Depuis les derniers articles, nous quittons la planète « harmonie » pour nous aventurer dans un espace de production sonore plus étendu. Et aujourd’hui nous allons entrer dans l’atmosphère de la planète des instruments qui n’existent pas.
La semaine dernière, je vous présentai la musique bruitiste, apparue en réaction à la musique pratiquée au XIXe siècle qui n’était plus apte à transcender les sons du monde moderne. Le style auquel nous allons nous intéresser aujourd’hui découle directement de ce mouvement : il s’agit de la musique concrète, appelée aussi parfois musique acousmatique.
Les origines
La musique concrète est née principalement des expériences de Pierre Schaeffer, connu entre autres pour avoir fondé le GRM (Groupe de Recherche Musicale) en 1958. Pierre Henry fera également partie de l’aventure avant de creuser son propre sillon.
Tout comme le bruitisme, la musique concrète n’est plus basée sur la mise en harmonie de sons tempérés, mais sur la transcendance du bruit et sa « mise en espace sonore ». La musique « conventionnelle » est basée sur des hauteurs de son prédéfinies et sur des rapports de durée organisés en rythmes, le tout concrétisé par un ensemble de timbres relativement limité. Le bruitisme et la musique concrète tendent à se libérer de toutes ces contraintes pour envisager l’utilisation du son lui-même dans toutes les caractéristiques de ce dernier.
C’est à partir d’une contrainte technique que Schaeffer en viendra à développer sa nouvelle approche de la musique. En écoutant un disque rayé, il prendra conscience que le son produit par ce dernier possède sa propre existence, située en dehors du contexte musical auquel il était lié initialement, à savoir la « simple » reproduction de la musique gravée sur le disque non-rayé. Afin de désigner sa démarche, Schaeffer choisit le terme de « musique concrète » pour deux raisons .
La première raisons tient au mode de production de la musique concrète. Selon la conception conventionnelle de la musique, celle-ci naît d’abord de manière abstraite dans la tête d’un compositeur, avant d’être exécutée concrètement par des musiciens en étant éventuellement passée par l’intermédiaire d’une édition papier. Dans le cas de la musique concrète, c’est le phénomène inverse qui se produit : on part d’un ou plusieurs sons que l’on organise entre eux et qui sont ensuite diffusés de manière « artificielle » en usant des technologies contemporaines, notamment via la radio et la reproduction d’enregistrements. Pierre Schaefer sera même le père du phonogène, un appareil que l’on peut considérer comme étant l’ancêtre de l’échantillonneur.
La musique acousmatique
C’est cette dernière caractéristique qui incitera François Bayle, l’un des compositeurs phare de ce styles, à baptiser cette nouvelle approche musicale « musique acousmatique ».
Le terme acousmatique définit un son que l’on entend sans en connaître la cause et se rapporte à l’enseignement de Pythagore qui durant cinq ans imposait à ses disciples de l’écouter sans le voir pour ne pas être distraits. La musique acousmatique serait donc une musique qui s’écouterait sans se voir. Plus exactement il s’agit d’une musique dont les sources sonores ne sont plus forcément aussi clairement définies que par le passé. Il est à noter que cette dénomination est principalement utilisée en France. Dans le reste du monde, on continue à parler de musique concrète. De par leur principe même de production, les musiques bruitistes sont l’un des principaux piliers des recherches musicales actuelles, notamment en termes de musiques électroniques, mais également dans tout le domaine de la « musique improvisée ».
J’ai bien conscience que nous nous écartons du sujet de l’harmonie. Mais c’est pour nous y replonger avec d’autant plus d’intensité dès la semaine prochaine où nous allons – enfin – aborder l’étude de cas concrets dans ce qui représentera la dernière ligne droite de ce dossier.