Pour la deuxième année de suite, nous sommes allés au Music China, le grand salon dédié à la musique qui s’est tenu au mois d’octobre à Shanghai.
Même si, comme l’année dernière, l’aile Est était encore dédiée aux instruments traditionnels, nous avons pu constater que non seulement les musiciens chinois sont de plus en plus consommateurs des « instruments modernes » (guitares, claviers, MAO…), mais aussi, et c’est sur ce point que nous avons voulu mettre l’accent dans le reportage de cette année, qu’ils sont de plus en plus demandeurs d’instruments provenant du monde entier, le mot « étranger » étant souvent perçu comme « de qualité ». C’est pourquoi on pouvait trouver la plupart des grandes marques internationales à côté de multiples marques locales connues seulement par les musiciens chinois. Nous avons interviewé plusieurs acteurs du marché (U.S., France, Allemagne, Espagne…) afin de connaître leur perception du marché chinois, qu’ils soient constructeurs ou importateurs.
Des musiciens chinois friands de guitares de luthiers européens comme de guitares made in U.S.A
Nous avons pu interviewer Maria Conde, fille du luthier de Madrid Felipe Conde Guitars. Avant le début de l’interview, un revendeur local a négocié l’achat de plusieurs guitares dont le prix unitaire dépassait les 2 000 €… Cela confirme que le prix élevé de certains instruments ne fait donc plus peur depuis longtemps à ce public dont les disparités de revenus entre grandes villes et campagnes restent néanmoins énormes.
À l’opposé de l’artisanat du luthier espagnol, nous avons rencontré Andy Lund, responsable export de Taylor Guitars, une marque qui, même si elle s’est « industrialisée » comme nous avons pu le voir dans notre visite des usines Taylor Guitars en Californie, a une renommée mondiale, y compris en Chine. Andy nous a fait part de son expérience personnelle : depuis 5 ans qu’il vient à Music China, la taille du salon a doublé. D’après lui, la guitare reste malgré tout un instrument « à découvrir » en Chine, car beaucoup jouent encore des instruments traditionnels, mais le nombre de guitaristes en Chine croît à une vitesse vertigineuse.
Le retour d’expérience d’ESI
Claus Riethmüller, fondateur originaire d’Allemagne d’ESI, est de loin l’un des Occidentaux que nous avons rencontrés qui connaît le plus les spécificités des différents pays d’Asie. Contrairement à ce que pensent (ou pensaient) certains de ses confrères, les Chinois n’achètent pas tant que cela du « Made in China ». ESI, par exemple, vend beaucoup de ses produits en Chine. L’entreprise expose à Music China depuis 12 ans et nous rapporte que le marché a énormément évolué au fil des années. Il y a 12 ans, ESI et un de ses confrères étaient les seuls à proposer du matériel de MAO sur le salon. Maintenant, on peut voir toutes les marques d’informatique musicale à Music China.
Quid des copies chinoises ?
Claus nous confirme qu’il existe en effet des copies en Chine parfois tellement si bien imitées que l’utilisateur peut avoir du mal à déceler le subterfuge. Malgré tout, l’utilisateur est habitué aux copies et quand il décide d’en acheter une, il le fait souvent en connaissance de cause (avec les problèmes que cela peut engendrer), mais souvent, il préfère ne pas prendre de risque et acheter le produit d’origine. Claus pense qu’aujourd’hui, le focus sur les copies chinoises est exagéré par rapport à la réalité, elle est moindre que ce qu’on dit — et il souligne qu’on oublie souvent que les problèmes de copie ne sont pas propres à la Chine !
Un marché spécifique ?
Le marché chinois possède certains aspects vraiment uniques, en particulier l’« online karaoké » (qui est diffusé massivement en ligne de la part de « stars du web », qui ont besoin de microphones et petites cartes son). Des millions de podcasts sont partagés en ligne, et même Claus, qui pourtant connaît bien le marché local, s’étonne parfois de ce bouillonnement d’activité sur le karaoké en ligne — certains podcasteurs étant carrément devenus des célébrités. ESI n’hésite donc pas à incorporer dans sa stratégie la création de certains produits spécifiquement pour le marché chinois.
Un Français en Chine
Le cas d’Algam, plus gros distributeur français d’instruments de musique et propriétaire des marques Lâg et, depuis peu, de la marque prestigieuse de Pianos Pleyel, est passionnant, à la fois côté business, mais aussi par le fait qu’il met en avant le choc des cultures et la particularité de la mentalité locale.
Algam (sous le nom « La Boîte Noire » en France) a ouvert une société de distribution en Chine. Tout a commencé lorsqu’ils ont commencé à créer des guitares Lâg dans une usine en Chine et qu’ils ont découvert des guitares Lâg dans un magasin local de Shanghai, alors qu’ils ne vendaient pas leurs guitares en Chine à ce moment-là. Pour réagir à ces « guitares tombées du camion », ils pouvaient opter pour deux solutions : l’une, légale — tenter d’attaquer en Chine, ce qui est connu pour souvent être perdu d’avance, ou bien trouver un partenaire local afin de vendre Lâg en Chine. Ils ont choisi la deuxième option.
Une nouvelle n’arrivant jamais seule, Algam a eu, dans la foulée, la confiance de Marshall (qui est déjà distribué par Algam en France). Ils ont appliqué les mêmes méthodes qu’Algam France (notamment son marketing), mais en Chine, avec leurs partenaires chinois qui ont fait leurs études en Europe, et qui ont, d’après Gérard Garnier, davantage la culture du long terme des Européens là où le commerçant chinois cherche davantage à faire des « coups » à court terme.
Parmi les challenges qu’Algam a pu rencontrer en Chine, il y a évidemment la taille du pays, mais aussi les grosses différences entre le nord et le sud, notamment culturelles (Algam a un bureau à Shanghai). Néanmoins, une chose que Gérard Garnier apprécie en Chine, c’est la façon de penser très positive, les habitants de ce pays cherchant souvent à voir le bon côté des choses.
Nous avons personnellement été sensibles au rachat de la marque Pleyel que nous affectionnons tout particulièrement, votre serviteur ayant étudié le piano sur un Pleyel. Une fois encore, la Chine donne un peu le tournis par ses chiffres comparés à la France : 330 000 pianos sont vendus chaque année en Chine, à comparer aux 6 000 pianos en France.
Le haut de gamme Allemand s’exporte aussi
Michael Krusch, fondateur de Tegeler Audio, pour qui le marché chinois est nouveau, témoigne : cette marque, qui a généralement l’habitude de vendre en direct ses produits « ésotériques », a décidé, pour la Chine, de passer par un distributeur local (Music King). Les raisons ? Outre les possibilités limitées de vendre en direct à cause de différences culturelles, la Chine reste surtout un pays où la langue anglaise n’est pas systématiquement parlée, ce qui rend impossible pour Michael d’expliquer le fonctionnement de ses machines. Mais la Chine, une fois encore, vaut l’effort : le fondateur explique que Tegeler a envoyé deux palettes de produits deux semaines avant l’interview, et que déjà une partie non négligeable des produits a été prévendue, ce avant même l’arrivée des produits sur le territoire Chinois.
CME, le géant chinois… Fait de l’outsourcing en France !
CME est une marque chinoise connue dans le monde entier notamment pour ses claviers Xkey. Le fondateur, au sourire et à l’enthousiasme bien sympathiques, nous explique qu’une bonne partie de son équipe d’ingénieurs est outsourcée… dans le sud de la France !
La musique rapproche les humains du monde entier :)
Pour finir, une petite touche de poésie au travers d’une petite vidéo d’ambiance du salon.