Déjà responsable de la bibliothèque Session Strings Pro, Native présente Action Strings, dont le nom est on ne peut plus clair quant à sa destination. Le tout étant de savoir ce que cela recouvre, et comment l’éditeur y parvient.
On l’a vu, lu et entendu sur Audiofanzine, le nombre de bibliothèques orchestrales a connu une inflation sans précédent. Les raisons à ce phénomène sont nombreuses, tant du point de vue du stockage et de la gestion de mémoire (des configurations avec 32 Go de Ram ou plusieurs disques durs dépassant la dizaine de To sont actuellement assez répandues dans l’environnement semi-pro et pro) sans parler de l’arrivée des disques SSD (encore trop chers et d’une capacité trop limitée pour être totalement utilisables par tout le monde), que du point de vue des avancées techniques des instruments, qu’ils soient à base d’échantillons (la plupart), de modélisation (quelques-uns) ou de mélange des deux techniques (un seul éditeur ?).
Du côté de l’échantillonnage qui nous concerne ici, les avancées de Kontakt en matière de scripts (la possibilité de déclencher une action à partir du jeu de l’interprète, par exemple appeler un échantillon legato du bon intervalle à la bonne vélocité dès que l’on joue… legato) et d’algorithmes d’expansion/compression temporelle (encore améliorables, mais de mieux en mieux), et d’autres logiciels ayant (enfin) compris l’importance d’une telle fonction (MachFive, par exemple) permettent une expressivité en temps réel, expressivité qui ne pouvait, parfois, même pas être atteinte en programmant les articulations de façon séparée, dans un piano roll.
Cette restitution d’une sorte de jeu virtuel en temps réel de l’instrument aide énormément à la véracité, même si le clavier (parfois la guitare) n’est pas toujours le média idéal. L’utilisation d’un breath controller peut déjà beaucoup aider, pour tous les instruments à vent, bien sûr, mais aussi pour les crescendo/decrescendo de cordes par exemple. Bref, malgré les difficultés restantes et les heures de travail demandées pour obtenir un résultat réaliste (pas forcément aussi réaliste qu’on le croit, et pas toujours à la hauteur du temps passé), l’orchestre virtuel avance à grands pas, avec, pour ce qui me concerne, une préférence pour le mélange échantillon/modélisation tel que le pratique Sample Modeling, qui pourrait bien produire, à terme, le plus convaincant des ensembles.
D’autres éditeurs ont choisi, ou ajouté à leurs instruments à base d’échantillons, des approches différentes, dans la perpétuation de l’alternative datant des premiers CD-Rom d’échantillons (samples d’instruments note à note ou phrases/boucles), en axant leurs produits sur un principe de phrasés enregistrés par des pupitres complets et/ou des solistes ; ainsi de Project Sam, Sonokinetic (liste non exhaustive) ou bien encore Native Instruments, qui lors de ses premiers pas dans le monde de l’orchestre (en dehors des échantillons de la VSL « offerts » un temps dans la bibliothèque de base de Kontakt), a proposé dans un premier temps Session Strings regroupant articulations (Sustain, Pizz, Glissando, etc.) et possibilité de créer des « phrases » répétées via un Animator (un script que l’on pouvait assez aisément reproduire pour les articulations n’en disposant pas via les scripts Arpeggiator et Humanizer inclus dans les scripts d’usine). L’Animator fonctionnait, certes, mais la quasi-impossibilité de modifier quoi que ce soit a conduit l’éditeur à sortir plus tard Session Strings Pro, bien plus efficace, notamment en offrant des sections (un peu plus…) séparées, et surtout au niveau de l’Animator, bien plus souple d’emploi, et donc moins mécanique.
Et voici que vient, après ces premières bibliothèques, Action Strings. Qu’est-ce ?
Introducing Native Instruments Action Strings
Disponible au téléchargement et aussi sous forme physique (heureusement le tout dématérialisé n’est pas encore totalement répandu, je pense à tous ceux qui ne bénéficient pas d’une connexion rapide et stable), Action Strings se commande sur le magasin en ligne de Native pour la somme de 299 euros, et est présenté sous la forme de deux DVD et d’un manuel .pdf, ou d’un installeur et application de téléchargement visiblement semblable à ce que propose Continuata (cette dernière procédure est celle utilisée pour ce test).
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On peut télécharger et installer sur l’ordinateur hôte, ou choisir le transfert vers un autre ordinateur, le fichier (compressé) pèse 9,2 Go. On utilise la procédure habituelle d’installation et d’activation (via le numéro de série fourni) directement depuis Kontakt (Kontakt complet ou Kontakt Player, version 5 minimum, et la plus récente mise à jour), puisque ce qu’on valide ici n’est pas le logiciel mais le contenu (Action Strings). Les compatibilités sont celles de Kontakt et Kontakt Player, voir à ce propos les pages dédiées de Native Instruments.
L’équipe à l’œuvre n’est pas la même que celle de Session Strings, Sonuscore pour Action Strings et e-instruments pour les seconds, mais les deux banques fonctionnent parfaitement ensemble.
Prise en main
Une fois installée, la bibliothèque complète affiche un peu plus de 9,8 Go d’échantillons, compressés suivant le processus Native (correspondant à plus de 14 Go non compressés), propose un manuel assez succinct, et un seul programme/instrument, Action Strings.nki. Une fois chargée, la bibliothèque présente une interface assez simple (peut-être un peu trop grande, on aurait pu gagner sur le décor, inutile), offrant en haut à gauche la visualisation de l’expression (via ModWheel, non modifiable, sauf à passer par les fonctions de routage de la DAW hôte) et à droite l’affichage du nom de la Phrase en cours et de l’action résultant de la vélocité jouée (on y reviendra). Étrange idée d’avoir fixé cette expression sur la molette, d’autant qu’on ne peut l’automatiser via l’automation de l’hôte, pour cause de possible interférence avec l’action normale de la molette. Heureusement, on peut enregistrer en temps réel le paramètre, tout comme contourner l’absence d’automation en utilisant les fonctions prévues (ou non…) dans la DAW, ainsi d’Hyper Draw/Hyper Editor dans Logic.
En-dessous, le contenu de la fenêtre sera différent selon l’onglet sélectionné (quatre en tout). Le premier onglet permet d’abord d’effectuer une sélection d’EQ (off, I, et II), courbes préprogrammées d’égalisation (voir les captures d’écran). On s’en passera sans regret…
Ensuite Dynamics (Boost) permet d’activer un mélange de saturation (avec un taux de 25,8 % en mode classic), de traitement de dynamique (un peu spécial puisque via le Transient Designer, avec un renforcement de l’attaque à 100 %) et de limiteur (accentuation du gain d’entrée de 5,2 dB, et diminution du gain de sortie de 5,3 dB), ce n’est donc pas une simple et tranparente (pour autant que ce soit possible) compression. On retrouve aussi la réverbe à convolution de Kontakt, avec un choix d’IR limité. On pourra modifier tous ces réglages en entrant en mode édition dans Kontakt, puisque pour les EQ et Dynamics, seuls les boutons d’activation sont disponibles depuis l’interface. De même, l’accès à la bibliothèque d’IR (d’usine ou utilisateur) permettra de choisir de façon plus précise les espaces recherchés, ce qui sera indispensable en cas d’utilisation avec d’autres orchestres virtuels, que l’on utilise ou non une réverbe externe en Bus.
Voici un exemple de phrasé nu, puis selon les deux EQ et avec le mode Boost enclenché (échantillons Stage et réverbe désenclenchée, sans effet d’expression).
Enfin, on pourra sélectionner soit la prise de son de proximité (dite Stage), soit celle à distance (Far), mais hélas pas les deux en même temps. Voici un exemple faisant entendre l’un après l’autre (toujours pas de réverbe).
Puis un autre faisant entendre les deux positions en même temps, après Bounce In Place dans Logic.
Affleure dès ces exemples ce qui va être le principal problème de cette bibliothèque, mais on y reviendra.
L’onglet Playback présente les fonctions de déclenchement des Phrases (synchro ou libre), de temps de crossfade entre chaque (de une à 150 ms) et de changement de tempo (normal, moitié, doublé). Puis on passe aux Slots.
Comment ça marche ? ©Michel Chevalet
Une fois tous les menus détails fonctionnels réglés, c’est dans les deux onglets Slots que se passent les choses les plus importantes. Ces deux onglets présentent chacun cinq portées, sur lesquelles figureront le phrasé ou la figure rythmique de la famille de phrases chargées, que l’on sélectionnera en temps réel via les KeySwitches (de C0 à E0 pour les slots 1 à 5, de F0 à A0 pour les slots 6 à 10, considérés comme les Users Slots).
La banque contient 154 Phrases, plus ou moins regroupées dans 62 Themes. En cliquant sur la portée apparaissent le nom de la phrase, sa métrique, son tempo d’origine, ainsi qu’une loupe qui permet d’ouvrir une fenêtre Phrase, dans laquelle on pourra user de boutons de sélection afin de n’afficher que les Phrases répondant aux critères sélectionnés, comme High Ens, Low Ens (choix de l’instrumentation), Single Pitch ou Melodic (note répétées ou fragments mélodiques) et différents choix de métriques, dont un bon nombre de mesures composées ou asymétriques, ce qui est plutôt rare et du coup à saluer. Bonne idée aussi, la possibilité d’entendre la phrase avant de la charger.
Une autre loupe à la droite du nom du Theme chargé ouvre la fenêtre Themes (eh oui…), reprenant le même principe de sélection (moins de détails sur les métriques et une touche Combis supplémentaires). Pas de préécoute ici.
On joue donc une note ou un accord (selon l’étendue matérialisée en bleu sur le clavier virtuel de Kontakt) qui déclenchera et harmonisera les phrases que l’on sélectionnera via les KeySwitches (matérialisés en rose). « Harmonisera » est un grand mot, et c’est le point faible de la bibliothèque : en effet, les phrases sont jouées telles que correspondant à l’écriture d’origine, sans prendre en compte le mode : cela aurait pu être possible si les Phrases étaient constituées à partir de notes appelées individuellement par un fichier Midi (auquel cas il est facile de prévoir et implémenter une harmonisation en fonction de l’accord joué), mais il s’agit bien ici de phrases complètes, ce qui offre d’un autre côté une certaine garantie contre l’effet de répétition. Autre outil pour essayer d’harmoniser au mieux les accords et changements de tonalité, mais seulement sur certaines Phrases : on peut jouer sur la vélocité, qui déclenchera alors le pattern, ou la fondamentale staccato, ou la phrase en mode mineur ou majeur. L’idéal étant d’utiliser un logiciel de type Melodyne, qui permettra de modifier les notes afin d’obtenir précisément ce que l’on souhaite. Voire en les resamplant dans Kontakt, en les découpant et en utilisant le pitch shift.
Prenons cet exemple. D’abord, toutes les notes déclenchant des Phrases en mode mineur.
Pas vraiment ce qu’on attend. Les mêmes en mode majeur.
Pas encore l’harmonie désirée. Essayons avec un mélange des deux (demande une certaine technique en jeu direct, mais peut tout aussi bien être programmé), plus une sélection via le même programme sur un canal Midi différent pour les instruments les plus graves, ne jouant alors que la figure rythmique sur une note.
Il faut vraiment passer par un logiciel de pitch-shift pour obtenir la réharmonisation souhaitée.
Ce n’est bien entendu qu’un exemple. Mais il permet de voir qu’à partir du matériau thématique assez varié (attention, la banque est plus dans une optique à la Herrmann, à base de courtes cellules répétées, plutôt qu’aux thèmes full-blown, comme on dit à Tinseltown…), on peut rapidement produire l’effet recherché.
Agréable aussi, les variations de tempo sont bien gérées, merci les nouveaux algos de Kontakt 5.
Le son est là, même si Action Strings montre parfois des resampling par trop évidents ; d’après ce que j’ai pu constater, la banque compte 703 groupes, deux niveaux de vélocité (mp et f), des échantillons de round-robin, et les phrases sont mappées sur trois demi-tons, ce qui n’est pas rédhibitoire en soi, mais qui devient audible si le fichier n’est pas « parfait » : une attaque ratée, un petit cafouillage léger prennent des proportions différentes une fois transposés.
Même s’ils sont plutôt rares, on trouve aussi quelques problèmes comme ceux-ci : une note parasite, ou une note « accrochée », pas trop problématique en situation réelle, mais qui ici, de par le principe de motif répété, se fera très vite remarquer (l’oreille a une très grande capacité de reconnaissance de bouclage) :
Bilan
Tout d’abord, ne pas se tromper, et comprendre l’intitulé de la bibliothèque : pas de multi-instrument, pas de thèmes, de phrases romantiques ou de pupitres hyper détaillés dans Action String, mais des rythmes, des cellules, des motifs complètement en accord avec le nom du produit. La qualité sonore, malgré les quelques petits défauts mentionnés, est très bonne, et la bibliothèque fonctionne très bien avec les autres produits Native, tout comme avec d’autres bibliothèques.
On peut regretter l’absence d’un procédé d’auto-harmonisation à la façon des logiciels employant la reconnaissance d’accord (pour un prochain update ?), ou encore l’assignation verrouillée de la molette, l’obligation de rentrer dans l’édition pour manipuler EQ et Dynamics.
Mais dans l’ensemble, le produit fait exactement ce qu’il revendique, avec ses limites, certes, mais avec ses qualités aussi. D’aucuns regretteront le principe de musique en boîte, d’autres trouveront grâce à des outils de time-stretch ou de pitch-shift performants non pas une source d’inspiration mais un outil pour mettre en place des idées, voire finaliser quelques productions dans lesquelles les cordes ne sont pas solistes. Et après tout, un outil ne reste qu’un outil, qui l’utilise sera responsable du contenu créatif de son utilisation. Bref, une bibliothèque qui, si elle n’est pas indispensable à une boîte à outils logicielle qui se respecte, peut cependant rendre certains services. On peut écouter les démos sur le site de l’éditeur, représentatives des capacités de base d’Action Strings, sachant qu’elles peuvent être multipliées grâce à un Melodyne ou équivalent.
Téléchargez les fichiers sonores (format FLAC)