Voici maintenant six semaines que je vous présente l'harmonisation de ce magnifique standard de jazz qu'est Summertime de George Gershwin, et j'ai l'immense joie de vous annoncer que nous allons aujourd'hui quasiment toucher au but final !
Je dis « quasiment » car si nous terminerons effectivement cette semaine l’harmonisation à proprement parler du morceau, nous n’en aurons pas encore totalement fini car comme je le répète depuis plusieurs articles, il nous faudra encore affiner tout cela par de judicieuses manipulations des accords quant à leurs renversements et à leur ouverture. Mais trêve d’introduction, débutons aujourd’hui par une exploration plus approfondie d’un phénomène que nous avions relevé la semaine dernière.
Les gammes mineures dans toute leur variété
Dans l’article précédent, j’avais souligné l’évolution de l’accompagnement harmonique du morceau, allant de la gamme mineure harmonique à la gamme mineure mélodique. Toutefois, l’on n’aura pas manqué de remarquer que la mélodie dudit morceau, quant à elle, ne cesse jamais d’employer les notes de la gamme mineure… naturelle ! À aucun moment en effet la mélodie de Summertime n’emploie le Sol#, sensible des gammes de La mineur harmonique et mélodique (et accessoirement bien sûr de la gamme de La majeur mais ce n’est pas le sujet ici). Summertime s’avère donc proposer une subtile utilisation de tous les différents types de gammes mineures : naturelle pour la mélodie, et harmonique et mélodique pour l’harmonisation. Cela étant posé, poursuivons notre étude de cette dernière.
Et à ce stade, il peut être pertinent de se rappeler que comme tout bon standard de jazz qui se respecte, Summertime est censé répéter sa structure autant de fois que les musiciens qui l’interprètent le jugeront nécessaire.
Éternel retour
Nous allons donc dans un premier temps réutiliser la levée mélodique de la mesure 1 et encadrer tout le morceau des mesures 2 à 17 entre deux symboles de reprise, comme ceci :
Nous nous retrouvons donc – entre la fin de la structure et la reprise du début de celle-ci, soit entre la mesure 16 et le retour sur la mesure 2 – avec une plage assez longue qu’il va s’agir de redynamiser harmoniquement parlant. Nous allons à nouveau employer ici une cadence parfaite, en remplaçant tout d’abord le La mineur de la mesure 17 par un accord de Mi dominante 7 :
Éternel II-V-I
Mais comme nous l’avons vu de multiples fois dans ce dossier, l’effet d’une cadence parfaite peut toujours être accentué par l’ajout du deuxième degré de la tonalité afin de créer une progression de type II-V-I. Nous allons donc faire précéder le Mi dominante 7 de la mesure 17 par un accord de Si mineur 7, ce qui reste dans la logique d’emploi de la gamme de La mineur mélodique que nous avons évoqué précédemment:
Ici, le Real Book va d’ailleurs encore plus loin en proposant l’ajout dans la mesure 16 de l’accord de Ré 7 avant celui de Si mineur 7 de la mesure 17. Ré et Si, respectivement le quatrième et le deuxième degrés de la gamme de La mineur, peuvent se substituer mutuellement et remplissent tous les deux un rôle de sous-dominante (cf article 14). On peut donc considérer que Ré 7 permet ici d’apporter une variation harmonique bienvenue tout en annonçant le II-V-I qui suit :
Éternel IV-V-I
Enfin, l’accord de Ré dominante 7 peut être employé également dans un rôle pleinement assumé de sous-dominante dans la mesure 15 pour former une demi-cadence avec le Mi dominante 7 de la même mesure :
Nous en terminons ici avec l’harmonisation pure et dure de Summertime telle qu’elle est proposée par le Real Book. Dans les prochains articles non seulement nous tenterons de rendre tout cela musicalement encore plus cohérent, mais nous reviendrons également sur un certain nombre de notions étudiées dans ce dossier et que nous n’avons pas encore mises en exergue ou en application dans ce morceau !