Créer un véritable instrument de musique autonome, orienté boucles et temps réel, aussi à l’aise en studio que sur scène, tel est le pari de Feeltune. Le Rhizome est leur premier coup d’essai : alors, coup de maître ?
Dans un rhizome, d’après la théorie philosophique de Deleuze et Guattari, « tout attribut affirmé d’un élément peut influencer la conception des autres éléments de la structure, peu importe sa position réciproque ».
– Comment ça, qu’est-ce qu’on fume à AF comme plantes exotiques ?
Ben tiens justement, en parlant de botanique, un rhizome est aussi une sorte de réseau souterrain ou subaquatique de tiges, sans hiérarchie structurée, comme dans le bambou ; c’est à la fois la réserve d’énergie et le point de départ du développement de la plante.
– Voilà chef, les plantes qui font rire, c’était juste expérimental pour les biens de l’enquête !
Grâce à la jeune société française Feeltune, le Rhizome est aujourd’hui une puissante station de travail génératrice de boucles orientée jeu temps réel. À l’origine, des musiciens de la scène électronique frustrés de trimbaler du matos à travers le monde, de tout connecter et de prier pour que ça le fasse… C’est avec cette envie de changement que Nicolas Piau et sa bande ont commencé l’aventure Feeltune en 2007 : au programme, des investissements importants, de la sueur dégoulinante, de la matière grise abondante et plusieurs prix d’innovation. L’ambition : créer une machine haut de gamme, sans compromis, autonome, ouverte, originale, transportable (même en cabine d’avion !) et ludique, véritable prolongement naturel de la créativité du musicien. Voyons ce que le Rhizome renferme pour assurer la prolifération de l’espèce…
Construction solide
Au moment même de déballer la machine, une impression de sérieux se dégage : emballage à double cartonnage, 10 cm de bulles, protection des angles en mousse semi-rigide… ça commence bien ! Une fois extrait de son alcôve, on empoigne les 12,5 kg du Rhizome par la poignée de transport et on le place sur une table (de préférence) ou un stand, selon 2 positions angulaires, la poignée se transformant en béquille de luxe. La machine met une vingtaine de secondes à booter, c’est rapide. Pendant cette phase, une fenêtre Windows XP apparaît subrepticement (et à l’envers), en fait une version XPE pour être précis, customisée par les développeurs de Feeltune. C’est bien stable, tant sur le plan logiciel que matériel.
La façade en acier, la coque blanche en alu et les flancs en bois inspirent confiance. Le look est inédit, avec une face avant confortable de 52 × 42 cm au milieu de laquelle trône un énorme LCD couleurs divisé en 4 zones (1440 × 250 pixels et 3 fois 1440 × 128 pixels). Pas moins de 102 commandes agrémentent cette façade : en partie supérieure, la touche marche / arrêt, les commandes de transport du séquenceur, les touches Undo / Redo et la touche Shift ; sur les côtés, 2 rangées de 15 boutons de part et d’autre ; enfin en partie basse, 16 pads dynamiques lumineux ; la division de l’écran en 4 zones est assurée par 3 rangées de commandes posées directement à sa surface : 2 rangées de 16 encodeurs-poussoirs sans fin et 16 gros boutons lumineux. On pouvait craindre une certaine fragilité de ces parties délicates, mais tout cela semble bien ancré et robuste, même si les encodeurs ont un léger jeu. Tiens, mais au fait, où est le potard de volume ? Euh, ben, euh, il n’y en a pas !
Intel inside
Pour l’interfaçage audio-Midi, Le Rhizome est équipé d’une carte PCI professionnelle RME HDSP 9632 à très faible latence (à partir de 1,5 ms), capable de travailler jusqu’à 24 bit / 192 kHz, avec un rapport signal / bruit de 110 dB RMS environ en entrée et en sortie. La carte comprend un port audio-Midi 15 broches, une connectique Adat (entrées / sorties optiques 8 canaux) et un port audionumérique 9 broches. Elle est livrée avec une connectique épanouie pro pour le port 15 broches, comprenant une paire d’entrées stéréo XLR, une paire de sorties stéréo XLR, une sortie casque jack 6,35 et un duo entrée / sortie Midi. En revanche, la connectique épanouie audionumérique RME n’est pas fournie (entrées / sorties stéréo RCA SPDIF et/ou XLR AES/EBU, donc optionnelle).
Le Rhizome est décliné en 3 versions (voir encadré). Le modèle XE que nous avons testé (en version 1.56 de l’OS) comprend une carte fille RME AO4S-192 dotée de 4 sorties audio analogiques en jack 6,35 mm TRS. Comme toute carte type PCI, elle a tendance à plier lorsqu’on exerce une certaine tension sur les câbles, les jacks à angle droit sont donc vivement recommandés. Le reste de la connectique est celle d’un bon PC : 6 ports USB, un port Ethernet, un port FireWire, un port optique, un port DVI (livré avec adaptateur VGA), 1 port HDMI (résolution full HD), un unique port souris / clavier PS2 et une alimentation interne à détection automatique 100–240 V. Il manque à notre goût quelques prises pédales pour déclencher des événements (punch in / out séquenceur ou sampler…) ou moduler des paramètres en temps réel. On trouve 2 ventilateurs (un latéral et un en sous face) relativement peu bruyants pour refroidir le cœur de la bête, en l’occurrence un PC équipé d’un processeur Intel Core 2 (duo ou quad), d’une RAM (2 ou 4 Go) et d’un disque dur (250 à 500 Go), selon la version (voir encadré).
Les 3 frères (données constructeur)
Rhizome SE |
Rhizome XE |
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Prix TTC |
3 199 € TTC |
3 399 € TTC |
3 599 € TTC |
Processeur |
Intel Core 2 Duo 2,93GHz x 2 |
Intel Core 2 Duo 2,93GHz x 2 |
Intel Core 2 Quad 2,5 GHz x 4 |
RAM |
2 Go, PC2–6400 |
2 Go, PC2–6400 |
4 Go, PC2–6400 |
Disque dur |
250 Go, 7200 tr/mn, 8 Mo |
250 Go, 7200 tr/mn, 8 Mo |
500 Go, 7200 tr/mn, 8 Mo |
USB |
6 | 6 | 6 |
Firewire 400 |
1 | 1 | 1 |
DVI |
1 | 1 | 1 |
HDMI |
1 | 1 | 1 |
RJ45 |
Gigabit 100 / 1000 |
Gigabit 100 / 1000 |
Gigabit 100 / 1000 |
Prise casque jack 6,35 |
1 | 1 | 1 |
Sorties analo symétriques |
2 | 6 | 6 |
Entrées analo symétriques |
2 | 2 | 2 |
Port ADAT |
1 | 1 | 1 |
Port SPDIF / AES |
1 | 1 | 1 |
Entrée / sortie Midi |
1 | 1 | 1 |
Ergonomie soignée
Le Rhizome est une puissante machine à boucles Midi / audio conçue pour fonctionner en totale autonomie. Pour ce faire, il intègre un séquenceur Midi, un mixeur élaboré, un échantillonneur et toutes les commandes physiques pour en tirer partie. Deux sessions sont disponibles simultanément, offrant une certaine souplesse tout en évitant une surcharge du processeur, que l’on peut par ailleurs suivre à l’aide de la jauge affichée en permanence en haut de l’écran (nous reviendrons sur les 2 sessions). On peut adjoindre au Rhizome un certain nombre de périphériques pour encore améliorer l’ergonomie ou installer d’autres applications : clavier, souris, écran externe, unités de stockage externe. Raccorder un écran externe permet d’afficher ainsi les éditeurs des plug-ins ouverts (instruments, effets, banques), tout en gardant le contrôle total des modules principaux depuis l’interface du Rhizome. On peut ainsi préparer sa configuration complète en studio, puis emmener le Rhizome seul sur scène.
Le pilotage est on ne peut plus simple car il est conçu avec la volonté, tant sur le plan matériel que logiciel, de permettre un travail sans interruption du flux créatif, que ce soit en jeu live, en enregistrement ou en édition. Les commandes de transport sont largement dimensionnées et leur rétro éclairage les rend visibles dans toutes les situations. Les fonctions essentielles sont accessibles en maximum deux pressions de touche : on appelle les fenêtres principales (mode de jeu ou autre) avec l’une des touches latérales. Les fenêtres les plus complexes possèdent plusieurs onglets ; on bascule de l’un à l’autre avec la touche « Window » et une pression sur un bouton / pad / encodeur situé en prolongement. On navigue dans une fenêtre comme dans un tableur : touches de droite « L1…Ln » pour sélectionner la ligne et encodeurs-poussoirs / pads pour sélectionner la colonne. En maintenant l’un des boutons de droite « L » enfoncé, on modifie tous les paramètres de la ligne d’un seul coup. Suivant le contexte, les boutons « Tools » permettent de sélectionner des outils d’édition ou de basculer sur les pistes ou canaux par groupe de 16. Le graphisme sur fond noir est fin, sobre, agréable. Seule ombre (temporaire) au tableau, la fonction Undo / Redo qui se limite au séquenceur et à la dernière édition de Samples dans la version testée.
Structure générale
Sur le Rhizome, un projet fonctionne selon 4 environnements : Mixer, Sequencer, Sampler et Song. Un cinquième mode, baptisé Perf Live, permet de gérer les 2 projets toujours disponibles, afin d’en assurer la lecture simultanée (avec synchronisation) ou l’enchaînement en Live, à la manière d’un DJ. Ainsi, on peut faire défiler successivement une liste de projets sans avoir à tous les charger, ce qui évite de saturer trop vite les ressources processeur et ainsi générer clicks et coupures. Si l’ergonomie du Rhizome est très réussie, il convient toutefois de bien en comprendre l’architecture avant de se jeter dans la mêlée. Pour cela, un mode d’emploi en français d’une bonne centaine de pages est téléchargeable sur le site, dans une section pour le moment réservée aux propriétaires de la machine. La lecture est vivement recommandée.
Tout en haut de la hiérarchie, disions-nous, il a les 2 projets actifs. Chaque projet contient un morceau (Song) composé de 64 patterns de 64 pistes, embarquant des séquences d’événements Midi (notes, CC…). Ces pistes font indifféremment appel à des instruments VSTi (fournis d’usine ou intégrables par l’utilisateur), des samples internes ou des instruments Midi externes. Tout ce beau monde est mélangé grâce au Mixer, qui offre 64 canaux virtuels stéréo (VSTi), avec pour chacun 6 bus de départs auxiliaires et une assignation vers l’un des 8 sous-groupes stéréo ou l’une des 12 ou 16 sorties stéréo physiques. Chaque élément (piste, auxiliaire, bus, sous-groupe) embarque 3 effets par défaut (compresseur, EQ, élargisseur stéréo) et 6 slots d’insertion pour plug-ins VSTfx (là encore fournis d’usine ou intégrables par l’utilisateur). Aucun doute là-dessus, c’est beaucoup plus puissant que n’importe quelle Groovebox hardware actuellement sur le marché. Si tout le monde suit, on continue alors…
Suite logicielle Les boîtes à rythmes à échantillonnage les plus célèbres de l’histoire (Linn 9000, MPC60 / 3000, SP12 / 1200, Studio 440) ont non seulement bâti leur réputation sur leur qualité sonore (convertisseurs, filtres analogiques pour certaines), mais également sur leurs banques sons fournies ou disponibles après l’achat. Pour éviter que l’utilisateur ne parte de zéro, le Rhizome est livré avec une suite logicielle signée G-Force, Ohm Force et Feeltune. Pour G-Force (alliance Ohm Force et G-Media), il s’agit des VSTi Oddity et Minimonsta, répliques virtuelles de l’ARP Odyssey et du Minimoog. Quelques milliers de programmes sont ainsi directement disponibles. Vient ensuite une suite d’effets VSTfx signée Ohm Force parmi lesquels vocodeur, compresseur, limiteur, EQ 4 bandes, flanger et filtres. Quant aux plug-ins développés par Feeltune pour le Rhizome, il s’agit de VSTi recréant les sons de célèbres machines Roland et Linn des années 80 dont la source est facilement décelable (303Line, L1nn, TR gog, TR BoB et TR ToT), ainsi que des VSTfx (Filter, Flanger, Delay). Bref, de quoi constituer un bon point de départ, même si on aurait souhaité en avoir plus dans ce niveau de gamme (genre traitements de boucles, multi-synthèses modulaires, harmonisations vocales, banques de samples plus balaises, modélisations d’effets vintage…) Comme tout PC qui se respecte, le Rhizome peut se connecter sur Internet, mais reste très sensible aux virus. Mieux vaut donc éviter toute connexion directe hasardeuse, sauf pour les mises à jour système. Les plus téméraires peuvent toutefois installer un antivirus, sans oublier de le désactiver hors connexion pour éviter de ralentir les flux des données. Pour installer certaines applications tierces utilisant des clés d’activation, l’idéal est de faire des copies de clés USB. Signalons au passage que la machine est compatible avec les clés de sécurité iLok et Synchrosoft. |
Séquences et chansons
En environnement Sequencer, le code couleur est rouge sur fond noir. Dans un projet, il y a donc une Song de 64 patterns de 64 pistes de séquences Midi bouclées, contrôlant l’un des 64 instruments possibles. Nous avons été très heureux de constater que chaque séquence peut avoir une durée de bouclage différente de ses copines et pas forcément d’une valeur multiple ; mieux, les points de bouclages sont éditables à la volée, vive l’expérimentation ! Lorsqu’on crée une nouvelle piste pour enregistrement, il faut en préciser le type : Step ou RT (nous y reviendrons). Une fois la piste créée, il convient de lui assigner un instrument VSTi. Pour cela, il suffit de sélectionner la case « Instrument » et de cliquer sur l’encodeur-poussoir correspondant à la piste souhaitée. Une boîte de dialogue s’ouvre, demandant de choisir entre un instrument VSTi ou un Sample interne.
Choisir « Instrument » ouvre un bibliothécaire où défilent les VSTi disponibles. Au moment du chargement, pour certains instruments, on doit décider du type souhaité de sorties audio (stéréo ou multi-sorties). Une fois l’instrument virtuel chargé, on accède aux patches internes via le champ « Program », comme son nom l’indique. Toutes les modifications ultérieures faites sur le programme au sein des pistes du Rhizome (fenêtres d’édition intégrées « Step modulations » ou « VST Param ») seront mémorisées en sauvegardant le projet, sans avoir besoin de passer par l’éditeur et le bibliothécaire du VSTi. Ceci se limite toutefois aux VSTi compatibles (95% de l’offre actuelle selon le constructeur) ; pour les autres, un passage par l’éditeur dédié du plug-in sur le second écran sera nécessaire, mais pas toujours salutaire. En édition directe de VSTi (onglet « VST Param »), l’OS du Rhizome est capable de recalibrer la réponse des encodeurs grâce à des gabarits de plug-in intégrés, pour tenir compte du nombre de valeurs possibles de chaque paramètre ; cela permet par exemple d’éviter de faire 3 tours de compteur pour changer les 3 pauvres formes d’onde d’un oscillateur ou 1000 tours pour faire varier les 4096 valeurs d’un Cutoff de filtre. On trouve même un utilitaire pour reconfigurer ses propres plug-ins, avec fonction « Learn » et détection des commandes de program change pour ceux qui ne répondent pas aux CC Midi habituels, bien joué ! Avant d’enregistrer, on peut configurer le métronome : choisir le click, son niveau, son assignation à l’une des paires de sorties audio (via le logiciel HDSP Mixer de la carte RME).
Step by Step
Si l’on a choisi une piste Step, on enregistre en monophonique sur 8 mesures maximum. La zone inférieure (zone 4, constituée de la fenêtre inférieure et des 16 pads lumineux) permet de choisir le mode d’entrée des notes, grille ou clavier. Dans le premier cas, les pads font office de pas (allumés = note présente), comme sur une bonne vieille TR Roland. Chacune des 8 mesures évolue sur 16 pas. Le numéro de note entrée peut être modifié à la volée, tout comme sa longueur, dans la zone située juste au-dessus (zone 3), toujours accessible. Pour ceux qui préfèrent le « vrai » temps réel, il suffit de faire basculer la zone 4 en mode Keyboard, l’afficheur faisant alors apparaitre un clavier virtuel de 16 notes (Do à Ré#), chaque pad correspondant à une note. La fenêtre 3 permet de changer rapidement l’octave de ce clavier sur une tessiture Midi complète, ou encore de définir un accord et son renversement à choisir dans une liste. Les pads sont dynamiques et leur sensibilité est ajustable. Toutefois, ils ne donnent pas la même qualité de réponse que des pads de MPC5000 (qui, rappelons-le, sont opaques) : sur le Rhizome, il faut frapper bien au centre pour avoir un bon contrôle ! À tout moment on peut modifier un pas donné ou toute une ligne de pas en temps réel : note de référence, octave, durée, vélocité… et même modifier les points de bouclage d’une piste. Une astucieuse fonction « Autofollow » permet d’éditer plusieurs mesures en commun (par exemple, les modifications faites sur les pas 1 à 16 seront calquées sur les pas 33 à 48). Pour ceux que le « Four on the floor » rebute, le Rhizome permet d’ajouter un petit groove fort sympathique (triolet, Shuffle…). Mieux que le X Factor à la télé, le Step Factor permet de modifier la signature des mesures (mais avec un maximum de 128 pas), dont certaines correspondent à des valeurs ternaires et quaternaires, de la noire à la triple croche.
C’est au cœur des pistes Step que naissent les Step Modulations : il s’agit ni plus ni moins d’un séquenceur type analogique à 3 canaux de modulation, qui se choisissent parmi les paramètres de l’instrument VSTi assigné à la piste, modulable par l’un des 16 Step Modulateurs contenu dans chaque banque. Grâce aux différents écrans, les assignations se font de manière hyper simple, que ce soient les destinations ou les sources (avec mode Midi Learn pour les contrôleurs externes). Des Step Modulations purs peuvent être créés sur des pistes Step sans aucune note ; ils peuvent même moduler des destinations d’instruments joués par les pistes RT, c’est vraiment très souple ! Les Curve Modulations sont des variations continues de paramètres réalisées à partir des encodeurs, sur des paramètres VST ou le Mixer, avec édition graphique à la clé. En automation, chaque paramètre modifiable peut avoir 3 états : par défaut, en lecture ou en enregistrement. Une pression sur « ALT » et l’encodeur correspondant au paramètre alterne entre ces états. En lançant la lecture de la boucle, on peut facilement entendre ou enregistrer les mouvements des encodeurs. On peut ensuite éditer graphiquement les modulations point par point, pour n’importe quelle plage de mesures de la piste.
Pistes temps réel
Passons maintenant aux pistes RT. Il s’agit de séquences polyphoniques enregistrées en temps réel, de 1/64ème à 9999 mesures. Elles peuvent ou non être bouclées en lecture ou en enregistrement. La capture se fait en temps réel, en mode Overdub ou Replace, après décompte préalable ou déclenchement à la détection d’événement (mode « Wait Note »), ce qui nous console un peu de l’absence de prises pour pédales punch in / out. On peut définir la longueur de la séquence avant ou après enregistrement. L’enregistrement peut être lancé ou stoppé indifféremment lorsque les séquences tournent, sans interruption, bravo ! Pour ceux qui ont du mal à se caler sur le temps, le séquenceur du Rhizome est capable de quantiser (avant / pendant / après enregistrement), de manière non destructive, de la noire à la triple croche, en passant par les valeurs ternaires. Ce n’est pas aussi précis qu’un Cubase, mais c’est très largement suffisant étant donnée l’orientation de la machine.
Dans le mode de pistes RT, la zone 1 peut afficher les événements sous forme de Piano Roll, avec facteurs de zoom vertical et horizontal, points d’entrée et de sortie d’affichage. Chaque note peut être éditée très rapidement grâce aux encodeurs : sélection, hauteur, point de départ, point de fin, vélocité, effacement… la précision de la grille d’édition des points d’événements se règle avec entre 1/64ème de temps et 4 temps. Les notes sont entendues lorsqu’on se balade dans la grille. Et pour aller placer ces quelques événements injouables en temps réel, on peut utiliser les 16 encodeurs pour déposer avec délicatesse jusqu’à 16 événements sur la grille avec une précision à la quadruple croche ! Fonction intéressante, on a la possibilité de transformer une piste RT en plusieurs pistes Step (dans la limite de 8 mesures), idéal pour éclater un motif de percussions sur plusieurs pistes mono et ainsi pouvoir en différencier les traitements (mixage, effets, durée des boucles…). Que manque-t-il donc à ce très puissant séquenceur ? Peut-être une édition par liste déroulante, si pratique pour l’édition microscopique en pas-à-pas…
Mode Sampler
Lorsqu’on bascule en environnement Sampler, les écrans du Rhizome passent en code couleur vert sur fond noir. 64 samples peuvent résider simultanément dans un projet, ce qui limite l’utilisation aux phrases musicales ou kits de percussions. Il n’y a d’ailleurs aucune gestion de multisamples ou de couches de vélocité, le Rhizome n’a pas pour objectif de remplacer un logiciel dédié ; en revanche, il y a 95% de chances qu’il soit compatible avec lui. Les samples contenus sur le disque peuvent être pré-écoutés, même lorsqu’une boucle tourne. Dans ce dernier cas, la navigation dans une liste de Samples lance leur lecture en temps réel sans chargement, ce qui est super pour tester, par exemple, un tas de kicks différents dans le contexte. En revanche, les samples doivent être chargés en mémoire interne pour être édités ensuite. Ils se jouent un peu comme des pistes Midi : activation, coupure, solo en temps réel.
On peut créer 3 durées samples : quelconque, d’une mesure ou de 4 mesures. Il existe 2 modes de déclenchement pour la capture : par événement Midi (départ / arrêt enregistrés au préalable sur la piste Midi) et par dépassement de seuil audio (l’arrêt étant alors manuel). Le monitoring de la source est possible ; cette dernière se configure par paire (analogique, Adat 1/2 à 7/8, SPDIF) et par canal (stéréo, gauche ou droit). En revanche, le Rhizome ne permet pas le Resampling des bus virtuels ; une mise à jour est déjà prévue pour envoyer le contenu des pistes / patterns / Songs vers le Sampler. Une fois capturé, on détermine graphiquement les paramètres de lecture du sample : points de départ / fin de lecture, points de départ / fin de bouclage, type de bouclage (aucun, à l’endroit, à l’envers, alterné), répétitions de la boucle, transposition, accordage, niveau et inversion de lecture ; les paramètres de vélocité et de panoramique sont inscrits au programme du prochain OS. Ensuite, on peut opérer quelques transformations sur le sample : Trim (troncature), Cut (suppression de zone), normalisation (de type crête à 0 dB), Fade in / out, avec annulation de la dernière opération. Là encore, l’affichage est très précis et des zooms sont bien évidemment possibles. Enfin, le Sampler offre un certain nombre de paramètres de synthèse : un filtre multimode résonant (passe-bas, passe-haut, passe-bande et réjection), 3 LFO à 7 formes d’ondes synchronisables au tempo et 3 enveloppes ADSR, ces modulateurs agissants chacun sur le pitch, le filtre et l’ampli. Lacune évidente de la version actuelle de l’OS, le Rhizome pêche un peu dans la gestion des boucles audio, puisqu’il est impossible de stretcher ou de slicer les samples. Le prochain OS (1.6) devrait permettre le stretch en temps différé, en attendant la V2 (prévue avant le NAMM 2012), qui promet entre autres les traitements en temps réel, synonyme d’avènement de l’audio dans le Rhizome.
Mode Mixer
Nos 64 pistes sont enfin créées, toutes avec leur longueur de boucle différente, leur automation de paramètres, certaines avec leurs samples, d’autres avec des instruments VSTi et les dernières avec des instruments Midi externes… Il ne reste plus qu’à peaufiner leur assemblage avec le Mixer virtuel intégré. Il offre 64 pistes stéréo, 8 sous-groupes stéréo, 6 bus auxiliaires et un bus master stéréo. Basculer en environnement Mixer fait passer le code couleur de l’affichage en bleu sur fond noir. Les 4 écrans et les rangées de commandes se transforment alors en table de mixage hybride, combinant le meilleur du matériel (manipulation de commandes physiques) et du logiciel (fenêtres très explicites, mémorisation et automation). On aurait pu rêver à 16 faders longs, mais la transportabilité et le prix du Rhizome auraient été tout autres.
Chacune des 64 pistes du Mixer peut contenir un VSTi ou un Sample. Chaque piste, bus et auxiliaire dispose par défaut de réglages de volume, de panoramique, de routages multiples, d’un compresseur, d’un équaliseur 4 bandes paramétriques, d’un outil de spatialisation et de 6 slots d’insertion VSTfx. Le signal de n’importe quel bus virtuel (piste, bus ou auxiliaire) peut être routé vers l’une des multiples sorties audio physiques (analogiques ou numériques). Une fois qu’on a bien compris comment les différentes fenêtres sont appelées (touches « Windows » pour atteindre les onglets de paramètres et « Tools » pour alterner entre les 4 banques de 16 pistes), les paramétrages deviennent évidents et immédiats. On imagine les dimensions de l’équivalent 100% matériel de cette table de mixage ! Un petit mot sur les 3 effets intégrés : le Stereolizer est un effet de spatialisation du son qui agit par élargissement (balayage de modulation, délai, profondeur stéréo) ; le compresseur, signé Ohm Force, possède des réglages d’attaque, release, 2 ratio (avant et après point de Knee), courbure du Knee et gain ; une mise à jour prenant en charge une Sidechain est promise ; enfin l’EQ est de type 4 bandes paramétriques (gain, Q, fréquence) avec 3 types de réponse (Peak, Low Shelf et High Shelf). Lorsqu’on utilise des VSTfx externes, le Rhizome permet d’en afficher l’interface utilisateur sur un écran externe, dès que l’on sélectionne un slot contenant un tel effet, bien vu ! Dernier gros point de satisfaction, le Mixer brille par ses possibilités d’automation ; cela concerne l’ensemble des paramètres d’insert, l’ensemble des paramètres des VSTi, la coupure / le niveau / le panoramique de piste, les 6 départs effets, les paramètres des 3 effets de base (EQ, compresseur, effet stéréo) et leur activation. On peut affecter n’importe quel CC Midi à ces paramètres. L’enregistrement ou la lecture de l’automation se passent aussi simplement que dans les autres modes ; qui dit mieux ?
Assemblages et enchaînements
Les pistes de séquences sont regroupées en Patterns, à raison de 4 banques de 16 Patterns par Projet. Chacune des pistes peut avoir une longueur différente, le Rhizome se chargeant de boucler chacune d’entre elles au bon moment. Rappelons également que chaque Pattern possède son automation indépendante. La machine étant en grande partie orientée live, elle permet de lancer des enchaînements de Patterns en temps réel : on peut alors quantiser le point d’enchaînement, avec différentes précisions temporelles (par exemple, attendre que la mesure se termine avant d’enchaîner) ; on peut aussi déterminer le mode de continuité de la lecture : par exemple, un Pattern A dont la piste 1 est constituée de 4 mesures est en cours de lecture ; pendant la 3e mesure, on déclenche le Pattern B ; on peut dire au Rhizome s’il doit enchaîner le Pattern B à partir de la 4e mesure ou reprendre au début ; là on sent toute la puissance de l’orientation boucles Midi en temps réel de la machine ! Copier un Pattern pour le décliner en subtiles variations est aussi chose aisée. Grâce aux automations mémorisées par Pattern, on en décline très rapidement un tas de variations.
Les Patterns peuvent être assemblés en Song à la volée, une Song pouvant durer de 1/64ème de mesure à 9999 mesures. À chaque enchaînement, on peut spécifier un certain nombre de paramètres : déclenchement, quantisation, tempo… ce mode est assez différent des modes Song des séquenceurs classiques, où on crée des pas avec un certain nombre de répétitions. Sur le Rhizome, on déclenche des Patterns comme on déclencherait des notes sur un séquenceur. Bien évidemment, on peut éditer graphiquement les points de lecture des différents Patterns (mode Grid Edit représentant les Patterns en ligne et les unités de temps en colonne). Le mode Perf Live permet de gérer simultanément 2 projets (2 Songs) à la manière d’un DJ : lecture synchrone, bascule, enchaînement… la zone 1 (écrans et encodeurs supérieurs) se transforme en double platine de mixage, la zone 2 (fenêtre et pads intermédiaires) se transforme en commandes doubles de transport (un bouton de pré-écoute au casque est même prévu !), les zones 3 & 4 permettent de définir les enchaînements de patterns… on peut même charger un projet pendant la lecture d’un autre. Tout cela demande pas mal de pratique avant de se lancer en live, tellement les possibilités sont nombreuses.
Import – export
Le Rhizome peut directement importer ou exporter certains formats de fichiers. À commencer par importer des fichiers Midi (piste n°1 ou multipistes) vers les Patterns. Tant qu’on cause Midi, signalons le mode Midi Learn pour affecter rapidement des paramètres VST à des surfaces de contrôle externes. Le Rhizome importe également les formats Wave et Aiff pour son module Sampler, mais pas de mp3 (ce n’est pas sur la short-liste dans l’immédiat).
Côté export, la fonction Bounce permet d’exporter tout ou partie d’un projet au format Wav : Master (tout le projet), Bus (tous les bus vers des fichiers séparés), Aux (tous les Aux vers des fichiers séparés), Mix Tracks (toutes les Mix Tracks vers des fichiers séparés) et All (Master, Bus, Aux et Mix Tracks vers des fichiers séparés). Les résolutions d’export sont paramétrables : 16 bits PCM, 24 bits PCM ou 32 bits Float ; idem pour les fréquences : 44.1, 48, 88.2 ou 96 kHz. Parfait ! Comme nous l’avons dit, la prochaine version de l’OS permettra également de tels exports vers le Sampler, en attendant le Resampling des bus.
Conclusion
Avec le Rhizome, nous avons découvert un concept très innovant, une hybridation matérielle – logicielle bien mieux intégrée que tout ce qu’on trouvait jusqu’alors sur le marché. Résultat, une ergonomie inédite, une puissance assurée, une intégration VST poussée et un niveau de gamme élevé. La prise en main est rapide, mais la profondeur et les possibilités sont telles qu’il faudra des mois pour faire le tour du sujet et exploiter toutes les fonctions et astuces prévues. La très grande qualité, c’est le maintien constant du flux de travail donc de la créativité, le passage du mode jeu et mode enregistrement tout en souplesse, l’enchaînement des projets sans interruption… Les quelques bémols cités sont largement surmontables et la plupart sont déjà fléchés pour les évolutions d’OS. Nous avons d’ailleurs apprécié l’interactivité avec les développeurs de Feeltune et leur rapidité pour ajouter des fonctionnalités suggérées lors de nos changes pendant le test. Nous voulons encore plus de biscuits (sons, séquences, patterns, pour éviter de partir « from scratch »), plus de vitamines dans le mode sampling pour une machine orientée boucles (stretch / resampling notamment) et encore plus de fluidité (le premier instrument qu’on n’arrête jamais !).
Puisqu’il faut conclure, disons que le parcours avec le Rhizome est une expérience musicale unique, c’est un instrument avec lequel nous grandissons et qui grandit avec nous. Alors oui, il porte son nom à merveille, cela ressemble assurément à un coup de maître !
En cadeau bonus, une petite vidéo tournée avec le concepteur de la machine :