Nous poursuivons cette semaine l'étude de l'harmonisation de Summertime de George Gershwin dans le but de comprendre comment a été obtenue celle qui figure dans le Real Book. Et ce faisant, nous allons faire face à ce qui peut sembler une incongruité !
Mais auparavant, deux choses. Tout d’abord, je me permets de rappeler que tous les accords que nous présentons ici sont pour l’instant sous la forme fondamentale fermée (cf article 32) pour des raisons de clarté et que nous procéderons très bientôt à leur ré-écriture afin de les rendre plus respectueux d’une bonne conduite des voix et plus agréables à l’oreille par la même occasion.
Et ensuite, débarrassons-nous juste rapidement d’un élément d’harmonisation aussi simple à comprendre qu’à réaliser et que nous avons laissé traîner sans raison véritable. Comme nous l’avons vu dans l’article 91, le morceau s’articule en deux grands ensembles au niveau des mesures 9 et 10. On assiste sur les trois premières mesures (10 à 12) de la seconde partie à une reprise quasi à l’identique de la mélodie du premier segment. En conséquence, on peut harmoniser la mesure 11 de la même manière que la mesure 3, c’est-à-dire avec l’accord Si b dominante 7, substitut de l’accord de Mi dominante 7, avec le résultat suivant :
L’incongruité
Parvenu à ce stade de notre travail, je me vois obligé de modifier légèrement notre approche qui consistait jusqu’ici à nous demander quel accord pourrait résoudre une problématique donnée. Ici, je vais devoir « divulgâcher » un brin ce que nous propose le Real Book en révélant que dans la mesure 13 c’est un bel accord de Ré dominante 7 qui a été choisi, là où nous nous étions contenté jusque-là de faire durer l’accord de La mineur de la mesure 12.
Cet accord peut apparaître un peu compliqué à justifier par la théorie dans un premier temps. Mais il est intéressant car il crée une véritable évolution dans l’harmonisation du morceau. Comme tout accord de dominante il créé une tension qui réclame une résolution. Dans le cas présent, on pourrait éventuellement moduler sur une tonalité de Sol (majeur ou mineur), Ré en étant la dominante. Cela serait d’autant plus plausible que l’accord de La mineur de la mesure 12 pourrait très bien être interprété comme le degré II du II-V-I suivant : La mineur – Sol dominante 7 – Sol majeur ou mineur. L’accord de La mineur serait alors considéré comme un accord-pivot (cf article 19), à la fois degré I de la tonalité du morceau et degré II d’une éventuelle tonalité de modulation.
Ci-dessous, un exemple de ce que donnerait la progression ainsi créée :
Mais comme nous pouvons l’observer, non seulement un Fa# serait mélodiquement plus pertinent que le Mi actuel de la mesure 13 pour conduire vers le Sol de la mesure 14 dans le cas d’une véritable modulation, mais de plus ce n’est pas un accord de Sol mais bien un accord de Do que nous avons au niveau de la mesure 14. Ces deux éléments nous signalent bien qu’il n’y a pas de modulation vers une tonalité de Sol.
Mais alors, quel est donc le véritable rôle du Ré 7 ? Je vous invite pour mieux comprendre sa fonction à vous référer à l’article 4 du présent dossier, et plus exactement à l’harmonisation par accords de septième de la gamme mineure mélodique. Vous y constaterez que dans cette gamme, deux accords emploient la structure d’un accord de dominante : les accords du 4e et du 5e degrés. Et quel est le 4e degré de notre tonalité de La mineur ? Tout simplement Ré. L’accord de Ré « dominante » 7 de la mesure 13 est donc ici simplement l’accord du 4e degré de la gamme mineure mélodique de La. On constatera par la même occasion que nous sommes passés entre la mesure 6 et la mesure 13 du morceau d’une utilisation de la gamme de La mineur harmonique (avec un Fa bécarre) à l’utilisation de la gamme de La mineur mélodique (avec un Fa#).
Si je vous ai trop fait chauffer le cerveau, vous avez une semaine entière pour le laisser rafraîchir avant que nous attaquions la suite de notre travail !