Annoncée au printemps, le renouvellement de la série Artisan de Cort met tranquillement à jour un best-seller des bassistes aux quatre coins du monde. Cette réussite ne doit rien au hasard, tant ces basses offrent depuis leurs premières versions à la fin des années 90 un rapport qualité-prix bluffant. Penchons-nous donc sur ces nouvelles versions, qui ne bouleversent pas le concept, mais ajoutent quelques petites nouveautés non négligeables.
Des basses à Cort
C’est un sentiment assez indescriptible que de recevoir d’un coup, dans un gros colis, trois nouvelles basses. Imaginez le matin de Noël pour un bambin qui découvrirait dans le salon non pas un, mais trois sapins avec des cadeaux partout. Il y a un sentiment d’excès qui donne un peu le tournis, surtout quand les basses en question sont loin d’être repoussantes.
La gamme Artisan comporte toujours trois niveaux (A, B et C par ordre décroissant de niveau de finition et donc de prix), auxquels s’ajoute maintenant le suffixe « Plus » pour marquer le renouvellement de la gamme, et chaque niveau comporte moult options. Prenons un grand cachet d’aspirine et faisons le tour des modèles :
- Le niveau C propose un corps en acajou avec un bloc central en érable et deux ailes surmontées d’une fine table en zebrawood, avec un manche vissé. Des versions de 4 et 5 cordes sont disponibles.
- Le niveau B propose deux options pour le bois du corps (acajou ou frêne léger) toutes deux en finition « naturelle », avec un manche vissé. Des versions de 4 et 5 cordes frettées et fretless sont disponibles.
- Le niveau A existe en version Plus avec un manche traversant de 5 plis érable/wengé, un corps en acajou, et une table en érable flammé. Des versions de 4, 5 et 6 cordes sont disponibles, toutes avec une finition naturelle ou « cherry ». Notons qu’il y a aussi une version « Ultra », avec toujours un manche traversant, mais un corps en frêne des marais et une table en palissandre. Cette version est disponible avec 4 ou 5 cordes.
Il y a donc de multiples combinaisons possibles, et nous testons ici les modèles C4 Plus, B4 Plus avec corps en frêne, et A5 Plus. Tous ces modèles partagent une silhouette identique, avec un corps très effilé, fluide et moderne, accompagné d’un manche également extrêmement fin. L’ensemble du design général est proche des Ibanez SR qui ont toujours été des cousines germaines de ces Cort Artisan, allant jusqu’à partager les mêmes usines de fabrication (Indonésiennes sur ces modèles). Les basses sont légères (aux environs de 4 kilos pour les 3 modèles testés), très bien équilibrées aussi bien assis que debout avec une sangle.
Au chapitre de l’électronique, tous les modèles utilisent les mêmes micros Bartolini MK1 et un préampli en configuration courante avec volume, balance des micros, égalisation 3 bandes avec un switch actif/passif. Notons qu’en mode passif il n’y a pas de tonalité. Le préampli est un Bartolini MK1 sur le niveau A, et un tout nouveau préampli Markbass pour les niveaux B et C.
Coté accastillage, les niveaux A et B offrent des mécaniques Hipshot Ultralight (contre des mécaniques à bain d’huile sans marque particulière pour le niveau C). Le niveau A comporte un chevalet Hipshot massif avec cordes traversantes. Les boutons de potentiomètres sont également des Hipshot avec un double cerclage de caoutchouc sur les modèles A et B, en lieu et place des boutons métalliques standards sur la série C.
Enfin, ces trois basses sont livrées équipées de cordes D’Addario Nickel, et sans housse ni étui. Fait intéressant, au déballage les trois basses (au minimum arrivées de l’entrepôt de l’importateur français voire directement de l’usine indonésienne) étaient parfaitement réglées et accordées !
Malgré des différences de configuration, de lutherie et d’équipements, les trois modèles testés m’ont semblé très homogènes sur un point : le look et la finition. Pour le prix demandé (environ 430 € pour la C4 Plus, environ 520 € pour la B4 Plus, environ 830 euros pour la A5 Plus) on a trois basses très bien réalisées. Les modèles à manche vissé ont des vis avec inserts dans le bois, le manche traversant montre un multi-plis du meilleur goût, tous les vernis sont impeccables, etc. La lutherie industrialisée, dont Cort est le fer-de-lance sous sa marque propre comme en tant que fabricant pour d’autres marques, a clairement atteint un haut degré de maturité. Les modèles ne sont pour autant pas interchangeables, et chacun d’entre eux a sa personnalité propre.
A Cort et à cris
Commençons avec la C4, la plus abordable du lot. Au premier contact on est surpris de la qualité générale de la basse. C’est la première que j’ai déballée et lorsque je l’ai prise en main, je me suis demandé comment pouvaient être les plus chères si celle-ci était déjà de ce niveau !
Une fois passé ce premier contact, l’œil tatillon pourra tout de même trouver quelques menus défauts : le talon est ergonomique, mais la jonction corps/manche n’est pas parfaitement ajustée (la découpe du corps est légèrement plus courte que celle du manche), le manche ne présente aucun défaut, mais les bois utilisés sont somme toute assez banals, avec une prise en main pas folichonne, le vernis au dos du manche étant si fin qu’on le sent presque absent. Le corps avec un bloc central imitant un manche traversant est un peu surprenant, et la table ornant les ailes est d’une finesse telle qu’elle ne va pas jusqu’aux bords du corps aux découpes très arrondies.
Côté son, là non plus on ne peut pas vraiment faire de reproche, mais ce n’est pas non plus le miracle. En passif, les micros Bartolini MK1 manquent vraiment de personnalité, surtout le micro manche. Le passage en actif avec les 3 bandes d’égalisation au neutre n’est pas neutre du tout, le niveau de sortie augmente nettement, avec un boost dans les graves et un creux dans les hauts mediums. On découvre donc là que ce nouveau préampli Markbass se range dans la catégorie des préamplis avec une personnalité forte, qui impriment leur son sur celui de la basse. Ici, sur cette C4, le son de la basse en devient meilleur, plus flatteur, mais garde un côté très propre, tout à fait utilisable, mais assez froid, on sent nettement que le son dépend de l’électronique.
Sur les trois premiers extraits suivants, je joue la basse successivement avec le micro manche, balance au milieu, puis le micro chevalet, à chaque fois en passif puis en actif (notez l’augmentation nette du niveau de sortie en actif). Le son est sans véritable reproche, mais ne me fait pas frissonner non plus. Notez que dans un simulateur d’ampli ou en répète dans un vrai gros ampli ça prend tout de même une dimension bien plus agréable.
- 1 C4 micro manche 00:36
- 2 C4 micro chevalet 00:37
- 3 C4 micros milieu 00:33
Le préampli propose des corrections intéressantes, car pas trop excessives. Dans le quatrième extrait, balance au milieu, j’illustre rapidement les contrôles de graves, de médiums et d’aigus, en les poussant quasi à fond ou coupant quasi à fond à chaque fois. Le contrôle d’aigus est intéressant, car positionné assez bas en fréquence. Il se comporte presque comme une bande de hauts-médiums, et lorsqu’on le pousse, donne plutôt du « grognant » que du « clinquant ». Les deux autres sont plus classiques.
En passant à la B4, on monte d’un gros cran dès la prise en main. Le corps en 3 parties en frêne est vraiment superbe, les courbes fluides et le vernis très fin le mettent tout à fait en valeur. Le manche 5 plis en wengé et palissandre a un toucher beaucoup plus agréable que l’érable pas folichon de la C4. L’ensemble fait furieusement penser à un certain constructeur allemand spécialiste des manches en wengé ou ovangkol, ou bien aux Ibanez SR de niveau Premium.
Coté son, le mode passif souffre toujours du manque de personnalité des MK1, mais cette fois-ci, seul le micro manche reste décevant, le micro chevalet seul ou en combinaison est beaucoup plus intéressant. Le son en passif, balance au milieu, m’a par exemple beaucoup plu au médiator. En actif, on retrouve l’effet de boost du préampli Markbass, mais, ici, il semble se combiner beaucoup mieux avec les autres éléments de la personnalité sonore de la basse. Le micro manche prend un coup de peps qui lui manque en passif, et dès qu’on ajoute un peu de micro chevalet ça grogne très agréablement. On tient ici un trio bois/micros/préamp gagnant, on se prend même à se demander ce que donnerait l’ensemble avec des micros plus hargneux (les micros Nordstrand qui équipent les cousines Ibanez me viennent à l’esprit). Il faudrait tester la version avec corps en acajou pour déterminer si elle montre la même différence avec la C4.
Les corrections proposées par le préampli Markbass restent assez raisonnables en intensité. Au final, le son que j’ai préféré sur cette basse est celui en actif, mais préampli « tout à plat », en profitant simplement de la couleur sonore « naturelle » du préampli sans toucher les potards de l’égalisation. C’est cette couleur sonore que j’illustre dans les 3 extraits suivants, où je joue la basse successivement avec le micro manche, balance au milieu, puis le micro chevalet, à chaque fois en passif puis en actif, et cette fois-ci au médiator pour changer :
- 1 B4 micro manche 00:33
- 2 B4 micro chevalet 00:39
- 3 B4 micros milieu 00:46
Abordons maintenant la A5. Ici, on change de nombreux paramètres d’un coup : bois du corps, cordes traversantes, chevalet massif, préampli différent, et le manche traversant qui, par rapport au manche des 4 cordes, reste très fin et plat, mais est bien sûr plus large. On a donc un manche de 5 cordes de profil très moderne, avec un écartement de cordes assez proche des écarts d’une 4 cordes. N’ayant pas essayé les séries B et C en 5 cordes, j’ignore si ces versions de 5 cordes partagent le même profil de manche que leur grande sœur, et réciproquement si la A4 a le même profil de manche que les B4 et C4, mais c’est tout de même assez probable.
Le bilan de ces nombreuses différences est une basse qui ne se comporte pas du tout comme ses frangines B et C. Là où la série B semble une version plus aboutie de la C avec plus de personnalité et de mordant, la A se positionne dans un registre de son très souple, très polyvalent, et naturellement beaucoup plus brillant (surtout avec ces cordes neuves). Le préampli Bartolini MK1 ne réagit pas du tout comme le Markbass : le passage du passif à l’actif, égalisation « tout à plat », change à peine le son, pas d’augmentation du volume et à peine un léger creux dans les bas-médiums. Les corrections sont très efficaces, mais pas caricaturales, on peut booster les graves à fond sans démolir les membranes des HP et même pousser les aigus sans générer un souffle insupportable. Le potard des médiums joue à fond la carte du réglage de « personnalité » : le boost donne une couleur « fendérisante » ou « musicmanienne » au micro manche ou chevalet, le cut est idéal pour du slap ou un son moderne type musiques RnB/soul/gospel modernes. On a ici une basse clairement conçue pour la polyvalence sonore. Difficile d’illustrer la gamme des sons possibles, voici 3 extraits avec 3 exemples de son bien différents et pourtant tous tirés de la même basse, en combinant les positions de micros et un peu d’ajout du préampli.
- 1 A5 micro manche boost mediums 00:25
- 2 A5 micro chevalet boost bass 00:23
- 3 A5 micros milieu cut mediums 00:28
La Cort au cou
Si l’on devait résumer le positionnement respectif des 3 niveaux, je dirais que la série C a pour atout son prix très accessible, et propose un ensemble de caractéristiques tout à fait honnêtes. Son positionnement est donc celui du rapport qualité/prix avant tout. Elle est objectivement bien fabriquée, et semble robuste et bien construite. Mais le son obtenu manque un peu de consistance et de personnalité, surtout en passif. Je lui mets donc la note de 3,5/5.
La série B offre, à mon goût, de meilleures performances pour un prix guère plus élevé. J’ai préféré sa combinaison de bois frêne/manche wengé, et le couple de micros Bartolini MK1/préamp Markbass est plus dynamique sur cette B que sur la C. Elle a une vraie personnalité, seul le micro manche est encore un peu trop sage à mon goût. Esthétiquement (donc de manière complètement partiale) c’est un sans faute. Le préampli est censé lui donner de la polyvalence, mais elle est plus à l’aise quand on ne touche guère à l’égalisation et qu’on prend le son naturel de la basse, avec juste le complément de personnalité du préampli. C’est celle des 3 qui m’a le plus séduit et elle mérite son 4,5 sur 5.
La série A est un animal complètement différent. Nettement plus chère, bien mieux équipée, avec une orientation sonore différente, c’est un vrai outil de travail pour la scène ou le studio. Même si sa souplesse lui permet de toucher un peu à tout, je la trouve tout de même plus à l’aise dans les sons de basse moderne, plutôt que dans la tentative d’imitation des grands classiques à la Leo F. Je lui donne un bon 4/5, car c’est un superbe outil.
Au final, on a une moyenne de 4/5, et ces basses méritent toutes notre Award rapport qualité/prix. Chacune sur leur créneau, elles sont tout à fait crédibles et opérationnelles. Il ne fait nul doute que de nombreux bassistes du monde entier se laisseront séduire par l’Artisanat coréano-indonésien.