Présenté à l'occasion du dernier Winter NAMM, le premier plug-in de Soundtheory était passé entre les mailles du filet de notre Best Of. Pourtant sur le papier, Gullfoss a tout pour attiser la curiosité de votre site préféré. Rendez-vous compte, un égaliseur "intelligent" promettant de résoudre les problèmes d'équilibre fréquentiel de façon quasi-automatique afin d'améliorer la clarté, le détail, la spatialisation et l’équilibre du signal, qu'il s'agisse de prises individuelles ou de mixages complets ! C'est exactement le style de produit innovant dont nous sommes friands. Ainsi, la rédaction d'Audiofanzine s'est empressée de mandater votre serviteur pour rectifier le tir et passer la bête sur le grill. Deux semaines plus tard, voici mon compte rendu…
L’affiche
Actuellement, Gullfoss est uniquement disponible pour Mac OS X (10.9 minimum) aux formats VST 2/3, AU et AAX. Que les allergiques à la pomme se rassurent, une version PC devrait sortir courant 2018, aucune date précise n’étant annoncée toutefois. Autre détail important à connaître, Gullfoss est pour l’instant disponible en « early access ». Outre la différence de prix ($99 / 79€ au lieu de $199), cela implique plusieurs choses qu’il est bon d’avoir en tête avant tout achat :
- L’installation mais aussi l’utilisation du plug-in nécessite un accès internet permanent ;
- L’achat durant cette période permet d’avoir 10 activations en ligne sur 10 machines différentes – une seule utilisation à la fois ;
- Une fois la période finie, les « early adopters » obtiendront une autorisation hors-ligne supplémentaire ;
- L’achat après cette période donnera droit uniquement à 3 autorisation en ligne et une hors-ligne.
Voilà, tout cela est discutable mais je ne m’étendrai pas sur le sujet tant il y a de choses beaucoup plus intéressantes à dire.
Pour en finir avec les questions purement techniques, sachez que j’ai eu un problème lors de l’installation. Après quelques échanges de mails avec les développeurs, qui se sont montrés extrêmement réactifs, j’ai enfin pu installer la bête et surtout, nous avons réussi à identifier d’où venait le problème… Et c’est un joli tacle bien mérité pour Apple car leur dernière mise à jour pour mon système a déglingué la reconnaissance des packs d’installation signés, un comble ! Décidément, la fameuse fiabilité Mac n’est plus ce qu’elle était, mais passons…
Voyons à présent le fonctionnement de l’engin. Gullfoss se présente donc comme un égaliseur « automatique intelligent ». Sa mission est somme toute simple à expliquer : résoudre les problèmes de balance spectrale afin d’améliorer la clarté, le précision, la spatialisation et l’équilibre du signal traité. Pour remplir cette délicate tâche, le plug-in analyse le signal source et adapte le traitement en fonction de ce dernier et des « instructions » données par l’utilisateur. Ces « instructions » prennent la forme de cinq paramètres principaux utilisables simultanément :
- Recover (0 à 200%) : indique au plug-in d’augmenter l’intensité des fréquences sous-représentées ;
- Tame (0 à 200%) : l’approche inverse, à savoir diminuer l’intensité des fréquences dominantes ;
- Bias (-100% à +100%) : donne la priorité à l’un ou l’autre des algorithmes précédents dans les cas limites – les valeurs positives privilégient Recover alors que les négatives favorisent Tame ;
- Brighten (-100% à +100%) : indique aux algorithmes comment gérer la brillance du rendu global ;
- Boost (-100% à +100%) : indique aux algorithmes comment gérer la balance entre le bas du spectre et les médiums.
À cela s’ajoutent de nombreux retours visuels, un contrôle du gain en sortie, un bouton de bypass et surtout deux réglages accessibles via des barres rouges placées de part et d’autre du graphique affichant l’égalisation qui permettent de restreindre l’action du plug-in à certaines zones fréquentielles. Notez qu’afin de mieux appréhender ce curieux égaliseur, une lecture du manuel utilisateur (en anglais) n’est pas un luxe, notamment en ce qui concerne certains raccourcis clavier ou la compréhension des retours visuels. Rien de rédhibitoire cependant, ce dernier est concis mais particulièrement exhaustif.
Une fois tous ces paramètres réglés, il n’y a plus qu’à lancer la lecture et écouter / observer Gullfoss agir tout seul comme un grand. Et c’est ce que nous allons faire de ce pas…
Coup d’envoi
Pour commencer, j’ai voulu tester la bête sur l’un des mixages réalisés à l’occasion de notre comparatif des services de mastering en ligne :
- 01 So Pretty dry 02:39
- 02 So Pretty wet 02:39
Le résultat obtenu en un peu moins d’un quart d’heure est assez bluffant. Les gains en précision, clarté et sensation 3D promises sont bel et bien au rendez-vous, et ce, sans artéfact audible. Joli ! Certes, le mix original n’était pas non plus une source inaudible, mais l’apport de Gullfoss est fort bienvenu. Notez que les réglages du plug-in n’ont pas eu besoin d’être poussés outre mesure : 24% de Recover, 11% de Tame, 3% de Bias, –7% de Brighten et seulement 0,7 dB de Boost. D’ailleurs à ce propos, lors de cette première manipulation, le premier défaut a pointé le bout de son nez assez rapidement. Lorsque la source est d’une qualité correcte, Gullfoss est efficace mais subtil, très subtil… Du coup, les différences entre deux réglages variant d’une poignée de pourcents sont difficilement perceptibles, bien que foncièrement réelles. C’est là qu’une fonction de comparaison A/B aurait été bien utile… Espérons que cela soit implémenté lors d’une future mise à jour tant l’utilisation de ce joujou en serait encore plus facilité.
Pour continuer sur ma lancée, voici un second mix passé à la moulinette Gullfoss :
- 03 Call it even dry 00:36
- 04 Call it even wet 00:36
Une fois de plus, le résultat est là sans avoir à pousser l’engin. Mais que se passerait-il si d’aventure l’utilisateur avait la main trop leste ? C’est ce que nous allons voir :
- 05 Call it even over wet 00:36
- 06 Call it even over wet dark 00:36
Sur le premier extrait, les paramètres Recover et Tame sont à 100% – alors qu’ils peuvent monter jusqu’à 200% ! Or, comme vous pouvez le constater, le rendu, sans être totalement immonde, n’est pas non plus des plus enviables.
Sur l’exemple suivant, –17% de Brighten et 4,7 dB de Boost permettent de rattraper un peu la sauce mais nous sommes tout de même loin du compte par rapport à un usage raisonné de ce puissant outil. Et c’est là qu’intervient mon deuxième grief… L’interface utilisateur n’est pas redimensionnable et l’échelle des retours visuels, beaucoup trop grande de base, n’est pas personnalisable. Du coup, pour voir les beaux retours visuels s’animer, il est tentant de forcer le trait en sollicitant outre mesure tel ou tel paramètre, ce qui s’avèrera forcément dommageable. Alors il est vrai qu’ici sur Audiofanzine nous répétons souvent qu’il convient de mixer avec les oreilles et non avec les yeux. Mais la vérité c’est que même un professionnel aguerri peut se laisser berner par ce genre de chose à cause de la fatigue ou lors d’un moment d’inattention, alors un amateur aussi éclairé soit-il, n’en parlons pas ! Comme le disait l’oncle de Peter Parker : « with great power comes great responsability ». L’éditeur aurait peut-être dû s’en souvenir et concevoir une interface graphique un poil plus souple afin de faciliter le maniement de cet outil au potentiel somme toute redoutable, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme.
Dans le même ordre d’idée, lors de la réalisation de ces premières illustrations sonores, l’absence d’un réglage global de la force du traitement m’a travaillé. Un tel paramètre aurait justement le potentiel de faciliter les révisions à la baisse lorsque l’équilibre des paramètres semble se poser là mais que le rendu est par trop marqué. Encore une chose à prévoir lors d’une future mise à jour, non ?
Après cette première approche qui a su dévoiler tout l’intérêt de Gullfoss, il m’a paru intéressant d’essayer de comprendre ce qu’il pouvait y avoir sous le capot et quelles étaient les limites de « l’intelligence » de cet égaliseur atypique…
Mi-temps
Si vous êtes un tant soi peu aussi curieux que votre serviteur, vous vous êtes sans doute interrogé quant au mystérieux patronyme du plug-in de Soundtheory. Gullfoss est le nom de chutes d’eau en Islande… Mais quel est le rapport avec la choucroute ? Eh bien il se trouve que certains ingénieurs du son utilisent une technique un peu particulière consistant à comparer l’équilibre global du mix à du bruit rose. Or, l’un des sons naturels se rapprochant le plus de ce type de bruit n’est autre que le son produit par un torrent ou une cascade… Mystère résolu !
Mais alors, si cet étrange égaliseur automatique ne fait que reproduire cette technique, son utilisation sur un bruit rose ne devrait absolument rien changer…
- 07 Pink dry 00:14
- 08 Pink Recovery 200 00:14
- 09 Pink Tame 200 00:14
- 10 Pink Both 200 00:14
Comme vous pouvez le constater, l’histoire n’est pas aussi simple que cela. Même si cette technique a certainement dû être l’un des points de départ lors de la genèse du bébé, les développeurs ont poussé le concept jusqu’à créer une technologie (brevetée) tournant autour d’un modèle de la perception auditive capable d’adapter le traitement en « temps réel » par rapport à la source. Les guillemets sont là car avant d’agir, Gullfoss a, par essence, besoin d’un petit peu de temps pour « écouter » le signal entrant, ce qui induit une latence de 2 179 samples. En situation de mixage, ça n’aura pas vraiment d’incidence puisque votre STAN compensera cela. En revanche, cette latence disqualifie tout de suite l’engin pour des applications « live ».
Bon, c’est bien sympa tout ça, mais Gullfoss arrive-t-il à faire la différence entre ce qui relève d’un problème fréquentiel et ce qui tient d’une intention artistique marquée ? Pour être plus clair, si je décide pour des raisons artistiques d’appliquer un traitement fréquentiel outrancier à un instrument quel qu’il soit, Gullfoss va-t-il réduire cela à néant ? Pour le savoir, j’ai réalisé une petite expérience :
- 11 Pink Sweep dry 00:14
- 12 Pink Sweep wet 00:14
Sur le premier extrait, un filtre en cloche particulièrement raide (48 db/octave, facteur Q à 19, gain de + 25 dB) balaye un bruit rose de 100 Hz à 2 kHz. Sur le second, Gullfoss est poussé à son maximum. Le balayage, bien que fortement atténué, est toujours bel et bien présent. Moralité, il n’y a pas trop de souci à se faire en ce qui concerne le respect de vos décisions artistiques, aussi foutraques soient-elles.
Mais du coup, lorsqu’il s’agit bel et bien d’un problème fréquentiel, Gullfoss fait-il complètement le job ou laisse-t-il des choses trainer ? C’est ce que nous allons découvrir au travers des trois extraits suivants :
- 13 Pink A dry 00:14
- 14 Pink A wet 00:14
- 15 Pink A dryer 00:14
Le premier sample se compose d’un bruit rose agrémenté du même filtre en cloche que précédemment, mais ce dernier est cette fois-ci fixe à 880 Hz. L’extrait suivant illustre Gullfoss en train de lutter du mieux qu’il le peut contre ce filtre. Comme tout à l’heure, l’effet est atténué de façon à ne plus être aussi désagréable mais il ne disparaît pas totalement. Et à bien y réfléchir, c’est tout à fait normal puisqu’aussi « intelligent » soit-il, Gullfoss n’est pas devin pour autant. Comment pourrait-il faire la différence entre ce qui est voulu par l’utilisateur et ce qui ne l’est pas ? La bonne nouvelle, c’est que grâce à son affichage, Gullfoss donne de bonnes indications quant aux zones fréquentielles problématiques. Du coup, cela m’a ici permis de plus facilement remédier au problème grâce à un bon vieil égaliseur classique comme l’illustre le dernier extrait. Seul bémol, une fois de plus une fonction de zoom ou de redimensionnement de l’interface graphique permettraient une identification de ces soucis encore plus aisée…
Allez, assez d’expériences pseudo-scientifiques, retournons à des applications musicales.
Deuxième période
Gullfoss s’est montré tout à fait pertinent lors d’une utilisation sur le bus principal de mixage. Voyons à présent comment ce dernier s’en sort dans d’autres situations. Pour commencer, voici la bête placé en insert d’une piste de voix :
- 16 Voice dry 00:12
- 17 Voice wet 00:12
La prise d’origine n’est pas des plus fameuses. Pourtant, Gullfoss m’a permis d’améliorer la sauce assez rapidement, notamment au niveau des attaques de certains mots et de l’agressivité des « s ». Cela s’entend tout particulièrement sur le mot « smiling ». Mine de rien, avec un tel traitement, cette voix sera beaucoup plus facilement maniable lors du mixage. Intéressant, n’est-ce pas ?
Passons donc à des prises provenant de notre guide de l’enregistrement :
- 18 Nonetheless Drums dry 00:28
- 19 Nonetheless Drums wet 00:28
- 20 Nonetheless Bass dry 00:24
- 21 Nonetheless Bass wet 00:24
- 22 Nonetheless Gtr dry 00:24
- 23 Nonetheless Gtr wet 00:24
- 24 Nonetheless Delay dry 00:28
- 25 Nonetheless Delay wet 00:28
Ici, le but de la manoeuvre était d’obtenir une mise à plat plus aboutie que d’ordinaire. Pour ce faire, j’ai dans un premier temps placé une instance du plug-in sur le bus de batterie, une deuxième sur la piste de basse, une troisième sur la piste de guitare électrique, et enfin, une quatrième instance sur la piste de delay de la guitare. Notez qu’à cette occasion, j’ai utilisé les fonctions permettant de restreindre l’action de Gullfoss à certaines plages de fréquences de façon à obtenir le rendu souhaité. Au final, voici ce que tout cela donne :
- 26 Nonetheless Mix dry 00:28
- 27 Nonetheless Mix wet dry 00:28
Puis, j’ai inséré une dernière instance sur le bus de mixage :
Avouez que pour une simple mise à plat, le résultat est plus qu’honorable ! Bien sûr, ça n’est pas à la hauteur d’un mix réalisé en bonne et due forme. D’ailleurs, Gullfoss n’a pas cette prétention. Par contre, c’est un point de départ beaucoup plus attrayant que la mise à plat de base et le mixage n’en sera certainement que plus agréable. Au passage, sachez que sur ce projet qui utilise uniquement 5 instances du plug-in, chacune d’entre elle ne consomme que 0,14% des ressources CPU de ma machine de guerre (Mac Pro fin 2013 Hexacoeur Xeon 3,5 GHz – 32 Go DDR3) au maximum, ce qui est plus que raisonnable.
Prolongation
Pour finir, j’ai testé le joujou de Soundtheory sur un dernier titre qui m’a fait découvrir un usage que je ne soupçonnais pas jusqu’à présent…
- 29 The Firethief dry 02:20
- 30 Firethief wet 02:20
Ici, l’apport de Gullfoss est fort à propos sur la plupart des passages mais il me semblait que le traitement allait à l’encontre de l’intention du mixage dans certains cas. Plus précisément, l’introduction, le pont et la fin du morceau supportent mal le coup de polish de Gullfoss car ce dernier lutte avec la patine surannée volontairement présente sur ces sections. Du coup, j’ai essayé de court-circuiter cela en automatisant le bouton « bypass » du plug-in. Remarquez qu’il convient d’utiliser le « bypass » interne au plug-in et non celui de la STAN à cause de la latence évoquée précédemment. J’en ai également profité pour automatiser le paramètre Boost à certains moments choisis de façon à renforcer l’impact de ces passages… Et ça marche !
Moralité, il est possible d’automatiser les paramètres de Gullfoss afin de renforcer très facilement le contraste entre certains passages d’un titre. Diablement intéressant, n’est-ce pas ?
Score final
Souligner les points noirs d’un produit fait partie de mon job et Gullfoss n’est bien entendu pas exempt de tout reproche. Ceci étant au bout du compte, Soundtheory nous livre là un excellent premier plug-in. La qualité du rendu sonore est un modèle du genre et, utilisé avec discernement, Gullfoss rendra de fiers services en situation de mixage comme à l’occasion de sessions de mastering. Les outils tels que celui-ci sont l’avenir de la MAO, j’en suis intimement persuadé. D’ailleurs, de plus en plus d’éditeurs se lancent sur cette voie des processeurs 'intelligents" et c’est une très bonne nouvelle. Selon moi, l’objectif n’est pas de remplacer l’humain ; il s’agit juste de le libérer des tâches purement techniques autant que faire se peut afin qu’il puisse concentrer son énergie sur l’aspect artistique des choses. À ce petit jeu, Gullfoss me semble particulièrement à son aise.
Comme d’habitude, je vous invite à télécharger la version d’évaluation sur le site de l’éditeur afin de tester la bête par vous-même. J’attends d’ailleurs avec impatience vos retours sur ce beau joujou à qui je décerne un Award Innovation sans la moindre hésitation !
Téléchargez les extraits sonores (format FLAC)