Fender est passé cette fois par là où on ne l'attendait pas ! La série Fender Modern Player composée de quatre guitares (Marauder, Jaguar, Telecaster Plus et Thinline Deluxe) et de trois basses (Jazz Bass, Telecaster et Jaguar) se démarque de la kyrielle de déclinaisons de Stratocasters et Telecasters standards, habituellement des reissues où des variations de largeur de manche, types de bois selon coût et sonorité, modèles de micros sont les seuls paramètres variables.
Entrée de gamme chez Fender, les modèles de la série Modern Player sont fabriqués en Chine et sont à considérer du coup comme de super-Squiers : on notera par exemple l’absence d’économie faite habituellement sur les couches de vernis… Je vous propose ici une vue en détails de la Jaguar, à l’inspiration Gibsonnienne et de la Marauder, sorte de clin d’oeil à l’Arlésienne Fender de 1966 et équipée du tout nouveau Fender Triple Bucker. Manquent à l’appel la Telecaster Plus, sur laquelle sont montés 3 micros, la Thinline, relookée équipée en P-90 ainsi que les basses. Pour le prix commun à toute la gamme de 399€ TTC (excepté celui de 469€ TTC pour la Jazz Bass), voyons ce qu’elles ont dans le ventre !
Marauder, l’Arlésienne
Après la vague des nouveaux modèles Fender du début des années 60 (Jazzmaster, Jaguar, Mustang…), Fender assembla deux prototypes d’une guitare qui ne sera jamais commercialisée : la Marauder, s’inspirant de la Jaguar et de la Stratocaster. Le premier a un vibrato, trois micros et une panoplie de switchs de variations tonales : 9 au total ! Le deuxième, de type hardtail (sans vibrato…) avait les micros cachés sous la plaque de protection ! La Marauder fut annoncée, photographiée, présente sur le catalogue, commandée etc… Pour des raisons de coût de fabrication, elle restera un mystère à l’instar de la Gibson Modern de 1957. La légende dit que tout de même 8 Marauder furent fabriquées, ce qui en ferait de par le fait la plus rare des guitares Fender…
Pour la Marauder Modern Player qui nous intéresse, exit la complexe myriade de boutons poussoirs originelle. Nous avons ici deux micros, simple bobinage pour le manche de type Jazzmaster, et triple bobinage pour le chevalet, contrôlés par un sélecteur cinq positions de type Strato. Oui, vous avez bien lu. Oui, à peu près comme un ampli qui irait jusqu’à 11, ce micro n’est pas une combinaison d’un simple et d’un double, mais bien un triple bobinage ! Voici un petit explicatif des différentes positions offertes par le sélecteur. Nous appellerons A,B, C les trois bobines du Triplebucker, A étant la plus proche du chevalet, et M le micro manche :
- Pos I : A+B
- Pos II : A+B+C
- Pos III : C
- Pos IV : C+M
- Pos V : M
Pour le reste des caractéristiques, la norme revient… Le manche en C est en érable, touche palissandre, le manche doté de 22 frettes “medium jumbo” a un diapason de 25,5 pouces. Les mécaniques sont de type vintage : celles où il faut couper un peu de longueur de corde, insérer cette dernière à l’intérieur de l’insert avant de l’enrouler. Deux potentiomètres de tonalité et de volume pour les contrôles, un vibrato type Strat, et voilà ! On notera une dernière étrangeté : le corps est en Koto, bois Africain rarement utilisé en lutherie, en tout cas pas suffisamment pour qu’il en ait des adeptes ou des détracteurs… Ce choix aura sans doute été fait pour des questions de coût, mais rien ne m’a choqué lorsque j’ai joué cette guitare à vide. Nous avons donc ici une guitare qui tient de deux géants : la forme tient de la Jaguar et l’électronique est majoritairement inspirée de la Stratocaster, ainsi que le vibrato.
Je n’ai noté aucun problème, mis à part la tenue d’accord de ce dernier. Qui est souvent un faux problème sur une guitare neuve : il ne faut pas oublier qu’un vibrato tout bête peut marcher à merveille si l’on fait attention aux points de frictions du chevalet et du sillet. Il faudra penser à éventuellement les retailler un minimum pour les adapter au tirant de cordes utilisé (et c’est aussi valable pour les modèles haut de gamme), voire à régulièrement frotter une mine de crayon gras sur ces points, le carbone déposé aidant au bon glissement des cordes. En dehors de cela, rien ne m’a paru fragile ou de mauvaise facture sur la Marauder. Le manche est très agréable, inspirant, la combinaison d’un long diapason sur un corps de Jaguar étant assez surprenante. Les cinq positions ont toutes un petit quelque chose de plaisant, pertinent et d’inhabituel, du son très fin et claquant (la position 3 étant la plus discrète) jusqu’au son très plein et riche (notamment la position 4 qui combine les trois bobines du Triplebucker). En schématisant, il s’agit d’une configuration Strat HSS, le micro centre jouxtant le micro chevalet, et le micro grave étant celui d’une Jazzmaster, micro à relativement faible niveau de sortie, très brillant et riche en basses.
Voici ces cinq positions, le la 5 à la 1, en son clair.
Voici un exemple en jeu « réel », en utilisant plusieurs positions.
Et pour finir, un sample en jeu lead saturé, en jouant avec le sélecteur et le potentiomètre de volume.
Jaguar by Gibson
La Modern Player Jaguar est une guitare élémentaire si on la compare à la Marauder. Elle est aussi fortement inspirée par Gibson : on aura rarement vu (jamais ?) de Fender de série avec un combi chevalet/cordier Tune-O-Matic, deux P-90, et un sélecteur trois positions type LP/SG ! Mêmes mécaniques et manche que la Marauder, à ceci près que le diapason est de 24,75 pouces, de tradition Jaguar… ou Gibson ! Notons deux potentiomètres de tonalité et de volumes pour les contrôles. La plaque de protection a été supprimée pour laisser le bois et la peinture apparents. La Jaguar est disponible en chocolaté burst, noir et rouge translucides.
J’avais préféré la résonance de la Jaguar à vide à celle de la Marauder dans un petit premier temps. En effet, son corps en acajou la fait résonner davantage. Mais une fois les guitares branchées, la tendance s’est inversée très vite. La Jaguar n’est pas une mauvaise guitare, elle est solidement conçue et plutôt jolie. On dirait simplement que suite à cette hybridation, la greffe ne prend pas. Je n’ai pas trouvé de mordant, de personnalité convaincante… Bref, j’ai trouvé cette guitare trop « neutre », et manquant cruellement de corps.
Le plus déroutant concerne le contrôle de volume. Il est étonnant que sur une guitare qui offre autant de place sur le corps, le volume soit situé plusieurs centimètres à la gauche du chevalet, juste sous le micro grave… Peut-être est il à cet endroit dans un souci d’accès, permettant un violoning très facile, mais bon… Il ne m’a pas été possible de jouer plus de quelques dizaines de secondes sans y toucher accidentellement. Il est à mon avis très dur de s’y faire, et il s’agirait là davantage d’une erreur de conception… Dommage !
Voici un exemple en clair montrant les trois positions :
Clair toujours, avec un jeu plus incisif en cocottes :
Et en distorsion, en jouant avec le volume et le sélecteur.
Conclusion
Ces deux guitares se posent dans le registre moderne, aussi bien rock anglais tranchant que pop : les configurations de micros ne tiendront pas les saturations extrêmes et feront beaucoup de bruit. La Marauder a vraiment quelque chose, un petit plus qui ravira les débutants comme les confirmés, voire les pros qui cherchent une « petite » guitare qui dénote en studio comme en live. En résumé, j’ai trouvé dans la Marauder un côté « Astérix »… Je m’explique : elle incite à un jeu vif, intrépide, et son électronique n’inspire qu’un mot : futé ! Et posséder une guitare avec un triple bobinage aura un côté amusant pour plus d’un. La Jaguar reste néanmoins une guitare digne de ce nom mais fait vraiment pâle figure à côté. Pour leur prix de 395€ TTC, on ne prend pas de gros risque, mais il faut bien choisir. N’oubliez pas d’essayer les Telecasters de la série, notamment la Tele Plus avec sa configuration à trois micros ! La Tele Thinline équipée de P-90 peut être une excellente alternative à la Jaguar.
Note Technique :
Les samples ont été enregistrés avec une tête Egnater Tweaker et un simulateur de HP Two Notes Torpedo VB-101.