Editorial du 17 mars 2018 : commentaires
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Los Teignos
A l’heure où ces lignes sont écrites, plus de 75 000 personnes ont signé une pétition pour empêcher le festival Papillon de nuit de programmer un concert de Bertrand Cantat, 75 000 gens de l’ombre expliquant que le mettre en lumière consiste à cautionner les violences faites aux femmes, 75 000 voix ayant finalement poussé le chanteur à annuler ses concerts. Du coup, je m’interroge sur les disques de Noir Désir figurant dans ma discothèque et qu’il m’arrive encore parfois d’écouter, en y trouvant, honte à moi, quelque plaisir : ne serais-je pas moi-même en train de cautionner l’abominable violence dont sont mortes Marie Trintignant et tant d’autres, comme la cautionnent nous dit-on les organisateurs du festival ? La question est si embarrassante que je demanderais bien à nos 75 000 signataires quel artiste il convient d’écouter, de programmer ou d’applaudir pour ne pas cautionner quelque mauvais acte que ce soit ? Et tant qu’on y est, quel livre lire, et quel livre brûler, pour être un vrai gentilhomme de nos jours où il semble de bon ton de mettre dans le box des accusés d’un tribunal populaire un auteur, son œuvre et tous ceux qui peuvent concourir à la liberté de l’un ou la diffusion de l’autre, parce qu’il est intolérable qu’un public puisse jouir du libre arbitre de se rendre ou non, en toute connaissance de cause, à un concert.
Sans avoir le sentiment de cautionner quoi que ce soit, je leur demanderais bien également si, à la fin, ce ne serait pas une bonne chose qu’on enferme définitivement Cantat pour le crime odieux qu’on connait, ceux qu’on suspecte et ceux qu’il ne manquera pas de commettre, ou qu’on lui tranche la langue voire la tête pour que justice soit rendue une fois pour toute, qu’on en parle plus et qu’on respire mieux entre défenseurs des droits de l’homme et de la femme. Il faudrait aussi que l’on reparle de quelques autres artistes qui sont loin d’être irréprochables et qui ne doivent l’intérêt qu’on leur porte qu’au fait que la justice les concernant n’a pas encore été rendue par le peuple anonyme et pétitionnaire, parce que, selon une idée qui semble de plus en plus partagée, la première chose qui définit l’artiste, ce n’est pas sa relation à une œuvre mais la moralité de son existence. Qu’on raye donc de l’histoire de l’art Céline l’antisémite, Lewis Carol le pédophile, Marlon Brando le sadique et William Burroughs ou Phil Spector les meurtriers. On y verra plus clair.
Après tout cela, on pourrait enfin retourner à la musique, pour jouer les notes de musiciens irréprochables jusqu’à preuve du contraire. On le fera avec les cuivres improbables de l’Analog Brass & Winds d’Output sur une interface audio Focusrite, en espérant demeurer sa vie entière loin de toute faute car nul ne nous le pardonnera.
Sur ce, bon week et à la semaine prochaine.
Los Teignos
From Ze AudioTeam
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Le GIEC chiffre à 3,3 milliards le nombre de victimes du réchauffement climatique. On en parle ?
Malikey
Et je rebondis par contre sur certains mots bien jugé de Los Teignos, retapez vous les bio de vos artistes préféré la prochaine avant d'en parler, ca va peut être calmer l'ambiance...
Cool je suis un peu rassuré parce qu' aucun de mes artistes préférés n' a jamais massacré sa femme d' une vingtaine de coups de poings en la laissant agoniser. Et dans le cas de cette histoire, je trouve cet argument de la distinction entre l' oeuvre et l' artiste pas toujours des plus pertinent..
Prenons le cas Dieudo, que pas mal de personnes avancent comme argument.. Autre sujet sensible à polémiques où l' on aborde bien evidemment la question de la liberté d' expression, sa limite, la distinction entre l' homme et l'artiste.. etc
Et comme beaucoup de personnes s’ il y’ a bien un type qui m’ a fait rigoler et que j’ ai adoré, c’ est bien Dieudonné!
Y’ a personne qui m’ a fait autant pleurer littéralement de rire dans ma vie que ce mec là!! J' ai bien entendu excusé les premières provocations, le ralliement à le pen.. Puis ensuite tu vois que le mec fait monter un négationniste sur scène... Puis par la suite s’ associe avec des ordures comme soral, ou autre connard, puis le mec te sort des "je suis coulibaly" et autres conneries, bon... Tu te dis pour te consoler ou par dépit qu’ il faut dissocier l’ homme de l’ artiste! Mème si au fond de toi tu sais que le gars a clairement dépassé les bornes.. Et c' était mon argument principal lors de repas et débats houleux avec des amis qui ne supportaient pas le bonhomme, je brandissais toujours "le bonhomme est un connard certes, mais c' est l' artiste, l' humoriste qui m' intéresse!!" C' était plus facile pour me rassurer et de continuer à regarder de temps en temps un ou deux de ses sketches!
Mais plus le temps et les polémiques passent, plus tu te surprends à rire de plus en plus jaune devant ses sketches... Le mec qui me faisait mourir de rire me fait juste sourire.. jusqu' au moment où tu ne peux plus, où tu ne le regardes plus!
Quelque chose s’ est réelement cassé, parce que justement tu ne peux plus distinguer l’ artiste du polémiste...
D’ ailleurs on m’ a invité plusieurs fois à aller le voir depuis et je n’ y suis jamais allé.. l’ envie n’ y est vraiment plus .. Mais je ne juge pas les gens qui y vont.. Des amis proches sont allés voir Detroit en concert en me disant y aller et faire totalement abstraction du geste de Cantat! Et ils sont revenus émerveillés et m' en ont parlé avec des étoiles dans les yeux, bah oui forcément le mec a du talent.. Dieudo aussi est un véritable génie du rire!
Après voila c' est un choix et un ressenti perso, je ne trouve plus l' artiste ou l' homme crédible, je ne peux plus distinguer l' artiste et l' homme,..
Mais mème s’ il m' a heurté et déçu comme beaucoup de gens, Dieudo n’ a jamais tué personne!
[ Dernière édition du message le 21/03/2018 à 20:24:23 ]
Dr Pouet
Soot_and_Stars
patrick_g75
Nous passons d'un artiste qui est condamné pour un fait de sa vie privée (imputable à sa "personne") à un autre qui est condamné pour des faits relevant de son "métier" (discourir sur scène).
Cela devrait rafraîchir le débat, lui ouvrir d'autres perspectives, non ?
Cette structure du cas Dieudonné me rappelle furieusement le cas Céline.
...
"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
http://patrickg75.blogspot.fr/
https://patrickg.bandcamp.com/
patrick_g75
vous brassez de l'air tout a été dit
Tu as raison, "quant au cas Cantat", on a fait le tour du cas. Basta !
Mais, pour ce qui me concerne, ce cas n'était pas la question. Et, vendredi dernier encore, la "personne" de ce type ne présentait pour moi aucun intérêt particulier : un parmi des centaines d'autres mecs, tous ces minables qui se laissent aller à massacrer leur compagne, pour des "raisons" qu'eux-mêmes sans doute ne saisissent pas. Alors...
Quant à son oeuvre... À force d'en entendre parler, je crois que ça m'a donné envie de l'écouter, un peu, pour avoir une idée.
Bref.
La question : c'est bien celle qui est bien mise en avant par Malikey : l'artiste, sa "vie", son "oeuvre" ; la responsabilité (pénale et/ou morale) dans l'une, dans l'autre.
Pour Dieudonné - et Céline - c'est clair, aucun de ces deux-là n'a tué personne de ses mains.
Ils se contentent d'appeler au meurtre de toute une communauté de personnes...
Je parle de Céline au présent, puisqu'il est question de la réédition de ses "écrits polémiques"...
C'est intéressant, ici, cette appellation, 'polémique'... Il faut en avoir lu une page pour comprendre de quoi il s'agit, pourtant.
"Polémique", c'est une notion noble : le combat. La guerre. Pour une cause, un pays...
Céline, là, c'est juste du dégueulis. Et juste pour appeller à l'extermination d'un peuple.
Tout le monde sait comment finit l'histoire.
On peut estimer étonnant de voir qu'il faille si longtemps pour comprendre de qui Dieudonné est le disciple.
Pour revenir à Céline (je suis tout à fait insensible à l'humour négationniste), ce qui me perturbe, là, c'est que l'écrivain utilise la même "langue" (son "oeuvre à proprement parler") pour le 'Voyage' et pour ses dégueulis meurtriers...
Quoique, finalement, je trouve sa réputation d'écrivain très surfaite... Tout de même, son "style" : quelle invention d'une musique inouïe...
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Grom Cris
Anonyme
Puisque nous disposons d’un cadre formel avec des représentants élus, les pétitions sont-elles un moyen d’expression légitime ?
Il est difficile de déterminer là où commence la pression dans les échanges de discussions. Par extension, c’est donc celle de l’expression directe lorsqu’elle vient interférer dans la vie publique qui est posée.
Dans une démocratie organisée, est-il souhaitable que chacun s’exprime dans les forums et sur les réseaux sociaux sur des sujets de société ?
Les réponses semblent évidentes. Pourtant la nature de l’édito et les différentes réactions qu’il suscite, montre clairement que la réponse n’est pas simple. A vous lire, elle semble varier selon les circonstances.
[ Dernière édition du message le 22/03/2018 à 10:41:36 ]
patrick_g75
Si on déconnecte les discussions de tout ce qui vient parasiter la réflexion, la question qui est posée par l’édito est celle de la légitimité des pétitions. Beaucoup semblent attachés à la question de la légalité, mais c’est plus sous l’angle de la légitimité qu’il faut aborder la question.
Puisque nous disposons d’un cadre formel avec des représentants élus, les pétitions sont-elles un moyen d’expression légitime ?
Il est difficile de déterminer là où commence la pression dans les échanges de discussions. Par extension, c’est donc celle de l’expression directe lorsqu’elle vient interférer dans la vie publique qui est posée.
Dans une démocratie organisée, est-il souhaitable que chacun s’exprime dans les forums et sur les réseaux sociaux sur des sujets de société ?
Les réponses semblent évidentes. Pourtant la nature de l’édito et les différentes réactions qu’il suscite, montre clairement que la réponse n’est pas simple. A vous lire, elle semble varier selon les circonstances.
Cela fait du bien aux neurones, le ton d'un tel exposé...
Voilà une invitation à une réflexion raisonnable et raisonnée.
Il ne semble pas que quiconque veuille contester le droit à manifester, dans les formes légales - dont celle de la pétition.
Et la loi ne peut décider de la légitimité "morale" d'une pétition - sauf si son objet explicite contrevient à la loi, par exemple en appelant au meurtre...
Etc.
Ceci étant dit, il semble bien, aussi, que le désir de chaque manifestant, ou pétitionnaire, soit que son opinion ainsi exprimée, pour la seule raison qu'elle se serait ainsi exprimée tout à fait légitimement, devienne du même coup légale, en se substituant de facto aux volontés des assemblées législatives, aux décrets du pouvoir exécutif élu, et aux décisions judiciaires.
A mon sens, c'est bien, toujours, de la légalité dont il est ici question.
Personne ne récuse le droit de tel pétitionnaire à ainsi manifester son opinion (légitime). On ne fait que contester sa volonté de voir son opinion avoir "force de loi", au seul fait qu'elle serait, incontestablement, légitime.
"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
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Anonyme
Cependant, je ne perds pas de vue que si la loi doit s’appliquer à tous, c’est qu’elle émane de la volonté du peuple.
Mais, peu m’importe de savoir qui de la poule ou l’œuf est arrivé en premier. L’important c’est qu’il existe un lien fort entre eux et que ce lien demeure fort.
Or, tous les jours je constate une autre dérive, plus grave peut-être. Celle de nos institutions à distendre le lien qui les rattache à la volonté populaire. Cette dérive, c’est celle de rendre à terme le peuple illégitime. J’avoue ne pas avoir de position étant moi-même tiraillé sur la question. C’est juste qu’à l’heure où on nous propose de réformer nos institutions et plus grave encore, de réformer internet ; j’en appelle à la vigilance. Voilà en quoi sur le fond, j’ai des réserves avec l’édito. J’y vois en arrière plan comme une atteinte à ce principe.
[ Dernière édition du message le 22/03/2018 à 17:32:52 ]
patrick_g75
J’adhère complètement à cette idée, l’opinion publique ne saurait être force de loi. C’est incontestable. Et c’est précisément cette dérive de vouloir s’imposer comme telle qui est dénoncé par l’édito, je pense.
Cependant, je ne perds pas de vue que si la loi doit s’appliquer à tous, c’est qu’elle émane de la volonté du peuple.
Mais, peu m’importe de savoir qui de la poule ou l’œuf est arrivé en premier. L’important c’est qu’il existe un lien fort entre eux et que ce lien demeure fort.
Or, tous les jours je constate une autre dérive, plus grave peut-être. Celle de nos institutions à distendre le lien qui les rattache à la volonté populaire. Cette dérive, c’est celle de rendre à terme le peuple illégitime. J’avoue ne pas avoir de position étant moi-même tiraillé sur la question. C’est juste qu’à l’heure où on nous propose de réformer nos institutions et plus grave encore, de réformer internet ; j’en appelle à la vigilance. Voilà en quoi sur le fond, j’ai des réserves avec l’édito. J’y vois en arrière plan comme une attaque à ce principe.
Oh, je crois qu'il n'est pas bien difficile de voir que, formellement, ce sont les "représentants (de la volonté) du peuple" qui font la loi. Des facétieux ajouteront que ce sont eux qui la pondent...
Quand à savoir si la loi est comme un oeuf...
Sérieusement maintenant...
Tu distingues explicitement "institutions" et "volonté populaire" (ce sont tes propres termes) pour dire craindre qu'entre elles deux se "distende le lien qui les rattache".
Je vous assez précisément ce que sont les "institutions".
Par contre, je ne vois personne qui puisse - légitimement - me préciser ce que serait, en réalité, la "volonté populaire"... mise à part celle qui peut s'exprimer au moyen du vote -
vote qui ne peut être légitimement remis en cause que par un autre vote.
Pour être clair : une organisation politique qui prétend parler (elle seule) au nom du peuple, celle qui écrit PEUPLE en majuscules, en gros et gras caractères sur son programme... Je peux écouter ses propositions (de programme), et même en trouver certaines sympathiques, mais je ne peux avoir aucune confiance en son appareil.
Après, pour ce que tu dis des tentatives (tentations !) des institutions ? non pas des institutions, mais des gouvernements (légitimes) en place, pour "déligitimer le peuple" ? La formule me semble disproportionnée. C'est qu'en effet le "peuple" ici ne peut être qu'une abstraction, bien incapable, comme telle, d'exprimer quelque volonté qui ce soit.
Non, ce qui s'exprime, c'est à chaque fois tel groupe, ou rassemblement de groupes, etc., réunissant une masse de personnes plus ou moins grande défendant telles ou telles revendications particulières, et sûrement légitimes, toujours, au regard des manifestants. Normal.
Quand il y a un assez grand nombre de personnes pour manifester, assez longtemps, et que ça a des conséquences, on peut même appeler ça une 'Révolution'...
(Mais en appeler à la "volonté populaire" pour faire interdire des concerts ? Vraiment ?)
Quant à cet "arrière plan" que tu vois à l'éditorial... Nous laisserons répondre l'éditorialiste.
Dak ?
"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
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