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L'Orgue à tuyaux et l'Organiste

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Sujet de la discussion L'Orgue à tuyaux et l'Organiste


1958087.jpg
ci-dessus: l'orgue de Dole (Jura)



Venez à la découverte de cet instrument secret et si particulier... un instrument très différent des autres, tant par son histoire et sa littérature, que par le rapport inhabituel qu'entretient son musicien avec lui, et puis sa situation si singulière, au cœur d'un bâtiment (c'est vrai surtout en France) très... connoté.

C'est ici le topic réservé à tous ceux qui veulent découvrir cet instrument.

Je vais tenter de vous ouvrir à lui. Vous dévoiler ses mille secrets. Faire voler en éclats les a-priori et les préjugés qui lui collent aux tuyaux : non, l'orgue n'est pas qu'un pousseur d'alléluias! Oui, on joue autre chose que des messes dessus! Et oui, c'est l'instrument le plus difficile au monde...
On n'est pas ici entre élitistes de l'instrument, entre vieux barbons.
Ce lieu est ouvert à tous.
Puissé-je vous intéresser au monde fabuleux qui se cache derrière ces austères rangées de hauts tuyaux (cela, qu'on appelle véritablement "les orgues" au féminin pluriel) et ce monumental buffet en bois massif, qui trône au-dessus de l'entrée, en hauteur, dominant la nef comme la passerelle de commandement domine le pont du navire...

Tè, bé, venez avec moi! Empruntez à ma suite le petit escalier dérobé au fond de l'église, en colimaçon, et montons à la tribune, cette petite place réservée au commandant de bord... Pour ouvrir le débat de manière surprenante et ma foi, plutôt agréable, je laisse la place à une commandante: miss Carol Williams, dans un morceau classique très, très connu: le Vol du Bourdon de Rimski-Korsakov.
L'occasion, peut-être, pour certains d'entre vous, de voir pour la première fois un organiste en action à sa tribune. L'occasion, probablement, d'en prendre également plein la gueule: admirez le jeu de jambes de madame et songez à la diabolique précision de ses pieds... nous reparlerons de tout ça, juste après.

(PS) Je sais: sa petite oeillade assassine à 00:08 a fait trembler tous les matous du forum. http://laurent.tarrisse.perso.sfr.fr/test_gif/loving.gif
Avez-vous aimé ce premier argument en faveur de mon instrument chéri ?
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Citation :
l'orgue c'est le précurseur de la synthèse additive, en fait

Tout-à-fait.
C'est ainsi que bien avant qu'on ne sache l'expliquer scientifiquement, on s'est aperçu qu'on pouvait créer des sons virtuels, en se passant du tuyau correspondant. C'est un phénomène acoustique de « résultante ».
Citation :
Par exemple, quand on tire ensemble un 16’ et une Grosse Quinte (la Grosse Quinte donne la troisième harmonique de la fondamentale du jeu de 16 pieds, une octave sous le nasard ou la quinte), les 2 tuyaux qui parlent émettent respectivement la deuxième et la troisième harmonique d’une fondamentale virtuelle de 32’. Elle n’est pas là, mais l’oreille, “habituée” à entendre ses harmoniques, va la “recréer”, en distinguant les “battements” dont la fréquence est la différence des deux sons graves réellement émis. On croit vraiment entendre le 32’. On a donc économisé un jeu de 32’, dont le tuyau le plus long fait quand même plus de 10,50 m (5,30 m si c’est un bourdon). C’est pourquoi les organistes disent souvent que la Grosse Quinte 10 2/3 est le « 32’ du pauvre ».

Exemple : le Do 1, le plus grave de la pédale est enfoncé avec :
. un 16’, jouant le Do 0, de fréquence 33 Hz
. la Grosse Quinte 10’2/3, jouant le Sol 0 naturel, de fréquence 49,5 Hz

Il se produit un “battement”, de fréquence 49,5 – 33 = 16,5 Hz, soit celle du Do –1, note que produirait le 32’ absent. Ce phénomène n’est évidemment pas parfait et ne fonctionne qu’aux notes les plus basses. Dès la deuxième octave, l’oreille entend distinctement la quinte et l’effet de basse résultante s’amenuise. En outre un son résultant soustractif est inévitablement accompagné de son miroir, le son résultant additif. Dans l’exemple ci-dessus on entendra donc, en plus de la résultante 32’, bien qu’atténuée, la tierce harmonique 6 2/5 (49,5 + 33 = 82,5 Hz).

Il va sans dire que ces jeux doivent être parfaitement accordés pour que l'effet se produise.
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D'ailleurs même maintenant, ce phénomène n'est pas entièrement élucidé : https://en.wikipedia.org/wiki/Missing_fundamental
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Ben y en a un qui s'est fabriqué le sien, et il n'est pas dans une église, il est chez lui.

http://www.orgue-de-salon.com/

[ Dernière édition du message le 23/12/2011 à 10:56:20 ]

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Ceux qui sont allés voir cette page se sont peut-être posé des questions.
Grand-Orgue, Positif, Pédale... des fois on rencontre même un clavier de Recit, un autre d'Echo... ah ça donc, il y a plusieurs orgues dans un orgue ou quoi t'est-ce ?

Ben oui.
Les premiers orgues n'avaient qu'un clavier.

Ensuite, on a rajouté un pédalier, d'abord construit en tirasse permanente : la tirasse, c'est lorsque les marches du pédalier (on appelle "marche" une note du pédalier, comme on appelle "touche" une note du clavier) sont directement reliées aux touches du clavier. Comme s'il y avait une petite ficelle qui reliait chaque marche du pédalier à la note correspondante du clavier : quand on appuie sur une marche, la touche du clavier s'abaisse mécaniquement, et le son associé se fait entendre.
On a par la suite développé des jeux graves, spécifiques au pédalier, qu'on ne retrouve pas aux claviers : on a appelé l'ensemble de ces jeux la Pédale. La Pédale, c'est l'ensemble de tous les jeux affectés au pédalier.
Note: dans l'orgue, plutôt que de parler de "clavier", on préfère utiliser le terme de "manuel" : cela distingue ainsi parfaitement le clavier du pédalier, car le pédalier est finalement un clavier. Donc, manuel=clavier pour les doigts, pédalier=clavier pour les pieds.

Puis l'orgue s'est enrichi. De nouveaux jeux sont venus se rajouter aux premiers. Très vite, il a été nécessaire de disposer d'un deuxième manuel.
D'abord parce que le nombre de jeux devenait trop important pour un seul clavier, ensuite et surtout, pour pouvoir procéder à des changements de son très rapides, juste en changeant de clavier, au lieu d'avoir à tirer une foultitude de registres.
Je schématise, mais ces nouveaux jeux, se sont "naturellement" regroupés : on a mis ensemble les jeux qui allaient plutôt faire les solistes, et on a regroupé par ailleurs ceux qui allaient plutôt faire de l'accompagnement.
Ainsi, se dégagent deux ensembles de jeux, et finalement, deux orgues : un "gros" pour l'accompagnement, un "petit" pour la parole, ce dernier possédant naturellement des jeux clairs et chantants.
Ce "petit" orgue s'est peu à peu isolé du gros. Il a formé un instrument à part entière, avec son propre clavier et ses propres jeux, et pour que sa voix saute mieux à la gueule du public, on l'a rapproché de celui-ci.
C'est ainsi que l'orgue dit positif est né, distinct de l'orgue de grand-chœur. Positif, parce que posé au sol, alors que l'orgue de grand-chœur est construit sur un soubassement. Généralement, ce positif prend place à la tribune, en avant du grand-orgue:

1932220.jpg
voici l'orgue de Saint-Maximin dans le Var avec mise en évidence du positif, en avant et plus bas, et le grand-orgue, en arrière et sur son buffet.

L'organiste prend place entre ces deux instruments.
Généralement, il est tourné vers le grand-orgue, et le positif est par conséquent dans son dos: c'est pourquoi on parle de positif de dos, ou positif dorsal.

Voici la console de Saint-Maximin (l'orgue ci-dessus):
http://www.sonusparadisi.cz/organs/Max/images/IMG_2666_small.JPG

Et voici une vue un peu plus éloignée, on voit la paroi du positif dans le dos de l'organiste:
http://www.sonusparadisi.cz/organs/Max/images/DSC03710_small.JPG

Une autre vue:
http://www.sonusparadisi.cz/organs/Max/images/IMG_8528_small.JPG

(photos: www.sonusparadisi.com, orgue de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume)

Le positif n'est pas toujours à l'extérieur et dans le dos de l'organiste.
Il peut être construit à l'intérieur du grand-orgue, bien qu'il constitue un instrument à part. C'est alors un positif intérieur.

Dans le grand-orgue prennent place d'autres instruments qui forment également des unités distinctes : ce sont les orgues de récit, d'expression (les tuyaux sont alors enfermés dans une boîte expressive dont j'ai déjà parlé, qui permet de varier le volume en jouant sur l'ouverture des volets), ou encore d'écho, ou de résonance. Chacun a généralement un clavier et un ensemble de jeux qui lui sont dédiés.

[ Dernière édition du message le 23/12/2011 à 11:03:57 ]

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Chapeau bas darinze pour cette initiative dans ce temple de la guitare et du synthé.
JMM
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Merci mathieujm et bienvenue en ce lieu. http://laurent.tarrisse.perso.sfr.fr/test_gif/ave_jap.gif

N'hésitez pas à poser toutes les questions que vou'l'voul'.
88
Citation :
Comme s'il y avait une petite ficelle qui reliait chaque marche du pédalier à la note correspondante du clavier


Oui, c'était bien une ficelle au début, reliant des planches articulées au sol à quelques notes du clavier (1ère octave), permettant de tenir les basses avec un pied, libérant ainsi la main gauche.

Citation :
Note: dans l'orgue, plutôt que de parler de "clavier", on préfère utiliser le terme de " :manuel"


C'est drôle que tu dises ça car je n'ai jamais entendu les organistes ou les facteurs d'orgue utiliser le mot manuel. Par contre, en Italie, on peut voir l'abréviation "man" dans les accouplements ou tirasses.
On utilise le mot manuel aussi pour les orgue électroniques, en vogues dans les années 60-80.

Citation :
Ce "petit" orgue s'est peu à peu isolé du gros. Il a formé un instrument à part entière, avec son propre clavier et ses propres jeux, et pour que sa voix saute mieux à la gueule du public, on l'a rapproché de celui-ci.


Inexact : le positif était un petit orgue placé au sol ou sur une table, proche de l'assemblée, parfois dans le chœur (d'ailleurs le positif existe toujours, pour accompagner un chœur ou dans un orchestre de chambre).
Durant les offices, un organiste jouait du petit orgue (positif) pour accompagner les chants et un autre organiste jouait le grand orgue, placé en tribune, pour exécuter les grandes pièces.
Sauf que toutes les paroisses n'avaient pas deux organistes sous la main.
C'était donc souvent, le même organiste qui devait courir de la tribune au chœur, d'un orgue à l'autre durant la messe.
On a donc eu l'idée de monter le petit orgue (positif) en tribune, juste derrière le banc du grand orgue. L'organiste n'avait qu'à se retourner pour jouer l'un ou l'autre orgue.
Par la suite, plusieurs orgues ont été construits en deux parties, avec un clavier devant (pour le grand orgue) et un derrière (pour le positif). Mais par commodité, on a ensuite mis les claviers d'un seul côté (celui du grand orgue) en les superposant. L'orgue positif étant toujours placé derrière, le mécanisme qui reliait les touches du clavier du positif à l'orgue positif, passait sous les pieds de l'organiste (c'est d'ailleurs le cas de l'orgue de St Maximin).
Aujourd'hui, le positif est intégré dans le buffet du grand orgue. Ce n'est plus vraiment un positif mais un récit.

Donc c'est tout le contraire : avant il y avait bien deux orgues isolés. Et le positif qui était tout prés des gens s'est d'abord juste un peu éloigné d'eux en montant en tribune et aujourd'hui il est carrément intégré dans le buffet, encore plus haut, car, le grand orgue et le petit orgue ont fusionné dans un même instrument. Mais l'utilisation et les sonorités restent bien propres à chacun.





[ Dernière édition du message le 23/12/2011 à 18:34:43 ]

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Question très terre-à-terre : pourquoi les couleurs des touches du clavier sont-elles inversées par rapport au piano ?
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Pas toujours. Les couleurs étaient inversées à l'époque baroque. Aujourd'hui les touches sont de la même couleur qu'un piano.

Les raisons ? Hypothèses : Probablement un phénomène de mode, mais aussi de coût, car le "blanc" des touches est de l'ivoire, et que ça revenait peut-être moins cher d'en mettre que sur les dièses, (car ils y a moins de touches dièses que de touches naturelles).
Les touches naturelles (correspondant aux touches blanches actuelles) n'étaient pas noires mais marron : elles étaient en bois plein . Mais le bois s'use avec le temps. D'ailleurs, les orgues baroques qui ont les touches inversées, ont un creu d'usure sur les touches. La plaque d'ivoire collée sur la touche peut se remplacer. Le bois non. Du moins, il faut refaire tout le clavier.