L'égaliseur est l'un des outils les plus importants et les plus performants du parc de processeurs utilisé par les mordus de son. Pourtant, trop de gens égalisent avec leurs yeux au lieu d'utiliser leurs oreilles. Par exemple, après avoir terminé un mix, j'ai remarqué qu'un de mes clients notait les réglages d'égaliseur que j'avais faits. Alors que je lui demandais pourquoi, il a répondu qu'il aimait les égaliseurs et voulait utiliser les mêmes réglages pour de futurs mixs.
Erreur ! L’égalisation fait partie du processus de mixage. Au même titre que les réglages de niveau, de panorama et de reverb, qui diffèrent d’un mix à l’autre, les égaliseurs doivent être ajustés différemment pour chaque mix. Et pour cela, il faut savoir comment trouver les fréquences d’égalisation magiques pour chaque type de données audio, mais également savoir quel outil est adapté à telle ou telle tâche.
On utilise les égaliseurs principalement pour trois applications différentes :
- Résoudre des problèmes
- Renforcer ou affaiblir la position d’un instrument dans le mix
- Modifier la couleur du son
Chaque utilisation possède son approche et ses techniques propres.
Résoudre des problèmes
L’égaliseur peut résoudre une grande variété de problèmes. Pour cette application, on utilise généralement un égaliseur paramétrique doté d’un nombre donné de bandes de fréquences (le plus souvent de 1 à 8, voir illustration 1). Pour chaque bande, vous pouvez déterminer l’intensité de l’amplification/atténuation, la fréquence à laquelle cette amplification/atténuation est appliquée et la largeur de la bande de fréquences affectée par le traitement (de très étroite à très large). Notez que les égaliseurs « pseudo-paramétriques » (aussi appelés semi-paramétriques) ne comportent pas de réglage de largeur de bande. L’absence de ce paramètre frustre sérieusement les aficionados de l’égalisation, d’autant plus que certains fabricants tendent, à tord, à adopter une largeur de bande trop étroite peu adaptée aux traitements subtiles.
http://www.harmonycentral.com/static/articles/tips/making_eq_work_for_you/Fig1_big.jpgIll. 1 : Le MasterQ de PSP Audioware est un plugin d’égalisation de haute qualité pour systèmes de MAO doté de sept bandes de fréquences modifiables. De gauche à droite, on trouve un filtre passe-haut, un filtre en plateau (shelve) pour le grave, trois filtres paramétriques, un filtre en plateau pour l’aigu et un filtre passe-bas.
Parmi les exemples d’utilisation typiques d’un égaliseur paramétrique, citons la coupure très étroite à 50 Hz (60 Hz hors d’Europe), pour supprimer le ronflement secteur contenu dans un signal, et/ou dans les hautes fréquences pour éliminer un léger sifflement. Autre problème courant à résoudre : un instrument génère une résonance qui interfère avec d’autres instruments ou complique le réglage des niveaux. Voici une façon de résoudre ce problème :
Il y a plusieurs années, j’ai produit un album de la guitariste classique Linda Cohen (« Angel Alley », réédité en CD). Elle jouait un instrument magnifique avec un son plein et riche très bien projeté sur scène : la caisse résonnait fortement dans le bas-médium, ce qui augmentait sensiblement le niveau. Cependant, l’enregistrement est bien différent de la scène. En réglant les niveaux de sorte que les notes graves les plus volumineuses n’entraînent pas de distorsion dans l’enregistreur, les notes plus hautes semblaient sonner très faiblement.
Une solution était de compresser/limiter le signal, mais cela altérait l’attaque de la guitare. Si ce type de traitement peut passer inaperçu dans un mix, il ressort particulièrement avec instrument solo. L’égalisation donne ici un résultat plus naturel : il suffit d’atténuer les fréquences trop fortes pour compenser leur amplification naturelle et ainsi aplanir la réponse. Voici une méthode simple pour localiser les fréquences problématiques avant de les traiter :
- Réduisez le niveau d’écoute (le son peut devenir très désagréable et de la distorsion peut apparaître pendant le processus décrit ci-dessous).
- Réglez une amplification très importantes (10 à 12 dB) et une largeur de bande étroite (environ un quart d’octave).
- Pendant que l’instrument est joué, tournez lentement le réglage de fréquence. Certaines résonances vont ressortir violemment en raison de la forte amplification et de l’étroitesse de la bande. Certaines résonances peuvent même saturer.
- Localisez les fréquences de résonance les plus fortes et abaissez leur niveau jusqu’à trouver l’équilibre entre les résonances et le reste du son de l’instrument. Vous devrez éventuellement élargir légèrement la bande traitée si les résonances couvrent de nombreuses fréquences ou, au contraire, opter pour une bande étroite quand il s’agit de supprimer un ronflement centré sur une fréquence donnée.
Ce procédé (amplifier > localiser la fréquence > atténuer) est utile pour supprimer un médium disgracieux, une résonance stridente, etc. Parfois, il sera souhaitable de conserver ces résonances pour que l’instrument se démarque ; cependant, dans la plupart des cas, on utilisera les égaliseurs pour atténuer les résonances afin que les instruments s’intègrent élégamment au morceau.
Les égaliseurs des systèmes de MAO, notamment ceux des logiciels d’enregistrement sur disque dur, sont particulièrement efficaces en raison de leur précision. Lors d’un projet un peu spécial, on m’a demandé de supprimer le bruit d’un moteur de bateau parmi des chants de baleines. Bien que n’occupant pas tout le spectre audible, le bruit du moteur était présent sur plusieurs fréquences. En traitant chacune de ces fréquences avec un filtre réglé en « notch » (coupure importante sur une bande de fréquences très étroite), j’ai réussi à supprimer une par une chaque composante du bruit jusqu’à ce que le moteur disparaisse.
Cette méthode souligne également l’une des règles d’or de l’égalisation : il vaut mieux atténuer qu’amplifier. Le fait d’amplifier restreint la réserve de niveau, tandis que le fait d’atténuer l’augmente. Dans l’exemple consistant à résoudre le problème de résonance d’une guitare classique, le fait d’atténuer les fréquences de résonance permet d’augmenter le gain global afin d’enregistrer à un niveau moyen bien supérieur.
Renforcer la position d’un instrument
La technique consistant à localiser puis atténuer des fréquences données permet aussi de résoudre les conflits entre instruments. Par exemple, en mixant un titre de Spencer Brewer pour Narada Records, j’ai été confronté à deux instruments à vent distincts qui résonnaient sur la même fréquence. Lorsqu’ils étaient ensemble, ils surchargeaient la bande de fréquences en question, ce qui les rendait difficilement différentiables. Voici comment procéder :
- Localisez puis atténuez la fréquence de résonance de l’un des instruments pour obtenir un son plus droit.
- Notez l’atténuation et la largeur de bande choisies pour affaiblir la résonance.
- Avec un second filtre, sélectionnez une fréquence légèrement plus haute ou plus basse que la résonance naturelle puis amplifiez-la autant que vous avez atténué la résonance naturelle.
À présent, les deux instruments sonnent de façon bien articulée et ils tendent à ne plus se gêner mutuellement car les résonances occupent des fréquences légèrement différentes.
Modifier la couleur du son
L’égalisateur peut aussi servir à modifier le caractère sonore du signal, par exemple pour transformer un piano rock criard en quelque chose de plus classique. Ce type d’utilisation nécessite des réglages d’égaliseur relativement doux généralement appliqués à différents endroits du spectre audio.
Les musiciens décrivent souvent le caractère d’un instrument de façon subjective. Voici les portions du spectre audible auxquelles correspondent ces descriptions (bien entendu, il s’agit ici d’une interprétation très subjective).
- 20 à 200 Hz : grave/bas
- 200 à 500 Hz : chaleur
- 500 à 1.500 Hz : définition
- 1.500 à 4.000 Hz : articulation, présence
- 4.000 à 10.000 Hz : brillance
- 10.000 à 20.000 Hz : lustre, air
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Ill. 2 : le médium est atténué autour de 500 Hz, ce qui met en valeur le haut et le bas du spectre.
Pour ajouter de la chaleur par exemple, essayez d’appliquer une légère amplification (environ 3 dB) quelque part entre 200 et 500 Hz. Comme dans le cas précédent, gardez toujours à l’esprit qu’il est préférable d’atténuer plutôt que d’amplifier. Par exemple, pour obtenir un son plus brillant et plus profond, essayez d’atténuer le médium plutôt que d’amplifier les extrémités du spectre (illustration 2).
Autres conseils relatifs à l’égalisation
L’égalisation destinée à résoudre des problèmes et à modifier le caractère sonore doit intervenir tôt dans le processus de mixage car elle influence directement la façon dont le mix se développe. En revanche, dans la plupart des cas, il est préférable d’égaliser au moment où vous commencez à régler les niveaux : souvenez-vous que l’égalisation ne fait rien d’autre que modifier les niveaux de bandes de fréquences spécifiques. Tout changement d’égalisation modifie l’équilibre global entre les instruments.
L’autre raison pour laquelle il faut attendre un peu avant d’égaliser repose sur le fait qu’un instrument traité isolément peut sonner incroyablement bien lorsqu’il est seul, et beaucoup moins bien quand il est combiné aux autres signaux du mix. Si toutes les sources sont égalisées pour vous « sauter à la figure », il n’y aura plus assez de place dans le mix pour faire « respirer » une piste. Vous devrez alors modifier l’égalisation de certains instruments pour leur donner un rôle de soutien plutôt que de leader. Par exemple, essayez d’atténuer légèrement le médium des instruments d’accompagnement (une guitare rythmique par exemple) pour ménager plus de place au chant au sein du spectre sonore.
Pour finir, gardez toujours à l’esprit qu’une égalisation subtile donne souvent les meilleurs résultats. Une amplification/atténuation d’un ou deux dB peut créer une différence significative. Dans le même ordre d’idée, voici l’une des erreurs classiques des ingénieurs débutants : amplification exagérée du grave > son trop baveux > amplification de l’aigu pour retrouver de la brillance > le son est creux car le médium est trop faible > amplification du médium > etc. Bref, c’est l’escalade ! Le meilleur moyen de vérifier la pertinence d’une égalisation est de comparer le résultat au signal original grâce au bypass de l’égaliseur. Utilisez-le souvent pour vérifier régulièrement que vous n’avez pas perdu le contrôle du signal source !
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.