Après les synthés de la série Logue, Korg décline sa technologie hybride, mélangeant sons analogiques, sources PCM et moteur multi-synthèse dans une boite à rythmes entièrement programmable, judicieusement baptisée Drumlogue…
Le Minilogue a été le premier synthé de la série Logue, un petit synthé abordable, tant au plan tarifaire qu’ergonomique, capable de mémoriser tous ses réglages. La série s’est chaque année enrichie d’un nouveau modèle entre 2016 et 2019. Au départ, le moteur sonore est de type analogique (Minilogue, Monologue). Puis on passe à un moteur hybride polyphonique 8/16 voix (Prologue), avant de revenir à un moteur hybride polyphonique 4 voix (Minilogue XD). Point particulièrement intéressant, les synthés hybrides de cette série sont capables de charger de nouveaux moteurs numériques de synthèse et d’effets, créés par des développeurs tiers ou par tout utilisateur talentueux sachant coder, car le code est ouvert via un kit de développement fourni par Korg. Cela en fait des synthés à la fois simples et puissants, l’ergonomie étant bien pensée compte tenu de cette ouverture et du nombre de fonctions disponibles. En 2020, Korg a présenté le prototype d’une BAR hybride de type Logue, mais la crise des composants a retardé sa sortie. Alors que le Prologue vient d’être arrêté, la Drumlogue montre enfin le bout de ses pads. Nous avons récupéré l’unique modèle disponible en France à ce jour…
Monolithe noir
La Drumlogue s’affirme par un look sérieux, limite austère, typiquement Logue, loin des sapins de Noël que l’on croise çà et là. La façade est en alu brossé noir, les flancs en bois noir et le reste de la coque (arrière et dessous) en plastique noir très rigide. La machine est robuste, les potentiomètres ne bougent pas sur leur axe. Elle est de bonne dimension, 32 × 19 × 7 cm pour 1,4 kg, un dosage idéal entre compacité et bonne prise en main. La façade compte 16 gros potentiomètres (volume général et quelques réglages directs pour 9 des 11 percussions, les autres réglages se faisant par le menu), 12 petits potentiomètres qu’on aurait aimé un peu plus hauts (volumes individuels des 11 percussions et réglage du Tempo, au passage privé de fonction Tap), 20 touches rectangulaires rétroéclairées (division temporelle, section du motif, mode de jeu, transport du séquenceur, pages menu), 4 encodeurs contextuels situés sous l’écran OLED (qu’on aurait souhaité plus grand mais qui reste lisible) et 16 pads statiques carrés (jeu des percussions en mode Live, pas du séquenceur en mode Step, sélection des effets, fonctions rapides, fonctions globales). La Drumlogue boote en 15 secondes. Sa prise en main est rapide, car il y a pas mal de commandes directes, les actions live sont simples à comprendre (MUTE, PART, LOOP), les fonctions SHIFT sont sérigraphiées, la navigation dans les menus se fait directement avec les touches PAGE, les menus sont bien dessinés et les valeurs sont affichées à l’écran dès qu’on bouge un potentiomètre. Le seul petit grief concerne les fonctions globales, non sérigraphiées, accessibles via la rangée de 16 touches. Donc on y va un peu au pif, au départ.
parLa connectique occupe toute la largeur du panneau arrière. Pour commencer, la sortie casque stéréo, les sorties principales gauche/droite et les quatre sorties individuelles. Elles sont toutes au format jack 6,35, les deux sorties gauche/droite étant symétriques. Les sorties individuelles permettent de router les percussions de son choix ; on peut décider si ces sorties sont routées ou pas vers les sorties principales (paramètres globaux, hélas). On poursuit par les trois prises au format minijack : la première est une entrée audio stéréo, permettant de router un signal vers les bus d’effet de son choix. Les deux suivantes sont les entrée/sortie synchro. Vient ensuite les entrée/sortie Midi DIN, la prise USB A (pour les contrôleurs Midi compatibles type Nanopad2, permettant de contrôler des paramètres non présents en façade par CC), la prise USB B (pilotage Midi et échange de données avec un PC/Mac, mais pas d’audio) et la borne pour alimentation externe 9 VCC (de type bloc extrême, grrrr). Voilà qui est complet.
Percussions hybrides
La Drumlogue est organisée en programmes (motifs + réglages d’effets) et kits de percussions (mémorisation de tous les réglages sonores des percussions individuelles). On trouve 128 kits réinscriptibles (dont 64 préchargés) et 128 programmes réinscriptibles (dont 64 préchargés). La possibilité de mémoriser tous les réglages (bien souvent sur 1.024 valeurs pour les paramètres continus) est un gros point fort par rapport aux BAR analogiques traditionnelles. En ce sens, la Drumlogue ressemble davantage à une Analog Rytm qu’à une DrumBrute. D’ailleurs, on va voir que les moteurs sonores, les fonctions de jeu et les possibilités d’enregistrement s’y apparentent. Mais revenons à nos percussions. On commence par les 4 sons analogiques (kick, caisse claire et toms haut/bas), dont les circuits ont été développés par Junichi Ikeuchi (ARP 2600M, ARP Odyssey, MS-20 mini). Pour le kick, on peut régler le déclin, la hauteur et la saturation en façade, puis la transitoire PCM (16 choix), la quantité de balayage de la hauteur, la vitesse de balayage et l’attaque de la transitoire PCM via le menu. Pour la caisse claire, on peut régler le déclin, la hauteur et la durée du timbre en façade, puis le type de timbre (9 choix), la tonalité et le volume du timbre via le menu. Pour chaque tom, on peut régler le déclin, la hauteur et le désaccordage en façade, puis la couche sonore PCM (10 choix), la quantité de balayage de la hauteur, l’attaque de la partie PCM et la saturation via le menu.
On poursuit avec les 6 percussions PCM. Elles sont issues de 128 échantillons internes et 128 emplacements utilisateur (import via USB), à concurrence de 32 Mo au total (donc pour des percussions ou des phrases assez courtes). Elles se décomposent en 4 percussions prédéfinies (hi-hat fermé, hi-hat ouvert, bord de caisse, clap), dont on règle les déclins en façade (sauf pour le bord de caisse), puis le choix du sample (interne ou utilisateur), l’attaque/déclin (suivant l’instrument), les points de lecture (début/fin), la réduction de bits et la saturation via le menu. Les 2 autres PCM fonctionnent de la même façon, mais les commandes en façade sont différentes, les autres se retrouvant dans le menu. La qualité des sons proposés, que ce soit sur les pistes analogiques ou PCM pures, est très bonne. Le kick sait cogner, sécher, durer et bien descendre dans les graves ; on peut en faire un son droit ou très électronique en utilisant le filtre et le balayage de pitch. Le PCM additionnel apporte différentes colorations d’attaque. La caisse claire tape bien, les réglages sur le timbre, la couche PCM et l’accordage permettent de la faire varier de façon drastique. Les toms sont à l’image du kick, avec une belle rondeur, de la longueur, des variations avec la couche PCM et des réglages bien pensés pour les faire sonner dans différents registres. Les percussions PCM pures offrent une belle diversité sonore, que ce soit les BAR des 80’s (Linn, TR) ou des choses beaucoup plus contemporaines. Les paramètres d’édition permettent de transfigurer le son, sans oublier la possibilité de charger ses propres échantillons. On peut regretter l’absence de hi-hats analogiques, mais les échantillons fournis et les possibilités de filtrage/saturation comblent en partie ce manque, qui en fin de compte ne nous a pas paru rédhibitoire.
Moteur multisynthèse
On termine par le 11e instrument, et non des moindres, le Multi Engine. Il permet de choisir entre un son de type VPM, Noise ou Utilisateur. Donc pas simplement des sons de percussions, mais de véritables synthés numériques, parfois polyphoniques. Pour le type VPM, on peut régler le son de base, la note, la quantité de modulation de phase, le ratio, le bruit, l’enveloppe (AR, ASR, Gate) et la quantité d’enveloppe sur la modulation de phase. Pour le type Bruit, on peut régler le type, la couleur, le pic du filtre et l’enveloppe AR de volume. Enfin, pour le type Utilisateur, les paramètres dépendent du moteur chargé (voir encadré au paragraphe « Kit de développement »). Korg fournit Nano de Sinevibes, un synthé VA monodique assez complet, dont on peut régler la hauteur, les formes d’ondes des deux oscillateurs, leur désaccordage, leur balance, le mode du filtre, sa fréquence de coupure, son suivi de clavier, sa résonance, le type d’enveloppe (D ou AD), son temps global, son action sur la hauteur, son action sur le filtre et quelques paramètres de LFO. Le seul gros problème à ce stade, c’est l’impossibilité de jouer des mélodies, même avec un clavier externe (cf. programmation de motifs ci-après).
En plus du volume et des paramètres spécifiques à chaque moteur, tous les sons de percussions disposent de réglages de fréquence de coupure (filtre passe-haut ou passe-bas), résonance (avec auto-oscillation), panoramique, largeur stéréo (sauf le kick et les toms), dosage vers le délai, dosage vers la réverbe, routage vers l’effet maitre et dosage vers le bus Sidechain (voir paragraphe dédié aux effets). Chaque percussion peut avoir un canal Midi distinct en émission/réception, réglé au niveau Global. Tous les paramètres des percussions et d’effets sont pris en charge en CC Midi, sur plusieurs canaux si on veut piloter l’ensemble des paramètres de chaque percussion (réduits à une cinquantaine si on reste en canal unique). Une fonction aléatoire permet de laisser le sort créer des sons à notre place. On peut aussi initialiser les réglages d’une percussion ou du kit complet (avec un niveau d’annulation). Signalons également des réglages de priorité entre percussions pour générer des coupures automatiques (hi-hat ouvert/fermé par exemple). Quand on sauvegarde un programme (motif et effets), le kit peut être sauvegardé en même temps si on le souhaite, bien vu !
- Drumlogue_1audio 1 Live Motions02:40
- Drumlogue_1audio 2 Heavy Delay01:19
- Drumlogue_1audio 3 Trance Pi02:23
- Drumlogue_1audio 4 Polymetric Rules01:29
- Drumlogue_1audio 5 Feel It01:27
- Drumlogue_1audio 6 Pump It01:21
- Drumlogue_1audio 7 Sound Tour04:39
Trois effets extensibles
Les synthés Korg sont toujours dotés de puissantes sections effets. Bonne nouvelle, la Drumlogue est équipée de trois effets : délai, réverbe et effet maitre. Comme déjà vu, on peut doser l’envoi de chaque percussion vers les deux premiers et router leur signal vers le troisième. Ce dernier peut aussi fonctionner en Sidechain, suivant l’algorithme sélectionné, ce qui permet de faire du pompage en rythme (Ducking) avec les pistes de percussions assignées, sur d’autres pistes ou sur l’entrée audio (cette dernière étant également routable vers l’un des effets, comme déjà vu). Parfait ! Le délai dispose d’un bus de retour dosable vers la réverbe. Délai et réverbe ont également des bus de retour dosables et assignables pré- et post- effet maitre (cf. schéma).
Le délai offre différents modes : mono, bande, stéréo, avec temps libre ou synchronisé au tempo. De nombreux paramètres sont éditables, suivant le mode : temps/division temporelle, feedback, largeur stéréo, type de filtre sur le feedback, fréquence de coupure, saturation, routage des deux canaux stéréo (parallèle, croisé, pingpong), modulation du temps (délais à bande), suivi des têtes (idem), tonalité. Un bien bel effet, très utile sur une BAR. La réverbe offre différents types d’ambiances : pièce, hall, espace, à l’octave supérieure, à l’octave inférieure. Les réglages sont plus basiques : temps, signal d’entrée, brillance, niveau du son traité. Enfin, l’effet maitre est dédié au traitement final du son : compresseur avec Sidechain, filtre multimode résonant avec saturation, boost de fréquences avec saturation, EQ semi-paramétrique à trois bandes. Tous les réglages sont mémorisés dans les programmes (avec les motifs, pas avec les kits). On peut également charger jusqu’à 24 effets utilisateur de 24 paramètres (voir encadré « Kit de développement »). Au plan qualitatif, on est sur du très bon, comme Korg nous y a habitué de longue date. On apprécie cette section effets qui fait partie intégrante du son de la Drumlogue.
Programmation de motifs
La Drumlogue offre un séquenceur à motifs de 64 pas sur 11 pistes indépendantes (une par instrument). 64 pas, nous trouvons que c’est très bien pour une BAR, d’autant que certaines fonctions permettent de rompre considérablement la répétitivité (probabilités, règles de jeu, nous en reparlons juste après). La mémoire renferme 128 motifs réinscriptibles, dont 64 préprogrammés. Les numéros de kits peuvent, nous l’avons dit, être liés aux motifs et sauvegardés en une seule passe, ou complètement indépendants, ce qui conviendra à tout le monde. Le tempo est mémorisé par motif ou global, là encore au choix. La programmation se fait en temps réel (mode Live) ou par grille (mode Step), avec quantification (réglage global : aucune, 32e, 16e, 8e). L’édition se fait à la volée (effacement de pas, de pistes) ou en détail (liste de valeurs du pas). Les fonctions Copier/Coller sont bien présentes, ce qui permet de créer rapidement plusieurs variations de motifs autour d’un même thème. La fonction Effacer peut agir par piste ou sur toutes les pistes, avec un niveau d’annulation.
Pour chaque pas, on peut définir une accentuation (4 niveaux, par appuis successifs sur la touche du pas), une probabilité de jeu (0–100 %), une règle de jeu (déclenchement tous les N pas, avec différents choix de déclenchement, genre tous les 3 pas, 2 pas sur 3, tous les 4 pas, 1 pas sur 4, 3 pas sur 4…), un ratchet (2–3–4 répétitions, avec courbe de volume des répétitions : constant, crescendo, décrescendo, aléatoire – bravo pour cette idée !) et un décalage temporel (+/- 50 %). Ce qu’il n’est pas possible de faire, c’est d’enregistrer/éditer la hauteur de note ou de jouer des mélodies avec un clavier externe (pourtant utile pour une partie synthé), une lacune que nous avons signalée à Korg. La Drumlogue permet l’automation de tous les paramètres de synthèse dans ses pistes, ainsi que l’émission/réception de CC Midi pour tous les paramètres sur plusieurs canaux Midi (ou une sélection sur un canal unique). L’enregistrement des mouvements se fait en temps réel, en façade (avec les potentiomètres) ou par le menu (avec les quatre encodeurs), pour chaque piste. L’enregistrement s’arrête au bout d’un cycle, logique. Par contre, on ne peut rien éditer après coup, juste neutraliser un mouvement sans l’effacer, ou effacer un pas/une piste/un motif, avec un niveau d’annulation. Un axe de progrès pour une prochaine mise à jour ! On ne peut pas non plus changer de son à chaque pas, ce que fait très bien une Analog Rytm. Ceux qui veulent s’en remettre au sort seront enchantés par la fonction aléatoire, agissant pas piste.
Orientation live
Un fois les motifs et les kits programmés, la Drumlogue est clairement orientée performance live, grâce à des fonctions de jeu direct. On peut ainsi couper/activer une piste en live (il manque la fonction solo, également signalée à Korg), boucler un motif ou une piste en maintenant les pas souhaités (lus dans l’ordre ou aléatoirement, à différentes divisions/multiplications du tempo), appliquer un Groove, modifier la structure même du rythme (temps et vélocité), enchainer les motifs à la main (avec action directe ou à la fin du motif) ou programmer l’enchainement de plusieurs motifs. Le mode Chain permet ainsi d’enchaîner jusqu’à 16 motifs, sans répétition, ce qui est bien trop basique, d’autant qu’il n’y a qu’une seule mémoire Chain et aucun mode Song. Fonction à revoir et à muscler SVP !
Mais revenons en détail sur les fonctions temporelles : la Drumlogue offre la polymétrie et la polyrythmie. Pour chaque piste d’un motif, on peut changer le nombre de pas (1–64) et la division temporelle (1/8, 1/8T, 1/16, 1/16T, 1/32, 1/32T), ce qui apporte une complexité rythmique vraiment intéressante. La fonction Groove permet quant à elle « d’humaniser » le jeu, en agissant sur le timing et la vélocité des motifs ou des pistes individuelles. On trouve 27 riffs préprogrammés dans différents styles musicaux sur 16 pas, qui vont ainsi décaler les pas du motif ou de la piste sélectionnée, en timing et/ou en vélocité. On peut ensuite éditer, pour chaque pas, le décalage de timing et vélocité sur +/- 100 %, pour accentuer ou contrer l’effet du riff de Groove. Ces différentes possibilités de programmer des automations sonores d’une part et de déstructurer le rythme en live d’autre part constituent les gros points forts de la Drumlogue.
Conclusion
La Drumlogue est une BAR sérieuse, capable de produire des sons variés et de très bonne qualité, grâce à différents moteurs analogiques, PCM et multisynthèse. L’ensemble des paramètres est mémorisable au sein de kits de percussions. Une solide section effets vient embellir le tout. La partie rythmique est également bien dotée. L’enregistrement des motifs est très complet, avec modes temps réel et pas à pas, probabilités, ratchets, règles de déclenchement, automation, polymétrie et polyrythmie. On trouve aussi de nombreuses fonctions orientées live, que ce soit pour altérer la rythmique, décorréler les pistes, reboucler ou enchainer des motifs à la main. La fonction chainage très basique et l’absence de véritable mode Song orientent nettement la Drumlogue vers la performance live, même si on peut envoyer des changements de programme (motifs et kits) via Midi. Il manque aussi à notre sens la fonction solo, l’édition des mouvements de paramètres et la possibilité d’enregistrer des mélodies, souhaitant que Korg intègre tout cela rapidement. L’ouverture au développement de moteurs de synthèse et d’effets tiers permet une belle variété sonore et une évolutivité. Bien plus puissante qu’un BAR analogique, elle s’apparente davantage à Analog Rytm, en plus simple d’utilisation, moins puissant et moins cher. Proposée à un tarif abordable au vu des fonctionnalités et de la qualité sonore, nous lui décernons un Award Qualité/Prix.