses synthés et ses épaulettes, Michael Jackson est proclamé Dieu de la Pop et la soul music abandonne le disco pour embrasser la Funk. Un ingénieur de chez Accoustic Control Corporation, la marque qui équipait à leur époque Larry Graham, Jaco Pastorius et John Paul Jones (pour ne citer que les plus mauvais !) décide de changer la donne dans le milieu de l’amplification pour guitare basse, car la demande se fait ressentir chez les requins de studio qui cherchent une plus grande clarté et neutralité.
Steeve W.Rabe, commence donc sa petite révolution dans un garage où il teste avec quelques collaborateurs de nombreuses combinaisons de préamplis, d’égalisateurs et d’amplis de puissance, pour aboutir à un résultat qui puisse convenir aux bassistes pros de Los Angeles. Une poignée de ces derniers testant les prototypes directement en session.
Cette conception longue et laborieuse aboutit en 1984 au premier modèle de tête d’ampli de la jeune compagnie qu’il a créé et qui porte ses initiales. Cette tête baptisée PB-200 (pour devenir plus tard la célèbre SM-400), propose déjà tout ce qui fera le succès de cette compagnie : un préampli à lampe, un ampli stéréo, un égaliseur semi-paramétrique, une sortie DI (une première sur un ampli de basse), un Aural Enhancer et un compresseur.
Après le succès des têtes en studio, SWR s’applique à produire des enceintes pour s’attaquer au marché de l’amplification scénique. En 1986, sort la première enceinte Golliath qui reprend l’association de quatre enceinte de dix pouces (introduite par Trace Elliot quelque temps avant) pour y ajouter un tweeter. Le succès est immédiat sur le marché de l’amplification professionnelle.
En 1997, Steeve W Rabe revend sa société pour fonder Raven Labs. Les nouveaux propriétaires céderont la compagnie à FMIC (Fender Musical Instrument Corporation) en 2003. Aujourd’hui la production des amplis de la marque en trois lettres est principalement basée entre Corona et Ensenada en Californie, là où sont fabriqués les produits Fender sur ce continent.
Class D, késako ?
Attention, l’heure est à la théorie. Comme je suis un chic rédacteur (à défaut d’être un chic type), je place les lignes qui vont suivre dans un petit paragraphe à part. Pour que ceux qui maîtrisent déjà le sujet, comme ceux que ce dernier endort, puissent passer directement au test.
Qu’appelle-t-on un ampli class D ? Quelles sont ses spécificités ? Et de manière générale, comment fonctionnent nos amplis de puissance ?
La fonction de base d’un amplificateur est d’augmenter un signal de capture de faible intensité. Il peut s’agir d’une source directe telle qu’un microphone, un instrument de musique ou un signal corrigé par un préamplificateur intermédiaire (qui traite le signal source au travers un égalisateur, des filtres, etc.).
Vous remarquerez que nos amplis sont souvent présentés par classes (A, B, AB, D). Ces classes ne correspondent pas aux composants actifs de nos amplis (lampes, transistors bipolaires ou MOS), mais définissent le ratio de signal d’entrée traité par ses derniers :
Class A : Utilise la totalité du signal d’entrée (100%), on parle alors d’un angle de conduction de 360°.
Class B : Utilise la moitié du signal (50 %), donc un angle de conduction de 180°.
Class AB : Utilise plus de la moitié du signal, entre 50% et 100%, donc entre 180° et 360°.
On qualifie ces amplis de linéaires, puisqu’ils reprennent une partie ou l’ensemble du signal pour le traiter. Leur fonctionnement repose sur des composants actifs de type transistor ou lampe et en fonction de leur classe, le montage et la polarisation (mise sous-tension) de ces composants s’opéreront de manière différente.
Class A : l’étage de sortie (juste avant la sortie HP) ne comporte qu’un seul élément actif (un transistor ou une lampe) qui reste toujours en conduction. Il amplifie l’ensemble du signal d’entrée, il est donc le plus fidèle (plus linéaire) en limitant les distorsions sur le signal de sortie. On est cependant limité en puissance, car ce type d’amplificateur présente un rendement (Relation entre l’énergie fournie et celle qui est consommée lors du processus) faible et donc une consommation importante, car constante. Généralement ces amplis ne dépassent pas les 20 watts et sont plus utilisés en guitare qu’en basse. Ils imposent aussi une utilisation à forte amplitude, afin d’accéder à leur rendement maximum.
Class B : Les composants actifs de ces amplis en font deux fois moins. Un système de class B n’amplifie que la moitié du signal et va donc pousser la distorsion harmonique. Pour cette raison, on emploie le principe “Push-Pull” qui consiste à monter sur l’étage de sortie deux composants actifs (par exemple deux transistors). Ils vont se répartir la tâche en amplifiant, l’un la partie négative du signal et l’autre la positive. Ainsi la totalité du signal est amplifiée et on garde un très bon rendement sans pâtir d’un taux de distorsion élevé. Ces amplis ouvrent la voie vers des puissances élevées, mais présente un défaut : entre l’amplification de la partie positive et négative du signal (le signal oscillant généralement entre valeurs positives et négatives) se trouve une zone non linéaire appelée communément “distorsion de Cross-Over”, qui devient audible pour des signaux de faible amplitude. C’est pourquoi on a créé une nouvelle classe d’amplificateurs, la classe AB.
Class AB : Les amplis de cette classe établissent une synthèse entre les deux précédentes. Tant que l’on reste sur une faible puissance (jusqu’à 20 watts), la polarisation reste de type A.
Et dès que l’on passe au-dessus, l’amplificateur à recours au système B et son étage de sortie passe par les deux pôles. Ce système est le plus commun sur nos deux corps et combos, encore de nos jours. Le principal avantage de ce dernier est d’éviter la distorsion de cross-over et de rester linéaire en dessous de 25 watts, le second est d’offrir la puissance de la classe B.
Apparaissent ensuite les nouvelles classes d’amplificateur (qui concernent ce test et de plus en plus de matos) : les amplificateurs “à découpage” (Class D, Class E et Class F). Ils ne se déclinent pas de la même manière puisque par nature, ils ont un angle de conduction nul (ils n’amplifient pas directement le signal d’origine). On les organise donc en fonction des technologies qu’ils emploient. Pour ce qui nous concerne, le plus familier reste la classe D.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Class D n’a rien à voir avec “Digital”. On l’appelle juste D parce qu’elle suit la C (dont je ne parlerai pas, car cela concerne surtout les émetteurs radio).
Le principe d’un tel ampli est de hacher littéralement le signal d’entrée : d’abord le signal est modulé (on parle de modulation de largeur d’impulsion). D’une courbe, il passe à un signal rectangulaire à deux états, qui présente une amplitude et une fréquence constante, mais une largeur d’impulsion variable (dont la moyenne varie en fonction de l’amplitude du signal d’entrée).
(Cliquez sur l’image pour voir l’animation – Auteur : Yves Laurent)
Comme leur amplitude est constante, les composants amplificateurs peuvent agir en commutation (comme des interrupteurs). Ils sont alors soit bloqués, soit saturés pour émettre le signal amplifié avec un rendement imbattable. Puis on filtre le signal de sortie avec un filtre passe-bas qui permet de condamner par tranche, les harmoniques superflues générées par la modulation. On retrouve donc un signal de sortie proche de celui d’entrée, mais amplifié. C’est la qualité de ce filtre qui assure la linéarité du signal de sortie.
Mais pourquoi convertir un si beau signal d’entrée, qui n’avait rien demandé à personne ? Je l’ai déjà dit, pour le rendement. Mais les avantages touchent aussi à la commodité : il y a très peu de perte énergétique et donc peu de dégagement de chaleur durant le processus, à cela s’ajoute le fait qu’un système de Class D est bien moins gourmand en énergie (du fait que ses composants se commutent). On peut donc utiliser des composants d’évacuation (dissipateurs) et des alimentations plus petites.
On y gagne sur le format et dans le cas où l’alimentation est elle aussi à découpage, on finit avec un système carrément léger. Je tiens à rappeler que ce qui pèse un âne mort dans un système lourd, c’est surtout le transformateur de l’alimentation. Mais j’arrête là, aller plus loin c’est vous perdre tout à fait et je ne voudrais surtout pas écrire des choses qui dépasseraient le champ, en jachère, de mes connaissances !
Passons au test.
Du monde au balcon !
Pour ceux qui aiment prendre le contrôle sur le grain, il y a de quoi faire malgré les dimensions que je qualifierai de ridicules.
Commençons par la façade avec sur la Headlite :
- Entrée Jack
- Gain d’entrée
- Boutons Actif/passif et Mute
- Aural Enhancer
- Égaliseur semi-paramétrique (4 bandes et 4 sélecteurs de fréquence étagés)
- Compresseur et Niveau de la boucle d’effet (Potard double)
- Volume général
- Témoins : actif /passif, mise sous tension, compression et saturation du préampli (témoin bicolore), Aural Enhancer, saturation de l’ampli (surcharge et risque de panne)
Sur l’Amplite :
- Entrée Jack
- Contrôle du Master
- 4 témoins de gain (-20dB, –10dB, 0dB, +3dB)
La façade est très soignée question design, elle a le mérite de présenter des contrôles complets. La Headlite, malgré son gabarit pygmée, a toutes les corrections d’un gros système de la marque, sauf le superflu : saturation, limiter et Octaver sont absents de ce modèle. J’aime la simplicité et je devrai être comblé, mais un truc me tracasse dès le premier coup d’œil : Il n’y a aucun repère sur le châssis. Aucune échelle graduée autour des potards, ni même une petite pointe de peinture. Rien de rien.
En voyant ça je me suis dit qu’il ne serait pas bien évident de régler son égaliseur dans des conditions normales et c’est en utilisant le matériel en studio que je me suis rendu compte de la réelle difficulté de cet exercice, devant user d’un briquet et courbant l’échine pour arriver à mes fins.
D’ailleurs, le modèle qui m’a été laissé pour cet essai porte les stigmates de son dernier emploi (un certain Michel Alibo en aurait usé…) : quelqu’un a gravé ses propres repères dessus. Ce qui est une fin en soi, si l’on veut utiliser la Headlite sur scène où la lumière peut manquer.
Donc hop, un mauvais point : il est élémentaire de mettre des repères visuels sur un contrôle, surtout quand on propose autant de réglages dans un si petit espace. Sinon, j’aime beaucoup l’ambiance que dégagent toutes ces leds, dont la plupart sont bleues, ça change un peu du vert et du rouge et ça donne envie d’aller nager avec des dauphins.
À l’arrière :
Sur la Headlite :
- Une sortie HP speakon (vraiment pas assez de place pour une seconde…)
- Une prise pour le footswitch
- Une sortie Pre Out
- Une sortie DI en Jack et XLR
- Une boucle d’effet
- Une sortie Direct en plus (Jack)
- Contrôles : Mise en marche et DI (Niveau de sortie, Pre/post, Ground/Lift)
Sur l’Amplite :
- Deux sorties HP Speakon
- Un pass through
- Une entrée combo Neutrik (Jack et XLR)
Les panneaux arrière n’ont donc rien à envier à la façade et les connectiques sont tout à fait exhaustives. On peut regretter l’unique sortie HP sur la tête Headlite, mais comme je ne dispose que d’une enceinte, je ne m’en plaindrai pas aujourd’hui.
L’Amplite quant à lui, dispose d’une entrée en façade et d’une seconde à l’arrière, ce qui laisse le choix à l’utilisateur (l’emploi de l’une condamnant l’autre). Le passthrough, très pratique, permet de mettre plusieurs amplis en parallèle (pour doubler, tripler voire quadrupler la sauce !) en renvoyant le signal entrant vers un autre système. Comme j’ai quatre murs, un plafond, avec des voisins derrière, dessus et dessous, je me limiterai à 200 watts…
En piste !
Donc pour cet essai, j’ai branché l’ampli-préampli (Headlite) en DI sur l’Amplite, le tout connecté à mon enceinte Epifani (2X10 pouces Néodymium sous 8 ohms). La basse utilisée est une Music Man Stingray 4 cordes et j’ai repris l’ensemble avec un système Zoom H2 (sauf pour la prise directe). Notez bien qu’une Headlite suffit à développer 400 watts sous 4 ohms. Il est aussi possible de raccorder la Headlite à une enceinte de 4 Ohms et de renvoyer son signal sur un Amplite qui amplifiera deux enceintes de 8 ohms ou une seule de 4 Ohms. On obtient alors un stack de 800 watts RMS.
L’égaliseur est extrêmement précis et demande un peu de travail pour sculpter le son désiré. Je n’utilise jamais le paramétrique sur les bandes graves et aiguës par manque de savoir-faire. Les prises que je vous propose emploient donc le filtre paramétrique uniquement sur la bande médium.
Comme je viens de l’indiquer, j’ai mis quelque temps à trouver mes repères et mes amis musiciens ont dû prendre leur mal en patience avant de m’entendre jouer. Je me répète, mais l’absence de signalétique sur la façade fait perdre du temps, un facteur précieux quand on se trouve au milieu d’un set.
Le footswitch optionnel n’aidant pas puisqu’il permet juste de muter le son et couper la boucle d’effet. Par contre, une fois qu’on a fait l’effort de passer un peu de temps à tâtonner, on se rend vite compte des possibilités qui s’offrent à nous. C’est extrêmement polyvalent malgré le côté un peu précieux du rendu. Vous l’aurez compris, la Headlite n’est pas faite pour jouer du Punk Rock ou pour dégueuler un son crade. Pour tout le reste (et j’entends bien tout), c’est un système performant.
- 1 EQ a plat00:20
- 2 Grave 15h, Med 0, Aigus 9h00:20
- 3 Grave 14h, Medium 15h, Aigus 0, Freq medium 9h00:20
- 4 Grave 15h, Med 15h, Aigus 9h00:20
- 5 Grave 14h, Medium 14h, Aigus 0, Freq medium 9h00:20
- 9 Slap A Grave 14h, Med 9h, Aigus 14h01:02
L’Aural Enhancer permet de pousser un bouquet de fréquences en incrémentant un seul contrôle. Son action est modulable grâce au Shift qui d’une pression, permet de passer d’une correction à l’ancienne (le circuit qui équipe traditionnellement la marque) à une version plus contemporaine, développée en collaboration avec Marcus Miller.
Plus on pousse le potard, plus le timbre gagne en transparence. D’autres sections de la plage de fréquence s’en trouvent soulignées : les bas médiums, les aigus dans leurs extrêmes ; tandis que certaines sont atténuées progressivement.
C’est un modulateur subtil, à manipuler avec précaution, car il vient s’ajouter à l’égalisation semi-paramétrique. Mon réglage préféré se trouve aux tiers de la course du potard, dans la version moderne.
Deux exemples, l’un à 200 et l’autre à 600. La première ligne sur chaque exemple est prise en mode bypass.
À comparer avec la ligne slappée du dessus, en voici une autre employant l’Aural Enhancer pour une même égalisation.
La puissance est bien là, même sous huit Ohms qui n’exploitent que la moitié des ressources de ce tout petit ampli. La Headlite voit aussi son usage en studio (en tant que préampli branché directement sur une table) tout à fait adéquat, par son faible encombrement et les subtilités proposées en matière de corrections.
Dans le sens inverse, l’Amplite permettra d’amplifier un préampli sans s’encombrer de deux unités et du poids qui en résulte.
Marcus m’a voler
Juste avant le salon de la musique de Paris, j’ai dû rendre le matériel, pour qu’un certain Marcus Miller puisse l’utiliser en démonstration. Je suis assez ému d’avoir pu utiliser ce matos entre Michel et Marcus (oui, entre utilisateurs du même ampli, on s’appelle par nos prénoms), c’est un peu comme rentrer dans l’intimité de deux demi-dieux…
Je sais, je me l’a joue un peu pour pas grand-chose, mais que voulez-vous, cette conclusion m’appartient et je la veux à la fois brillante et positive. SWR propose un système de Class D accessible, considérant ses qualités. L’utiliser demandera un peu de temps d’adaptation pour maîtriser ses capacités et passer outre l’absence de repères visuels, mais je parie un pouce que ce défaut sera corrigé dès les prochaines versions. À tester pour s’amuser ou pour craquer.