C’est un rituel dans le monde de la guitare : qui dit nouvelle année, dit nouveaux modèles pour les gros fabricants. Dans la continuité de sa politique entamée avec la refonte de la gamme American Deluxe ayant abouti à la série American Elite, Fender ne déroge pas à la règle, et propose ses nouveaux modèles Standard pour l’année 2017 sous une nouvelle appellation : American Professional. Comme la tradition l’exige, les nouvelles moutures arrivent avec leur lot de nouveautés (micros, profil de manche, coloris, etc.), mais c’est surtout l’intégration de la Jazzmaster et de la Jaguar à cette gamme, anciennement « Standard », qui marque un tournant. Nous avons donc testé l’American Professional Jazzmaster de Fender.
La Jazzmaster de la série American Professional partage de nombreuses caractéristiques avec les autres instruments de cette gamme. Tout d’abord, le sillet est à nouveau en os, et non plus en matière synthétique. Le manche a un nouveau profil dénommé Modern Deep C, et les frettes Medium Jumbo ont laissé place à des frettes de type Narrow Tall. Autre nouveauté, le potard de volume fonctionne avec un circuit Treble-bleed préservant la tonalité de la guitare même lorsque le volume est baissé. Ajoutons enfin que tous les instruments American Professional ont des micros inédits spécialement conçus pour la série, et que trois nouvelles finitions font leur apparition.
En ce qui concerne plus spécifiquement la Jazzmaster, l’on notera que sa touche présente 22 frettes, et non 21 comme il est de coutume avec ce modèle. Pour permettre cela, le manche présente une petite excroissance l’allongeant quelque peu. Autre grand changement, le chevalet est dorénavant proposé avec des pontets de Mustang. C’était un « mod » que de nombreux fans de la JM effectuaient, car les pontets d’origine de la guitare avaient tendance à ne pas retenir suffisamment les cordes qui sautaient alors. De plus, le chevalet est complètement immobile, là où certains modèles de Jazzmaster étaient auparavant équipés de chevalets offrant un peu de jeu afin de s’adapter au mouvement du vibrato.
Fender a également radicalement modifié un aspect essentiel de son modèle : l’électronique. Finis les multiples sélecteurs et les deux circuits Lead et Rhythm ! Dorénavant, un unique sélecteur à 3 positions permet de modifier les sonorités de manière très classique. Vous l’aurez compris, la marque a réellement retravaillé son instrument, et les nouveautés ne s’arrêtent pas là. Ainsi, la fameuse tige pop-in qui en aura rendu plus d’un fou laisse place à une tige qui se visse. Le système Micro-Tilt de réglage de l’inclinaison du manche refait aussi surface. Ce mécanisme introduit au début des années 70 permet de régler l’angle du manche, et notamment de travailler l’action de l’instrument. Enfin, deux des trois nouvelles finitions sont disponibles sur ce modèle, les couleurs Sonic Gray et Mystic Seafoam. C’est cette dernière que nous avons eue entre les mains, avec sa touche en érable.
Voici un résumé des spécifications de notre guitare :
- Corps : Aulne
- Vernis : Polyurethane
- Manche : érable
- Touche : érable
- Profil de manche : Modern deep C
- Frettes : 22 Narrow Tall
- Sillet : Os
- Largeur au sillet : 1,685" (42,79 mm)
- Radius : 9,5" (241 mm)
- Diapason : 25,5" (648 mm)
- Mécaniques : Fender étagées à bain d’huile
- Chevalet : Jazzmaster/Jaguar avec Tremolo vissé
- Micros : V-Mod Jazzmaster à simple bobinage
- Sélecteur : 3 positions
- Contrôles : master volume avec Treble-Bleed, master tonalité
- Accastillage : Nickel/Chrome
- Cordes : Fender USA NPS 9–42
- Livrée en étui moulé
- Tarif officiel : 1829 €
Bilan neuropsychologique
Esthétiquement, la Jazzmaster American Professional est plutôt séduisante. La nouvelle couleur plaira ou non, mais la finition est bien exécutée, et le choix d’une plaque de protection blanc crème est bienvenu. Elle manque toutefois un peu d’élégance ou de raffinement. La touche en érable y est certainement pour beaucoup.
Le manche est très différent de celui des instruments American Standard de l’année dernière. Il est un peu épais, assez arrondi, et la touche est surtout large. Les guitaristes préférant des manches fins et plats ou possédant des petites mains pourraient donc être destabilisés. À l’inverse, les frettes sont plus fines puisqu’il s’agit de modèles Narrow-Tall. Nous trouvons qu’elles apportent un ressenti différent, poussant à rechercher une plus grande précision de la main gauche. C’est en tout cas très confortable. Le manche satiné à l’arrière, une habitude sur les gammes standards de Fender, apporte lui aussi sa touche de confort.
En parlant de touche, celle de la Jazzmaster est vernie, mais cela ne gêne en rien le jeu. Un point nous a toutefois étonnés : les cordes ne sont pas parfaitement centrées au niveau du haut du manche. L’espace entre les bords du manche et les deux cordes de Mi n’est pas égal. Peut-être est-ce une caractéristique des Jazzmaster, mais il arrive parfois qu’en jouant sur la corde de Mi grave le doigt et la corde dérapent en dehors du manche, car l’écart n’est pas assez important. C’est néanmoins assez rare, et cela dépendra certainement de votre jeu.
Lorsqu’on commence à jouer avec la guitare à vide, un élément marque tout de suite : le chevalet et le cordier produisent une résonance très étonnante. Cela provient notamment de l’écart entre ces deux éléments, et c’est un élément constitutif de l’identité des Jazzmaster. La guitare paraît vraiment vivante, et est dotée d’une sorte de réverbe naturelle. C’est très intéressant, mais il faut avoir conscience que le son sera fortement influencé. Revers de la médaille, après quelques heures de jeu, ce son métallique peut s’avérer fatigant pour l’oreille.
Le nouveau chevalet a parfaitement accompli sa mission lors de notre semaine de test. Même en grattant allègrement (nous avons cassé une corde), les cordes n’ont jamais quitté leur position. Si le chevalet a légèrement évolué, le cordier reste, lui, classique. Il cache en réalité une cavité dans laquelle l’on trouve une plaque mobile à laquelle est rattachée la tige du vibrato, et un ressort permettant des mouvements. Appuyer sur la tige provoque donc un mouvement de haut en bas, ce qui offre un ressenti complètement différent lorsqu’on l’actionne. La tige est particulièrement grande, elle rebondit littéralement, et est très agréable d’utilisation.
Un petit bouton à faire glisser permet de bloquer la plaque de façon à ce que celle-ci ne puisse pas remonter. Il est alors impossible d’augmenter temporairement la hauteur d’une note, puisque seuls des à-coups vers le bas sont possibles. Ce mécanisme a plusieurs usages. Il permet, dans un premier temps, de conserver son accordage même lorsqu’une corde casse. En effet, la tension étant moins importante, la plaque en métal aura tendance à remonter, car elle est poussée par le ressort. Cela provoquera irrémédiablement un désacordage. En activant le bouton au préalable, la plaque sera dans l’impossibilité de remonter, et la justesse sera conservée. Nous avons d’ailleurs pu l’observer lorsque nous avons cassé une corde. L’autre intérêt de ce système mécanique est qu’il modifie la résonance de l’instrument. Nous l’avons déjà indiqué, l’accastillage de la Jazzmaster et l’espace important séparant le chevalet du cordier créent une résonance métallique unique. En poussant le bouton de façon à ce que son extrémité soit en contact avec la plaque assurant le mouvement du vibrato, l’équilibre sonore de l’instrument est légèrement différent. La résonance est altérée, et la tonalité est différente. Vous pouvez écouter cela dans l’exemple qui suit :
- 2 Bouton vibrato en haut 00:14
- 3 Bouton vibrato en bas 00:18
Concernant la tenue d’accord avec le vibrato, il faut bien avouer que notre exemplaire de test avait tendance à bouger. Il est cependant difficile d’affirmer quoi que ce soit, car il s’agissait d’un instrument neuf, et car les températures ont tendance à beaucoup varier en ce moment. Une chose est certaine, l’usage intensif du vibrato provoquait un léger désaccordage, notamment sur la corde de Mi aigu. Mais un usage plus mesuré préservait la justesse.
Le potard de volume reprend la progressivité habituelle des potentiomètres Fender. La baisse est assez radicale dans un premier temps, puis plus douce. Le circuit Treble-Bleed marche très bien, puisque l’on garde vraiment la même tonalité même en baissant le volume. Quant au bouton de tonalité, celui de notre exemplaire accrochait et était difficile d’utilisation. C’est évidemment inacceptable sur un instrument de cette gamme de prix, mais c’est très inhabituel chez Fender. Nous n’avons probablement pas eu de chance avec le modèle de test.
Enfin, terminons notre découverte de la Jazzmaster American Professional en évoquant le sélecteur de micros. Il fonctionne parfaitement, mais certains le trouveront un peu trop proche du manche de la guitare. En effet, avec des mouvements amples, il est possible de le heurter, ou simplement en jouant avec sa main droite sur la manche, comme lors d’une session de tapping par exemple. Ce n’est pas rédhibitoire pour autant, mais il faut faire des essais et voir si son jeu est adapté.
Hallucinations auditives
Notre Jazzmaster est dotée des nouveaux micros V-Mod Jazzmaster créés par Michael Frank, l’homme derrière les micros signature Eric Johnson. C’est clairement le point fort de cette guitare ! Ce sont des micros simples, un petit bruit de fond nous le rappelle, mais avec un spectre sonore bien plus large que les habituels micros Strat ou Tele. Au premier abord, le micro manche est puissant et possède beaucoup de bas. Le micro aigu est, lui, assez claquant, ce qui est accentué par la touche en érable. La position intermédiaire est vraiment intéressante, car elle mêle parfaitement les qualités de chacun des micros. C’est une position utile, contrairement à certaines guitares avec lesquelles nous n’aimons pas cette configuration.
Malgré leur look, les micros ne sonnent pas comme des P-90. Il y a certes pas mal de bas, mais ça reste très clair et précis, même avec de la saturation, là ou le P-90 sera enclin à cruncher un peu plus rapidement. L’on garde aussi un claquant caractéristique, sans être non plus dans le registre d’une Strat ou d’une Tele, puisque le spectre de fréquences est plus large.
- 4 Micro chevalet Clean 01:22
- 5 Micro intermédiaire Clean 01:18
- 6 Micro manche Clean 01:00
- 7 Micro chevaet Saturé 00:44
- 8 Micro intermédiaire Saturé + jeu avec le volume 01:00
- 9 Micro manche Saturé + jeu avec le tone 01:26
Internement à vie ?
L’American Professional Jazzmaster de Fender est une guitare à la croisée de la tradition et du changement. La guitare est plus facile d’accès, car délestée de son électronique originale, mais elle préserve des éléments traditionnels, parfois légèrement remaniés, comme le cordier et le chevalet. La guitare garde son identité très marquée notamment grâce à sa résonance si particulière, mais perd un peu de son originalité avec des possibilités sonores un peu plus restreintes.
Il faut également souligner le désir de Fender de renouveler sa gamme anciennement « Standard » avec quelques caractéristiques bienvenues comme le sillet en os, le Micro-Tilt, ou encore le changement du manche. Le profil de ce dernier est une réussite, même si, comme d’habitude avec une guitare, ce sera avant tout une question de goût. Autre élément très positif, les micros V-Mod Jazzmaster sont excellents ! C’est l’atout principal de cet instrument, et nous ne pouvons que vous pousser à les essayer. Enfin, les American Professional sont toutes livrées avec un nouvel étui moulé Elite adapté à la forme précise de l’instrument. Dans les faits, l’étui n’est pas très différent des précédents, mais il est vrai que la guitare est bien maintenue grâce au moulage, ce qui est appréciable.
Malgré tous ces bons points, force est de constater que les petits défauts s’accumulent, et en premier lieu l’étrange alignement des cordes sur la touche. La position du sélecteur à 3 positions est aussi étonnante, et la disparition de l’électronique d’origine en décevra certains. C’est au final une bonne guitare, mais que nous ne nous verrions pas, à la rédaction d’Audiofanzine, acheter à ce prix-là (à partir de 1799 €). Si vous êtes séduit, ses sonorités particulières et quelques choix ergonomiques rendent nécessaire un essai avant achat, mais vous aurez affaire à une guitare avec du caractère.