Elles doivent être sans cesse plus minces, mieux dessinées, plus ergonomiques : nous sommes de plus en plus exigeants envers nos guitares. À croire que le diktat de la beauté, ses codes éphémères et son ode à la minceur ne touchent pas que les hommes et les femmes, mais aussi nos instruments. Bien entendu, l’aspect esthétique seul ne saurait primer. L’on attend également d’une six cordes qu’elle soit fonctionnelle, agréable à jouer, et tout cela sans faire l’impasse sur les qualités sonores. Mais peut-on conjuguer tous ces éléments sans en délaisser aucun, et surtout proposer un tarif convenable ? C’est en tout cas le pari de Gibson avec ses tout nouveaux modèles acoustiques HP.
L’expertise de Gibson dans la fabrication de guitares acoustiques n’est plus à démontrer, et la firme peut se targuer de produire bon nombre de modèles de légende. Mais les tarifs de ces instruments rendent bien souvent ces beautés inaccessibles au commun des mortels. Avec la nouvelle gamme HP composée de 5 guitares, Gibson a revu sa copie en concevant des modèles aux formats inédits et moins chers que la plupart de ses électroacoustiques. Ainsi, les HP 415 W, 635 W, 665 SB, 735 R et 835 Supreme ont toutes pour caractéristiques d’être dotées d’un corps « slim » moins profond qu’a l’accoutumé pour des Dreadnoughts. De plus, elles sont toutes équipées d’un pan coupé et d’une électronique LR Baggs. En somme, nous avons affaire, sur le papier, à des guitares plus modernes et maniables.
Régime Minceur
Dans le cadre de ce test, nous avons pu mettre les doigts sur deux modèles : l’entrée de gamme HP 415 W (à partir de 1529 €) et la 735 R (à partir de 1789 €), l’une des guitares les plus chères de la série. Estampillées Gibson, elles sont bien évidemment produites aux États-Unis, dans l’usine de Bozeman dans le Montana. Voici leurs caractéristiques :
415 W :
- Nouveau format moins profond avec pan coupé
- Corps rond (« round shoulder »)
- Table en deux pièces d’épinette de Sitka massif AA, binding 3 plis
- Dos et éclisses en deux pièces de noyer, binding 1 pli
- Barrage scallopé
- Manche en deux pièces d’érable
- Diapason de 24,75"
- Profil de manche Advanced Response facilitant notamment les bends
- Touche en noyer, nouveau radius de 16", 20 frettes, incrustation Dot nacrées
- Sillet en Tusq de 1.725"
- Nouvelle plaque de protection tortoise avec une forme inédite
- Mécaniques Grover Mini Rotomatics, ratio de 14:01
- Electronique LR Baggs Element
- Chevalet « modified rectangle » en noyer avec sillet en Tusq
- Plaque de protection Tortoise avec une nouvelle forme
- Finition Antique Natural
- Livrée avec flight case
735 R :
- Nouveau format moins profond avec pan coupé
- Corps carré (« square shoulder »)
- Table en deux pièces d’épinette de Sitka massif AA, binding 6 plis
- Dos et éclisses en deux pièces de palissandre, binding 1 pli
- Barrage scalllopé
- Manche en une pièce d’acajou
- Diapason de 25,5"
- Profil de manche Advanced Response facilitant notamment les bends
- Touche en Richlite, nouveau radius de 16", 20 frettes, incrustation Parallelogram nacrée
- Sillet en Tusq de 1.725"
- Tête avec logo nacré
- Nouvelle plaque de protection tortoise avec une forme inédite
- Mécaniques Grover Mini Rotomatics, ratio de 14:01
- Electronique LR Baggs Element VTC
- Chevalet « modern belly down » en Richlite avec sillet en Tusq
- Finition Antique Natural
- Livrée avec flight case
Vous l’aurez remarqué, nos deux guitares se ressemblent terriblement. Les principales différences notables sont :
- le bois du dos et des éclisses (du noyer pour la 415, du palissandre pour la 735)
- le format légèrement différent du corps (rond pour la 415, carré pour la 735)
- le bois du manche (deux pièces d’érable pour la 415, une pièce d’acajou pour la 735)
- le diapason un peu plus grand de la 735 (25,5" contre 24,75")
- le matériau de la touche (du noyer pour la 415, du Richlite pour la 735)
- le matériau et la forme du chevalet (un Modified Rectangle en noyer pour la 415, un Modern Belly Down en Richlite pour la 735)
- l’électronique (une version VTC de l’Element de LR Baggs pour la 735)
- les finitions plus travaillées et luxueuses de la 735 (binding 6 plis, logo nacré, incrustations parallélogrammes)
Si la 735 R justifie son prix supérieur avec par exemple ses finitions et son électronique, l’on peut s’étonner de trouver du Richlite, une matière composée de résine et de papier recyclé souvent utilisé en lieu et place de l’ébène, sur un instrument plutôt orienté haut de gamme. On notera également que les deux guitares n’ont pas le même diapason, et que les bois utilisés pour le dos et les éclisses devraient assurer une identité sonore différente entre les deux modèles.
Taylorisme
La 415 W et la 735 R sont livrées dans des flight cases Gibson marron du plus bel effet. Une fois sorties de leurs écrins respectifs, les deux guitares frappent par leur ressemblance. Les finitions sont effectivement plus travaillées sur la 735 mais, dans les deux cas, la réalisation est impeccable. Les bindings sont réguliers et parfaitement effectués aux jointures. Les deux tables sont quasi identiques, même si les nuances du bois sont un peu plus homogènes sur la 735, bien que cela peut certainement varier d’un exemplaire à l’autre.
Côté différences, le dos en noyer de la 415 W a un aspect un peu plus rustique puisque ses irrégularités tranchent avec la quasi-symétrie du dos en palissandre de l’autre modèle. La touche en noyer se distingue aussi visuellement par ses aspérités à l’opposé de l’aspect lisse et dense du Richlite. Enfin, la 415 W s’avère un peu plus large au niveau des hanches, et son pan coupé un peu moins prononcé.
Guitares en main, la similarité se confirme. Tout d’abord, c’est l’étonnante légèreté des instruments qui marque ! Associée à la relative finesse de leur corps, elle offre une maniabilité remarquable. Autre bonne surprise, le manche est un régal, et il est strictement identique sur les deux modèles. Proche d’un profil en D, il est à mi-chemin entre la buche et le manche ultra plat façon Ibanez. C’est un parfait compromis, résolument moderne, et qui se marie très bien avec la touche assez plate. Seul point noir à notre goût : l’arrière est verni. Mais le manche reste ultra confortable, et les deux exemplaires que nous avons reçus étaient parfaitement réglés. Enfin, les mécaniques offrent pas mal de résistance et sont précises.
À ce stade, le pari est réussi pour Gibson. Le look des instruments, leur format plus moderne, et leur jouabilité évoquent même une marque concurrente s’illustrant dans ces domaines : Taylor. Le rival américain touche depuis de nombreuses années un public qui fait défaut à Gibson, et il semblerait que l’ogre centenaire compte bien reconquérir une partie de ces guitaristes infidèles. Mais le son est-il à la hauteur ?
Fausses jumelles
Notre ballade sonore commence avec une série d’extraits acoustiques enregistrés avec un micro Neumann U87 proche de la caisse et un micro Oktava MK-012 plus éloigné, branchés dans une carte son Universal Audio Apollo 8. Pour le jeu en arpège, nous avons enregistré en parallèle l’électronique des guitares directement branchées dans l’interface audio.
Voici ce que cela donne pour la HP 735 R :
- 1 735 R Solo 00:32
- 2 735 R Strum 00:28
- 3 735 R Arpèges 00:34
- 4 735 R Arpèges Piezo 00:34
- 5 735 R Arpèges Piezo + Tonalité 00:56
Passons à présent à la HP 415 W :
- 6 415 W Solo 00:44
- 7 415 W Strum 00:30
- 8 415 W Arpèges 00:36
- 9 415 W Arpèges Piezo 00:36
Malgré une grande ressemblance dans leur esthétique et leur conception, les guitares sont assez différentes au niveau sonore. La 735 est bien plus sombre, avec des sonorités mates et douces. On aurait aimé un peu plus de hauts médiums et d’aigus pour sortir d’un mix, et surtout un peu plus de projection. À l’inverse, la 415 est criarde et pleine d’aigus, mais aussi plus puissante. Elle donne l’impression d’en avoir plus sous le pied, et d’offrir une meilleure réponse aux attaques. Dans les deux cas, les guitares offrent une très belle résonance. Celle de la 415 est étonnamment métallique, à tel point que l’on pense à la résonance générée par l’accastillage d’une guitare électrique. Néanmoins, cela reste harmonieux et musical.
En configuration acoustique pure, les deux guitares ont donc chacune leurs atouts et défauts. Vous aimez un son très brillant et puissant, idéal pour du strumming ? Optez pour la 415 W. Vous préférez les guitares plus douces pour des arpèges ou des solos ? La 735 R est pour vous.
Enfin, l’électronique Element de LR. Baggs composée d’un piezo et d’un préampli en classe A fait ce qu’on attend d’elle. Le rendu se situe plutôt dans le haut du panier de ce type de micro, mais le son reste typé piezo et trouve essentiellement son intérêt lorsqu’il est mélangé au son d’une vraie prise micro, en apportant juste ce qu’il faut de présence et de corps. Notons tout de même que les deux versions de l’Element ne sont pas exactement les mêmes. Outre l’ajout d’un bouton de tonalité en plus du volume déjà présent, la version VTC qui équipe la 735 R embarque un circuit de compression supplémentaire.
Dans les faits, le son des deux guitares capté par un piezo s’avère différent, mais l’écart est moins important qu’en utilisation purement acoustique. Ainsi, dans les deux cas, le son est plus lisse et homogénéisé. Fait étonnant, la 735 R récupère même un peu de la brillance qui lui fait défaut, et la 415 W paraît paradoxalement plus sourde. En ce qui concerne le potard de tonalité, il agit uniquement sur les aigus, ce qui permet de retrouver l’aspect plus feutré initial de la 735.
Conclusion
Les nouveaux modèles acoustiques HP de Gibson apportent un peu de fraîcheur au sein du catalogue de la marque. Le format est original, très confortable, et le manche offre une jouabilité exemplaire pour une acoustique. Quant aux finitions, elles sont à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’une guitare Gibson.
Mais la HP 415 W et la HP 735 R ne nous ont pas bluffés au niveau sonore, avant tout car elles manquent d’équilibre. La 415 est trop brillante et manque de basse, alors que la 735 est trop sombre et manque de puissance. Par contre, la résonance des deux guitares est remarquable.
Le format, la jouabilité, les finitions, la résonance et le prix convenable pour des instruments acoustiques Gibson en font des réussites, mais pas des immanquables. Ce sont des modèles intéressants pour ceux qui souhaiteraient acheter leur première Gibson, ou une bonne guitare de travail. Mais nous sommes déjà autour de 1 700 euros, et l’on pourrait chercher une guitare avec plus d’histoire et de caractère à ce tarif-là. Le prix est juste au regard des pratiques du fabricant, mais l’est-il lorsqu’on le compare à la concurrence ?
Cette première approche de la gamme HP reste très positive et encourageante. Si vous êtes à la recherche d’une Dreadnought Gibson peu encombrante, plaisante à jouer, et bien conçue, cela peut valoir le coup, d’autant plus que les autres modèles de la gamme nous réservent peut-être des surprises.