L’année 2011 ne sera pas l’année ni du chien, du lion ou du hamster, mais plutôt celui de la Telecaster. En effet, cela fait presque 60 années jour pour jour que Fender a mis sur le marché cette formidable usine à riff qu’est la Telecaster.
Une petite leçon d’histoire…
Fort d’une expérience en tant que réparateur d’instruments, la philosophie initiale de Léo Fender fut simple : inventer un instrument qui serait aussi facile à fabriquer qu’à réparer avec des pièces qui pourraient être facilement remplacées, d’où l’invention du manche vissé et non plus collé comme il était coutume chez ses concurrents. Si cela peut nous paraître presque évident aujourd’hui, cette innovation fut une véritable révolution chez tous les facteurs d’instruments.
C’est ainsi qu’en 1948 l’ébauche de la « Telecaster » naquit, mais sous un tout autre nom, celui de Broadcaster. L’état civil rejeta le nom de Broadcaster en 1950 pour la voir rebaptiser par son créateur : « Telecaster ». En effet, Gretsch alors basée à New York sortit la même année une ligne de batteries nommée « Broadkaster ». Manque de chance pour Fender, le changement du « K » en « C » ne fut pas suffisant et Grestch engagea alors une procédure judiciaire pour utilisation frauduleuse du nom déposé de Broadkaster. Fender dut courber honteusement l’échine et être dans l’obligation de rebaptiser sa descendance en… Telecaster. Ainsi, la Telecaster fut la première guitare électrique solid-body (corps massif) de l’histoire de la musique à être commercialisée à une très grande échelle, suivie de sa petite sœur, la Stratocaster en 1954. La Telecaster fut présentée pour la première fois au NAMM show de Chicago en 1951. Le prix de vente sans étui était alors de $US 189.50 (l’équivalent de 1650 $US aujourd’hui). Les premières Telecaster sont communément appelées par les collectionneurs « Black guard », autrement dit « plaque de protection noire » en référence à ce pickguard autrefois en bakélite (ancêtre du plastique) qui faisait si merveilleusement bien ressortir la pâleur de sa peau si claire.
La petite dernière d’une famille (très) nombreuse…
Avec ce nouveau modèle entièrement ‘MADE IN USA’, Fender s’est inspiré du meilleur de la marque et de ses nombreuses années de recherches afin de dignement souffler les soixante printemps de ce modèle. La 60th Anniversary Limited Edition est livrée en étui rectangulaire noir SKB moulé à l ‘effigie de la marque. Il est vrai que l’on aurait bien aimé pour le même prix un étui en tweed de type rétro, mais l’époque et la mode étant au plastique froid et sans âme, on se contentera donc de la boîte noire au look sobre et pour le moins dépouillé. En revanche, afin de marquer l’événement, Fender s’est lâché et a rempli celui-ci de nombreux accessoires dont une sangle au nom de la marque, un jack, une clé pour le réglage du truss-rod, un chiffon doux ainsi qu’un mode d’emploi de la guitare sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Tout d’abord, intéressons-nous à ce fameux vernis nitrocellulosique. Le reflet de la lumière que renvoie le vernis de couleur pâle est sublime. La fine couche de vernis fait apparaître les veines du bois que l’on peut sentir en effleurant la douce peau de la belle. Ce type de vernis fut largement utilisé par Fender dans les années 50 et 60s avant d’être remplacé par des peintures à base de polyester beaucoup plus résistantes certes, mais aussi beaucoup plus épaisses et laissant du coup beaucoup moins bien résonner le bois de l’instrument. Soucieux de répondre aux attentes de ses clients les plus exigeants et face au regain d’authenticité de plus en plus croissant dans notre société inondée par l’artifice, le superficiel et le carton-pâte, ces vernis furent réintroduits pour la première fois sur les séries American Vintage en 1982. Ils sont depuis systématiquement utilisés sur les instruments sortant de l’atelier du Custom Shop. Ces vernis ont la particularité d’être appliqués en de très fines couches. Il en résulte une meilleure propagation des vibrations sonores dans le bois. Seul hic, ce type de laque est plus tendre donc plus beaucoup plus fragile. Elle est aussi plus sensible aux chocs, aux coups de médiators, mais aussi et surtout aux amplitudes thermiques. Le bois, comme la plupart des matériaux étant très sensibles aux changements climatiques, il va se dilater et reprendre sa forme d’origine en fonction de la température et de l’hygrométrie de la pièce ou de l’environnement dans lequel il se trouve plongé. Je vous recommande donc d’éviter les expositions prolongées à la lumière naturelle du soleil, les changements trop brusques de température ambiante qui, avec le temps, risquent d’une part de faire vieillir de façon accélérée la teinte du vernis et d’autre part, de voir apparaître des fentes et des craquements sur la laque qui seront … irrémédiables. Ce type de réaction a surtout lieu dans le cas où les amplitudes thermiques sont importantes. Évitez donc de faire passer votre instrument trop rapidement d’une pièce très froide à une pièce très chaude si vous voulez que votre Telecaster conserve toute sa jeunesse ! Autre précaution d’usage et non pas des moindres, prenez garde à ne pas faire reposer votre guitare sur des stands dont les protections sont à base de vynil, de plastique ou de caoutchouc synthétique qui risquent de laisser des marques indélébiles sur la surface du vernis. Nous préconisons donc pour l’entretien et le stockage de votre instrument de bien respecter les conseils indiqués sur le mode d’emploi fourni dans le flightcase.
60 ans et pas une ride …
L’essence retenue pour la fabrication du corps est le frêne (ash en V.O.) et le corps est composé de deux parties collées. Le veinage de la table est beau sans pour autant être transcendant. Il apparaît très clairement sous le vernis semi-transparent « white blonde » qui a été appliqué en de très fines couches. Les ferrules sont de type post-1966 non embouties dans le corps de l’instrument. Pour le changement des cordes ces ferrules n’étant pas collées, elles ont une fâcheuse tendance à sortir de leur logement. Une petite touche de colle ne sera pas du luxe afin de les maintenir en position.
Le manche, avec un diapason de 648 mm pour un radius de 241,3 mm, possède un profil moderne en C. Il est en érable massif sans touche rapportée avec 22 frettes de type médium jumbo. Les mécaniques sont étagées et de type Deluxe à bain d’huile. La guitare est montée d’usine avec des cordes Fender® USA Super 250L’s, NPS d’un tirant de 009–042. Sur la touche et la tête de l’instrument a été appliqué un vernis polyuréthane brillant épais alors que celui au dos de ce dernier est mât et très fin. La prise en main est confortable aussi bien pour des petites que des grosses mains. Le manche est très confortable, un des atouts majeurs de cette guitare. Les repères du manche de type « point » sont de couleur noire et incrustés dans la touche. À l’origine, les Telecaster possédaient un réglage de trussrod situé sur le talon du manche. Afin de régler la bonne courbure du truss rod, il fallait jadis démonter le pickguard afin d’accéder à la vis du trussrod. En bref, une vraie galère. Une seule solution s’imposait pour un réglage pratique, rapide et précis : un réglage par la tête de l’instrument, communément utilisé sur les modèles made in USA, mais aussi made in Mexico (à l’exception des Classic series). À ce propos, le manche est muni d’un réglage un petit peu particulier, avec un tige de réglage Bi-Flex (inventée au début des années 80s) facilitant l’ajustement de la courbure aussi bien concave que convexe du manche.
Tout l’accastillage est chromé, l’art de la finition sans failles étant une tradition de la maison. Pour l’occasion, la guitare est dotée d’une plaque de fixation du manche commémorative avec une inscription immortalisant la série limitée. Le chevalet de type American Standard est en laiton forgé. Il possède 6 pontets en acier utilisés sur les Stratocaster et sur les Telecaster Thinline II. Ces derniers sont parfaits pour un réglage et une intonation précis, cependant, ils enlèvent ce côté très claquant des 3 pontets en laiton présents sur les versions originales. Une innovation qui n’est pas sans altérer de façon significative le rendu des fréquences de l’instrument si l’on désire s’approcher du rendu d’une American vintage 52.
Souvenez-vous du vieil adage : less is more !
Du point de vue technique, on reste très sobre. La plaque de contrôle (chromée) héberge deux potentiomètres solid shaft de 250k (un pour le volume et un autre pour le contrôle de tonalité), une résistance et enfin une capacité de 22 microF. Le sélecteur de micros (de type vintage à ressort) est traditionnel avec 3 positions : position 1 : micro chevalet ; position 2 : micro manche et chevalet ; position 3 : micro manche. Le bouton du sélecteur est en plastique et de type Barrel knob, identique à ceux utilisés entre 1950 et 1956.
Même si une Telecaster a un son bien typé, il est toujours très étonnant d’entendre les variantes sonores d’un instrument à un autre, bien que l’électronique sur cette guitare soit réduite à son plus simple apparat. Les deux micros sont deux simples bobinages de la série American Standard et non des American Vintage comme on peut le lire sur certaines fiches produit de la guitare sur Internet. Ce sont exactement les mêmes micros que l’on trouve sur la Telecaster American Standard. Comme sur ces dernières, il vous sera possible d’affiner le réglage de hauteur de chaque micro grâce à 2 vis placées en haut et en bas du micro manche et 3 pour le micro chevalet. On ne remarque pas de buzz ou de bruit parasite même lorsque l’on joue à fort volume. Le sustain est excellent. Le micro chevalet est très équilibré et n’a pas de couleur aigre ce qui permettra à cette guitare de se fondre dans de nombreuses productions sonores de styles et genres très différents. J’ai été complètement séduit par la position 1 notamment en crunch. En attaquant les cordes très près des pontets on obtiendra ce son très saillant à la Albert Collins. La position manche (3) est elle, au contraire, très douce, tendre, presque feutrée. Le mélange des deux donnera un son robuste, mais en même temps très creusé dans les médiums grâce aux 6 pontets et non plus 3 comme sur les éditions originales. Rappelez-vous le son de Stax et de la Telecaster Steve Cropper… Autant dire qu’avec cet instrument, votre palette timbrale n’en sera que plus riche.
Voici les exemples audio, réalisés avec un ampli Peavey Classic 30 et une pédale Mojo GTM pour les sons saturés.
- Clair 100:24
- Clair 200:26
- Clair 300:18
- Clair 400:19
- Crunch 100:18
- Crunch 200:36
- Crunch 300:15
- Sat 100:54
- Sat 200:30
- Sat 300:11
En conclusion
Il est important de signaler qu’il ne faut pas voir en ce modèle une réédition exacte du modèle original, mais plutôt un hommage incorporant les trouvailles et les innovations fortes de 60 années de réflexion des ateliers Fender. On pourrait même se laisser tenter à dire que cette guitare n’est rien de plus qu’une American Standard avec un vernis « blonde » éditée pour l’occasion. Autant dire qu’après autant d’années de présence sur le marché des instruments de musique, la Telecaster n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre sur les partitions et d’inspirer de nombreux constructeurs indépendants concurrents … Si vous voulez tâter du doigt une légende, vous savez ce qu’il vous reste à faire !