Dans le dernier article, je vous ai présenté les clusters et agrégats qui indiquent déjà une sortie du système harmonique conventionnel. Aujourd'hui, nous allons encore plus loin et je vous propose de découvrir des univers musicaux qui se passent totalement de la notion d’harmonie. Nous allons en effet évoquer aujourd’hui le bruitisme.
Les matériaux compositionnels
Qu’il s’agisse du système tonal, du système modal, des gammes synthétiques ou encore des expériences dodécaphoniques ou encore « Messiaenesques », toutes les théories harmoniques que je vous ai décrites tout au long de ce dossier se rapportent à l’organisation des sons normés que sont les notes musicales. On parle ici de sons périodiques, pour la définition desquels je vous renvoie à l’article 3 de notre dossier sur la synthèse sonore.
Schoenberg ou Messiaen entre autres, s’ils ont cherché à étendre les possibilités du cadre harmonique traditionnel, n’ont en revanche pas envisagé l’utilisation d’un autre matériau de base que les notes pour la composition musicale. Mais d’autres compositeurs du vingtième siècle ont voulu étendre le champ de leur créativité en retirant aux notes leur statut unique et en étendant la plage des outils de composition aux sons dits non-périodiques, c’est-à-dire au bruit (cf article 5 du dossier « Synthèse sonore »).
Aux origines du bruitisme
On peut rapporter l’origine de ce que l’on nommera plus tard le bruitisme au constat suivant. Toute la musique classique, les règles théoriques qui s’y appliquent et les moyens de sa concrétisation (instruments, voix humaine, etc) correspondaient à la traduction sonore d’un univers centré autour de l’humain, de ses mouvements émotionnels et de ses interactions avec un environnement principalement agricole ou en tous cas pré-industriel.
Or avec l’industrialisation est apparue toute une gamme de nouveaux sons qui n’avaient pas de traduction dans le domaine musical existant à l’époque. Il a fallu donc étendre ce dernier. La révolution industrielle s’est donc révélée comme un catalyseur de la capacité de l’oreille humaine à accepter des sons de plus en plus complexes.
Cette nécessité d’adapter la musique aux nouvelles conditions de vie des humains afin d’être en mesure de les traduire rejoint un mouvement artistique plus général: le futurisme, né en Italie au début du XXe siècle. Ce n’est donc pas un hasard si c’est un artiste futuriste, Luigi Russolo, qui sera à l’origine du manifeste L’Art des Bruits en mars 1913, véritable acte de naissance du mouvement bruitiste, et dont on peut trouver une transcription ici.
Et pour allier la pratique à la théorie, Russolo ira jusqu’à concevoir de nouveaux instruments spécialement adaptés à la reproduction des sons industriels, les intonarumori.
De nouveaux instruments
Les intonarumori (littéralement : les générateurs de bruit) étaient des appareils de forme généralement cubique et disposant d’un pavillon permettant la diffusion du son comme sur les phonographes. Le son en lui-même était généré par un mécanisme agissant à l’intérieur de la caisse sur un ensemble de corde, percussion et trompe, mécanisme activé grâce à une manivelle. Le son ainsi produit pouvait être modulé en hauteur et en intensité. Il créera également plus tard un « Russolophone » qui réunira en un seul instrument les caractéristiques des différents intonarumori.
Si tous les intonarumori d’origine (Russolo en avait fabriqué de 27 sortes différentes) ont été détruits durant la seconde guerre mondiale, on peut en trouver des reproductions tout à fait opérationnelles, comme ici :