Surprise chez Universal Audio, avec le port sur l’UAD-2 de l’Oxford EQ signé Sonnox, jusque-là disponible aux formats PowerCore, Pro Tools/Venue et natifs. L’occasion de faire le point sur les différentes versions existantes.
En son temps, soit le milieu des années 90, la console Sony OXF-R3 avait fait forte impression. Dans les deux sens. Soit plébiscitée, soit détestée de la même façon, ses qualités étant des défauts pour ses détracteurs et vice-versa. Un de ses nombreux mérites était sa conception entièrement maison, de la moindre entrée aux DSP, et de tous les algorithmes de traitements (rappelons que c’est une console numérique…). Après son arrêt en 2001, la firme a cependant exploité ses fameux algorithmes, notamment ceux des EQ et des traitements de dynamiques, en proposant dans un premier temps l’Oxford EQ pour Pro Tools (OXF-R3 EQ en abrégé, même si c’est le même nombre de lettres…), fin 2002.
Puis suivit le OXF-R3 Dynamics, ensemble d’outils de traitement de la dynamique, une petite merveille comprenant Gate, Expander, Compresser, Limiter, Side Chain EQ (un dé-esser idéal) et Warmth. C’est l’arme secrète de nombreux sound designers/mixeurs cinéma.
Les heureux possesseurs de PowerCore eurent aussi leur version, la gamme s’est complétée (Inflator, Transmod, Limiter, Reverb, Restore, Pro-Codec, etc.), les versions natives et 64 bits sont apparues, ainsi que les mises à jour pour les différents formats pour Pro Tools & Co., RTAS, TDM, Venue, AAX.
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La protection a toujours été une des préoccupations de l’éditeur, à tel point qu’à l’époque de la PowerCore (un dongle en soi), il fallait quand même une licence sur iLok pour pouvoir utiliser les plugs. De ce point de vue, l’association avec Universal Audio procède de la même logique. D’un autre point de vue, la réputation de qualité et d’exigence du fabricant/éditeur américain s’accorde très bien avec celle de l’éditeur anglais, ce qui peut expliquer la sortie du plug sur la plate-forme UAD-2.
Les questions qui se posent sont nombreuses : sonne-t-il différemment ? Y gagne-t-il de nouvelles fonctions ? Les possesseurs de l’une ou l’autre version et d’une UAD-2 gagnent-ils à acquérir le plug au format UA ? Avec quelle ristourne ? Comment se passe la gestion des ressources ? Y a-t-il compatibilité entre les formats, au niveau des présets, par exemple ? Etc.
On peut déjà répondre à la question de la ristourne. Comme tous les produits Sonnox, l’EQ est assez cher, 445 euros pour les versions Avid, et autour de 250 euros pour les versions native et UAD-2. Eh bien, heureux détenteurs d’une version précédente, sachez que l’un et l’autre des éditeurs se renvoient la balle quand on leur pose la question d’un tarif spécial pour les possesseurs : pour UA, il faut demander à Sonnox, pour Sonnox, c’est un produit UA. Jolie tactique, avec comme résultat pour l’utilisateur l’assurance de payer plein pot une nouvelle fois.
Bref, continuons pour répondre aux autres questions. C’est parti.
Introducing Sonnox Oxford EQ UAD-2
Cette version particulière pour la plateforme d’Universal Audio est installée avec le nouvel OS de l’UAD-2 en version 6.3.0. Après installation, redémarrage et renouvellement des autorisations de plug-ins (c’est rapide, ça charge tout seul et après un glissé-déposé sur l’icône de l’UAD Meter & Control Panel, c’est fait), le plug-in apparaît dans les listes de formats VST, RTAS et AU, Mac et PC bien sûr, mais seulement en version 32 bits (on attend, m’sieur UA, on attend).
Présentation et conception restent les mêmes, il s’agit toujours d’un paramétrique cinq bandes avec bascule en shelf sur les bandes extrêmes, complété par deux filtres passe-haut et passe-bas multipentes. Particularité aussi de l’EQ, dont l’algorithme est le même que celui de la console : il offre quatre Types (de 1 à 4, mais oui), qui proposent différentes relations gain/facteur Q.
Question fonctionnalités, peu de différences apparentes, en tout cas avec la version native, la version PoCo ayant fait son temps de ce côté-là. Les mêmes valeurs, les mêmes pentes, les mêmes fonctions, menus, et options d’affichage, de réaction du plug, avec petit bonus côté UA, un bouton On/Off et la barre de menus habituelle de la maison.
Pour rappel, il sera intéressant de consulter ce qui suit : le livre L’Audionumérique de Curtis Roads pour les types de filtres et d’EQ et leur comportement, notamment au niveau des rebonds, de la phase et autres effets induits (les lecteurs assidus d’AF connaissent l’importance du bouquin et l’histoire de sa dernière version française) et puis ce site, rhythminmind dont l’auteur a publié un très édifiant papier (en anglais seulement) sur les EQ paramétriques logiciels (voir aussi la discussion sur Audiofanzine à ce sujet)."
Concours de bits
Commençons par un point important, savoir si l’UAD-2 est ici une source de ressources supplémentaires, ou si l’utilisation de l’EQ en natif peut suffire. Certes, la machine sur laquelle le test est effectué est une belle bête de course, mais cela permettra de se faire une petite idée.
Essayons de voir comment se passe la gestion des ressources CPU, à partir d’un EQ dont les cinq bandes sont actives, tout comme les filtres (voir capture d’écran), sur un projet Logic 16 bits/44,1 kHz (en 32 bits, hélas, de façon à ne pas fausser les résultats pour cause d’utilisation de bridge 32 bits-64 bits) comprenant 125 pistes audio stéréo (250 canaux, quoi). Plutôt que de rajouter des pistes si nécessaire, j’ai préféré ajouter des EQ sur chaque tranche, sinon c’est le disque dur qui risquait de ne plus suivre. Le réglage de buffer est à 1024 samples, une configuration de mixage plus que confortable.
Premier résultat version PowerCore : 9 plug-ins stéréo, charge des quatre DSP à 69 % (oui, il reste de la puissance, mais la PoCo ne peut répartir l’utilisation d’un même plug-in sur plusieurs DSP). C’est peu, dirons-nous et un test en 64 bits (avec donc l’interfaçage via le 32-Bit Audio Unit Bridge), ne change rien. Au moins, cela n’exige pas de ressources supplémentaires. Notons une conso CPU négligeable.
Deuxième essai, avec l’Oxford EQ version UAD-2 : beaucoup mieux, puisqu’on peut ouvrir 85 plugs stéréo avant que le projet ne réponde plus. Notons quand même que le CPU est pas mal sollicité, impliquant qu’il y a encore des choses calculées par l’hôte en plus des calculs sur les DSP de la carte. Lesquelles ? Mystère, je n’ai pu obtenir aucune info à ce sujet. Attention cependant, l’UAD-2 ici utilisée est une Quad, ce qui veut dire qu’on peut raisonnablement compter sur 20 à 22 plugs stéréo avec une Solo et 40 à 43 plugs stéréo sur une Duo. Aucun changement en 64 bits. Et pour info, on pourra ouvrir 120 Cambridge EQ stéréo, paramétrés de la même façon que l’Oxford EQ.
Passons maintenant en AU natif. Tenez-vous bien, dans ce cas de figure, on arrive à ouvrir 375 plug-ins stéréo ! Et ce n’est pas fini : j’ai tenté de pousser l’expérience en 64 bits, et l’on arrive alors à un total faramineux de 717 plugs !
Bref, en termes de ressources, si votre bécane est déjà puissante, la version UAD-2 de l’EQ ne vous apportera a priori pas grand-chose sous l’angle du nombre de plugs disponibles. On peut dire à cet égard qu’elle sert presque de dongle géant, à la place de l’iLok nécessaire à la version native. Avec une Apollo d’Universal Audio ou un Pro Tools TDM, évidemment la question de latence reste un argument et un avantage très valable pendant les prises, mais pas en situation de mixage.
Et côté son, alors ?
Avant toute chose, je tiens tout de suite à dire que cet EQ, que j’utilise depuis maintenant 2002, date de sa sortie pour la PoCo, est l’un des plus polyvalents auxquels j’ai affaire, dans le genre EQ transparent numérique. Évidemment, il ne faut pas lui demander le caractère d’un EQ type Neve ou Helios, disponibles eux aussi sur l’UAD-2. Mais qu’il s’agisse de traiter une fréquence précise ou agir de façon plus globale sur une plage de fréquences, en musique comme en sound design ou mixage, j’y ai toujours trouvé mon content. Si je veux un peu de « chaleur », due généralement à un effet de saturation et/ou de compression inclus dans l’algorithme du plug (il n’y a pas de « magie » avec les chiffres…), je choisis alors une reproduction de l’un ou l’autre des EQ mythiques. Bref.
Il s’agit donc ici, non pas de démontrer les qualités ou défauts de l’EQ, mais de savoir si trois versions d’un même plug-in pour trois plateformes différentes produisent un son différent. Ne riez pas, on commence à lire ici ou là que le natif sonne mieux que l’UAD-2, ou l’inverse…
Donc, on aura recours à la traditionnelle inversion de phase pour une éventuelle recherche d’annulation (silence plus ou moins total), en essayant d’appliquer les mêmes réglages, ou en les modifiant très légèrement si l’on s’aperçoit que cela tient à un ou deux dB ou pourcentage de Q près. En route.
On va prendre une boucle de batterie/ambiance, couvrant à peu près toutes les plages de fréquences, effectuer quelques réglages d’EQ (voir copie d’écran, cette égalisation ne prétend pas être celle qu’il faut pour le fichier, c’est simplement la base du test) et les reproduire de l’un à l’autre. Première chose, les présets créés sur une version, n’importent pas les réglages dans une autre version, même s’ils ne font pas planter l’application ou le plug en cours. Deuxième chose, on peut rentrer toutes les valeurs numériquement, avec une précision de deux chiffres après la virgule, et les différences de volume dues à l’égalisation seront rattrapées en interne dans l’EQ, grâce au Main Gain Control (le rotatif central).
Premier exemple, la boucle suivie de l’EQ sur la version PoCo.
Deuxième exemple, la même boucle suivie de l’EQ version native.
On s’aperçoit déjà que le volume global n’est plus du tout le même. Laissons tel quel pour le moment et continuons avec la troisième, la boucle et l’EQ version UAD-2.
Là aussi, différence de volume.
Maintenant, si l’on essaye l’inversion de phase et l’annulation, entre PoCo et natif, ça ne fonctionne pas avec des réglages identiques, le volume de chaque étant différent. Mais si l’on joue sur le Main Gain (rattrapage de 2,34 dB), là, on arrive à une annulation quasi totale, en modifiant simplement ce réglage. Conclusion ? PoCo et natif, (quasi) kif-kif.
Même chose entre PoCo et UAD-2, après correction du Main Gain (toujours 2,34 dB). Résultat ? Annulation quasi totale. Conclusion ? PoCo et UAD-2, (quasi) kif-kif.
Et pour finir, entre native et UAD-2. Cette fois-ci, c’est annulation totale avec quelques résidus à –80, –90 dB.
Conclusion ? Natif et UAD-2, kif kif, exactement semblables, pas de différence, les petits restes certainement dus à une micro-valeur quelque part, et en ce qui concerne la PoCo, quelques rattrapages de valeurs ici ou là. Pensez qu’à réglages de Main Gain identiques, le résultat en sortie diffère de 2,34 dB…
Pour presque terminer
Mais, mais, mais. Il ne faudrait pas oublier que sur l’UAD-2, il existe un EQ qui a plus que copié l’OXF-R3 EQ, le dénommé Cambridge (avec un nom pareil…).
Il est intéressant de savoir si ledit Cambridge est à des lieues ou à l’inverse tout près de son inspirateur.
On ne va pas tout reprendre, mais simplement comparer le Cambridge avec l’Oxford EQ de l’UAD-2. C’est parti. D’abord, avant EQ et après.
Encore une fois, volume dissemblable, et les filtres semblent se comporter différemment. Autre point qui peut avoir son importance, les valeurs supérieures sont en kHz, à la différence de l’Oxford. Par exemple, 5005 Hz sur l’Oxford se transforme en 5,00 kHz sur le Cambridge. Cela joue.
Maintenant essayons de coller au maximum avec le Master Gain, bizarrement là aussi une différence de 2,3 dB…
Bon, ce n’est pas encore ça. Mais comme les filtres après divers essais semblent différents entre le Cambridge et l’Oxford, on va tester les différents modèles du Cambridge, et, oh surprise, une fois le HiPass réglé sur Butterworth3 (eh oui, troisième ordre, 18 dB/oct.) et le LoPass sur Butterworth4 (gagné, quatrième ordre, 24 dB/oct.), voilà ce qui arrive :
Étonnant, non ? Et il y a de fortes chances pour que les restes audibles soient dus aux chiffres derrière la virgule manquant pour les réglages du Cambridge.
Bilan
Ça paraît évident. Tout possesseur d’UAD-2 peut acquérir le Cambridge pour 149 dollars (118 euros), et il ne manquera que le quatrième Type de l’Oxford, c’est-à-dire le Type qui travaille de la façon la plus douce, en EQ de mastering. Si l’on a déjà un Massive Passive ou un Precision EQ, cela compensera plus qu’avantageusement et le Cambridge remplira sans problème les autres fonctions.
Si l’on a déjà une PoCo ou une version Pro Tools ou native (cette dernière de plus étant déjà 64 bits, et ne consommant quasi rien en ressources CPU), il ne sert à rien d’acheter la version UAD-2 sauf si l’on ne veut pas trimballer son iLok, et qu’on bouge avec une Satellite ou une Apollo (dont la latence, tout comme en TDM, est à peu près de 2 ms, ce qui peut aussi être à prendre en compte lors des prises). Mais là aussi, le Cambridge est disponible, et peut tout aussi bien bénéficier de cette latence extrêmement basse. Sachant de plus que les présets ne peuvent passer d’une version à l’autre, et que l’on n’aura aucune ristourne…
L’impression est que Universal Audio et Sonnox auraient pu mieux faire car il y avait une opportunité formidable à saisir pour le portage de l’Oxford EQ sur la plate-forme UAD-2 : l’inclusion de l’option GML, qui n’a jamais été accessible en natif ou PowerCore. Hélas, elle n’est pas là.
Ce portage du plug-in pourrait donc se destiner principalement aux possesseurs d’une Apollo désireux de l’utiliser pendant les prises et en situation de mastering.
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