Dans le domaine de l’audio, les entreprises chinoises capables de concevoir, développer et diffuser leurs propres produits au-delà de leur marché interne sont encore rares actuellement.
CME est l’une d’entre elles. Fondée à Pékin en 1993, elle exporte depuis 2005 toute une gamme de produits aussi bien audio que MIDI, telle que la fameuse série de claviers maîtres UF, dont le modèle UF-6 testé ici même. Parallèlement, c’est vers elle que se sont tournés les Français de WaveIdea pour assurer la production et la diffusion de leur contrôleur MIDI Bitstream 3X, également testé dans nos pages.
Si les produits propres à l’entreprise pékinoise ont jusqu’ici principalement retenu l’attention pour leur côté astucieux et leurs tarifs « démocratiques », on ne peut en revanche pas prétendre que leur finition soit exemplaire ni leur design très révolutionnaire.
C’est pourtant sur ce terrain-là que CME a semble-t-il voulu marquer des points l’année dernière en proposant le XKey, un petit clavier-maître équipé de 25 touches extra-plates qui se paye en plus le luxe d’intégrer pitch-bend, modulation, « pédale » de sustain, vélocité et… aftertouch polyphonique ! Non, vous n’êtes pas une malheureuse victime de mirage au fond du Sahara, vous avez bien lu : polyphonique. Le tout dans une coque métallique argentée à la fois sobre et classieuse, et pour moins de 100 € !
Trop beau pour être vrai ? Votre serviteur s’est donc penché sur la question…
Physiquement intelligent
La boîte cartonnée, ultra slim elle aussi, ne contient que le clavier, un petit guide papier et le câble de raccordement USB/Micro USB, d’une belle couleur orange et d’une longueur d’environ 1 m. À noter qu’il existe une housse de protection – la Supernova – vendue séparément pour le pas si modeste prix de 25 €. À vous de voir, personnellement je trouve que cela fait cher le morceau de polyester rembourré, mais bon.
L’appareil lui-même se présente sous la forme d’un parallélépipède de 388 mm de large sur 130 mm de profondeur. Si la couleur grise métallisée, les angles supérieurs subtilement arrondis et la base délicatement galbée offrent un design agréable rappelant toutefois furieusement les canons esthétiques des produits technologiques habituellement siglés d’une pomme, c’est surtout ce qui se situe sur la face supérieure du boîtier qui attire notre regard et pique notre curiosité : 25 touches de respectivement 3 mm de hauteur pour les touches blanches et 5 mm pour les touches noires, ce qui élève la hauteur générale de l’appareil à 16 mm, touches comprises !
Ces dernières sont séparées d’environ 3 mm. On pourrait craindre que cela nuise au jeu, mais il n’en est rien, comme nous le verrons plus bas.
Toutefois, la communication de CME qui vante des « real-size keys » est un poil mensongère : les « vraies » touches de piano mesurent en général autour de 15 cm pour les touches blanches (12 sur le X-Key) et 10 cm pour les touches noires (7 sur le X-Key). Rien de bien grave. En fait, je suis plutôt intrigué par le peu d’espace séparant la limite supérieure des touches de l’arête postérieure de l’appareil : 5 mm, c’est du jamais vu ! Comment ont-ils fait chez CME pour gagner ainsi autant de place ? C’est simple, ils ont totalement revu le mécanisme d’action des touches. En effet, celles-ci ne pivotent plus verticalement sur un axe en leur sommet, comme classiquement sur tous les types de claviers, mais s’enfoncent de manière équivalente sur toute leur profondeur, où que se situe le point de pression du doigt. Ainsi, la place habituellement occupée au sommet et en dessous des touches par le mécanisme traditionnel a pu être récupérée afin de proposer un design particulièrement effilé. Bien vu !
Il est important de souligner que la finition est très correcte. Si l’on souhaite pinailler, on pourrait arguer que les touches ne sont pas toutes parfaitement alignées en hauteur et que certaines dépassent d’un quart de dixième de millimètre. Chipoteurs, garde-à-vous !
À la gauche du clavier, nous trouvons de haut en bas deux boutons de transposition d’octave, trois boutons sensibles à la pression (ou plutôt à son intensité) et commandant respectivement la modulation, la variation de pitch vers le haut et vers le bas, et enfin un dernier poussoir faisant office de pédale de sustain.
Pas grand-chose d’autre à dire concernant l’aspect extérieur de l’appareil, si ce n’est que nous trouvons de part et d’autre de l’angle supérieur droit de l’appareil une LED témoin de mise en fonction et la prise micro-USB permettant la connexion du clavier à un PC, un Mac, ou un appareil iOS.
Véloce, mais surtout très « touchy »
Le XKey est « class-compliant » avec les plateformes Windows (à partir de XP, pour ceux qui n’ont pas encore migré), Mac OS (à partir d’OS 10.5), et iOS (à partir de la version 5.1.1, et le soft de paramétrage n’est compatible qu’avec les iPad), donc aucun pilote n’est nécessaire.
Je branche donc le petit XKey à mon PC sous Windows 8.1, je lance un Kontakt de Native Instruments en standalone chargé avec le New York Piano du même éditeur, et je me jette dans une petite impro, histoire de.
Bien entendu, l’amplitude de 25 touches de ce clavier ne permet pas de se lancer dans de grandes envolées romantiques. Toutefois, la première impression est étonnamment positive. Les touches sont suffisamment grandes pour être agréables à jouer, et l’on se fait assez vite à leur mécanique et à leur disposition un peu particulières (voir plus haut). La vélocité est également bien gérée. Les courbes de vélocité sont éditables via logiciel (voir « Pour amadouer la bête »), mais globalement, si l’on sait avoir un toucher léger, on obtient toutes les valeurs de vélocité de manière plutôt naturelle. On aurait pu craindre que le très faible débattement des touches rende notamment les répétitions rapides de notes peu aisées, mais dans les faits, les touches répondent très bien aux sollicitations.
On prend même assez rapidement l’habitude d’utiliser le petit doigt de la main gauche pour activer le bouton de sustain. Certains pourraient regretter l’absence d’une prise permettant le raccordement d’une véritable pédale, mais n’oublions pas que nous sommes là dans le domaine de l’ultraportable, et que le but du XKey est d’offrir dans un minimum d’espace toutes les fonctions nécessaires au jeu sans nécessiter l’ajout de matériel supplémentaire. Finalement, la fonction offerte ici par CME est plutôt rare, et bienvenue.
Puisque nous parlons de jeu – et me sentant rapidement limité par le petit nombre de touches – je m’aventure à manipuler les boutons de changement d’octaves. Et là, petite déception. En effet, l’activation de cette fonction semble souffrir d’une micro-latence qui fait qu’en jeu rapide, une fois sur trois, la première note que l’on souhaitait faire changer d’octave se trouve encore « prise » dans l’octave précédente. Dommage. À l’inverse, il est toujours agréable d’avoir affaire à un « octave-shifter » intelligent qui ne modifie pas la hauteur d’une note déclenchée avant le changement d’octave et maintenue pendant celui-ci. On peut donc tenir une note basse pendant que l’on joue des notes situées par exemple trois octaves plus haut. Un bon point.
L’envie me prend alors de tester les capacités de la bête en matière de triturage du son via les boutons de pitch-bend, modulation, et via l’aftertouch. Pour cela, j’abandonne momentanément Kontakt et je me charge un petit Jupiter-8V de chez Arturia dont je sais qu’il gère l’aftertouch polyphonique. Kontakt aussi, hein, mais voilà, je n’ai pas de banque de synthé à disposition sous ce format-là, et puis j’ai une envie de sons « artificiels » pour tester les modulations.
Si tous les instruments virtuels ne gèrent pas l’aftertouch polyphonique, les plus célèbres répondent tout de même présents : Kontakt, comme je l’ai déjà indiqué, ainsi que Reaktor, toute la collection des produits Arturia, de même que le Zebra de chez U-He (à vérifier pour le reste de leur gamme), Alchemy de chez Camel Audio, ou encore Omnisphere… On notera toutefois dans cette liste non exhaustive l’absence de Massive et d’Absynth qui ne gèrent que l’aftertouch monophonique. Mais passons à la pratique.
Après avoir choisi un « new patch » dans mon Jupiter 8V, afin de me fabriquer le son le plus simple et le plus clean possible et pouvoir au mieux juger de l’influence des modulations issues du XKey, j’assigne l’aftertouch au pitch du VCO, je joue… et ouille, ça pitche de partout ! Autant la réponse de l’appareil à la vélocité est plutôt agréable et assez naturelle (voir plus haut), autant l’aftertouch est d’une sensibilité qui confine à la susceptibilité. Comme nous le verrons plus bas, le XKey dispose d’un logiciel autorisant toutes sortes de paramétrages, mais pas de réglage de la sensibilité de l’aftertouch à proprement parler. Et s’il est possible de régler le délai à partir duquel une pression de touche finira par envoyer des messages d’aftertouch, il est en revanche totalement impossible de ne pas déclencher ce dernier quand on joue. On est très loin de la reconnaissance de l’aftertouch d’un Novation Remote par exemple, avec lequel il fallait fortement accentuer la pression exercée sur la touche pour l’activer. Il est bien entendu que le design des deux produits n’a rien à voir, mais peut-être atteint-on là la limite du concept ultraplat du XKey. À moins qu’il ne s’agisse d’une faiblesse logicielle, le soft de paramétrage n’offrant pas la possibilité d’éditer une courbe de réponse dédiée à l’aftertouch. Personnellement, j’aurais préféré que CME apporte plus de soin à la gestion du déclenchement de ce dernier qu’à l’aspect polyphonique de la chose, nettement moins vital à mon sens. J’ai même très vite fait de totalement le désactiver, tellement il m’a été impossible d’obtenir un jeu naturel sans déclencher en permanence l’envoi de messages d’aftertouch.
Si la gestion de ce dernier s’avère un peu pénible, il en va heureusement autrement de la modulation et du pitch-bend. Les boutons sont disposés de telle manière que modulation et pitch-bend peuvent être activés simultanément tout comme leurs équivalents « molettes » sur la plupart des claviers MIDI traditionnels. On ne perd donc pas totalement ses habitudes. Et si la sensibilité de ces petits boutons est elle aussi très développée et que l’on passe rapidement d’une valeur extrême à l’autre, un peu de pratique permet de choper le coup et il devient alors possible d’activer les modulations comme on le souhaite, avec une précision inattendue pour ce genre de concept. N’oublions pas que ces boutons n’offrent bien sûr ni le repérage visuel d’une molette ni la même sensation physique. Et pourtant cela fonctionne. À compter donc parmi les bons points du XKey.
Pour finir, penchons-nous un peu sur le logiciel de paramétrage du clavier, à savoir XKey Plus.
Pour amadouer la bête
Ce dernier, identique dans ses fonctionnalités entre les versions Windows, Mac OS et iOS, offre de multiples possibilités de réglages.
Tout d’abord, l’écran d’accueil nous renseigne entre autres sur le numéro de série de notre XKey, ainsi que sur la version du firmware installée. Il nous offre également la possibilité d’updater celui-ci ou de restaurer les valeurs par défaut de tous les paramètres du XKey. Ceux-ci sont accessibles par différents onglets. Le premier permet de modifier la courbe de réponse de la vélocité. Comme précisé plus haut, on aurait aimé bénéficier de la même fonction pour l’aftertouch, mais impossible. On ne peut que choisir, dans le second onglet, si l’on souhaite affecter la courbe de vélocité à l’aftertouch ou non. Ce second onglet – pertinemment intitulé « assignments » – permet également de définir l’activation ou non de l’aftertouch, ainsi que son type (« Channel pressure », c.-à-d. monophonique, ou « Polyphonic »). Et c’est également via cet onglet que l’on choisira quel type de messages on souhaite faire envoyer via les boutons et touches du clavier.
Tous peuvent ainsi envoyer les messages suivants : « Note », « Control Change », « Program Change », « Pitch + », « Pitch - », à l’exception des boutons de changement d’octave et de pédale auxquels on ne peut affecter les fonctions de pitchbend, ces boutons n’étant pas sensibles à la pression et ne pouvant donc pas envoyer de messages continus. Par contre, les touches pourront toujours le faire même si l’aftertouch est « officiellement » désactivé. Si celles-ci sont réglées pour envoyer des messages de control change, c’est la vélocité qui définira la valeur du paramètre modifié, permettant ainsi de réellement « jouer » les effets au clavier. Une réglette permet de définir les valeurs minimales et maximales de cette modification. Enfin, pour du program change, on peut affecter à chaque touche le numéro de programme que l’on souhaite.
Le logiciel permet de voir pour chaque contrôleur si la fonction qui lui est associée est celle par défaut ou non, et dans ce dernier cas si la modification a été enregistrée ou non. On regrettera juste que la sélection des contrôleurs que l’on souhaite modifier dans XKey Plus ne se fasse que par l’intermédiaire de la souris et qu’on ne puisse pas les sélectionner directement à partir du hardware.
Le troisième onglet – « Sensitivity » - permet de gérer le gain de chaque touche et la sensibilité générale afin d’éviter d’avoir notamment des répétitions de notes intempestives. Enfin, le dernier onglet – « Timings » – offre plusieurs réglettes destinées à affiner les temps de réponse de divers paramètres tels que le délai entre deux déclenchements de note, ou celui précédant l’activation de l’aftertouch par exemple.
À noter que des fenêtres d’informations apparaissent dès qu’on laisse traîner la souris sur un paramètre, et que si l’on ne dispose pas de notice papier ou PDF, l’aide en ligne (qui nécessite donc une connexion internet, à moins de sauvegarder localement le fichier HTML) est directement accessible et très bien faite.
Conclusion
Le clavier proposé par CME (100€ environ en magasin) est séduisant par bien des aspects. Il est léger, très peu encombrant, et l’on s’étonne à prendre plaisir à jouer dessus, notamment grâce à une bonne gestion de la vélocité et aux astucieux boutons de modulation, pitch-bend et sustain. Toutefois, ce plaisir de jeu est gâché par des boutons de changement d’octave qui pourraient être un peu plus réactifs, et surtout — surtout ! — par un aftertouch qui s’avère tellement difficile à doser manuellement, que l’on en perd totalement l’avantage de la polyphonie… et surtout qu’on finit par le désactiver complètement. On aurait souhaité qu’il puisse être plus finement paramétré via le logiciel X-Key Plus, qui s’avère par ailleurs assez complet.
Pour conclure, on peut dire que la tentative de CME de produire un mini-clavier plus orienté « jeu » que « contrôle » est très intéressante, mais que compte tenu de la gestion pénible de l’aftertouch, on aurait presque préféré un modèle plus traditionnel privé de cette fonction, mais équipé de quelques potards.