Deux ou trois micros, de nombreuses directivités : voilà qui fait bien des combinaisons possibles pour réaliser des enregistrements stéréo, d'où cet inventaire détaillant les techniques les plus couramment utilisées...
L’emploi de techniques de prise de son stéréo se basant sur des couples appairés peut faire toute la différence entre un enregistrement médiocre et un enregistrement remarquable. Il est vrai que nous écoutons le monde qui nous entoure en stéréo, grâce à deux oreilles semblables. La prise de son stéréo peut être employée dans des applications aussi variées que les instruments individuels, les petits ensembles ou les orchestres complets. Nous allons ici aborder quelques-unes des techniques de prise de son stéréo éprouvées utilisées à l’occasion de nombreux enregistrements professionnels. (Dans l’esprit de cet ensemble de dossiers sur les microphones, les techniques de prise de son stéréo sont un sous-ensemble de techniques multi-micro visant spécifiquement à capturer avec précision une source sonore avec une symétrie gauche-droite similaire à la perception des sources sonores qu’ont nos oreilles.)
Plusieurs facteurs doivent être examinés avant de déterminer quelle est la meilleure technique de prise de son stéréo. Bien que les résultats varient en fonction de la directivité, il est souvent nécessaire d’utiliser la distance par rapport à la source sonore pour déterminer la quantité de réflexion de la pièce/signal source direct désirée. Des restrictions quant aux distances et aux positions entrent aussi en jeu, comme la nécessité de libérer l’espace entre le public et la scène. Il est également recommandé d’envisager la compatibilité mono, particulièrement s’il est prévu que l’enregistrement soit diffusé à la radio ou à la télévision.
Les techniques de prise de son stéréo qui suivent entrent dans deux catégories principales : les techniques coïncidentes et les techniques non-coïncidentes. Avec les techniques coïncidentes, les micros sont placés extrêmement près les uns des autres, tandis qu’avec les techniques non-coïncidentes, ils sont plus espacés. Si les méthodes coïncidentes sont considérées comme étant très précises, certains trouvent cette précision excessive. Il leur est souvent reproché de générer un champ stéréo trop étroit ou confiné aux haut-parleurs lors de la lecture. (Il est parfois possible d’y remédier en éloignant légèrement les micros coïncidents afin qu’un décalage temporel soit créé entre leurs côtés.)
Les techniques non-coïncidentes sont considérées comme moins précises mais offrant toutefois un son plus ample. En effet, l’élargissement de l’espace entre les micros élargit également le placement virtuel de nos oreilles. Comme tout ce qui touche aux microphones et aux techniques qui y sont associées, ces considérations sont sujettes à l’interprétation et à l’expérimentation. En fait, il n’est pas rare de voir des ingénieurs du son employer simultanément des techniques appartenant aux deux catégories évoquées. Dans ces cas de figure, les couples coïncidents fournissent un signal primaire bien défini tandis que les couples non-coïncidents sont placés afin de capturer le son réfléchi, ce qui permet un meilleur contrôle de l’ambiance.
Technique XY
La technique X-Y de prise de son emploie un couple appairé de micros qui “s’imbriquent” autant que leurs corps le permettent. Comme illustré, placez un couple de micros à directivité cardioïde aussi proches que possible l’un de l’autre de manière à ce que leurs capsules forment un angle. Le micro de gauche capture le signal venant de la droite et vice versa. Si 90 degrés est l’angle qui est le plus utilisé, la fourchette de fonctionnement se situe environ entre 60 et 135 degrés. Plus l’angle est large et plus le champ stéréo perçu sera étendu. Généralement, la distance par rapport à la source sonore combinée avec l’envergure stéréo voulue (la largeur de la scène par exemple) permet de déterminer l’angle approprié.
L’utilisation d’une directivité cardioïde signifie que la configuration X-Y dans son ensemble rejette les signaux qui parviennent à sa partie arrière. (Vous pouvez également faire l’essai avec des micros super-cardioïdes afin qu’une meilleure isolation soit assurée entre les images acoustiques gauches et droites). Ce rejet à l’arrière présente plusieurs avantages. Cette configuration peut être éloignée de la scène afin que le champ de vision du public soit préservé. Cette réduction du désordre acoustique est également un atout lorsqu’il s’agit de convertir l’enregistrement stéréo en enregistrement mono. Si vous augmentez la distance entre la paire de micros coïncidents et la source sonore, la séparation stéréo diminue et davantage de réflexions venant de la pièce sont capturées. En général, la technique X-Y, qui utilise des cardioïdes, génère une image stéréo précise présentant des réflexions acoustiques minimales, bien que la séparation ne soit pas aussi significative qu’avec d’autres techniques de prise de son stéréo.
Technique Blumlein
La technique Blumlein, qui doit son nom au pionnier britannique en matière d’enregistrement stéréo Alan Blumlein, tire parti des micros à directivité en 8 (bidirectionnelle). Rappelez-vous que les directivités en 8 capturent aussi bien les sons des deux côtés, tout en rejetant fortement ceux leur parvenant à 90 degrés de l’axe de ces côtés.Avec la technique Blumlein, deux micros bidirectionnels (directivité en 8) sont orientés de façon à former un angle de 90 degrés, leurs côtés positifs faisant face aux côtés gauche et droit de la source sonore. Du fait du rejet latéral des sons inhérents à la directivité en 8, la zone la plus sensible d’un micro correspond à la zone de moindre sensibilité de l’autre micro.Tandis que les diagrammes se chevauchent au centre, les signaux de chacun des deux micros diminuent de 3dB et la combinaison des deux diagrammes permet la capture d’un signal central uniforme.
La configuration Blumlein génère une très bonne séparation stéréo. De plus, les deux micros à directivité en 8 étant sensibles similairement au niveau des lobes arrières, cette configuration capture également les réflexions importantes de la pièce. Cette technique présente toutefois des inconvénients. Le fait que l’arrière du micro de gauche capture également les réflexions provenant de la partie arrière droite de la pièce provoque une mauvaise compatibilité mono. En outre, des sons réverbérés provenant des côtés de l’espace acoustique peuvent pénétrer le lobe positif de l’un des micros et le lobe négatif de l’autre, ce qui donne la sensation d’une mauvaise localisation et/ou d’effets de creux qui peuvent gêner.A cet égard, il est préférable d’utiliser la technique Blumlein dans les cas de figure où la source sonore, l’espace acoustique et le placement des micros sont optimaux. Ceci étant rare, d’autres techniques stéréo offrant un meilleur contrôle lui sont souvent préférées.
Technique ORTF
Conçue par l’ancienne agence de diffusion nationale française, l’Office de Radio Télévision Française, la technique ORTF vise à imiter l’emplacement des oreilles de la tête d’un adulte. Deux capsules cardioïdes sont placées à 17cm l’une de l’autre et forment un angle de 110 degrés. La technique ORTF peut produire une image et une profondeur aussi larges que la technique Blumlein, mais l’utilisation de cardioïdes a pour effet de capturer beaucoup moins de réflexions réverbérées.
La distance spécifiée pour la technique ORTF assure la cohérence de phase des longueurs d’onde inférieures à environ 500 Hz. Les décalages temporels ou incohérences de phase au-dessus de cette fréquence contribuent généralement à donner une impression de séparation stéréo associée à la perception d’une qualité de son ouverte ou aérienne. La technique ORTF offre en outre une compatibilité monophonique suffisante. Des essais similaires, menés par l’agence homologue aux Pays-Bas, Nederlandsche Omroep Stichting, entraînèrent la création de la technique NOS, technique dans le cadre de laquelle deux cardioïdes sont placés à 30cm l’un de l’autre et forment un angle de 90 degrés.
Technique MS (Mid-Side)
La technique Mid-Side utilise un traitement spécial pour capturer des images stéréo très précises tout en assurant une excellente compatibilité mono. Un micro “mid” ou “central” en français (en général un cardioïde) est placé en face du centre de la source sonore et capture les sons principaux. Un micro à directivité en 8 (“side” ou “latéral” en français) est placé sur le même axe vertical, ses lobes en face des côtés droit et gauche, ce qui lui permet de capturer les informations des extrémités droite et gauche grâce au rejet latéral propre à la directivité en 8.
Cette configuration ne devient stéréo que lorsque les signaux ont été traités à l’aide d’une matrice d’encodage M-S. L’encodeur combine les signaux centraux et latéraux pour créer un côté du signal stéréo et retranche le signal latéral du signal du milieu pour créer l’autre côté. Le résultat est une traduction très précise du champ d’écoute stéréo. La présence d’un contrôle de balance M/S sur l’encodeur permet également à l’ingénieur du son de contrôler le rapport signal central/signal latéral, et donc l’ampleur perçue du champ stéréo.
Remarquez que la technique Mid-Side est l’unique technique de prise de son stéréo ne se basant pas explicitement sur un couple appairé de micros. Cela dit, employer des micros de haute qualité est impératif pour obtenir une intégrité acoustique globale ainsi que pour garantir l’équilibre entre les micros bidirectionnels.
Notez également que la technique Mid-Side offre une grande souplesse puisque le micro central ne doit pas nécessairement être un cardioïde. Si l’on souhaite davantage de bruit provenant du public ou de réflexions de l’arrière de la pièce, un micro omnidirectionnel peut être utilisé en tant que micro “central”. La technique Mid-Side offre également une excellente compatibilité mono puisque la recombinaison des deux signaux latéraux déphasés entraîne leur annulation pour ne laisser que le signal du milieu. Ce procédé réduit simultanément les réflexions latérales pouvant provoquer la confusion dans une conversion mono.
Technique AB (Omnis écartés)
La technique basée sur l’emploi de deux micros omnidirectionnels écartés est souvent utilisée pour l’enregistrement d’orchestres. Ces micros sont généralement positionnés entre 1m20 et 2m50 face à la source sonore. Ils sont normalement placés à la même hauteur que les interprètes, même si les élever à 3m50 du sol ou plus peut améliorer l’ambiance perçue. L’écart séparant les micros doit être équivalent à environ la moitié ou le tiers de la largeur de la scène. Si cette technique offre une profondeur et une image stéréo excellentes, le centre du champ peut avoir tendance à être moins net. Dans les cas où les bruits de fond indésirables sont trop nombreux ou lorsque les micros doivent être davantage séparés pour des raisons de logistique, essayez de placer de façon judicieuse des cardioïdes ou des super-cardioïdes quand vous utilisez cette technique.
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, les techniques de prise de son AB ne sont pas techniquement aussi précises que certaines techniques de prise de son coïncidentes. Elles sont susceptibles d’entraîner des anomalies liées aux réflexions provenant des diverses surfaces de l’environnement d’enregistrement, chose que certaines personnes ne trouvent pas dérangeante. Nombreux sont les ingénieurs du son qui considèrent que les techniques AB sont les mieux indiquées pour enregistrer des sons aussi distincts que ceux des grandes orgues ou de l’ambiance d’extérieur. Les techniques AB sont également utiles pour l’enregistrement des différents canaux qui conforment le son surround.
Technique de l’arbre Decca
Au cours des années 50, en Angleterre, les ingénieurs de la maison de disques Decca Records (aujourd’hui Thorn-EMI) conçurent une technique appelée Decca Tree ou arbre Decca en français. Cette méthode et beaucoup de ses variantes sont encore très souvent utilisées pour l’enregistrement de musiques de film.
Une structure en forme de T est composée de micros, d’habitude des omnidirectionnels, placés à chacune de ses trois extrémités. Les deux micros des deux extrémités de la barre horizontale sont distants d’environ deux mètres, tandis que le micro central est à 1,5 mètres, au pied du T. Cette structure est montée à environ 2m50–3m50 du sol de façon à ce que le micro central se trouve juste derrière la tête du chef d’orchestre. Les micros sont inclinés vers le bas selon un angle d’approximativement 30 degrés et déployés de façon à couvrir toute l’étendue de l’orchestre. Une autre paire de micros est souvent placée plus en arrière de la salle, de chaque côté de l’orchestre, afin de capturer les réflexions de la pièce.
La technique de l’arbre Decca est privilégiée pour la réalisation de films car elle offre une grande amplitude de son associée à une bonne image stéréo, qui fonctionne bien avec les procédés tels que le Dolby et le son surround. Grâce à la présence d’un micro central, cette technique offre une excellente définition au canal central, ainsi qu’une compatibilité mono parfaite. De nombreuses variantes existent, y compris celles dans lesquelles d’autres directivités sont utilisées, ce qui a pour effet d’accroître ou de réduire l’écart entre les micros et vise à ce que les micros droit et gauche soient mis en avant au niveau de sections spécifiques de l’orchestre.