Janvier 1963, Houston, Texas. Assis sur le lit de sa chambre, un jeune apprenti guitariste repique studieusement les plans de son idole Jimmy Reed. Pour son treizième anniversaire, Freddie et Lorraine, ses parents, lui ont offert son premier instrument, une jolie Gibson à la finition Sunburst. Alors que l’adolescent, son prénom est William, se rêve déjà leader d’un groupe de blues au succès planétaire, il est loin de se douter qu’il a d’abord été la victime gâtée d’un marketing très ciblé et diablement efficace…
En effet, 4 ans plus tôt, la plus prestigieuse des firmes américaines, sentant le souffle du rock’n’roll attiser les jeunes et nombreuses braises issues du Baby Boom, décidait de faire un pas de plus vers cette nouvelle clientèle peu fortunée, mais ô combien motivée, en lui proposant une alternative à la Les Paul Junior, son entrée de gamme sortie quelques années auparavant. Ça sera un instrument d’étude simplissime, très abordable, mais aussi son best-seller d’alors : la Melody Maker. Morte en 1971 (comme Stravinsky, Jim Morrison, Louis Armstrong, Gene Vincent et… Fernandel) puis relancée chaque décennie, la faiseuse de mélodies se réincarne cette année, pour notre plus grande curiosité et notre plus grande excitation, sous les formes voluptueuses d’une Les Paul 0 % de matières grasses.
Le péril jaune
Autant vous le dire tout de suite, ne cherchez pas trop de points communs avec les Melody Maker précédentes : pas de double cutaway comme sur les modèles des 60’s, pas d’entrée jack sur la table, pas de pickguard, pas de tête amincie. À la limite, on reconnaitra les mécaniques Gibson Deluxe Vintage blanches (avec un ratio de 14:1… c’est bien ce qu’ils disaient, vintage), au look cheap mais charmant, qui font ce qu’on leur demande, à savoir tourner, et le chevalet « Lightning Bar » en finition chrome satiné, de type « Wrap Around » (à pontets compensés fixes qu’on ne peut par conséquent pas régler individuellement), et qui était censé, à l’origine, simplifier la vie des débutants (ou faire des économies, ça dépend du point de vue). Non, nous avons affaire ici à une Les Paul, vraie de vraie, d’ailleurs c’est écrit en doré sur la tête avec le logo de la marque (le nom de la guitare est quant à lui inscrit en blanc sur le cache plastique du Truss Rod). Enfin… vraie de vraie… Une Les Paul qui a quand même suivi un régime assez sévère.
La première chose que l’on remarque une fois sortie de sa housse noire et blanche, c’est la faible épaisseur de son corps, le même que la Les Paul Custom Lite, une édition limitée sortie l’an dernier. Était-ce pour éviter à nos ados de futures douleurs dorsales qui frappent les utilisateurs chevronnés de lourdes « Standard », n’épargnant personne, pas même les grands noms comme Jimmy Page ? Il semblerait. En tout cas notre guitare est assez légère. Gibson ne nous a pas communiqué son poids exact, mais pour donner un ordre d’idée, elle semble à peine plus large et plus lourde qu’une SG. Les contours sont en revanche bien semblables à ceux d’une Les Paul traditionnelle dont l’ergonomie a depuis longtemps fait ses preuves : équilibrée et confortable en position assise, encore plus avec ce gabarit.
L’autre chose qui saute (malheureusement) aux yeux, c’est la finition, plus précisément la peinture et le choix de la couleur. Ce « TV Yellow Satin », c’est un peu le colonel moutarde qui aurait tué le bon goût avec la truelle et qui l’aurait traîné un peu partout dans la maison. Où, comme le dit Baudoin, un de mes jeunes élèves, « ça fait un peu meuble industriel ». Moi je l’appellerais « No Gold Top », le Gold Top du pauvre. D’ailleurs pour la petite histoire, il est différent du TV Yellow original (plus naturel, avec bois apparent, un peu dans le style « Butterscotch Blonde » de chez Fender) qui, comme son nom l’indique, avait été proposé parce qu’il passait mieux à la télé, diffusée à l’époque en noir et blanc. C’est bien sûr une question de goût, mais l’expression « maquillée comme une voiture volée » s’applique aussi aux guitares. Pour adoucir l’acidité du propos et rassurer le public, je lui dirai qu’elle existe aussi en « Manhattan Midnight Satin », « Wine Red Satin » et « Charcoal Satin » et que tout compte fait, on peut se demander si cette finition satinée (nitrocellulose pour le vernis), qui ne restera sans doute pas immaculée très longtemps, ne donnera pas à notre Melody Maker dans une dizaine d’années, après quelques coups et autres frottements, un aspect « Relic » du plus bel effet.
Concernant les bois, il est assez difficile, sous cette couche de peinture, de donner un avis sur la qualité de l’érable du manche et de la table. L’acajou est léger et le palissandre de la touche, assez épais, est tout à fait honnête, ce qui est surprenant par les temps qui courent (suivez mon regard…). Outre 22 cases et ses points repères, nous y trouverons incrusté à la douzième case un logo « 120th anniversary », auto-célébration bien méritée de la longévité de la marque, une éternité dans un pays aussi jeune que les États-Unis.
Jusqu’ici, à part le corps et l’incrustation, rien de très « 2014 » alors quid des nouveautés ?
Les Nouveaux P
La première innovation est toute bête et pourtant c’est une bonne nouvelle. Suite au pire concert de ma vie lors duquel j’ai fait tomber trois fois des Les Paul Custom de grande valeur (petits dégâts, mais grosse honte publique), je me suis résolu à acheter des strap-locks. Quand il a fallu installer les boutons attache-courroie, les vis, trop petites, flottaient dans le corps. N’étant pas doué de mes mains, j’ai dû faire appel, comme pour cet article, à l’expertise de mon ami Ludovic Barrier* pour qu’il me fixe ça. Je n’ai apparemment pas été le seul à vivre une telle mésaventure et Gibson, à l’écoute de ses clients, a décidé d’augmenter la taille des boutons afin de nous éviter ces complications. Ils sont plus larges et, si vous aurez peut-être quelques difficultés à la fixer, une fois la sangle installée, vous saurez votre guitare bien accrochée et en sécurité (enfin, tant que vous n’enlevez pas la sangle régulièrement).
La deuxième originalité provient des potards. Ils ont désormais des encoches censées faciliter leur prise aux doigts. Pour avoir comparé avec les anciens, je ne sens pas de changement notable, mais j’imagine qu’en concert par grande chaleur ou pour les guitaristes aux mains moites, c’est une amélioration bienvenue.
En fait, la véritable nouveauté de la Melody Maker réside dans ses micros, un P-90SR en position manche et un P-90ST pour la position chevalet. Ce sont des dérivés du P-90 classique mais avec un aimant Alnico V. Pour être honnête, n’étant pas électronicien et n’y connaissant pas grand-chose, je vous laisse consulter cette page pleine d’explications en anglais. Ce que je retiendrai de cette littérature, c’est que ce sont, d’après le fabricant, les mêmes que ceux qui équipaient les ES-125 à la fin des années 40, que leur niveau de sortie est équilibré de sorte qu’il n’y a pas de différence de volume quand on passe d’un micro à l’autre et que la combinaison des deux, la position du milieu, marche comme un humbucker en parallèle et supprime donc les souffles inhérents aux micros simples (car les P-90, aussi larges d’apparence soient-ils, sont bien des simples). Nous vérifierons tout cela ainsi que leurs qualités sonores au moment du test à proprement parler.
Nos micros, comme pour beaucoup de modèles récents, sont branchés sur un circuit imprimé et j’avoue ne pas beaucoup aimer ça. Ayant eu quelques soucis avec l’électronique d’une de mes Gibson récentes, j’ai fait remplacer* le PCB par un montage à l’ancienne parce qu’en tournée, s’il y a un problème, c’est réparable, ce qui n’est pas le cas d’un circuit imprimé. Mais il n’y a pas de raison pour que ce branchement soit déficient sur la Melody Maker et c’est là aussi une question de goût personnel.
Autre paramètre très dépendant de la physiologie et des goûts de chacun, le confort du manche. Son profil est de type 50’s arrondi, en U, assez large et qui tient bien dans la paume de la main (avec un radius de touche de 12’’). Comme j’en ai une moyenne/petite (je parle de la main hein), elle a vite fatigué après avoir passé plusieurs fois le pouce par dessus pour les accords. Bizarrement, habitué au manche 59, à peu près aussi épais, je n’avais pas remarqué éprouver les mêmes difficultés. Peut-être cela est-il aussi dû au fait que les frettes sont assez hautes et dures et que leur présence se fait sentir quand on parcourt le manche. Les deux additionnés ont probablement et inconsciemment joué sur mes impressions générales. Ceux de mes amis qui l’ont essayée se sont en revanche sentis très à l’aise. Choisir une guitare sans poser les mains dessus c’est un peu comme choisir sa femme sur catalogue, alors n’hésitez pas à la tester en magasin parce que mes sensations de jeu seront sans doute différentes des vôtres.
Derniers éléments capitaux, mais pas des moindres, surtout pour les débutants, l’intonation et la tenue de l’accord. La première était relativement juste et la seconde assez satisfaisante, je n’ai pas eu à la réaccorder souvent malgré des bends de deux tons facilités par un tirant de cordes (trop) faible (montée apparemment en 9–42, pour ne pas rebuter les novices ?). La Melody Maker mérite certainement un tirant plus élevé, d’autant plus que les dernières cordes frisaient légèrement, surtout vers le sillet, un petit réglage n’aurait pas été de trop. Pas très impressionnante jouée à vide, qu’en est-il une fois branchée ?
Gibser Vs. Fendson
Voici la chaîne audio pour le test : Gibson Les Paul Melody Maker 2014 > Tête Marshall JVM415H (+ une pincée de reverb)> Simulateur de HP Two Notes Torpedo Live > Carte Son Apogee Duet.
Avant toute chose, je tiens à signaler que vous sentirez parfois comme un effet « vibrato » ou vous aurez l’impression que les notes ne sont pas toujours justes. Habitué à un tirant aussi fort que du 13–56, il m’a été difficile de me remettre au 9–42. Tout ceci n’est donc pas lié à l’intonation ou à l’accordage de la guitare.
Du strumming en son clair pour commencer : pour les trois premiers exemples, j’alterne les trois positions de micro (Rhythm/manche, Middle/intermédiaire, Treble/chevalet) sur une rythmique avec des accords ouverts en bas du manche (sur le premier extrait, je vous laisse à la fin apprécier le sustain). Pour les trois exemples suivants, toujours sur les trois positions, une autre rythmique, mais avec des barrés plus haut sur la touche.
- 1 clean rhythm strumming openchords sustain 00:39
- 2 clean middle strumming openchords 00:18
- 3 clean treble strumming openchords 00:19
- 4 clean rhythm strumming 00:18
- 5 clean middle strumming 00:17
- 6 clean treble strumming 00:17
Nous constaterons que le rendu est plutôt inhabituel pour du Gibson. Les micros n’ont pas un niveau de sortie très élevé, ce sont de vrais simples à n’en pas douter, et couplés à la brillance naturelle de la guitare, l’ensemble sonne presque comme l’autre marque américaine la plus célèbre, à notre grand étonnement.
Ensuite, je vous propose un exemple pour chaque position, toujours en son clair, mais dans des contextes musicaux qui leur correspondent. Puisque ces nouveaux P-90 sont théoriquement les mêmes que ceux des ES-125 d’époque, le premier extrait sera jazzy. Je plaque un accord, baisse la tonalité à la moitié et s’ensuit une petite impro en accords et phrases lead. Le deuxième est un exemple funk dans la position intermédiaire et le troisième est une grille pop avec alternance entre accords, phrases et arpèges sur la position chevalet.
- 7 clean rhythm jazz tone 00:36
- 8 clean middle funky 00:18
- 9 clean treble yellow rain 00:40
Le rendu est encore un peu trop brillant à mon goût pour le jazz même si c’est tout à fait honorable (encore une fois, le tirant de cordes n’a pas aidé), très très efficace en funk et pas trop criard en chevalet, ce qu’on aurait pu craindre.
Continuons l’exploration sonore avec du son crunch. Les trois positions toujours, dans le même ordre, avec un riff bien connu et quelques petites phrases lead bluesy.
- 10 crunch rhythm 00:21
- 11 crunch middle 00:22
- 12 crunch treble 00:21
Nous avons là toujours une sorte d’hybride Gibson-Fender. Les attaques sont franches, mais le caractère claquant et médium/haut des sonorités de la firme concurrente est ici tempéré.
Passons au son saturé, toujours dans le même ordre, avec d’abord un riff lourd en Drop D. Le joli crunch du début est obtenu en baissant le volume d’un peu moins de la moitié, pareil pour l’exemple sur le micro chevalet, mais avec une rythmique plus texas blues/rock. J’ai pu constater, en laissant les mains loin des cordes, le souffle typique des simples. L’exemple 14 confirme que la position intermédiaire marche comme un humbucker, annihilant le gros des buzz.
- 13 satu rhythm 00:31
- 14 satu middle 00:25
- 15 satu treble 00:33
Pour finir, changeons un peu de couleur à la saturation en remplaçant le Marshall par un Mesa Boogie Triaxis et son ampli de puissance 2:90 et en ajoutant une pincée de delay obtenue grâce à un multi-effet TC Electronic G-Force. Voici un petite impro lead avec les trois positions enchaînées. À la fin, le fondu est réalisé à l’aide du potard de volume.
Pour être honnête, si la qualité des Gibson peut varier d’un modèle à l’autre, celle de leurs micros reste toujours constante. Ces nouveaux P-90 ne font pas exception et embarqués sur cette Les Paul, ils nous offrent des sonorités tout à fait convenables.
Verdict général ?
Career Maker
Dès le commencement et plusieurs fois au cours de ce test, j’ai fait référence aux débutants. Cette Les Paul Melody Maker cuvée 2014, fidèle à la légende, leur est en effet destinée en priorité de par sa simplicité, son confort et sa relative polyvalence, bien aidée par la qualité indéniable des nouveaux P-90. D’autant qu’au prix annoncé de 649 € (parfois moins en magasin, d’où un rapport qualité/prix raisonnable), elle les introduira de manière sympathique à l’univers Gibson (les plus jeunes d’entre eux pourront ainsi se targuer de posséder une vraie Les Paul « made in USA »).
Mais cette petite gratte sans prétention ne leur est pas exclusivement dédiée. Elle fera un aussi instrument de rechange à moindre coût pour le professionnel ou un retour aux sources plein de nostalgie pour les plus âgés dont le dos ne supporte plus le poids d’un vrai corps en acajou. Et ce n’est pas le petit (il a bien grandi…) William « Billy » Frederick Gibbons, avec ses 51 ans de carrière commencée par un cadeau d’anniversaire bon marché, qui dira le contraire ?
* Merci à Ludovic Barrier pour son aide précieuse lors de la rédaction de cet article.
Si l’histoire de la Gibson Les Paul vous intéresse, n’hésitez pas à lire cet article !