La vie de pigiste pour Audiofanzine a ses avantages et ses inconvénients… Certes, passer son temps à tester les dernières nouveautés du monde de l’audio a de quoi rassasier la boulimie du Geek qui sommeille en nous. Cependant, au bout du énième banc d’essai consacré à la énième déclinaison virtuelle d’une machine hardware de légende, la lassitude commence à se faire sévèrement sentir.
Heureusement, de temps en temps, un produit sorti de nulle part vient raviver la flamme couvant sous les braises encore chaudes de notre curiosité meurtrie. Oui, je sais, j’en fais des caisses, mais je vous assure que parfois le manque de réelle innovation dans notre petit milieu a quelque chose de pesant. D’où mon bonheur non feint de vous présenter aujourd’hui Frei:raum, un plug-in d’égalisation pour le moins singulier…
Servus !
Avec son petit nom difficilement prononçable pour les non-germanophones, Frei:raum nous vient tout droit de Graz en Autriche. Développé par la toute jeune société Sonible, qui s’était jusqu’alors plutôt illustrée dans le milieu hardware broadcast, ce plug-in ressemble de prime abord à un égaliseur sept bandes somme toute ordinaire. Sauf qu’en réalité, il n’en est rien ! En effet, outre ses fonctions d’égalisation « classiques », Frei:raum propose trois algorithmes indépendants de traitement du signal évoluant en parallèle qui le transforment en un outil autrement plus novateur que l’EQ de base. Mais commençons par le commencement.
Avec son bandeau supérieur vert, le premier algorithme est celui qui fait office d’égaliseur « ordinaire » sept bandes à phase linéaire. Chacune des bandes dispose de réglages pour la fréquence (de 20 Hz à 20 kHz), le gain (+/- 24 dB), et le Q (0 à 20). Ces bandes sont débrayables, peuvent être mises en solo et proposent deux types de filtres chacune. Aux deux extrêmes, nous avons droit à un filtre en cloche et un passe-haut ou passe-bas. Juste à côté de ces bandes, nous avons le choix entre filtre en cloche ou en plateau. Et enfin, les trois bandes situées au milieu peuvent être configurées en filtre en cloche basique ou passer en mode Smart EQ, ce dernier étant symbolisé par une petite baguette magique. Avant d’expliquer ce curieux mode « magique », un petit mot quant à l’ergonomie.
Les bandes peuvent se régler de plusieurs façons. Tout d’abord via le bandeau supérieur, soit avec un clic maintenu sur une valeur suivi d’un glissement vers le haut ou le bas, soit avec un double-clic sur une valeur pour une saisie au clavier.
Il est également possible « d’attraper » et de manipuler une bande directement sur la représentation graphique centrale. Un code couleur permet alors de savoir clairement sur quelle bande vous travaillez, mais également sur quelle largeur de bande. Une telle manipulation en maintenant la touche Alt enfoncée permet de régler le Q, la même chose avec cette fois la touche Shift bloque la fréquence pour ne travailler que sur le gain, et un double-clic remet tout à zéro.
D’autre part, l’égalisation peut se régler « à l’aveugle » en activant le mode « blind:flug » via un clic sur le bouton idoine situé dans le coin supérieur droit de l’interface. Ainsi, vous trouverez des potentiomètres virtuels en lieu et place de la représentation graphique centrale.
Pour finir, Frei:raum dispose d’un switch « clear solo » afin de supprimer les solos actifs sur les diverses bandes, d’un autre labellisé « flat » pour remettre l’algorithme sur lequel vous travaillez à zéro, d’un bypass et d’un solo pour chacun des trois algorithmes, ainsi que d’un bypass pour court-circuiter le traitement du plug-in dans son ensemble sans avoir à subir de sauts audio à cause de la latence induite par cet EQ… Car c’est l’un des points noirs de l’engin, une bien belle latence de 4096 samples minimum. Ceci étant, ce n’est pas si énorme que ça pour un égaliseur à phase linéaire. Et puis il y a les fonctions bonus, à commencer par le Smart EQ…
Que se passe-t-il lorsque l’on clique sur la baguette magique de l’une des trois bandes centrales ? Eh bien, la bande bascule en mode Smart EQ et se voit affublée d’une petite étiquette avec un bouton de type « record » permettant d’analyser le contenu spectral du signal traité. Pour un résultat efficace, il faut lancer l’analyse sur une portion significative de votre voie ne contenant que très peu de silence. Une fois cela fait en une poignée de secondes, la bande n’agit alors plus du tout comme un filtre classique, mais plutôt comme un filtre « intelligent », s’adaptant au mieux à la source. Le résultat est assez difficile à décrire avec des mots, mais ce Smart EQ semble traiter le signal en tenant compte des résonances afin d’obtenir une balance optimale. Chose curieuse, si l’on compte utiliser les trois bandes dans ce mode, il faudra lancer le processus pour chacune d’entre elles, alors que les résultats semblent identiques. Notez d’autre part qu’un potard « sensitivity » permet de doser l’acuité de l’algorithme : une valeur faible se concentrera sur les crêtes d’une largeur de bande étroite, alors qu’une valeur plus élevée agira d’une façon plus globale.
À l’usage, l’ensemble est relativement pertinent et la possibilité de ne traiter que certaines parties du spectre via les trois bandes permet d’ajuster le tout à son goût. Cependant, n’attendez pas de cet algorithme qu’il fasse tout le travail à votre place, nous ne sommes pas dans le monde de Oui-Oui. D’autre part, une amplification ou une atténuation trop violente avec cet outil entrainera forcément quelques artefacts audio plus ou moins audibles, il faut donc savoir raison garder. Mais enfin, le rendu sonore est tout de même assez bluffant, comme nous le verrons par la suite avec les exemples audio.
Passons maintenant au deuxième algorithme, j’ai nommé Proximity EQ. Tout de bleu vêtu, ce dernier n’a en fait rien à voir avec un égaliseur, si ce n’est que son action peut être définie indépendamment selon sept bandes. Mais que fait-il donc alors ? Eh bien, comme son nom le laisse supposer, Proximity EQ offre la gestion de la sensation de distance avec la source sonore en dosant le mélange entre le signal utile et le signal réverbéré. Bref, il s’agit plus ou moins d’une sorte de « dé-réverbérateur » multibandes. Outre le fait de pouvoir appliquer Proximity EQ de façon plus ou moins prononcée selon les zones du spectre sonore, l’algorithme dispose d’un potard de balance globale de son action, d’un autre baptisé « strength » ajustant la séparation entre le son direct et le son diffus, et enfin d’un dernier potentiomètre « smoothing » pour adoucir le rendu et ainsi éviter les artefacts. Comme avec le Smart EQ, les résultats obtenus sont la plupart du temps probants. De plus, poussé dans ses derniers retranchements, ce traitement produit des sonorités assez étranges qui pourront éventuellement servir en situation de Sound Design.
Le dernier algorithme répond au doux nom d’Entropy EQ et se distingue visuellement de ses confrères par sa teinte garance. À l’instar du Proximity EQ, ce traitement n’est pas un égaliseur à proprement parler. Entropy EQ se propose tout simplement de doser le mélange entre le contenu harmonique et inharmonique du signal, comprenez par là qu’il gère la balance entre les transitoires et le déclin du son. En cela, il se comporte un peu comme un Transient Designer, sauf qu’une fois encore, cet algorithme travaille sur sept bandes. Niveau réglage, outre ceux des différentes bandes, Entropy EQ offre un potentiomètre pour la balance globale du traitement ainsi qu’un potard « strength » gérant la séparation entre contenu harmonique et inharmonique. Là encore, le rendu sonore est à la hauteur des attentes. De plus, il s’avère que cet Entropy EQ se marie à merveille avec l’algorithme Proximity EQ lorsqu’il s’agit d’affiner encore plus la sensation d’espace sonore. Enfin, ce dernier larron peut lui aussi être intéressant en matière de Sound Design.
Après ce tour du propriétaire, prenons un instant pour nous plaindre un petit peu…
Motzig…
Frei:raum est un plug-in dont l’interface est relativement claire avec des retours visuels colorés foisonnants censés faciliter sa manipulation. Cependant, trop de couleur finit par tuer la couleur. À tel point qu’on se surprend parfois à manipuler une bande de l’un des trois algorithmes alors qu’on pensait travailler sur un autre. Cela n’a rien de rédhibitoire et l’on finit par s’y faire, mais enfin, cela fait tout de même désordre. Peut-être qu’une fonction « lock » bloquant telle ou telle bande sur son réglage actuel pourrait éviter quelques accidents malencontreux. Ou bien encore une fonction « undo/redo » afin de pouvoir revenir en arrière pourrait servir de garde-fou… Bref, en l’absence de solution, la prudence est de mise.
Hormis cela, il est regrettable que Sonible n’ait pas cru bon d’intégrer un comparateur A/B. En effet, pour obtenir un résultat des plus naturels, il est nécessaire de prendre son temps pour affiner les différents réglages. Pour ce genre de tâche, une fonction A/B aurait été une arme précieuse.
Au rayon des absents, nous pouvons également compter l’option « dry/wet ». C’est assez dommage, car cela facilite diablement la vie avec ce genre de traitement. D’ailleurs, il aurait été encore plus judicieux d’inclure un potard « dry/wet » indépendant pour chacun des algorithmes.
Enfin, en grands gourmands que nous sommes, nous aurions apprécié avoir la possibilité de régler les paramètres « strength » et « smoothing » des Proximity EQ et Entropy EQ de façon indépendante pour chacune des bandes. Cela aurait réellement décuplé la puissance de la bête. Toutefois, ne boudons pas notre plaisir, car il y a déjà largement de quoi faire.
Avant de passer à notre session d’écoute, faisons un point sur quelques détails techniques que j’ai omis de préciser en début de test. Frei:raum est disponible aux formats VST, AAX et AU en 32 et 64-bit pour Mac OS X (10.7 et plus) et Windows (Seven et plus).
Question tarif, il vous faudra débourser 399,90 € pour pouvoir profiter de l’engin sur un ou deux ordinateurs. Oui, ça pique un peu. En même temps, vu les capacités de cet égaliseur hors-normes, nul doute que l’éditeur a dû dépenser pas mal d’énergie en R&D et cela se paye, c’est évident. De plus, Sonible offre une remise éducation de 40 %, ce qui est tout de même généreux.
L’installation est un véritable jeu d’enfant. En revanche, pour l’autorisation, il y a un hic. La procédure est ultra simple en soi… mais nécessite obligatoirement que votre ordinateur soit connecté au net.
Pour finir, sachez que la bestiole consommait environ 2,5 % de ressources CPU sur la machine de test (MacBook Air Core i7 bicœur cadencé à 2 GHz). Certes, cela n’est pas anodin, mais il faut bien se rendre compte que Frei:raum n’est pas non plus le style de plug-in qu’on utilise par palette de douze sur une même session. Rien d’alarmant, donc.
Voyons maintenant ce que cet EQ atypique a dans le ventre…
Mia gengan heit auf Lepschi !
Pour commencer, essayons Frei:raum sur une piste de batterie virtuelle noyée dans une réverbe.
- 01 Drums verb 00:19
- 02 Drums verbless 00:19
Ici, le mariage Proximity EQ / Entropy EQ donne quelque chose de plutôt convaincant. Mais c’était un cas « facile », voyons ce que cela donne en partant d’une base beaucoup plus complexe…
- 03 Drums dry 00:13
- 04 Drums wet 00:13
- 05 Drums good 00:13
- 06 Drums Sound Design 2 00:19
Il s’agit de l’enregistrement témoin d’une batterie réalisé lors d’une répétition avec mon groupe au moyen… d’un simple iPhone 4S avec son micro mono d’origine. Cette prise n’a jamais eu d’autre prétention que de servir de référence pour l’étape de composition/arrangement d’un titre. Néanmoins, j’ai voulu tester ce que Frei:raum pouvait donner sur une source aussi « pauvre ». Le premier extrait est le son brut issu de l’iPhone. Le deuxième combine les trois algorithmes afin d’obtenir un rendu plus ou moins exploitable. Le troisième est un peu plus « charcuté », mais c’est finalement ce qui convenait le mieux au titre en cours d’arrangement. Enfin, le dernier est le résultat d’un petit plaisir solitaire durant lequel je me suis amusé à envoyer la batterie vers un auxiliaire disposant d’une instance du plug-in avec des réglages extrêmes pour l’Entropy EQ et le Proximity EQ, le tout suivi d’un delay. Avouez que ces résultats sont assez bluffants, surtout lorsqu’on sait que la source provient d’un téléphone portable !
Continuons avec une prise de guitare acoustique.
- 07 Gtr dry 00:43
- 08 Gtr wet 00:43
- 09 Gtr Sound Design 00:43
La source n’a vraiment rien d’extraordinaire. Cependant, l’alliance des trois traitements permet d’améliorer un peu la sauce. Certes, cela ne transforme pas notre pauvre guitare en instrument de premier plan, mais au sein d’un mix, cela sera sans doute suffisant. Enfin, je n’ai une fois de plus pas pu résister à l’appel de l’expérimentation. Le sample 09 illustre une utilisation outrancière du Proximity EQ et de l’Entropy EQ. Le rendu est intéressant, n’est-ce pas ?
Passons maintenant à un autre cas que j’ai volontairement rendu difficile pour les besoins de ce test.
- 10 Piano dry 00:56
- 11 Piano bad 00:56
- 12 Piano good 00:56
- 13 Piano Sound Design 00:56
Le premier extrait correspond au signal source. Pour le deuxième, j’ai volontairement égalisé ce piano de façon illogique via l’EQ de mon séquenceur. Dans le troisième, je me suis servi du Smart EQ pour rétablir un certain équilibre tonal, mais j’ai également utilisé une touche des deux autres algorithmes pour rapprocher un peu la source. Le résultat est plutôt sympathique, même si l’on peut noter la présence d’artefacts sur les transitoires. En même temps, il faut bien avouer que j’ai eu la main lourde sur l’égalisation salissante du départ. Enfin, je me suis encore une fois aventuré du côté du Sound Design en mélangeant Frei:raum avec un delay et une réverbération. Planant, non ?
Pour clôturer cette séance d’écoute, j’ai à nouveau voulu soumettre la bête à rude épreuve…
- 14 Live dry 00:28
- 15 Live wet 00:28
Nous avons ici affaire à un extrait issu d’un enregistrement de l’un de mes tout premiers concerts… Ça ne me rajeunit pas tout ça… Bref, je suis absolument incapable de vous dire qui a enregistré cela, et encore moins comment, mais le son est pour le moins infâme. Et malheureusement, Frei:raum n’a pas pu grand-chose contre ça. Comme je vous le disais un peu plus tôt, nous ne sommes pas dans le monde de Oui-Oui !
Zoin, bitte !
À l’issue de ce test, force est de constater que Frei:raum possède des qualités indéniables. Le mariage atypique de ses trois algorithmes en fait un outil puissant qui, certes, ne servira pas tous les jours à tout le monde, mais qui pourra faciliter la vie, voire carrément sauver la mise dans certains cas. Malgré ses quelques défauts, l’investissement en vaut largement la chandelle pour peu que vous soyez à la recherche d’un traitement de cet acabit. Enfin, comme d’habitude, je vous invite à télécharger la version de démonstration afin de vous forger votre propre avis, cette dernière étant pleinement fonctionnelle pendant 14 jours. Pour ma part, je félicite Sonible et décerne à ce Frei:raum un Award « Innovation ». Que les autres développeurs en prennent de la graine, des plug-ins novateurs tels que celui-ci, nous en voulons tous les jours !
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