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Le tracker incarné
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En mars 2020, les Polonais de Polyend présentent un OVNI total : un tracker matériel, pour un tarif avoisinant actuellement les 485 €. Un pari fou, à n'en pas douter. Auront-ils su relever le défi ? C'est ce que je vous propose de voir sans plus attendre.

Test du Polyend Tracker : Le tracker incarné

Le pari de Poly­end est d’au­tant plus osé que l’on peut parier sur le fait que de nombreux musi­ciens actuels ne savent même pas forcé­ment ce qu’est un tracker. Lais­sez-moi donc tout d’abord vous conter l’his­toire de ce genre de logi­ciel, et vous présen­ter son mode de fonc­tion­ne­ment. Ceux qui connaissent déjà tout cela pour­ront passer direc­te­ment au para­graphe suivant.

Du tracker…

L’his­toire des trackers commence il y a envi­ron 3 décen­nies, à la fin des années 80 plus préci­sé­ment. À l’époque, l’in­for­ma­tique commençait à inté­grer massi­ve­ment les foyers des parti­cu­liers… et avec elle, de jeunes musi­ciens décou­vraient un univers fasci­nant, réservé jusque-là aux grands studios et aux insti­tuts de recherche acous­tique: le monde de l’au­dio­nu­mé­rique. Deux ordi­na­teurs écra­saient alors la concur­rence dans le domaine. Tout d’abord, il y avait l’Atari ST avec ses prises MIDI inté­grées et sur lequel Cubase fit ses premières appa­ri­tions. Et puis en face il y avait l’Amiga de Commo­dore, équipé de Paula, son chip­set sonore plutôt évolué pour l’époque et qui faisait tour­ner des STAN d’un type un peu parti­cu­lier: les fameux « trackers ». Toute­fois la puce audio de l’Amiga avait beau être bardée de quali­tés, elle ne pouvait malgré tout repro­duire que 4 pistes audio simul­ta­né­ment, et en 8 bits qui plus est. Les premiers trackers étaient donc limi­tés par ces contraintes.

Dès le début des années 90, l’Amiga céda toute­fois sa place au PC. L’un des avan­tages que ce dernier possé­dait vis-à-vis de l’or­di­na­teur de Commo­dore était son archi­tec­ture auto­ri­sant l’ajout de cartes d’ex­ten­sion. Le PC se dota assez rapi­de­ment des premières « cartes son », des inter­faces qui lui offrirent des carac­té­ris­tiques sonores bien meilleures que celles que la véné­rable Paula était en mesure de dispen­ser à l’Amiga. Entre autres, les cartes sons PC possé­dèrent des DACs (Digi­tal Audio Conver­ters – conver­tis­seurs audio­nu­mé­riques) auto­ri­sant la repro­duc­tion sonore en qualité CD. Les trackers migrèrent donc vers la nouvelle plate-forme PC et profi­tèrent des capa­ci­tés expo­nen­tielles d’évo­lu­tion qu’on lui connaît. Très rapi­de­ment, les trackers furent alors capables de gérer 16, 32, 64, 128 et fina­le­ment un nombre illi­mité de pistes. Toute­fois, cette même évolu­tion des capa­ci­tés maté­rielles qui avait permis l’évo­lu­tion des trackers signi­fia égale­ment la fin de l’âge d’or de ces derniers. En effet les ordi­na­teurs plus puis­sants furent alors en mesure de faire tour­ner des logi­ciels autre­ment plus complets, à savoir les STAN que nous connais­sons aujour­d’hui et leur ribam­belle d’ins­tru­ments et d’ef­fets virtuels.

FastTracker_2_screenshotMais comment fonc­tionnent ces fameux trackers ? Contrai­re­ment à nos logi­ciels actuels avec leurs inter­faces-utili­sa­teurs essen­tiel­le­ment graphiques et hori­zon­tales, les trackers proposent une repré­sen­ta­tion exclu­si­ve­ment textuelle et verti­cale des données musi­cales ainsi que de tous les para­mètres affé­rents, dans une sorte de tableau qui n’est pas sans rappe­ler ce bon vieil Excel de Micro­soft. Les données audio concer­nées sont le plus souvent consti­tuées de samples courts corres­pon­dant aux capa­ci­tés de trai­te­ment des machines de l’époque. Certains autres trackers se basent leur géné­ra­tion sonore plutôt sur la synthèse, faisant souvent appel à une puce dédiée sur la carte son, comme les fameuses OPL 3 et 4 de Yamaha très répan­dues dans les inter­faces audio de l’époque.

Dans le tracker, les données audio sont répar­ties en patterns d’un nombre de 64 pas en moyenne (l’équi­valent du nombre de doubles-croches dans un segment de 4 mesures à 4 temps), soit 64 lignes. Chacune de ces lignes porte en elle-même les infor­ma­tions concer­nant le sample ou les para­mètres de synthèse utili­sés, la hauteur de note souhai­tée et les données concer­nant diffé­rents effets tels que par exemple le volume, le niveau de porta­mento ou de vibrato de chaque pas. Certains trackers permettent égale­ment d’in­té­grer des commandes de lecture telles que le saut vers un endroit précis du pattern. Les morceaux se consti­tuent en orga­ni­sant les patterns selon l’ordre que l’on souhaite.

Les fichiers géné­rés par les trackers sont appe­lés des modules. Leur format peut varier d’un tracker à l’autre, mais le prin­cipe de fonc­tion­ne­ment reste le même: ces fichiers intègrent les données sonores elles-mêmes (samples ou données de synthèse), les infor­ma­tions de pattern et l’ordre dans lequel ceux-ci doivent être joués. Le tout, de manière non compres­sée et donc immé­dia­te­ment lisible par l’or­di­na­teur en rédui­sant au mini­mum les calculs néces­saires. C’est notam­ment cette carac­té­ris­tique qui a valu aux modules d’être inten­si­ve­ment utili­sés dans les BOs des « Démos », ces réali­sa­tions géniales déve­lop­pées par des codeurs fous afin de faire la « démo »-nstra­tion des capa­ci­tés souvent insoupçon­nées de l’or­di­na­teur pour lequel elles étaient prévues.

Parmi les musi­ciens qui ont débuté leur carrière en compo­sant sur des trackers, on compte entre autres des artistes aussi impor­tants qu’Aphex Twin, Vene­tian Snares, Dead­mau5 ou encore Erez Eisen de Infec­ted Mush­room.

…au Poly­end Tracker

Des réfé­rences illustres, donc, mais qui ne font pas oublier que les trackers ont toujours été un outil de niche, même durant leur âge d’or dans les années 90. Nous avons vu que la rapide évolu­tion des ordi­na­teurs, inter­faces audio et logi­ciels dédiés à la musique ont de facto rendu les trackers assez rapi­de­ment poten­tiel­le­ment obso­lètes, et nombreux sont les musi­ciens comme votre servi­teur qui ont débuté la MAO dans les années 90 sans avoir jamais eu ni l’oc­ca­sion ni surtout le besoin de recou­rir à un tracker. Quelles raisons peut donc avoir eu Poly­end de remettre ce prin­cipe de fonc­tion­ne­ment au goût du jour, et quelles attentes la marque polo­naise cherche-t-elle à satis­faire ?

Si l’on creuse un peu, il n’est en réalité guère surpre­nant que ce soit préci­sé­ment Poly­end qui se colle à cette tâche que l’on pour­rait juger surpre­nante. L’en­tre­prise a depuis sa récente nais­sance en 2015 en effet toujours proposé des appa­reils qui se sont démarqués par leur esprit d’in­no­va­tion. Il n’y a donc aucune inco­hé­rence à voir les Polo­nais de Poly­end offrir le genre de curio­sité que peut repré­sen­ter un tracker hard­ware. Quand au public auquel s’adresse ladite curio­sité, on ne peut que conjec­tu­rer. Bien entendu on peut imagi­ner que les utili­sa­teurs habi­tuels de trackers seront atti­rés par cette offre, tout comme les amateurs de méthodes de produc­tion « vintage », ou encore ceux qui cherchent à renou­ve­ler leur approche de la créa­tion musi­cale. Se pose alors la ques­tion de savoir si Poly­end aura réussi à offrir une expé­rience suffi­sam­ment capable de séduire les néophytes, ou si son tracker ne s’adresse qu’aux fans hard­core de cette méthode de travail. Et pour le savoir, il est temps main­te­nant de nous plon­ger dans l’ex­plo­ra­tion de la machine.

Vue de l’ex­té­rieur

Quand on ouvre la boîte du Tracker de Poly­end, on est surpris par la richesse de son contenu. En effet, outre l’ap­pa­reil lui-même, on trouve un trans­for­ma­teur USB-A avec tous les adap­ta­teurs secteur néces­saires pour l’uti­li­ser dans le monde entier, un câble USB-A/USB-C, un adap­ta­teur jack 3,5/6,35, un adap­ta­teur MIDI 3,5 / MIDI DIN, une carte Micro-SD de 16 Go, un adap­ta­teur Micro-SD / USB A pour lire la carte SD sur un ordi­na­teur, les diffé­rents papiers de garan­tie et un tissu anti-pous­sière pour nettoyer l Tracker.

Ce dernier se présente sous la forme d’un paral­lé­lé­pi­pède de 28,7 cm de large, 20,7cm de profon­deur et 3,3 cm de haut en incluant la molette de navi­ga­tion, pour un poids de 1,2 kg. La molette en ques­tion est un large poten­tio­mètre sans fin et légè­re­ment cranté. Celui-ci est surmonté d’un groupe de 10 boutons action­nant les fonc­tions de base de lecture, d’en­re­gis­tre­ment, de sélec­tion et d’édi­tion de para­mètres. Ce groupe est à son tour surmonté d’un deuxième groupe de 15 boutons permet­tant d’ac­cé­der aux prin­ci­paux modes de travail et para­mètres du Tracker. Un troi­sième groupe de huit boutons est situé sous le grand écran de la partie gauche de l’ap­pa­reil. Ces boutons permettent d’ac­cé­der aux fonc­tion­na­li­tés repré­sen­tées à l’écran. Enfin, en dessous d’eux se trouve une matrice de 48 tout petits pads rétroé­clai­rés prin­ci­pa­le­ment desti­nés au jeu.

Arrière 1.JPGArrière 2.JPGSur la tranche arrière de l’ap­pa­reil, on découvre une stéréo, une entrée stéréo au format ligne, une entrée pour micro­phone, une sortie et une entrée MIDI, le tout au format mini-jack. On a ensuite un lecteur Micro-SD. À l’autre extré­mité de la tranche arrière se trouvent la prise USB-C pour l’ali­men­ta­tion et la connexion à n ordi­na­teur, et le bouton de mise sous tension.

Tracker ex machina

Mix.JPGNous n’irons pas par quatre chemins: le Tracker de Poly­end porte bien son nom, et en tant que tel le cœur de son proces­sus de travail sera bien évidem­ment la fameuse matrice de données, le « tableau Excel » mentionné plus haut, avec une astuce depuis la dernière mise à jour du firm­ware (v.1.4) puisque la matrice est aussi affi­chable main­te­nant à l’ho­ri­zon­tale ! Cette dernière est en quelque sorte au centre d’un ensemble consti­tué de multiples éléments qui, dans le cas du Tracker de Poly­end, s’agencent plutôt bien. On trouve ainsi une section pour le char­ge­ment des sons, une section d’ef­fets dédiée à ces derniers, une section permet­tant l’en­re­gis­tre­ment d’un signal externe ainsi qu’un radio FM inté­grée pouvant elle aussi être enre­gis­trée, deux sections dédiées au travail sur les formes d’ondes (dont une inté­grant égale­ment des possi­bi­li­tés lorgnant sur la synthèse), une section pour l’or­ga­ni­sa­tion des patterns entre eux et la créa­tion du morceau, une section « perform » pour la mani­pu­la­tion d’ef­fets en live, une table de mixage succincte qui auto­rise égale­ment la gestion du master… et même une section « jeux » qui propose une sélec­tion de petits jeux vidéo pour se détendre entre deux sessions de produc­tion musi­cale achar­née.

La navi­ga­tion entre ces diffé­rents éléments est un vrai bonheur, grâce à une inter­face utili­sa­teur agen­cée de manière parti­cu­liè­re­ment perti­nente. Chaque élément (en-dehors de la section « jeux ») dispose en effet de son propre bouton d’ac­ti­va­tion situé à la droite de l’écran, ce qui évite de perdre du temps. Les para­mètres que l’on souhaite mani­pu­ler peuvent être sélec­tion­nés via les boutons sous l’écran ou bien les flèches de direc­tion gauche et droite. Leur valeur peut ensuite être ajus­tée via les flèches haut et bas ou le gros poten­tio­mètre. Si on asso­cie cette molette à certaines touches, on obtient des raccour­cis qui permettent d’ac­cé­der immé­dia­te­ment au réglage des para­mètres clés corres­pon­dants. Et bien entendu, la course de ladite molette est de type expo­nen­tielle, ce qui évite d’avoir à multi­plier les tours pour atteindre les valeurs extrêmes. L’er­go­no­mie très effi­cace de la machine est parfai­te­ment secon­dée par l’écran, de grande taille et tout à fait lisible tant qu’on reste à peu près en face. On se surprend à n’être jamais contraint dans son work­flow, là où le prin­cipe de fonc­tion­ne­ment façon « tracker » aurait pu nous faire craindre le pire. On alterne faci­le­ment de l’édi­tion de patterns à celle d’un morceau entier, ou de la modi­fi­ca­tion de sample à la gestion du volume des pistes dans l’écran de mixage. Tout cela pose un contexte de travail fina­le­ment pas déplai­sant, arti­culé autour de la fameuse matrice, pièce centrale de tout tracker qui se respecte.

Bien­ve­nue dans la matrice

Tracker.JPGLa matrice en ques­tion affiche 4 pistes en mode normal et 8 en mode réduit. Le compro­mis est plutôt perti­nent, d’au­tant que l’on passe faci­le­ment d’un mode à l’autre. Bien entendu, c’est le mode normal qui permet d’af­fi­cher le maxi­mum d’in­for­ma­tions. On accède alors aux quatre colonnes de para­mètres acces­sibles pour chaque piste, c’est-à-dire le para­mètre de note, celui d’ins­tru­ment, et les 2 slots d’ef­fets dispo­nibles ici (on peut acti­ver d’autres effets via les autres modes de travail, nous y revien­drons). C’est d’ailleurs sur cet écran que les efforts d’er­go­no­mie cités plus haut s’avèrent porter leurs fruits de la manière la plus visible. Il faut bien recon­naître en effet que rien n’est moins sexy qu’un tableau Excel pour faire de la musique, et il n’au­rait plus manqué que l’uti­li­sa­tion en fut fasti­dieuse. Ce qui n’est heureu­se­ment pas le cas en fait.

Quelles que soient les ques­tions que peut soule­ver la manière spéci­fique des trackers d’abor­der la créa­tion musi­cale, le moins que l’on puisse dire est que Poly­end a fait un certain nombre d’ef­forts pour nous rendre la chose la plus agréable possible. Les diffé­rents para­mètres de piste acces­sibles ont leur code couleur dédié, et on peut faci­le­ment enre­gis­trer simul­ta­né­ment plusieurs pistes ou modi­fier une seule et même donnée sur plusieurs steps d’un unique coup de molette. On appré­ciera aussi égale­ment parti­cu­liè­re­ment la fonc­tion « fill » qui permet de peupler instan­ta­né­ment chacune des quatre colonnes de para­mètres avec toutes sortes de données et selon des critères de remplis­sage et de modu­la­tion libre­ment défi­nis­sables. Les notes peuvent être entrées à la molette, mais on peut heureu­se­ment les enre­gis­trer égale­ment via les pads ou bien un contrô­leur MIDI bran­ché direc­te­ment sur l’en­trée idoine ou connecté à un ordi­na­teur via USB, ce qui s’avé­rera à mon sens la manière de faire la plus perti­nente et la plus agréable. Les pads sont une autre affaire, comme nous le verrons plus loin. En ce qui concerne le MIDI, on regret­tera que les événe­ments qui pilotent des samples n’en­voient pas simul­ta­né­ment de message de note MIDI en sortie: il nous faut faire un choix entre les deux – sample interne OU note MIDI sortante. Si l’on souhaite faire les deux simul­ta­né­ment, il faudra mobi­li­ser une piste supplé­men­taire, pour un nombre déjà limité. C’est dommage.

La matrice peut gérer jusqu’à 255 patterns de 128 pas maxi­mum chacun, des patterns qui sont ensuite agen­cés dans le mode «  Song » pour créer un morceau complet. On notera qu’à tout moment, on peut expor­ter au format WAV ou au format IT (compa­tible avec les trackers Renoise, Schism Tracker ou Milky Tracker), par stem ou par mixage entier, tout ou partie d’un morceau ou d’un pattern, ce qui peut s’avé­rer entre autres parti­cu­liè­re­ment utile pour créer des prémixages et pallier ainsi au nombre de pistes limité de l’es­pace de travail d’ori­gine. Les fichiers peuvent être sauve­gar­dés sur la carte SD et rappe­lés à tout moment. Une astu­cieuse fonc­tion trans­forme alors la matrice de pads en clavier qwerty. On appré­ciera aussi que tout comme sur une DAW infor­ma­tique, la sauve­garde n’en­traîne pas de rupture dans la lecture du son.

Sample comme bonjour

Nous l’avons déjà souli­gné plusieurs fois, le maté­riau sonore de base de tout tracker, c’est le sample. Le Tracker de Poly­end n’ac­cepte que les fichiers wav mono unique­ment, en 16, 24 ou 32 bits virgule flot­tante. Les fichiers WAV présen­tant d’autres carac­té­ris­tiques de fréquence et de profon­deur d’échan­tillon­nage seront tous rame­nés à du 44 kHz / 16 bits. Dans le cas de l’ap­pa­reil de Poly­end, on peut cher­cher les samples qui nous inté­ressent dans les banques livrées avec l’ap­pa­reil. Celles-ci sont toutes four­nies par les artistes parte­naires du fabri­cant, comme Lego­welt ou Jamie Lidell. On pourra bien sûr ajou­ter ses propres sons, qu’on pourra trans­fé­rer direc­te­ment en bran­chant le Poly­end en USB à l’or­di­na­teur ou bien en utili­sant le petit adap­ta­teur SD CARD / USB inclus dans l’em­bal­lage – ou encore utili­ser les exports internes précé­dem­ment effec­tués. Je rappelle que le Tracker auto­rise aussi l’en­re­gis­tre­ment de n’im­porte quelle source externe grâce à l’en­trée micro, l’en­trée ligne … ou encore grâce à la fonc­tion radio FM incluse mais qui s’est avérée chez moi plutôt déce­vante, l’ap­pa­reil n’ayant pu capter que quelques rares stations alors que je suis en plein cœur de Paris.

Sample.JPGUne fois que l’on a mis la main sur les samples qui nous inté­ressent, le Tracker de Poly­end nous offre de multiples moyens de jouer avec eux. On peut bien entendu en défi­nir le début et la fin, et créer des fondus d’en­trée et de sortie comme bon nous semble. Mais on peut égale­ment les décou­per en tranches de deux manières, « slice » et « beat slice ». C’est cette seconde manière qui est selon moi la plus inté­res­sante – et de loin – car elle affecte auto­ma­tique­ment chaque tranche à une note MIDI, auto­ri­sant ainsi immé­dia­te­ment le jeu et la program­ma­tion simple d’une boucle. La première méthode – « slice » – est quant à elle bien plus fasti­dieuse car elle ne permet pas le jeu direct et implique même de mono­po­li­ser une piste d’ef­fet pour être utili­sée. Si quelqu’un peut nous expliquer dans les commen­taires l’in­té­rêt de cette méthode, je suis preneur !

Quoi qu’il en soit, on peut dans les deux cas de figure soit lais­ser le soin à un algo­rithme du Tracker de créer les tranches auto­ma­tique­ment, soit le faire soi-même. À tout moment, il nous sera possible d’ajou­ter, de dépla­cer ou bien de reti­rer des tranches à notre guise. On appré­ciera ici aussi l’er­go­no­mie affû­tée de la bête: la navi­ga­tion entre les diffé­rents écrans et para­mètres est ici tout aussi instinc­tive que pour les autres fonc­tion­na­li­tés du Tracker.

Mais au-delà de la simple lecture d’échan­tillons, le Tracker de Poly­end nous propose égale­ment d’abor­der la synthèse sonore avec deux moteurs distincts: l’un à base de tables d’ondes et l’au­tre… qui se veut granu­laire. Vous allez comprendre. Commençons par le moteur de tables d’ondes, et par un petit rappel de ce qui consti­tue cette forme de synthèse.

Dessous de table

Boutons.JPGComme son nom l’in­dique, la synthèse par tables d’ondes repose sur la lecture d’une table, c’est à dire d’une suite de petites cases conte­nant chacune un échan­tillon de quelques milli­se­condes. Ces échan­tillons mis bout à bout consti­tuent une onde. Cette onde bouclée pério­dique­ment crée un son tenu. Plusieurs de ces tables sont dispo­sées en paral­lèle. Elles contiennent chacunes des échan­tillons qui forment des ondes diffé­rentes. Lors de la lecture du son, on peut aller et venir d’une table à l’autre et donc d’une forme d’onde à l’autre, ce qui permet de faire évoluer le son en temps réel. Selon les synthé­ti­seurs, la circu­la­tion entre les diffé­rentes tables peut se faire manuel­le­ment ou bien être soumises aux sources de modu­la­tion habi­tuelles: pédale de modu­la­tion, LFO, enve­loppes, hauteur de note, etc. Pour davan­tage de détails, je vous renvoie à notre article dédié.

Dans le cas du Tracker de Poly­end, toutes les prin­ci­pales carac­té­ris­tiques de cette forme de synthèse sont réunies, et on appré­ciera parti­cu­liè­re­ment de trou­ver ici notam­ment un para­mètre pour modi­fier le nombre de « cases » par tables. On peut ainsi jouer faci­le­ment sur la « rugo­sité » des modu­la­tions: plus le nombre des samples par table est bas, moins la tran­si­tion entre les tables sera fluide et plus le son semblera âpre. Et si l’on veut des sons encore plus « vintage », on pourra aller modi­fier la réso­lu­tion de lecture et descendre jusqu’à une profon­deur d’échan­tillon­nage de 4 bits. Non, ce n’est pas beau­coup mais ça donne ce petit côté poil à grat­ter audi­tif qui sait réveiller la fibre nostal­gique d’un certain nombre d’entre nous ! On peut aussi fabriquer une table d’ondes en prenant comme maté­riau de base n’im­porte quel sample que l’on souhaite. L’opé­ra­tion est alors confiée à un algo­rithme qui se char­gera de créer les tables les plus « compa­tibles » entre elles possibles afin d’as­su­rer au maxi­mum la flui­dité des tran­si­tions… Ce résul­tat s’ob­tient certes avec plus ou moins de bonheur, mais on peut saluer l’in­ten­tion et les sono­ri­tés engen­drées pour­ront s’avé­rer tout à fait surpre­nantes et inspi­rantes. Le moteur de synthèse par tables d’ondes du Tracker se révèle donc plutôt convain­cant et satis­fai­sant dans son ensemble. Mais autant je n’ai aucun problème à recon­naître les quali­tés de ce dernier, autant j’ai davan­tage de diffi­culté à accor­der à la fonc­tion « Granu­lar » du Tracker le statut plein et entier de moteur de synthèse granu­laire. Je m’ex­plique.

Sel de grain…

Le prin­cipe de la synthèse granu­laire a certes toujours été sujet à débat chez les musi­ciens, puisque repo­sant essen­tiel­le­ment sur de la lecture d’échan­tillons et non plus sur de la géné­ra­tion d’ondes. Ceux qui souhai­te­raient se rensei­gner plus avant sur la synthèse granu­laire peuvent consul­ter cet article et le suivant. Malgré la contro­verse qu’elle a pu engen­drer, on retrouve toute­fois cette forme de synthèse au cœur de nombreux géné­ra­teurs sonores incon­tour­nables comme Absynth de Native Instru­ments, Omni­sphere de Spec­tra­so­nics, Granu­la­tor 1 et 2 de Robert Henke aka Mono­lake et bien d’au­tres…

Big Knob.JPGDans tous les exemples cités, la synthèse granu­laire permet de gérer simul­ta­né­ment de nombreux micro­seg­ments sonores – les grains – ainsi que de défi­nir leur nature, leur nombre, leur densité et leur disper­sion dans l’es­pace sonore, etc. Je ne vais pas faire durer le suspense plus long­temps: vous ne trou­ve­rez rien de tout cela dans la fonc­tion « Granu­lar » du Tracker de Poly­end. Celle-ci ne permet en fait de gérer qu’un seul « grain », c’est-à-dire qu’un seul micro­seg­ment d’un sample préexis­tant. Ce « grain » peut être lu dans diffé­rentes direc­tions, on peut modi­fier sa longueur et sa posi­tion au sein du sample d’ori­gine et auto­ma­ti­ser cette dernière – en bref, vous obte­nez globa­le­ment le même genre de résul­tat et les mêmes fonc­tion­na­li­tés que dans n’im­porte quel lecteur de samples stan­dard. Je vais être gentil et consi­dé­rer que la présence d’un oscil­la­teur permet­tant d’af­fec­ter au « grain » une forme d’onde simple en guise d’en­ve­loppe confère un début de statut de « synthèse granu­laire » à l’en­sem­ble… Un statut qui reste toute­fois très fragile si l’on consi­dère que l’un des atouts majeurs de n’im­porte quel moteur de synthèse granu­laire habi­tuel est la possi­bi­lité de gérer le time-stret­ch… ce que la fonc­tion « Granu­lar » du Tracker ne fait évidem­ment pas, la gestion du time-stretch étant indis­so­ciable de celle de grains multiples. Ce qui nous amène à parler de la gestion des effets au sein du Tracker.

…et piment des effets

Performance.JPGAvec les effets, on aborde l’un des aspects peut-être les plus complexes du Tracker de Poly­end… parce qu’il y en a partout, de toutes sortes, et que leur gestion diffère abso­lu­ment d’un écran de travail à l’autre ! Il y a d’abord les effets d’ins­tru­ment, ratta­chés comme leur nom l’in­dique à un instru­ment spéci­fique. Ils sont gérés tota­le­ment indé­pen­dam­ment de la matrice de patterns et peuvent être auto­ma­ti­sés via enve­loppe ou LFO. Puis il y a ceux acces­sibles dans la matrice. Chaque piste peut en accueillir deux, un dans chaque colonne réser­vée aux effets. Leur auto­ma­tion à eux s’ef­fec­tue en inscri­vant des valeurs spéci­fiques à chaque pas de séquence concerné. Puis viennent les effets de retour, acces­sibles via la section « mixage ». Il s’agit d’une reverb et d’un delay non auto­ma­ti­sables du tout. Enfin, on a les effets asso­ciés aux samples eux-mêmes et acces­sibles tout à fait logique­ment via l’édi­teur de samples. Ceux-ci ne sont pas non plus auto­ma­ti­sables, mais en plus, ils affectent les samples de manière défi­ni­tive puisqu’ils néces­sitent un resam­pling interne (heureu­se­ment pas en temps réel) pour être effec­tifs. Enfin, il y a le mode « perform ». Celui-ci permet la mani­pu­la­tion d’ef­fets en live et est parti­cu­liè­re­ment plai­sant à utili­ser. Malheu­reu­se­men­til ne présente aucune possi­bi­lité d’au­to­ma­tion ni d’autre moyen de conser­ver les modu­la­tions effec­tuées.

Tous ces effets sont plutôt effi­caces et font correc­te­ment ce qu’on attend d’eux, mais il faut bien avouer que c’est un petit peu le bazar! On aurait aimé pouvoir béné­fi­cier des mêmes condi­tions d’au­to­ma­tion sur tous les effets, certains sont redon­dants d’une section à l’autre, et surtout, on aurait aimé qu’ils soient midi­fiés ! Car non, ce n’est pas le cas et c’est bien regret­table. Impos­sible donc d’agir sur eux via un contrô­leur externe, on est alors assi­gné à n’uti­li­ser que les commandes du Tracker. Certes, ces dernières sont plutôt bien pensées comme je l’ai déjà souli­gné à de multiples reprises. Mais il n’em­pêche que lorsqu’il s’agit de trifouiller du son, on peut appré­cier le confort des potards et faders d’un contrô­leur appro­prié. Sans comp­ter qu’une midi­fi­ca­tion des para­mètres aurait réglé le problème du mode « perform » et évité que nos magni­fiques modu­la­tions impro­vi­sées – je le répète, le mode perform est un vrai plai­sir à utili­ser tel quel! – ne dispa­raissent à jamais dans les couloirs du temps. C’est beau l’éphé­mère, mais quand on parle d’ou­tils repo­sant sur les tech­no­lo­gies infor­ma­tiques, il est toujours dommage de ne pas avoir au moins le choix de conser­ver ce qui nous semble inté­res­sant. Cela gâche le plai­sir.

Ce qui fait mal…

Et puisqu’on parle de plai­sir gâché, il va falloir évoquer l’élé­ment de déplai­sir prin­ci­pal du Tracker de Poly­end: la matrice de pads. Comment peut-on, pour un produit sorti en 2020, propo­ser sérieu­se­ment un ensemble de pads desti­nés prin­ci­pa­le­ment au jeu et pour­tant non sensibles à la vélo­cité ? À l’heure du MPE ? C’est pour moi tout bonne­ment incom­pré­hen­sible, et confine à l’ab­surde! Sans comp­ter que leur petite taille inter­dit à quiconque possède autre chose que des doigts de fillettes de jouer dessus effi­ca­ce­ment. Vous pouvez égale­ment oublier le mode « scale » qui permet norma­le­ment d’af­fec­ter aux pads diffé­rents modes et gammes. La matrice de pads n’of­frant aucun repère visuel, vous aurez vite fait de vous perdre et aurez tout autant inté­rêt à conser­ver le mode chro­ma­tique: chaque ligne compor­tant 12 pads, vous saurez au moins que chacune d’elles repré­sente une octave. Pour finir, il n’existe pas de moyen rapide pour trans­po­ser la matrice de pads, il faut passer par le menu « config » et opérer un fasti­dieux chan­ge­ment de la note racine. À croire que l’er­go­no­mie de jeu et l’er­go­no­mie du reste de la machine n’ont pas été conçues par la même person­ne… Il s’agit peut-être en revanche de la même personne qui a décidé que c’était une bonne idée de ne pas propo­ser de gestion du pano­ra­mique dans la section mixage. Le pano­ra­mique est certes présent dans les effets d’ins­tru­ments, mais comment justi­fier son absence dans la console de mix ? Mystère. Et c’est peut-être égale­ment la même personne qui aura jugé bon de ne pas clas­ser les sono­ri­tés par type ou par caté­go­rie, ou plus exac­te­ment de lais­ser chaque artiste parte­naire ranger ses sons comme il l’en­ten­dait, avec des résul­tats plus ou moins heureux. À nous donc de reclas­ser tout ça à la main…

Conclu­sion

En 2020, porpo­ser un tracker – ces véné­rables séquen­ceurs logi­ciels tout droit sortis de la fin des années 80 et de l’époque héroïque de l’Amiga et de la scène « démo » – et qui plus est en version hard­ware, cela pouvait sembler une idée saugre­nue. On pouvait notam­ment s’inquié­ter de la perti­nence de ce choix au vu tout d’abord du work­flow très parti­cu­lier de ce type de séquen­ceur, et ensuite du fait que ces derniers n’ont jamais touché un très large public, même si de grands noms de la musique élec­tro­nique actuelle ont fait leurs premières armes avec ce type d’ou­tils. Les Polo­nais de Poly­end, toujours prompts à nous surprendre avec leurs créa­tions inno­vantes, ont-ils su rele­ver le défi ?

À mon sens pas complè­te­ment. On saluera certes l’er­go­no­mie globale très réus­sie, qui fina­le­ment plai­sante la compo­si­tion sur ce qui s’ap­pa­rente à un tableau Excel, les multiples possi­bi­li­tés de tritu­rage du son et l’in­té­gra­tion d’un moteur de synthèse à tables d’ondes. On sera beau­coup moins tendre envers le pseudo « moteur de synthèse granu­laire » (à un seul grain…), tout comme on regret­tera l’ab­sence de clas­se­ment cohé­rent des sono­ri­tés, la gestion chao­tique des effets et une prise en charge du MIDI qui laisse à dési­rer. Enfin, l’on n’aura aucune pitié pour la surface de pads abso­lu­ment honteuse pour un produit sorti en 2020, dépour­vue de toute sensi­bi­lité à la vélo­cité alors que la concep­tion même du produit la destine prin­ci­pa­le­ment au jeu. Incom­pré­hen­sible et inad­mis­sible à mes yeux.

Poly­end nous propose donc un produit intri­gant, présen­tant de fortes quali­tés mais égale­ment des défauts non négli­geables qui pour­ront en rebu­ter certains, un produit que je conseille­rais à titre person­nel prin­ci­pa­le­ment aux nostal­giques de l’âge d’or des trackers ou à ceux qui souhaitent briser leur routine musi­cale et se confron­ter à une approche radi­ca­le­ment nouvel­le… et poten­tiel­le­ment dérou­tante.

7/10
Points forts
  • qualité de fabrication générale
  • très bonne ergonomie générale, qui rend presque sexy le fait de composer sur un tableau Excel
  • les nombreuses possibilités de manipulation des samples
  • la synthèse à table d'ondes
  • bonne navigation entre les différents modes de travail
  • la fonction "fill" dans le mode de travail principal
  • la molette de sélection
  • l'écran large
  • le mode "perform"...
Points faibles
  • ... qui serait encore meilleur avec une sauvegarde des "performances"
  • quasiment tout ce qui concerne la matrice de pads, honteuse pour 2020
  • la radio FM qui fait davantage office de gadget
  • la gestion MIDI globalement insuffisante
  • un moteur de "synthèse granulaire" très limité
  • le bazar des effets
  • celui des sonorités incluses

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