Cette semaine, dans notre micro-série non-linéaire de "rétro-tests", nous nous intéressons à cette vénérable boîte à rythmes monophonique : la TR-77 de Roland. Premier produit jamais conçu par la célèbre marque japonaise, la TR-77 est un remarquable exemple de simplicité et d'inventivité
Au départ, elles étaient trois : la TR-33, la TR-55 et la TR-77, la plus grande version de ces boîtes à rythmes qui furent les premiers produits commercialisés par la marque japonaise. Avec des sons générés par synthèse analogique, aucune possibilité de programmation et une seule sortie monophonique, elles font aujourd’hui figure de machines primitives. Toutefois, comme nous le verrons dans cet article, elles offrent des possibilités surprenantes de jeu, avec un peu d’inventivité et de dextérité, et elles bénéficient de contrôles profondément novateurs pour leur époque, qui se révèlent toujours pratiques lorsque l’on veut s’en servir aujourd’hui. Et en plus, elles peuvent être modifiées !
Qui dit premier produit d’une grande marque novatrice, dit bien sûr acquisition par de nombreux studios et musiciens célèbres. Car dès ses débuts, Roland fut un distributeur important, avec une capacité de diffusion large. On reconnaîtra donc facilement la TR-77 sur des titres de Bowie (Art Decade, sur Low — apparemment la TR-77 employée était la sienne), Ultravox (Hiroshima, mon amour, sur Ha ! Ha ! Ha !), Gary Numan (I Nearly Married a Human, sur Replicas) ou encore sur l’énorme tube disco de George McRay, Rock Your Baby, un des premiers titres à succès à employer une boîte à rythmes.
Alors, qu’est-ce qu’elle a de si spécial ? Allons voir de plus près…
Présentation générale de la TR-77
Premièrement, « TR » veut dire « transistor rhythm ». Donc, logiquement, on y trouve des transistors à foison. On remarquera au passage que la machine ne porte pas la mention « TR », mais se nomme en fait Rhythm 77.
Elle prend la forme d’une unité assez fine (environ 2U, si on se réfère à la norme des racks) longue de plus de 80 cm, assez lourde et avec un coffret en bois plaqué, surmonté d’un porte-partition. Bref, en regardant la boîte à rythmes, il est évident qu’elle a été conçue pour être posée sur le dessus d’un orgue. Elle sera d’ailleurs distribuée, avec un autre coffrage, sous le badge Hammond aux USA.
Sur la face avant, on trouve un ensemble de commandes qui peuvent être actionnées indépendamment, ou simultanément pour créer des variations complexes au sein des préréglages, des tempi et des divisions du temps.
Une partie de ces commandes à pour fonction d’accéder aux dits préréglages, ainsi les deux séries de boutons-poussoirs qui occupent la majorité de la façade, et le sélecteur rotatif :
Tandis que les potentiomètres à glissière et les boutons à pression temporaire permettent de régler les dynamiques de jeu : volume respectif des différentes voies (à part les « bongos » ou « claves » qui ne peuvent pas être modulés), fondu sonore de sortie, marche et arrêt par contrôle tactile grâce à la barre chromée (on reviendra sur cette fonction, car elle peut se révéler très pratique pour le musicien inventif), slider pour régler finement le tempo et le levier pour dédoubler le rythme.
À l’arrière, on trouve trois jacks 6,35 mm : un pour la sortie vers entrée haute impédance, l’autre pour les basses impédances (marche bien avec un casque), puis le jack pour le footswitch de marche arrêt qui, on le verra, peut aussi accueillir un trigger externe.
Avant d’aller plus profondément dans les entrailles de la machine, replaçons là dans le contexte de son époque…
Historique des boîtes à rythmes
Quand la TR-77 apparaît, plusieurs entreprises américaines et japonaises construisent déjà des boîtes à rythmes, et cela depuis quelques années. Dans ce cadre, la TR-7, et certaines des dernières Minipops de Korg (je pense en particulier à la 20S, apparaissent vraiment comme l’aboutissement de la technologie des boîtes à rythmes non programmables. Car, oui, pour ceux qui ne l’auraient pas saisi, il est important de le préciser : contrairement à la CR-78, la TR-606, 808, 909… la 77 n’est pas programmable. Un ensemble de contrôle permet de jouer des voix préréglées, qui peuvent ensuite être modifiées en direct, mais il n’est pas possible de composer soi-même un motif spécifique à l’avance. Il est également impossible de jouer un instrument seul, en appuyant sur un bouton, sauf à mettre le volume des autres instruments à zéro.
En 1972, quand sort la TR-77, les constructeurs de boîtes à rythmes ont abandonné depuis un peu plus de dix ans l’utilisation de systèmes électromécaniques. C’est pourtant de tels systèmes qui avaient permis, dès les années 1950, de créer des instruments pouvant servir d’accompagnement rythmique pour des musiciens jouant solo.
Le premier exemple commercialisé est le « Side Man » de Wurlitzer, dont la génération d’impulsion est organisée en motifs rythmiques selon la répartition de contacts sur un circuit imprimé circulaire, sur lequel un moteur fait tourner deux lamelles de contact : cela fonctionne un peu comme un sélecteur rotatif qui tournerait à l’infini à l’aide d’un moteur et qui sélectionnerait, l’un après l’autre, des ensembles de voies ressemblant à des sons percussifs (par synthèse analogique, nous reviendrons sur ce principe dans la partie suivante).
Autre exemple connu, la « Prince Rhythm » de Seeburg qui, bien utilisée, donne des frissons…
En vérité, la TR-77 tire une partie de sa renommée d’être un des premiers produits commercialisés par Roland, car le modèle de cette boîte à rythmes, non seulement, n’invente rien de révolutionnaire au point de vue de son circuit, mais existait déjà sous la bannière de la marque Ace Tone : dès les années 1960, Ace Tone, entreprise fondée par Ikutaro Kakehashi avant Roland, distribuait déjà une série de boîtes à rythmes, sous le sigle « FR ». Et tout spécifiquement, dès 1968, la Rhythm Producer FR-8L, qui est, à quelques détails de circuit près, déjà la TR-77. La ressemblance est d’ailleurs frappante…
Et puisqu’on parle de circuit…
Spécificités techniques et innovations
La TR-77 fonctionne par synthèse analogique, ce qui signifie que ses sons proviennent de circuits analogiques, produisant des sons courts et dont le timbre est fait pour imiter un instrument acoustique connu, et pouvant être combinés pour créer des modulations. Ils sont activés par un oscillateur maître qui, à la manière d’une horloge, produit une impulsion précise et régulière, qui sert de trame aux motifs rythmiques.
Dans la TR-77, les circuits de synthèse analogique sont de deux types :
- pour tous les instruments « aigus » — caisse claire, maracas, charleston, guiro — un générateur de bruit blanc est employé, dont le son subit un traitement d’enveloppe (attaque plus ou moins rapide, résonance plus ou moins longue), et potentiellement un traitement par filtre passe-bas, pour imiter des hauteurs différentes de fondamentale.
- pour tous les instruments « graves » ou « médiums », où la fondamentale est souvent mieux perceptible, des ondes sinusoïdales dont la fréquence est accordée selon l’instrument, et avec là aussi un traitement d’enveloppe.
Mais ces voies sont, si l’on veut, le « bout de la chaîne », car elles viennent seulement « timbrer » les impulsions qui se répartissent depuis un circuit de contrôle principal, sur lequel se trouve l’oscillateur maître (en rouge ci-contre). Il s’agit d’un multivibrateur astable, un circuit qui oscille constamment entre deux états (c’est un circuit de base pour tout le domaine numérique, car il permet de produire des 0 et des 1) et qui a deux sorties (lorsque l’une est à 0, l’autre est à 1). Ces deux sorties sont reliées, sur le schéma ci-contre aux bornes T et T’, ce sont des triggers.
La sortie T est également reliée, à travers deux diodes montées tête-bêche (D5 et 6) à la seconde partie du circuit. Ces deux diodes, ne laissant passer le courant que dans un sens, servent « d’interrupteurs » à l’entrée du circuit suivant, permettant d’activer un côté puis l’autre du premier étage de la bascule (en vert dans le circuit). Cette bascule (flip flop en anglais) est constituée de cinq étages montés en série, qui forment ainsi un diviseur de fréquence : c’est-à-dire qu’à partir de la fréquence d’oscillation fournie par le multivibrateur, ils créent des sous-divisions, trente-deux pour être précis : et voilà comment en se retrouve, à partir d’une horloge de base, avec deux mesures en 4/4 divisées jusqu’à la demi-croche (2 × 16 pas).
La section bleue a pour fonction, à partir d’un circuit de multivibrateur monostable (une seule sortie, qui oscille entre 1 et 0), de contrôler la LED indicatrice, qui s’allume sur le premier temps de chaque mesure.
Cette grille de 32 pas est ensuite répartie, selon les sélections opérées par l’utilisateur, vers les voix du circuit de synthèse sonore (on y revient). Cette répartition (certaines pulses n’étant envoyées qu’à un instrument, certaines à plusieurs en même temps, certaines étant mutées, d’autres non, tout cela pour les besoins de la création d’un motif rythmique reconnaissable)… Cette répartition, disais-je, se fait à travers une matrice à diode :
Je ne m’étendrai pas sur le fonctionnement (pourtant simple, presque primitif) d’un tel circuit. Disons seulement qu’il permet d’obtenir, par exemple, cela :
Ce qui me donne une bonne raison de vous faire entendre ce que donnent ces motifs rythmiques…
Du son
Passons d’abord en revue les presets de base, c’est-à-dire, dans l’ordre :
- 01_ROCK’N ROLL 100:07
- 02_ROCK’N ROLL 200:07
- 03_SLOW ROCK00:05
- 04_BALLAD00:05
- 05_WESTERN00:07
- 06_6_8 MARCH00:05
- 07_JAZZ WALTZ00:05
- 08_WALTZ00:05
À cela, s’ajoute l’ensemble des presets « latins », commandables par les boutons-poussoirs de la partie gauche :
- 01_RHUMBA00:07
- 02_BEGUINE00:07
- 03_CHA-CHA00:07
- 04_MAMBO00:07
- 05_SAMBA 100:06
- 06_SAMBA 200:07
- 07_BOSSA NOVA00:07
- 08_BAION00:07
- 09_BOLERO00:08
- 10-TANGO00:13
Pour comprendre les effets de combinaisons simples, j’ai mélangé le preset « Western », qui est particulièrement minimal, avec les différents rythmes commandés par la fonction « 2 BEAT » et « 4 BEAT » et le sélecteur rotatif. L’effet est d’autant plus intéressant que les combinaisons prennent un caractère polyrythmique (4 sur 3) qui leur donne un groove très particulier et permet bien de saisir les variations possibles par la simple superposition de deux voix. On notera aussi que, circuit analogique oblige, la précision de ce polyrythme n’est pas parfaite, ce qui donne une manière de swing.
On entend d’abord le preset « WESTERN » qui est en 6/8, avant d’y ajouter la grosse caisse sur les temps 1 et 3 du « 2 BEAT », puis sur tous les temps (en « 4 BEAT »), c’est là qu’apparaît le polyrythme. Vient ensuite se rajouter la caisse claire, d’abord à l’unisson avec la grosse caisse (mode « BASS & SNARE ») puis sur les temps 2 et 3. Ensuite, on passe par différentes variations, la dernière étant produite par le mode SHUFFLE et la sélection simultanée de « 2" et « 4 BEAT ».
Pour conclure, deux improvisations :
La première où je « joue » de la TR-77 en exploitant, en direct, différentes combinaisons et techniques de jeu : sélection multiple, dédoublement de la pulsation, passage d’une mesure binaire à une ternaire (pour créer des mesures impaires, ou donner le sentiment d’un « trébuchement » dans le rythme), effet de marche/arrêt avec la commande tactile (très efficace pour faire des effets de drop) ou avec le métronome…
La seconde où j’ai mixé deux pistes de TR-77 avec deux pistes de guitare (chaque instrument étant enregistré à travers une MXR Carbon Copy, dans un ampli de guitare à tubes, d’une puissance de 40 W, avec différents niveaux de gain et de distorsion) :
- 01_MIX05:45
- TR-77 exemple01:09
FAQ : Tout savoir sur la Roland TR-77 et les boîtes à rythmes analogiques
1. Qu’est-ce que la Roland TR-77 ?
La Roland TR-77 est la première boîte à rythmes analogique commercialisée par Roland en 1972. Elle est monophonique, non programmable, et produit des sons grâce à des circuits de synthèse analogique.
2. Pourquoi la TR-77 est-elle spéciale ?
La TR-77 est emblématique, car elle représente les débuts de Roland dans l’industrie musicale. Malgré ses limitations, elle offre une polyvalence surprenante grâce à ses commandes innovantes et ses sonorités uniques, appréciées par des artistes comme David Bowie et Gary Numan.
3. Quels artistes célèbres ont utilisé la TR-77 ?
Plusieurs artistes légendaires ont incorporé la TR-77 dans leurs morceaux :
- David Bowie : Art Decade (album Low).
- Ultravox : Hiroshima Mon Amour (album Ha ! Ha! Ha !).
- Gary Numan : I Nearly Married a Human (album Replicas).
- George McCrae : Rock Your Baby, un des premiers tubes disco à utiliser une boîte à rythmes.
4. La TR-77 est-elle programmable ?
Non, la TR-77 ne permet pas de programmer des motifs rythmiques. Elle utilise des presets que l’on peut modifier en temps réel pour créer des variations et des rythmes personnalisés.
5. Peut-on encore utiliser la TR-77 aujourd’hui ?
Oui ! La TR-77 reste un choix populaire parmi les passionnés de musique analogique. Elle peut être modifiée pour des utilisations modernes, et ses sorties audio sont compatibles avec des équipements actuels.
6. Comment fonctionne la synthèse analogique de la TR-77 ?
La TR-77 utilise deux types de circuits de synthèse :
- Générateurs de bruit blanc pour les sons aigus (caisse claire, maracas, charleston).
- Oscillateurs sinusoïdaux pour les sons graves ou médiums (grosse caisse, bongos).
7. Peut-on trouver des TR-77 d’occasion ?
Oui, la TR-77 se trouve sur des plateformes comme Audiofanzine, qui est une référence pour les passionnés d’équipements audio vintage. Son prix varie selon son état et les modifications éventuelles.
8. La TR-77 est-elle comparable à d’autres modèles de Roland ?
La TR-77 se distingue par son absence de programmation, contrairement à des modèles ultérieurs comme la CR-78 ou la TR-808, qui offrent des options de personnalisation plus avancées. Elle reste toutefois une référence historique dans l’évolution des boîtes à rythmes.
9. La TR-77 est-elle facile à modifier ?
Oui, avec un peu de connaissances en électronique, il est possible d’ajouter des sorties individuelles pour chaque instrument ou d’intégrer des fonctionnalités modernes, comme des synchronisations MIDI.