Bien décidé à ne pas laisser vide le segment des boîtes à rythmes, Boss emprunte les technologies de feeling et d’humanisation développées par Roland. Avec un prix agressif et d’énormes qualités, la DR-770 se présente comme une compétitrice de tout premier choix.
Après avoir subi l’assaut des stations de travail et des échantillonneurs dédiés, le développement des boîtes à rythmes spécialisées a pris un sérieux coup de frein vers la fin des années 90. Aujourd’hui, c’est au tour des boîtes à groove diverses et variées de sonner le glas d’un marché en déclin pour ne pas dire en cours d’extinction. Ayant signé les plus célèbres d’entre elles avec les TR-808 et 909, Roland semble toujours vouloir refuser ce constat, comme si le constructeur représentait la seule proposition pour ce segment de marché devenu une niche. Avec la série R8, le constructeur nippon avait mis au point une technologie permettant un feeling accru des sons et des patterns rythmiques. C’est aujourd’hui sous la marque Boss que la société japonaise nous présente son tout dernier modèle de boîte à rythmes, embarquant la technologie de ses aînées tout en conservant le prix agressif fidèle à sa ligne de produits. Avec 800 patterns en mémoire, 255 formes d’onde et 14 voix de polyphonie, la DR-770 a d’excellentes prédispositions pour prendre un départ canon. A vos marques !
Petit poids
Avec 21 centimètres de largeur, 16 de profondeur et 700 grammes de lourdeur, la DR-770 n’a rien d’une lanceuse de poids de l’ex-Union Soviétique. L’unité réside dans une boîte plastique indigo couverte de boutons gris bleu et orange fluo, histoire d’être reconnue de loin une fois posée à plat en dépit de sa petite taille. Dans la partie supérieure, un écran de dimension correcte mais hélas non éclairé jouxte deux énormes alphadials de volume et de valeur. En-dessous, la partie gauche de la machine est réservée aux modes de jeu (pattern / song, assignation d’instruments aux pads, enregistrement temps réel / pas à pas, effets, Midi, utilitaires), au pavé numérique (très appréciable), aux commandes de transport du séquenceur (au grand complet, merci) et à la navigation. Pas de doute, cela s’annonce très bien.
Cette première et bonne impression est confortée par la partie droite de la machine, qui comprend 6 autres modes (roulements automatiques, jeu direct de patterns, tempo, choix des kits de percussions, départs individuels de réverbération / flanger et commutation en effet d’ambiance) et 16 pads servant à déclencher les sons. Ces derniers présentent deux qualités essentielles : d’une part, une excellente sensation de réponse à la frappe et d’autre part, la reconnaissance de la vélocité (dynamique et nuance) et de la pression (roulements automatiques), comme sur une R8. Bravo ! Sur la face arrière, c’est un peu moins bon : un interrupteur marche / arrêt côtoie la borne pour alimentation externe (fournie et de type bloc au milieu), un simple duo Midi (In / Out), une prise casque au format mini-jack, une prise pédale et trois sorties audio (gauche, droite et séparée). Boss avait la place de mettre une sortie supplémentaire et un Midi Thru en serrant un peu, dommage. Dommage également qu’il n’y ait pas de piles pour une utilisation nomade, car comme nous allons le voir, la petite Boss a plus d’un tour dans ses pistes, ce qui la rend appréciable en toutes circonstances.
Course d’élan
Comme la plupart de ses “ancêtres récents”, la DR-770 est une lectrice d’échantillons polyphonique 14 voix dédiée aux sons de percussions, couplée à un séquenceur d’une capacité totale de 11200 notes. Le moteur sonore repose sur une Rom de 4 Mo représentant 255 percussions distinctes, équivalente à 8 Mo : ce n’est pas une compression R-DAC mais un nouveau système de codage sur lequel Roland n’a pas voulu lever le voile. On y trouve pêle-mêle 52 kicks, 67 snares, 32 toms, 19 hi-hats, 17 cymbales, 44 percussions, 20 effets spéciaux et 4 basses. La sélection de Boss est exhaustive : pop, rock, musique latine, jazz, techno, rap… toutes les musiques usuelles sont couvertes. On sent l’expérience des BAR de Roland et on reconnaît des sons empruntés aux cartes développées sur la R8, avec une mention spéciale aux TR-808 et 909, aux balais de jazz et aux toms bien ronds. L’ajout de basses (acoustique, piquée, slap et acidulée TB-303) est une bonne idée et l’unique échantillon qui les compose passe très bien sur une tessiture de basse. Emportés par notre élan, nous regrettons simplement l’absence de nappes et autres sons synthétiques parfois utiles en techno ou jungle.
Côté Patterns maintenant, la DR-770 n’est pas en reste, avec pas moins de 400 motifs en Rom. Là encore, tous les styles sont représentés : rock, funk, ballade, country, 8 beat, 16 beat, jazz, fusion, hip-hop, dance, techno, house, drum’n’bass, latin… tout est fait pour permettre au maximum de musiciens de partir sur de bonnes bases. Pour s’y retrouver, Boss a même prévu de regrouper les styles suivant 8 catégories (25 pour les styles utilisateur, nous y reviendrons). La programmation est très soignée (on sent l’expérience de Roland sur le marché des claviers arrangeurs) même si l’on regrette que les styles ne tournent souvent que sur une ou deux mesures. Par ailleurs, Boss a eu l’excellente idée d’organiser les 400 styles en 100 groupes, avec pour chacun un motif de base, un fill-in vers la variation, un motif de variation et un fill-in vers l’original. Ces derniers se déclenchent à l’aide des commandes de transport du séquenceur et se calent parfaitement en mesure. Encore une fonction empruntée aux arrangeurs. Bien parti !
Impulsion
Sans surprise, les sons sont organisés en kits suivant des styles spécifiques. Aux 64 kits en Rom s’ajoute une capacité mémoire très confortable de 64 kits en Ram entièrement configurables. Chaque kit est composé de 55 sons maximum – puisés parmi les 255 échantillons de base – dont les 16 premiers sont affectés aux Pads de la banque A et les 16 suivants aux Pads de la banque B. Quant aux 23 suivants, ils ne sont accessibles qu’à l’aide d’un clavier Midi externe, sauf en programmation pas à pas. Pour chaque kit, la DR-770 permet d’alterner entre la banque A, la banque B ou A+B en couche. Dans ce dernier mode, les sons sont empilés deux à deux. Il est alors possible de créer des effets de désaccord, de panoramique élargi ou de crossfade moyennant un réglage astucieux de la courbe de vélocité, indépendamment pour chaque pad. Bien vu !
Pour rentrer plus dans le détail, la DR-770 permet, pour chaque son, d’ajuster le volume, le pitch, le déclin, la nuance, le panoramique, le groupe de coupure exclusive, la courbe de vélocité et le départ vers les deux effets. La programmation se fait à l’aide des pads et des touches de navigation en moins de temps qu’il n’en faut à Maurice Greene pour courir un 100 mètres. Une fois un kit satisfaisant, il ne reste plus qu’à le nommer et à le sauvegarder dans l’un des 64 emplacements généreusement mis à notre disposition. Tatillons comme nous sommes, nous aurions apprécié un petit filtre résonant comme Roland sait si bien les faire, pour triturer davantage les sons. Quoi qu’il en soit, nous apprécions le paramètre de nuance qui permet de reproduire de façon réaliste la position ou la force de frappe sur les percussions. Cette fonction, dont bénéficie environ la moitié des échantillons, permet par exemple de passer progressivement d’une cymbale frappée sur le bord à une cymbale frappée sur la coupe. Un must déjà fort apprécié des utilisateurs de R8 qui permet d’humaniser le jeu et de prendre la tête de la course au réalisme.
Saut en l’air
Pour donner de l’air aux percussions, la DR-770 est équipée d’une section effets composée d’une réverbération et d’un flanger en parallèle, accompagnés d’un égaliseur global en sortie. La réverbération dispose de cinq algorithmes : hall, room, plate, delay et pandelay. Les paramètres accessibles sont le temps de réverbération, l’atténuation des hautes fréquences, ainsi que le feedback pour les algorithmes de délai. Le second effet est commutable en chorus ou flanger et dispose des réglages de profondeur, vitesse, feedback et délai. Il est possible de régler les départs vers ces deux processeurs soit globalement pour un kit entier, soit pad à pad, ce qui est remarquablement souple pour une machine de cette catégorie. Par contre, l’égaliseur est global et ne dispose que d’un réglage de gain (+ ou – 12dB) sur deux bandes (graves / aigus). Les réglages sont sauvegardés au sein de chaque kit, sympa. La qualité de ces effets est très bonne, et seuls le peu d’algorithmes, le déficit en paramètres et l’impossibilité de moduler tout ce beau monde en temps réel nous rappellent le tarif affiché de la machine. Attention, lorsque l’on utilise la sortie séparée (toujours sèche), l’effet de réverbération n’est plus disponible sur les sorties principales, curieuse limitation. Pour ceux qui ne veulent pas partir de zéro ou qui souhaitent expérimenter rapidement, Boss a même prévu 16 effets pré-programmés fort utiles, utilisant une combinaison des trois effets de base (mode ambiance). En résumé, on apprécie la présence d’effets sur une machine de cette gamme qui se paie le luxe de mettre une longueur d’avance aux R8.
Piste d’élan
Si les 400 patterns en Rom ne suffisent pas, la DR-770 permet d’en fabriquer 400 autres et de les stocker en mémoire permanente à concurrence de 11200 notes environ. La résolution est de 96bpqn, ce qui est suffisant. En mode de jeu, la fonction DPP permet de déclencher des motifs entiers à l’aide des Pads, organisés en 25 catégories de 16 rythmes. Par ailleurs, rien n’empêche d’organiser ses patterns en quatre motifs (base, variation et deux fill-in), à l’instar des programmes Rom, ou encore de jouer un pattern donné avec un kit différent de celui programmé à l’origine. Pour programmer un Pattern, on a le choix entre le mode temps réel ou pas à pas. En temps réel, il suffit de préciser le numéro de pattern à programmer, la quantisation à l’entrée (de la blanche à la triple croche en passant par les triolets, ou non quantisé), le nombre de mesures (1 à 20 mesures de 4 battements), le kit de percussions et de lancer l’enregistrement. Le nombre de mesures peut être modifié après l’enregistrement, ce que nous avons beaucoup apprécié.
En appuyant simultanément sur les touches Flam / Roll et en maintenant un pad, il est possible d’enregistrer des roulements à la résolution programmée en mode utilitaire. Mieux, en utilisant l’aftertouch, on contrôle le volume du roulement, très pratique ! En maintenant la touche Delete et un pad, on efface le son correspondant à la volée. En mode pas à pas, la programmation s’effectue de manière très classique en avançant dans la mesure. Il manque à notre sens un mode grille ou chaque pad représente un pas de la mesure, comme sur les machines Roland. De plus, il est impossible d’enregistrer des évolutions en temps réel de paramètres sonores dans une même mesure, comme par exemple un balayage de panoramique. Enfin, la machine ne permet de programmer que 9 notes simultanées (les 14 notes de polyphonie autorisent donc le recouvrement de 5 sons avec Release joués sur des pas différents). Par contre, un peu de swing peut être ajouté sur un pattern dans une fourchette de 8 valeurs comprises entre 50 et 80%, histoire de casser la cadence.
Arrivée groupée
Une fois les patterns programmés, il ne reste plus qu’à les assembler au sein de 100 songs, avec un maximum de 250 patterns par song et 10000 patterns au global, ce qui est largement suffisant. Là encore, la DR-770 autorise les modes temps réel et pas à pas. En temps réel, on peut avantageusement faire appel à la fonction DPP afin de déclencher d’un seul coup de doigt le pattern à enregistrer. Tant que celui-ci est joué, la machine incrémente automatiquement les pas de la song. En mode pas à pas, on spécifie le pattern à entrer puis on valide la sélection. On passe ensuite au pas suivant de manière très classique. Bien sûr, il est possible à chaque pas de supprimer ou insérer un pattern sans la moindre difficulté.
Là où la machine nous a un peu déçus, c’est sur le plan de la gestion des kits de percussions et du tempo. En effet, soit les patterns sont enregistrés avec leurs kits respectifs, soit il convient de bloquer un kit global pour la même song. Par contre, il est impossible d’imposer un kit donné à chaque pas. Pour le tempo, c’est la même chose. Inutile de rêver à la programmation d’accélérations / décélérations, la DR-770 ne le permet pas. Dommage, car il est frustrant de courir toujours à vitesse constante. Il conviendra donc de choisir un lièvre en la personne d’un appareil Midi externe synchronisé en maître. Avant de franchir la ligne d’arrivée, précisons qu’il est possible de dumper via Midi Out le contenu des différentes mémoires de la machine, à savoir l’ensemble des séquences (patterns et songs), les kits (l’ensemble ou un seul), les réglages globaux (résolution des roulements, DPP, métronome et réglages Midi) ou l’ensemble de la mémoire.
Tour d’honneur
Au final, la DR-770 est une boîte à rythmes dans la plus pure tradition avec bon nombre de facultés inattendues dans cette gamme de prix. Une mémoire très confortable de kits, de patterns et de notes, des sons très bien faits et paramétrables, des effets sympathiques et une facilité d’utilisation déconcertante, tels sont les points forts de cette boîte, finalement assez proche des qualités d’une R8-MkII. Là où la machine se distingue du très haut de gamme, c’est au plan de la connectique réduite qui trahit ses origines, de l’absence de programmation par grille, de l’impossibilité d’enregistrer des évolutions de paramètres sonores et du mode song un peu dépouillé. En résumé, la DR-770 ravira ceux qui souhaitent composer rapidement des rythmiques de qualité sans se prendre la tête à échantillonner ou à charger des sons, ou ceux qui ont toujours rêvé de se payer une R8 avec quelques cartes de sons bien léchées. Bref, Boss place sa BAR très haut mais la rend accessible au plus grand nombre.
Glossaire
Quantisation à l’entrée : calage immédiat des notes, dès l’enregistrement temps réel, sur la division temporelle la plus proche
Post-quantisation : calage des notes sur la division temporelle la plus proche, effectué après coup à la demande de l’utilisateur
Courbe de vélocité : traduction des vélocités réellement jouées en valeurs altérées, sauf bien entendu pour la courbe linéaire.