Recette : Copiez un casque allemand, puis copiez le nom d'un autre casque allemand (mais d'une autre marque). Mélangez les deux. Usinez-le tout en RPC. Laissez refroidir quelques années et dégustez ce test, que vous pouvez accompagner de ce que vous voulez...
Loin de moi l’idée de me moquer facilement d’un site écrit en anglais par des non-natifs-anglophones. Après tout, pourquoi est-ce que tout le monde devrait, globalement, parler et écrire l’anglais correctement ? N’y a-t-il plus de place pour la diversité linguistique ? Ou tout simplement pour l’ignorance ?
Cela dit, je dois bien souligner que le site Internet de la marque Superlux, dans la rubrique « About Superlux », pose trois questions majeures, qui glissent subrepticement de l’ontologique au métaphysique, et accompagne nos propres réflexions : « Who is Superlux? », « Where is Superlux? » et, plus important, « Why Superlux? ». Why, indeed? Lorsque l’on voit ce casque, c’est bien la première question que l’on se pose : pourquoi ?
En fait, non, je ne suis pas si naïf. Je sais très bien pourquoi. Pour le brouzouf.
Voilà donc un casque concurrentiel, c’est le moins qu’on puisse dire de lui. Un faux DT 770 Pro (jusque dans les moindres détails), avec un nom de casque Sennheiser. C’est la réunification allemande ! (je plaisante, les deux constructeurs susmentionnés sont bien entendu tous les deux d’ancienne Allemagne de l’Ouest). Et le tout pour 38 euros.
Allez, on ne va pas être bégueule. C’est l’heure du test.
Présentation
Spécifications
Le HD-660 PRO est un casque de type circumauriculaire, fermé, avec un transducteur dynamique. La taille du transducteur est de 40 mm.
Les spécifications annoncées par le constructeur sont les suivantes :
impédance : 32 ohms (il existe aussi une version 150 ohms)
réponse en fréquence : 10 Hz – 30 kHz
Le HD660 PRO est fourni avec un seul câble, non détachable, de 2 mètres, avec une terminaison jack TRS 3,5 mm et son adaptateur 6,35 mm.
Toute la finition est cheap : le fini des fourches, par exemple, est rugueux, avec des angles mal ébarbés. Le métal est tordable à la main, sans forcer (je l’ai fait !) et peut être ensuite remis en place (mais pas sans créer quelque dégât, bien sûr). C’est d’autant plus dommageable que le casque n’est pas pliable, ce qui fait craindre pour sa durabilité.
Les coussinets sont en « velours », au fini très brillant, un peu bling. Ils sont doux, mais tiennent chaud, mais pas plus que ceux du casque qu’ils copient par ailleurs.
La mousse de l’arceau souffre elle aussi des mêmes défauts de finition, en particulier des coutures qui s’ouvrent aux extrémités.
Démontable ?
Partiellement.
C’est tout comme le DT-770, mais avec des concessions très parlantes. J’explique…
On enlève les mousses :
Là on découvre que le pourtour de l’écouteur n’a pas l’encoche typique des Beyerdynamics, encoche qui sert à réinstaller plus facilement le coussinet sur l’écouteur. Premier élément manquant donc…
On enlève l’anneau qui maintient en place la mousse de protection :
Puis on fait basculer la plaque de maintien du haut-parleur en le penchant en avant :
Regardez attentivement : les câbles arrivent au HP et sont soudés sur un petit circuit imprimé. Les deux soudures sont bombées, pâteuses. On sent un fer mal réglé… Au moins, c’est fait à la main. Mais dans quelles conditions ?
Comment se fait le maintien des câbles à l’intérieur ?
Nœuds et torsions au rendez-vous ! Le nœud est particulièrement peu conseillé comme système de blocage d’un câble. Bref, toute la construction sent l’économie. Et pour finir, le transducteur est collé ! Avec de gros pâtés de colle qui débordent par l’avant :
Confort
Correct.
Sans plus. Les coussinets sont confortables, mais le casque sert un peu trop, tout particulièrement au-dessus des oreilles (voire ci-dessous, la partie isolation), ce qui est assez fatigant à la longue. L’arceau n’est pas trop lourd, le rembourrage fait bien son travail.
Isolation
Moyenne.
Le casque ne s’adapte pas bien à la forme du crâne, et bâille en dessous des oreilles, laissant passer en partie les sons extérieurs.
Transport
Le casque est fourni avec une pochette de transport de qualité moyenne :
Mais le gros problème c’est surtout, comme dit précédemment, que le casque se tord facilement, alors même qu’il ne se plie pas. Mieux vaudra ne pas trop lui appliquer de pression sous peine de perdre sa forme.
Benchmark
Voici donc le nouveau protocole de mesures objectives, mené par nos soins afin de compléter l’écoute subjective. Avec l’aide précieuse de notre testeur EARS de MiniDSP, nous avons le plaisir de pouvoir vous fournir des courbes de réponse en fréquence et distorsion, réalisées dans notre atelier.
Réponse en fréquence :
On remarque :
- Un profil linéaire de 20 Hz à 4 kHz
- avec une accentuation à 100 Hz
- une accentuation des aigus au-dessus de 5 kHz, et cela jusqu’à 18 kHz
- presque aucun vrai creux
Les transducteurs sont très bien appariés, rien à redire à ce niveau !
Distorsion :
La distorsion mesurée est inférieure à 0,2 % entre 150 Hz et 1,2 kHz, puis à nouveau au-dessus de 3 kHz. Elle est supérieure ou égale à 1 % de 32 Hz à 70 Hz, donc on peut craindre un grave assez brouillon. Pire : les harmoniques impaires sont en avant sur presque tout le spectre.
Écoute
Richard Hawley – Don’t Get Hung Up In Your Soul (sur Truelove’s Gutter)
Une ballade acoustique, avec beaucoup de réverbe et une différence de dynamique importante entre la voix et la guitare. Ça imite pas mal de DT770, il n’y a pas à dire. Un résultat très aéré, dans lequel l’aigu prend le dessus, et donne un effet très articulé, très détaillé, avec en avant toutes les consonnes, les respirations, et les queues de réverbe facile à suivre. Le reste du spectre n’est pas incroyable : le grave est présent, c’est sûr, mais sans trop de nuances, avec un son qui manque de précision. Le médium est bien, plutôt détaillé, nuancé, pas trop en avant.
Sun Kil Moon – Butch Lullabye (sur Common As Light And Love…)
Sur l’intro, on doit entendre à la fois les notes graves, les harmoniques médiums ajoutées par la distorsion, l’attaque légèrement piquée des notes, tout en séparant bien la grosse caisse qui sonne assez sèche et médium. On retrouve les mêmes impressions : des aigus très en avant (la caisse claire claque fort dans l’aigu, manque un peu d’assise, les shakers sont très en avant). Le grave est présent (même s’il n’est pas d’amplitude égale sur toutes les notes), mais pas très nuancé. Le casque se révèle vraiment intéressant pour rechercher des défauts, où suivre un programme sonore dans une ambiance bruyante (les attaques très en avant permettent de bien suivre).
Massive Attack – Teardrop (sur Mezzanine)
Un titre avec beaucoup d’extrême grave, mais qui ne doit jamais masquer les nombreux détails dans le haut médium et l’aigu. L’impression se confirme : précision des attaques, des détails, mais un côté « pataud ». La basse est énorme, elle mange le centre du mix, comme si elle luttait contre le piano. L’aigu accentué n’évite pas toujours la sibilance, certains « S » sont un peu désagréables à écouter parfois.
Charlie Mingus – Solo Dancer (sur The Black Saint And The Sinner Lady)
Voilà un morceau avec beaucoup de soufflants jouant dans des tessitures similaires : c’est très touffu et le but est d’essayer de discerner les timbres. On commence à avoir fait le tour de ce casque, et les résultats ne réservent plus beaucoup de surprises : ici encore, pleins de détails, mais les cymbales sont également très en avant, avec une résonance vers 8–9 kHz assez désagréable, les instruments médiums sont bien représentés, le grave est présent, mais sans nuance et même parfois si brouillon que l’on ne comprend pas trop ce qui se passe dans cette zone du spectre.
Edgar Varèse – Ionisation (New York Philharmonic, dir. Pierre Boulez)
Ici on cherche à juger de l’image stéréo et du suivi de la réverbération naturelle de la salle, qui joue sur l’impression d’espace. L’écoute se fait entre 0 h 30 et 1 h 15 min. L’acoustique de la salle est bien rendue, on a une vraie impression de largeur, perceptible selon les nuances des attaques. Sur les parties ffff, certaines percussions aiguës deviennent carrément agressives. Ce n’est pas surprenant avec un casque de ce genre-là. De l’autre côté du spectre, les timbales sont très présentes, un peu lourdement, et chacune de leurs attaques « mange » un peu d’autres instruments, plus situés dans le médium. Bref, on perçoit bien les qualités et défauts du casque : précision due à des aigus très accentués, parfois presque à l’excès, et des médiums qui se font parfois masquer par une grosse basse, bien présente, mais aux dépens de la précision.
Conclusion
Nous ne passons presque jamais sous 5 sur 10. Mais quand il le faut…
Le vrai problème de ce casque, ce n’est pas les reproches que l’on peut lui faire quant à sa sonorité. Il a des défauts à ce niveau-là, c’est vrai, mais comme casque de prise, ou casque « loupe », pourquoi pas ? Au moins, avec autant d’aigus, vous n’aurez pas de difficulté à percevoir les attaques, à bien saisir les structures de morceaux même dans des environnements bruyants, ou à rechercher des défauts. Et certes les basses sont grossières, plus que sur le DT770 qu’il copie, mais dans l’ensemble le rendu sonore n’est pas si lointain. Manque juste la définition… C’est déjà beaucoup malheureusement.
Non le vrai soucis, à mon sens, c’est cette construction au rabais. Rien ne va. Même les soudures sont dégueu ! On peut tordre le casque si l’on veut… Plus facilement qu’une petite cuillère !
Comment envisager travailler sur le long terme avec un tel appareil ? À moins qu’il ne quitte jamais le home-studio, passe de son stand à la tête de l’utilisateur et rien de plus… C’est un casque qui, de façon évidente, va poser des problèmes à long terme.