Oto Machines est une entreprise française qui est apparue sur le marché en 2010 en proposant son module multieffet hardware, le Biscuit, dont le nom révèle presque la technologie de l’appareil qui est basée sur un convertisseur... huit bits... bit-huit... biscuit...
Bref, je m’arrête là, car ce n’est absolument pas le sujet du présent article. Ce qui nous intéresse en effet aujourd’hui, c’est leur nouvelle création, ou plutôt l’un de leurs trois nouveaux jouets pour amateurs de triturages sonores : j’ai nommé le Boum, dernier élément de la série Bim, Bam… et Boum donc.
Si le Biscuit réunissait plusieurs possibilités de traitement en une seule machine, la philosophie de la dernière série de produits issue de l’usine d’OTO Machines repose sur l’individualisation des effets. Le Bim et le Bam, respectivement un delay 12 bits et une reverb numérique, s’inspirent d’appareils des années 70 et 80, et peuvent par conséquent être considérés comme faisant partie de cette vague « revivaliste » que nous observons depuis quelques années maintenant dans les domaines de la synthèse et des effets hardware.
Le Boum s’écarte légèrement de la philosophie des autres appareils de la série en ce qu’il ne cherche pas spécialement à imiter une machine déjà existante, mais repose sur un design technique intégralement imaginé par l’équipe de OTO. Au fait, vous ai-je dit qu’il s’agit principalement d’un générateur de distorsion analogique agrémenté d’une ou deux fonctionnalités supplémentaires telles qu’un compresseur et un filtre, intégralement conçu et fabriqué en France et vendu autour de 555 € ? Non ? Eh bien voilà, c’est fait.
Arrivé à ce stade de l’article, j’entends déjà fuser vos questions : « Alors, ça vaut quoi ? Est-ce que ça dépote vraiment ? C’est plutôt pour la scène ou le studio ? Et dans une configuration MAO, ça s’intègre comment ? » Patience les amis, vous aurez vos réponses en temps et en heure.
Mais pour commencer et pour ne pas déroger aux lois sacrées de nos bancs d’essai, je vous propose tout d’abord une petite reconnaissance extérieure de la bestiole. C’est parti !
Solide comme un tank
Passons rapidement sur le contenu de la boîte : elle ne renferme que l’appareil et un transformateur. Au sujet de ce dernier, celui qui m’a été fourni pour le test possède exclusivement une prise électrique au standard européen, mais l’on peut choisir le format que l’on souhaite lorsque l’on passe commande sur internet. L’initiative est fort louable, même si d’autres constructeurs ont opté pour des transformateurs accompagnés d’adaptateurs divers, ce qui s’avère pratique si vous êtes amenés à transporter votre équipement musical à travers le monde.
Le Boum est livré avec un mode d’emploi papier, téléchargeable également sur le site du fabricant. On notera qu’il n’existe à ce jour malheureusement qu’en anglais. Mais Denis Cazajeux, le concepteur de l’engin et l’homme derrière OTO Machines, nous a assuré qu’un mode d’emploi français en PDF exclusivement serait bientôt disponible. En tous cas, même dans son état actuel strictement anglophone, le mode d’emploi en question s’avère très complet, très clair et didactique, un très bon point.
Mais le sujet de cet article, ce n’est bien sûr ni le tranfo, ni le mode d’emploi, mais bien le Boum lui-même !
Ce dernier est un parallélépipède de taille relativement réduite : 145 × 145 × 65 mm pour un poids de 762 g. Le corps de l’appareil est intégralement métallique, très robuste, et recouvert d’une belle couleur vert foncé. Sur la face supérieure, nous avons 6 boutons rotatifs à butée non crantés, respectivement pour le compresseur, le niveau de distorsion, la balance entre les signaux traité et non traité, le gain d’entrée, la fréquence de coupure du filtre coupe-haut et le volume du signal traité. À cela s’ajoute un autre bouton rotatif intitulé « data », qui servira quant à lui à quantifier les paramètres contrôlés par les sept boutons poussoirs situés sur la partie basse de l’appareil. Ces derniers pilotent les fonctions suivantes : le gain d’entrée, l’attaque et le relâchement du compresseur le filtre coupe-bas, le type de distorsion, le gate et le choix des presets. Un huitième bouton permet enfin de bypasser le Boum.
Les choix et paramétrages effectués via ces boutons sont majoritairement traduits sur un écran, dernier élément de la façade supérieure, ou via leur propre rétroéclairage. Je reviendrai dans la dernière partie de l’article sur certains choix d’ergonomie. Pour terminer la présentation de la face supérieure de l’appareil, j’ajouterai ceci. Les sérigraphies sont peintes en rouge sur le fond vert sapin du boîtier. Alors c’est très joli, ça rappelle un peu Noël qui sera peut-être d’ailleurs l’occasion de votre première rencontre avec la bête… mais voilà : c’est totalement illisible ! Il suffit que le temps soit un peu gris dehors pour que ça y est, vous ayez besoin d’une lampe. Comble d’ironie, en basse lumière, l’illisibilité est encore accentuée par l’effet de contre-jour induit par le rétroéclairage des boutons-poussoirs. Heureusement qu’on finit par connaître par cœur les fonctionnalités du Boom, celles-ci n’étant heureusement pas trop nombreuses.
La face arrière du boîtier propose quand à elle, de gauche à droite, une prise pour le raccordement secteur, une prise MIDI IN (mais pas de OUT !), quatre jacks au format 6'35 respectivement pour les sorties et les entrées gauche et droite, l’entrée de gauche pouvant également servir d’entrée mono. Les sorties sont surmontées d’un jack au format 3,5 pouces pour la connexion d’une source activant le sidechain de l’appareil.
On notera l’absence d’un interrupteur… absence qui justifie d’autant plus la présence de deux évents, l’appareil présentant une nette tendance à chauffer, même lorsqu’il n’est pas sollicité.
Mais il est maintenant temps de nous pencher plus avant sur son fonctionnement !
Aussi bien armé…
Comme je vous l’ai évoqué dans l’introduction et comme vous l’avez certainement compris en lisant la description physique de l’appareil, le Boum est un générateur de distorsion agrémenté d’un certain nombre de fonctionnalités supplémentaires.
Dans le Boum, la part du signal qui va être traitée passe d’abord par le régulateur de gain d’entrée, le compresseur (éventuellement influencé lui-même par le signal de la ligne de sidechain ainsi que par le gate), le filtre coupe-bas, le générateur de distorsion à proprement parler puis le filtre coupe-haut, le régulateur de niveau du signal traité et enfin le régulateur de balance entre le volume de ce même signal traité et de celui non traité qui sont à nouveau réunis à ce niveau avant d’atteindre les sorties physiques de l’appareil.
À ce stade-là, on peut remarquer un aspect intéressant : il n’existe pas de régulation du volume du signal global en sortie. Seul le signal traité est soumis à un contrôle de son volume. C’est la balance entre le signal traité et celui qui ne l’est pas qui va « arbitrer » au final le volume de l’ensemble du signal audio, ce qui s’avère très pratique notamment sur scène.
Pour ce qui est du contrôle de gain en entrée, le Boum nous offre quatre préréglages : 0, 6, 12 et 18 décibels. Ces préréglages agissent directement sur la sensibilité du compresseur.
Le filtre coupe-bas qui se présente ensuite sur le chemin du signal est un simple filtre non résonnant à 1 pôle (pente de 6db/octave) et quatre préréglages (bypass, 75, 150 et 300 Hz). Compte tenu du caractère potentiellement très « amplificateur » et décuplant de la distorsion qui adviendra ultérieurement, il est très judicieux d’avoir songé à introduire un élément permettant de réduire la bouillie sonore que l’on trouve parfois dans le bas du spectre.
Nous arrivons au générateur de distorsion. Celui-ci en propose 4 types différents, appelés respectivement « Boost », « Tube », « Soft » et « Square ». L’exemple sonore suivant vous présentera bien mieux qu’un long discours leurs spécificités sonores, avec une boucle de batterie d’abord jouée « dry », puis subissant un à un les assauts successifs de chacun des différents types de distorsion offerts par le Boum :
Le filtre coupe-haut, s’il est non résonnant comme le coupe-bas cité au-dessus, diffère de celui-ci en deux points. Tout d’abord, il s’agit là d’un filtre à 2 pôles (pente de 12db/octave). Et ensuite, nous ne sommes plus limités à quatre préréglages en ce qui concerne la valeur de la fréquence de coupure, mais celle-ci peut-être librement choisie et modulée sur l’ensemble du spectre audible grâce au potard rotatif dédié. On se souviendra d’ailleurs que ces deux filtres n’agissent que sur le signal passant par le circuit de distorsion, et à aucun moment sur le signal « dry ». Si vous souhaitez utiliser votre Boum comme filtre exclusivement (ce qui n’est pas son utilité première, mais pourquoi pas), vous devrez tout d’abord régler le niveau de distorsion au minimum et le niveau de signal traité au maximum.
Enfin, le compresseur regroupe en un seul potard les valeurs de seuil, de ratio et de correction de gain. Les temps d’attaque et de relâchement du compresseur sont paramétrables séparément, mais selon des valeurs préétablies. Le gate peut être réglé pour définir à partir de quel niveau le signal sera soumis à une compression. Si l’on utilise l’entrée sidechain, c’est elle qui prendra le pas sur les réglages de gate : la présence de signal dans le circuit de sidechain provoquera automatiquement l’entrée en jeu du compresseur, quels que soient les réglages de gate choisis.
Le niveau de compression est affiché d’ailleurs sur l’écran par des points, en dessous du niveau d’entrée :
Tous ces paramètres sont sauvegardables dans la machine elle-même au sein de 36 presets.
Et ils s’avèrent finalement assez simples à comprendre, même si comme je l’évoquai déjà plus haut, je me verrai obligé de faire quelques remarques concernant leur prise en main et l’ergonomie générale de l’appareil.
Mais ne grillons pas les étapes
En effet, ne brûlez-vous pas à présent de découvrir quels types de sonorités lesdits paramètres nous permettent de façonner ?
…pour la frappe chirurgicale que pour la frappe nucléaire
Je vous propose donc d’écouter ces quelques exemples audio que j’ai réalisés pour vous afin de vous faire une meilleure idée. Chaque exemple sera composé d’une version « dry » suivie de sa version traitée.
Premièrement au piano, en jouant sur le potard « dry -wet » :
Ensuite à la batterie :
Ici, on obtient sur le piano électrique un effet de flanger grâce au jeu sur le filtre coupe-haut :
Puis sur une basse, fortement gonflée :
Puis sur une guitare rythmique, avec compresseur réglé pour accentuer le groove
Puis sur un sample de voix afin de le réchauffer très légèrement :
Et enfin sur un synthé lead :
Comme vous pouvez le constater, le son est là, et bien là ! On notera toutefois que de par la nature même de la bête, certains réglages peuvent générer un bruit de fond assez important ! Bah oui, c’est une disto analogique… L’usage du gate et du filtre coupe-haut pourra dans ces cas-là s’avérer crucial !
Je me permets maintenant d’attirer votre attention sur le fait que le matériau de base que j’ai choisi est à chaque fois de type numérique ou samplé. Je vous laisse imaginer le résultat lorsque le Boum est branché directement au cul d’un synthétiseur analogique…
Comme on peut le voir et surtout l’entendre, l’appareil d’OTO Machines saura donc parfaitement relever la sauce sonore de toute production MAOiste. Mais on sait également que pour être parfaitement légitime dans un tel environnement, un appareil doit être, au-delà de ces capacités purement sonores, en mesure de communiquer efficacement avec les autres, et notamment avec un ordinateur.
Qu’en est-il du Boum à ce sujet ? C’est ce que nous allons découvrir tout de suite.
Il répond aux ordres…
Comme nombre d’entre vous le savent, la norme MIDI reste LA référence dans le domaine de la communication informatique musicale depuis plus de trente ans. Et concernant le Boum, les concepteurs d’OTO Machines ont eu l’excellente idée de rendre leur appareil intégralement pilotable via cette même norme. Cela signifie que la moindre fonction de la machine est ainsi paramétrable directement depuis votre DAW par exemple (étant en ce qui me concerne un utilisateur d’Ableton Live, je me suis immédiatement constitué une télécommande MIDI dédiée grâce aux plugins Max for Live « CC Mapper », « CC to program change » et « 8 CC » respectivement téléchargeables ici, là et là pour ceux que cela intéresse).
J’irai même plus loin en vous affirmant que si vous souhaitez conserver une trace de vos réglages, je ne saurais que trop vous conseiller le pilotage du Boum via une DAW, et ce pour deux raisons.
La première réside dans le fait que si l’appareil d’OTO Machines sait parfaitement recevoir du MIDI, il n’a en revanche aucune capacité d’en émettre, ne disposant ni d’un port physique MIDI OUT, ni d’une prise USB qui aurait éventuellement pu être compatible avec cette norme. Donc lorsque vous manipulez directement les potards de votre Boum, aucune information sur leur position et leurs mouvements n’est transmise à votre DAW. Alors qu’à l’inverse lorsque vous le pilotez via votre DAW, celle-ci conservera toutes les valeurs appliquées aux paramètres de l’appareil. Ceci permettra également de se constituer des banques entières de presets au sein de son séquenceur préféré, car l’impossibilité pour le Boum de transmettre des informations MIDI rend également impossible la sauvegarde sur un support externe des presets internes de la machine.
La seconde raison tient aux choix qui ont été faits concernant l’ergonomie générale du Boum, ce qui m’amène pour finir à vous exposer les principales limitations de l’appareil selon moi.
…mais on ne comprend pas toujours ce qu’il dit
Alors… là nous abordons un sujet qui pourra éventuellement faire un peu polémique. Nombreux sont en effet les défenseurs d’une pratique de la musique reposant principalement sur la spontanéité et l’aspect éphémère de leurs créations. Soit. D’ailleurs en ce qui concerne le Boum, il faut reconnaître que l’on prend plaisir à trifouiller les boutons un peu au pif, d’autant que les résultats sonores ne se font pas attendre.
Mais la défense d’une philosophie « spontanéïste » de la création musicale doit-elle impliquer pour autant la suppression de toute mention sérigraphiée de valeurs, gradations, etc. des boîtiers de nos instruments et processeurs d’effets ?
Parce que c’est le cas sur le Boum : les potards ne sont absolument pas gradués. Il est donc impossible d’avoir une idée précise des valeurs appliquées.
On pourrait imaginer que l’affichage desdites valeurs aurait été délégué à l’écran présent sur la face supérieure de l’appareil.
Eh bien… oui et non.
Tout d’abord, l’écran ne reproduit aucunement les valeurs des paramètres pilotés par les potards rotatifs à l’exception du bouton « data ». Ledit écran ne reproduit que les divers états des fonctions pilotées par les boutons poussoirs. Et il faut bien dire qu’il s’acquitte de cette tâche d’une manière plutôt cryptique, non pas en reproduisant des lettres ou des chiffres, mais en usant d’un système de points dont la position à l’écran symbolise tel ou tel état de la fonction concernée.
Aurait-il été vraiment si compliqué d’intégrer un bon vieil affichage électronique à segments (vive les années 80…) proposant une représentation des données un poil moins abstraite ?
D’autant que le système retenu par OTO Machines peut parfois engendrer des erreurs de manipulation, notamment lorsqu’il s’agit de définir par ce même système un emplacement pour sauvegarder votre dernier preset en date, par exemple. Une simple erreur d’interprétation sur la position des points, et vlan, voilà que l’on écrase un précieux preset précédent (j’assume pleinement mes allitérations !). Les développeurs du Boum ont bien prévu une procédure pour éviter l’écrasement en question, sauf que lorsque celle-ci est activée, elle empêche purement et simplement la sauvegarde de tout nouveau preset. Un peu radical comme solution, à mon humble avis…
Enfin, l’on peut également reprocher à l’ergonomie générale un petit manque de cohérence. En effet, si certaines entrées de valeurs se font via le bouton « data », d’autres s’effectuent en enfonçant le bouton-poussoir correspondant à l’emplacement que l’on souhaite voir occupé par le point lumineux sur l’écran. Et si pour certaines fonctions, cet emplacement de point lumineux désigne leur état actuel (ou symbolise une valeur chiffrée quelconque), pour d’autres fonctions, ledit état sera représenté non plus par les points sur l’écran, mais par le nombre de poussoirs physiques rétroéclairés lors de l’activation de ladite fonction. Quand on considère cela associé au côté illisible des sérigraphies du boîtier, on regrette encore davantage que les gens de chez OTO Machines n’aient as opté pour l’écran eighties suggéré plus haut. Même si le choix d’un tel mode d’affichage avait dû faire un peu grimper le prix, ce qui n’est même pas certain, il ne me semble pas que cela aurait coupé l’entreprise d’un public déjà prêt à dépenser 550 € pour un effet hardware. Mais je reconnais que cet avis n’engage que moi.
Conclusion
Alors, que penser au final de la dernière production made in OTO Machines ? La première chose que l’on peut dire est que la bête est très impressionnante d’un pur point de vue sonore. Si vous souhaitez défourailler soniquement votre entourage, pas de problème, vous pouvez compter sur le Boum qui porte décidément très bien son nom. Mais il saura également se faire subtil si vous ne souhaitez que gentiment réchauffer une prise de voix, par exemple. Tout cela bien sûr grâce aux différents types de distorsion proposés, mais également à l’ajout intelligent d’éléments supplémentaires, tels que deux filtres, le compresseur, l’entée de sidechain, etc.
Toutefois, passés les premiers émois auditifs et le triturage frénétique de potards, je ne saurais que trop vous engager à profiter pleinement de l’entrée MIDI de l’appareil pour le piloter, via votre DAW par exemple. Cela vous évitera de devoir subir les limitations potentiellement crispantes de l’ergonomie générale, notamment la très faible lisibilité des sérigraphies et l’aspect cryptique des informations transmises par l’écran de l’appareil, sans parler de certaines petites incohérences de transmission visuelle des informations. Heureusement que le mode d’emploi s’avère très précis et didactique… pour les anglophones momentanément ! Un manuel en français au format pdf devrait bientôt être disponible. Et puisque nous évoquons la France, il convient de saluer le qu’OTO Machines ne se contente pas d’avoir son siège social dans notre pays, mais qu’elle y fait également intégralement (et solidement) fabriquer ses appareils.
Et à ceux qui pourraient regretter que de ce fait, le tarif général s’en trouve un peu plus élevé, je répondrai ceci. Bien que produit localement, le Boum d’OTO Machines peut nous emmener très loin !