Dis moi ce que tu lis.
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Nantho Valentine
4125
Rédacteur·trice
Membre depuis 22 ans
Sujet de la discussion Posté le 24/01/2003 à 18:34:57Dis moi ce que tu lis.
Anonyme
17065
5731 Posté le 21/09/2017 à 09:53:19
Citation :
Points faibles à mes yeux : pas de descriptions
De quel genre de descriptions parles-tu?
Pour ma part le point fort de ce livre est justement la description des moeurs hallucinantes de l'époque dans ce contexte particulier et les liens entre les différents groupes de personnes et familles.
Sinon oui, Marcel Aymé est vraiment un tueur
[ Dernière édition du message le 21/09/2017 à 09:53:37 ]
Dr Pouet
52037
Membre d’honneur
Membre depuis 20 ans
5732 Posté le 21/09/2017 à 10:34:12
Je parle de descriptions de la campagne, des maisons, ou même de l'apparence physique des gens. En fait cette absence n'est pas tellement un point faible, mais plutôt quelque chose d'inhabituel / un peu surprenant.
C'est sûr que ça ne manque pas de description des comportements !
C'est sûr que ça ne manque pas de description des comportements !
Anonyme
5215
5733 Posté le 21/09/2017 à 12:09:00
Merci les gars,
ca me donne drolement envie de relire Aymé (je ne connais de lui que les contes du chat perché que je lisais écolier)
ca me donne drolement envie de relire Aymé (je ne connais de lui que les contes du chat perché que je lisais écolier)
Anonyme
17065
5734 Posté le 23/09/2017 à 18:29:15
Récit autobiographique de Georges Hyvernaud, instituteur,
relatant sa condition de prisonnier dans un camp il où restera cinq ans,
cinq années de doutes, de froid, de faim, de nuits, d'avenir bouché,
de promiscuité (16 types qui chient côtes à côtes ou plutôt, fesses à fesses),
de cadavres tellement nombreux qu'ils en deviennent vides de sens.
La folie n'est pas loin.
Ce qu'il y a de loin par contre c'est l'humanité, les idéaux des belles âmes
qui ne connaissent rien de ces conditions de détention.
Une vision originale de la captivité dans un style paradoxalement oral et littéraire
qui creuse les mots afin de ne pas se limiter au factuel et sortir des pépites
littéraire des cabinets et de la merde.
Mais ça ne s'arrête pas à ça et il y a plus au fur et à mesure que l'ouvrage avance, mais ce sera à vous de le découvrir à la lecture. Je vous livre toutefois trois des trop nombreux passages
qui m'ont le plus marqué. Vous aurez alors un bon aperçu du style et du ton.
Ne vous effrayez pas de la longueur des transcriptions, ça se lit tout seul.
Le livre intéressera certainement du monde ici mais je pense toute particulièrement
à Ory et JackBrel.
Spoiler - Cliquer ici pour lire la suite
Citation :
Quand même, les cabinets, ça résume mieux notre condition. Mieux que les punaises.
C'est plus complet, plus significatif. Avec même un air loufoque, une qualité d'humour sordide.
Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel
que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines.
Voilà ce qu'ils ont fait de nous.
Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant.
On était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues.
On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal,
et puis on va se vider. C'est toute notre existence.
On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi.
Mais maintenant on est les autres. Des sans-frontières, pareils mêlés,
dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes.
Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde.
On avait ses problèmes. On était fier de ses problèmes, de ses angoisses.
On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème
qui est de manger, et ensuite de trouver une place pour poser ses fesses
sur ses planches maculées.
S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction
de la merdre. On ne s'appartient pas. On apaprtient à ce monstre collectif et machinal
qUi toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisance.
Quand les écrivains feront des livres sur la captivité, c'est les cabinets
qu'ils devront décrire et méditer. Rien que cela. Ça suffira.
Décrire consciencieusement les cabinets et les hommes aux cabinets.
Si les écrivains sont des types sérieux, ils s'en tiendront là.
Parce que c'est l'essentiel, le rite majeur, le parfait symbole.
Mais tels qu'on les connaît, les écrivians, ils auront peur
de ne pas avoir l'air assez distingué. Pas assez viril. Pas assez décent.
Ils ne parleront pas des cabinets. Ils parleront des leçons de l'épreuve,
de la régénération par la souffrance. Ou bien l'énergie spirituelle, comme
ce couillon qui a envoyé une lettre à M.Paul Valéry.
Une drôle d'idée, d'ailleurs, qu'il a eue là.
Quel secours espérer d'un vieillard sec, subtil et officiel si parfaitement
étranger aux trivialités de la souffrance réelle?
Le grand homme a répondu.
J'ai vu sa réponse:
vingt-cinq lignes dactylographiées, et sa signature autographe.
Pour nous dire qu'il était heureux de savoir que l'énergie spirituelle
nous soutient. Et en effet, cela a dû lui faire bien plaisir. Parce que c'est son affaire,
l'énergie spirituelle.
Et quand l'énergie spirituelle va, tout va...Seulement, l'énergie spirituelle,
c'est des choses qu'on met dans les livres. Ça n'existe pas. Pas moyen
de les prononcer, ces deux mots, sans une grande envie de rigoler.
Ici, dans les cabinets. Au milieu de ces types déculottés qui claquent de froid.
Des hommes gélatineux, mous, pourris. Des limaces, des asticots.
Ce qui les soutient, on ne sait pas trop ce que c'est.
Sans doute cette obstination à durer, ce tenace attachement, cet accrochement des vivants
à la vie qui empêche les syphilitiques, les tuberculeux et les cancéreux de se foute
à la rivière. Mais sûrement pas l'énergie spirituelle.
[...]
On publiera de belles choses sur l'énergie spirituelle des captifs.
Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important.
Cette fosse à merde et de méli-mélo de larves. Toute l'abjection
de la captivité est là, et l'Histoire et le destin.
En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement.
Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun
la sentît et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque.
Et que toute son époque lui apparût comme une mélasse d'être sans pensées, sans squelette,
grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité,
sans fin et sans but.
Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable.
***
La vérité c'est la faim, la servitude, la peur, la merde.
Comme aux pires époques. Elle est jolie leur Europe.
Ces types qui gueulent dans la neige, le ventre ouvert,
parmi les mécaniques défoncées.
***
Nous sommes trente, dans la piaule.
Ça sent la graisse chaude et la fumée de pipe.
C'est plein de cris et de toux.
[...]Trente existences nouées les unes aux autres
comme un paquet de vers[...]Leurs mots flottent dans un brouillards de mots.[...]
Tous ces mots qui tournent et bourdonnent autour de moi. Qui entrent en moi.
Ces mots comme des mouches qu'on ne parvient pas à chasser.[...] Ça colle à vous. Ça revient toujours.
Saleté, va.[...] On n'est sans défense contre les mots.[...] Les mots de Baude, les mots de Peignade.
Les mots de Chouvin.[...] Tout ça entre en moi et y prend toute la place.
Pas moyen de se préserver. Nous sommes offerts, ouverts à tout venant.
On pourrait nous écrire sur le crâne: "Entrée libre", comme à la porte
de ces magasins où le premier venu a le droit de vous tripoter, à pleines pattes.
Il ne faut pas se gêner. Libres, on vous dit. Et il se trouvera des gens pour dire que
ces années de captivité furent un temps de recueillement. Ce temps où
l'on est livré aux autres. Condamné aux autres.
Condamné à Vignoche et à Pochon. Envahi par les autres au point
de ne plus savoir ce qu'on est, ni si l'on est encore quelque chose.
De l'homme partout. Le frôlement, le frottement continuel de l'homme contre l'homme.
Les fesses des autres contre mes fesses. Les chansons des autres dans ma cervelle.
L'odeur des autres dans mon odeur. C'est de cela que nous sommes captifs,
plus que des sentinelles et des fils barbelés. Captifs des captifs - des autres.
Anonyme
17065
5735 Posté le 23/09/2017 à 18:56:49
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Bolivie, décennie 1860. Le narrateur espagnol Felipe, guitariste et théologien, est un proche du lieutenant Jaime Torrijos, un métis hispano-indien, qui jouit d'un prestige indiscutable auprès de ses hommes. Il est ambitieux et souhaiterait prendre la place du Gouverneur. Felipe va l'y aider.
C'est un roman dont je n'ai pas bien saisi la motivation. Bon je dois dire que culturellement et historiquement la Bolivie du XIXème ça ne me parle pas plus que ça. Bien sûr il y a les intrigues et manipulations mêlant franc-maçons, religieux, indiens, relations amoureuses et lutte de classes, mais je pense que quelque chose m'a échappé. La relation entre Felipe et Jaime est très particulière et je n'ai pas saisi les motivations profondes de Felipe. Elles m'ont semblé "légères".
C'est très bien écrit et je crois qu'avec le respect que j'aie pour Drieu La Rochelle, c'est tout ce qui m'a fait aller au bout de ce livre qui, bien que n'étant pas à jeter, nécessite une certaine attention car l'ennui est au coin de ce récit dont, je le répète, je n'ai pas compris le fond.
Pourquoi la Bolivie du XIXème?
Peut-être juste pour raconter une histoire.
Ça serait par contre très court de poser l'argument de l'exotisme, car c'est une histoire d'hommes, d'humains avant tout. Peu importe la latitude.
Avis mitigé donc et je ne vous le conseillerais pas nécessairement pour découvrir Drieu La Rochelle.
Le feu-follet ou Gilles sont bien plus puissants.
Bolivie, décennie 1860. Le narrateur espagnol Felipe, guitariste et théologien, est un proche du lieutenant Jaime Torrijos, un métis hispano-indien, qui jouit d'un prestige indiscutable auprès de ses hommes. Il est ambitieux et souhaiterait prendre la place du Gouverneur. Felipe va l'y aider.
C'est un roman dont je n'ai pas bien saisi la motivation. Bon je dois dire que culturellement et historiquement la Bolivie du XIXème ça ne me parle pas plus que ça. Bien sûr il y a les intrigues et manipulations mêlant franc-maçons, religieux, indiens, relations amoureuses et lutte de classes, mais je pense que quelque chose m'a échappé. La relation entre Felipe et Jaime est très particulière et je n'ai pas saisi les motivations profondes de Felipe. Elles m'ont semblé "légères".
C'est très bien écrit et je crois qu'avec le respect que j'aie pour Drieu La Rochelle, c'est tout ce qui m'a fait aller au bout de ce livre qui, bien que n'étant pas à jeter, nécessite une certaine attention car l'ennui est au coin de ce récit dont, je le répète, je n'ai pas compris le fond.
Pourquoi la Bolivie du XIXème?
Peut-être juste pour raconter une histoire.
Ça serait par contre très court de poser l'argument de l'exotisme, car c'est une histoire d'hommes, d'humains avant tout. Peu importe la latitude.
Avis mitigé donc et je ne vous le conseillerais pas nécessairement pour découvrir Drieu La Rochelle.
Le feu-follet ou Gilles sont bien plus puissants.
sqoqo
7050
Je poste, donc je suis
Membre depuis 17 ans
5736 Posté le 24/09/2017 à 02:19:05
Merci kumo
oryjen
17492
Drogué·e à l’AFéine
Membre depuis 20 ans
5737 Posté le 26/09/2017 à 15:47:05
Merci Kumo pour le précédent. C'est très intéressant en effet, à plusieurs titres!
J'en profite pour rendre hommage à la constance de tes comptes-rendus de qualité: Ils sont nombreux, réguliers, ont le courage de ne pas se prétendre objectifs, et l'élégance bienveillante et partageuse d'argumenter et de montrer sans jamais pontifier.
J'en profite pour rendre hommage à la constance de tes comptes-rendus de qualité: Ils sont nombreux, réguliers, ont le courage de ne pas se prétendre objectifs, et l'élégance bienveillante et partageuse d'argumenter et de montrer sans jamais pontifier.
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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.
Anonyme
17824
5739 Posté le 26/09/2017 à 19:29:20
Pareil que mes 2 confrères. Je lis souvent tes critiques, même si nous n'avons pas les mêmes goûts littéraires.
Vite fait, la Bolivie du 19ème siècle, des coups d'état à la pelle, des généraux fantasques, des guerres et des pertes de territoire dont la plus fameuse vers 1879 qui fit perdre à la Bolivie son accès à la mer face au Chili, un traumatisme encore vivace. Un pays indien dirigé par une classe dirigeante blanche. C'est vraiment très grosso modo... Une classe dirigeante tiraillée entre libéraux (moins rétrogrades) et conservateurs ultra cathos... Sinon, indiens, la merde selon les dirigeants, une majorité de métis, le cul entre 2 chaises, indianité refoulée et hispanisme non reconnu par les élites. L'Amérique Latine quoi...
Vite fait, la Bolivie du 19ème siècle, des coups d'état à la pelle, des généraux fantasques, des guerres et des pertes de territoire dont la plus fameuse vers 1879 qui fit perdre à la Bolivie son accès à la mer face au Chili, un traumatisme encore vivace. Un pays indien dirigé par une classe dirigeante blanche. C'est vraiment très grosso modo... Une classe dirigeante tiraillée entre libéraux (moins rétrogrades) et conservateurs ultra cathos... Sinon, indiens, la merde selon les dirigeants, une majorité de métis, le cul entre 2 chaises, indianité refoulée et hispanisme non reconnu par les élites. L'Amérique Latine quoi...
Anonyme
5215
5740 Posté le 26/09/2017 à 19:40:17
Kumo, un éloge de Ory, ça vaut de l'or. (et en plus délicatement pensé et écrit)
Du coup je me sens idiot de renchérir. Mais il le faut bien : tu es un pivot de ce fil. Comme TexCoco, je lis tes critiques en voyant bien que nous n'avons pas les meme gouts. Mais c'est toujours un plaisir enrichissant de lire un retour de confrere lecteur.
Du coup je me sens idiot de renchérir. Mais il le faut bien : tu es un pivot de ce fil. Comme TexCoco, je lis tes critiques en voyant bien que nous n'avons pas les meme gouts. Mais c'est toujours un plaisir enrichissant de lire un retour de confrere lecteur.
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