Il y a un an, Apogee sortait la Duet 2, une interface audio numérique au son et à la finition exemplaire, mais seulement compatible Mac. Focusrite a senti qu'il y avait un coup à jouer et a annoncé la sortie de la Forte qui vient se placer en frontal avec un format identique, une compatibilité Mac... et PC ! Mais est-elle vraiment au niveau ?
L’histoire de l’interface audio numérique haut de gamme et nomade a débuté en 2007, lorsqu’Apogee annonça la sortie de la Duet, dotée de 2 entrées, 2 sorties, d’un port FireWire, d’un gros encodeur, d’une finition soignée, mais compatible Mac seulement. Un nouveau style d’interfaces était né et répondait au désir des musiciens exigeants et désireux d’avoir une bonne qualité audio dans un tout petit boitier transportable. En 2009, nous avions testé la réponse de RME, la Babyface, qui, avec sa compatibilité Mac/PC, son port USB et son entrée/sortie ADAT, fit des émules. Apogee répliqua un an plus tard avec la Duet 2, cette fois-ci USB et dotée d’un joli écran OLED, mais toujours pas compatible PC. Il y a quelques mois, nous avons aussi testé la réaction de MOTU à ces deux interfaces, la Track16, proposant pas moins de 16 entrées et 14 sorties !
Focusrite, constructeur anglais à qui nous devons de jolies interfaces audio, des consoles, des préamplis et des plug-ins, a pensé qu’il restait encore de la place pour un quatrième larron sur ce marché et a annoncé il y a quelques mois la Forte, dont le look, le format et le prix ne laissent aucun doute sur la cible visée…
Ayant testé personnellement les BabyFace et Duet 2 lors de leurs sorties respectives, c’est avec un intérêt certain que je reçus le colis estampillé Arbiter, distributeur français de Focusrite, marque créée par Rupert Neve himself. Car si ces deux interfaces nous avaient définitivement convaincus, elles ne restaient pas moins sans défauts. D’un côté la RME présentait une qualité de fabrication pas forcément à la hauteur de la partie software et audio et de l’autre, l’Apogee se voyait logiquement privée d’une compatibilité Windows (la marque étant mariée à Apple) et d’entrées/sorties numériques. Quant à la Track16, si le nombre d’entrées et de sorties était conséquent, elle demeurait, avec son épanoui, un peu plus imposante que ses rivales. Qu’en est-il de la Forte ?
Forte impression
Qui a déjà déballé un produit Apple reconnaitra forcément la source d’inspiration de Focusrite : la boîte blanche est classe, présente simplement le produit et donne immédiatement envie de déballer le tout. À l’intérieur, ce n’est pas du niveau de la marque pommée côté rangement et organisation, mais qu’importe… La Forte nous a éblouis par son look et sa qualité de fabrication. On est sans problème au niveau de la Duet 2, peut-être même un peu au-dessus. En tout cas, cela n’a rien à voir avec la Babyface qui accuse le coup avec ses LEDs « old school » et son encodeur un peu fragile. La Forte se marie très bien avec notre iMac, ce n’est d’ailleurs pas forcément un hasard vu le public visé… Le format de la carte est sensiblement identique à la Duet 2 et à la BabyFace, avec des dimensions de 115 × 345 × 171 mm et un poids coquet de 487 grammes. Pas de souci, elle tient bien en place sur le bureau !
La configuration est quasiment identique à la Duet 2 : un gros encodeur cliquable (mais pas cranté et qui a tendance à frotter un peu sur notre modèle), un bel écran couleur OLED, quatre boutons tactiles (contre deux sur la Duet), une prise casque en bas à droite, une connexion USB 2 et un épanoui pour les 4 connecteurs XLR et Jack 6,35 (instrument). On note quand même une différence : les sorties principales sont placées directement sur l’interface et non pas sur l’épanoui, ce qui nous semble être un choix judicieux, car il ne sera pas nécessaire de prendre l’épanoui pour une séance de mix uniquement. Avec la Duet 2 ou la BabyFace, sans épanoui, on ne peut mixer qu’au casque.
Sur ce fameux épanoui, nous retrouvons donc les deux entrées XLR pour y brancher des micros et les entrées Jack TRS 6,35 mm pour les niveaux ligne et instrument. Les prises XLR sont un peu moins encombrantes que celles de la Track16 et la Duet 2, un bon point aussi.
À noter que la Forte peut fonctionner sans son adaptateur secteur, uniquement alimentée par le bus USB 2 (l’USB 3 ne sert à rien ici, pas plus que l’USB 2 sur une souris, pas la peine d’en parler dans les forums), mais il faudra tirer une croix sur l’alimentation fantôme 48V et la sortie casque sera moins puissante. Les 4 boutons tactiles permettront à l’encodeur rotatif de contrôler les niveaux d’entrées, de sortie des enceintes, de sortie du casque et du retour du séquenceur.
Le tout est donc très simple à prendre en main côté matériel, qu’en est-il côté logiciel ?
Forte installation
Nous avons testé l’interface sur notre Mac. Pour cela, nous avons au préalable installé le petit driver « Forte Control ». Un redémarrage et un branchage plus tard, la Forte était opérationnelle. L’interface graphique de Forte Control est, à l’instar de la Forte elle-même, très simple et jolie. À gauche, nous avons les entrées et à droite, les sorties. Au milieu la (toute) petite table de mixage virtuelle : les deux entrées et les deux paires de retours du séquenceur. Pourquoi deux paires ? Nous ne savons pas trop, cela pourra éventuellement servir pour envoyer un mix différent au musicien…
Pour chaque entrée, on pourra choisir le niveau (ligne, instrument ou micro), enclencher l’alimentation fantôme 48V, le pad de –10dB, l’inverseur de phase et le coupe-bas (75Hz, 12dB/octave). Il sera aussi possible de lier les deux entrées pour les sources stéréo. Concernant les deux sorties stéréo, la principale et la sortie casque, on retrouve un potard virtuel de volume, un dim (12dB), un mute et un mode mono.
Au centre, nous avons la partie mixage, avec les deux entrées et les deux retours de DAW stéréo, chacun doté d’un mute, un solo et de panoramiques. Deux onglets sont disponibles, un pour la sortie principale dédiée aux enceintes, et un pour la sortie casque. Il sera donc possible d’avoir deux mixes différents : on pourra dédier le retour DAW 1/2 aux enceintes et le retour DAW 3/4 au casque. Il sera possible d’activer le retour micro uniquement dans le casque afin d’éviter tout larsen. Tout cela est donc ultra simple et la prise en main est rapide.
Ergonomie
À l’utilisation, nous avons quelques remarques à faire : nous trouvons dommage que l’encodeur rotatif et cliquable ne puisse être assigné directement à une fonction comme le dim ou le mute. Lorsque vous êtes sur la page « sortie principale », l’encodeur contrôlera le volume, mais pour accéder aux autres réglages, il faudra faire un appui long sur le bouton tactile situé juste au-dessus. Après, on pourra faire défiler le curseur en tournant l’encodeur pour sélectionner mute, dim ou mono et un clic enclenchera la fonction : la manœuvre est longue et fastidieuse ! On aurait aimé pouvoir muter ou diminuer le volume directement en cliquant sur l’encodeur quand on est sur la page principale. D’autant plus que sur la page « DAW », l’encodeur permet d’envoyer des commandes suivant le logiciel utilisé (il y a d’ailleurs le petit logo) : play/stop ou le zoom par exemple, ce qui est très pratique. Heureusement, ce genre de soucis d’ergonomie peut être facilement corrigé avec un update. Il ne reste plus qu’à espérer !
Pour le reste, rien à signaler : l’écran est très agréable et les quatre boutons tactiles réagissent bien.
Après les premiers essais, il nous parait évident que la Forte est plus une concurrente directe de la Duet 2 que de la BabyFace ou de la Track16. En effet, même si ces trois interfaces sont dans la même fourchette de prix et appartiennent à la catégorie « desktop nomade », la philosophie de la Duet 2 est un peu différente et ressemble en tout point à celle de la Forte. Le but est de proposer une interface au design et à la qualité de fabrication imparable et un nombre d’entrées / sorties limitées afin de la rendre plus simple d’utilisation. Les BabyFace et Track16 restent plus complètes en termes de fonctionnalités : E/S numériques et MIDI, effets intégrés, mélangeur virtuel plus évolué… Mais elles sont fatalement plus compliquées à prendre en main. Certains musiciens préfèrent tirer une croix sur des fonctionnalités dont ils n’ont pas l’usage afin d’avoir une interface plus accessible.
La Forte ressemble d’ailleurs tellement à la Duet 2 qu’elle a les mêmes limites : pas d’entrées/sorties numériques et MIDI, pas de traitements (EQ, réverbe)… Mais, ce qui fera peut-être pencher la balance, c’est quelle est compatible Mac et PC, contrairement à la Duet 2 qui n’aime que les pommes. Les MAOistes frustrés que cette dernière ne veuille pas de leur PC chéri ont peut être trouvé l’interface qu’il leur fallait.
Il ne reste plus qu’à brancher un micro…
Son et benchmark
Pour tester cette interface, nous avons essayé différentes choses. Tout d’abord, nous avons fait une prise de guitare acoustique (merci Lucas !) avec un micro Oktava mk-012–01 et un câble Y alimentant simultanément la Focusrite Forte et une Metric Halo ULN8, chacune branchée à un ordinateur faisant tourner Studio One 2. La Metric Halo ULN8 ne boxe pas dans la même catégorie (5000€, 8 entrées/sorties analogiques…), mais elle permet d’avoir un point de repère qualitatif. On remarque que la Forte s’en sort plutôt bien. Afin de vous faire votre propre idée, voici le résultat :
Téléchargez les exemples audio (format FLAC)
Ensuite, nous avons mesuré le bruit propre des préamplis grâce à un câble XLR dont les points chauds et froids sont reliés. En plus d’offrir une plage de gain importante (75dB, autant que la Duet 2, mais plus que les BabyFace et Track16 avec leur 60dB), ils sont particulièrement silencieux : avec le gain à 50dB, notre vumètre module à –86,3 dB, ce qui est presque aussi bien que notre Metric Halo ULN8 (-87,3 dB) et que la Duet 2 (-93,3dB) et mieux que le BabyFace (-82,7 dB) ou encore la Mbox Pro (-78,5 dB). Focusrite s’est fait connaître avec des préamplis et cela confirme leur savoir-faire évident.
Sophie Forte n’a rien à voir avec interface audio |
Pour les convertisseurs, nous avons effectué un « loop test », qui consiste à lire un fichier audio et à l’enregistrer en reliant les entrées aux sorties analogiques de l’interface. En comparant le fichier original avec ce que l’on a enregistré, on a ainsi une idée de ce que les convertisseurs (A/N et N/A) font subir au signal. Un petit logiciel nous permet d’en déduire le niveau de corrélation entre le signal enregistré et l’original, en sachant que plus il est élevé, mieux c’est. Les convertisseurs de la Forte sont dans la moyenne (18,9 dB de corrélation, à peu près équivalent à la Duet 2), sans être aussi bons que ceux de la Track16 (29,9 dB) ou de l’Apollo d’Universal Audio et la Mbox Pro d’AVID (respectivement 27,2 et 26 dB). Pour information, la Metric Halo plafonne à 37 dB de corrélation…
Téléchargez les fichiers audio convertisseurs (format FLAC)
Il faut noter que les différents résultats obtenus restent des chiffres qui peuvent dépendre de pas mal de facteurs, et certains écarts numériques ne sont pas si évidents à l’écoute. Les interfaces audio d’aujourd’hui offrent une qualité audio suffisante pour la majorité des home studistes et nous conseillons au lecteur de ne pas baser son choix uniquement sur ces benchmarks.
Enfin, nous avons testé la stabilité des drivers avec une session de Studio One 2 64 bit intégrant bon nombre de pistes audio et d’instances du plug-in Ozone 5. On commence avec une taille de buffer de 512 samples et on regarde le nombre de pistes que l’on peut avoir avant que le son ne « craque ». Ici, la Forte est aussi dans la bonne moyenne, avec un meilleur score que les Track16 de Motu et BabyFace de RME, même si elle reste inférieure à la Metric Halo ULN8 et la Mbox Pro.
Tous ces résultats sont disponibles sous forme de tableaux et graphiques, qui seront mis à jour au fur et à mesure que de nouvelles interfaces audio numériques seront testées par nos soins.
Conclusion
L’objectif de Focusrite était clair : sortir une concurrente directe de la Duet 2, mais compatible PC. Au final, on se retrouve avec une interface au design épuré et à la qualité de fabrication irréprochable. La ressemblance avec l’interface d’Apogee est assez frappante, de l’écran OLED à la simplicité d’utilisation en passant par le gros encodeur rotatif en aluminium. La qualité des préamplis comblera les home-studistes exigeants qui n’ont que faire des entrées et sorties numériques, des traitements et qui travaillent, même occasionnellement, sous Windows.