Après avoir exploré les modes en long, en large et en travers durant les 27 derniers articles, je vous propose à partir d'aujourd'hui de nous intéresser de plus près aux concepts de polytonalité et de polymodalité.
La polytonalité et l’atonalité
La polytonalité consiste en la superposition de plusieurs tonalités au sein d’un même passage ou morceau musical. Elle est apparue durant le 19e siècle et s’est développée durant le 20e avec des compositeurs tels que Stravinsky, Britten, Milhaud. Cette évolution dans l’harmonie classique visait avant tout à rendre encore davantage justice à la richesse d’invention mélodique des compositeurs, et Darius Milhaud disait d’elle dans les années 20 qu’elle exacerbait les capacités expressives de ces derniers en rendant les pianissimo plus subtils et les fortissimo plus affirmés.
Pour bien comprendre la nature de la polytonalité, il convient pour commencer de préciser immédiatement une différence très importante, celle qui existe entre la polytonalité et l’atonalité. Cette dernière, sur laquelle nous reviendrons de manière plus détaillée dans un prochain article, se caractérise entre autres par l’utilisation de l’ensemble des 12 sons du système chromatique, dont elle est d’ailleurs l’évolution. À l’intérieur d’un système atonal, tous les sons possèdent la même fonction. Il ne s’agit nullement de cela dans le cas de la polytonalité : toutes les tonalités empilées conservent chacune en leur sein leurs propres rapports fonctionnels.
À ce propos, il me semble également important de revenir ici brièvement sur le concept de tonalité. Nous avons pu observer qu’une tonalité était non seulement définie par les altérations qu’elle contient, mais également par les relations fonctionnelles des différents degrés qui la composent. Parmi ces relations, l’exemple le plus évident est la cadence parfaite, soit le mouvement du cinquième vers le premier degré. Enfin, une autre pierre angulaire de la notion de tonalité est la triade, qui permet entre autres de définir la nature majeure ou mineure de la tonalité employée.
Nous retrouverons toutes ces différentes composantes de la tonalité dans l’étude de la polytonalité, et nous découvrirons également les éléments qui en sont les constituants spécifiques. Nous étudierons ainsi notamment la bitonalité – agrégation de deux tonalités distinctes, la forme la plus répandue de polytonalité – tout comme les polyaccords, sortes de méta-structures harmoniques composées de plusieurs accords superposés.
La polymodalité
La principale différence entre polytonalité et polymodalité réside dans le fait que si nous avons plusieurs centres tonaux dans le cadre de la polytonalité, la polymodalité repose essentiellement sur un même centre tonal autour duquel on va faire varier les différents modes basés sur ce centre tonal. Il pourra être intéressant ici de revoir les notions de modes et gammes parallèles (cf dans l’article 16 le paragraphe sur la substitution tonale).
Si tout cela vous semble obscur pour l’instant, pas de panique, tout vous sera expliqué en détail dans les prochains articles !