La création et le développement des pédales de saturation entretiennent un lien profond avec l’amplification à tubes : l’idée était de recréer, dans des conditions plus contrôlables, le son d’un amplificateur poussé jusqu’à la saturation. Plus besoin d’utiliser l’ampli au maximum de sa puissance (causant une usure des tubes et des transformateurs), de brutaliser ses haut-parleurs, de réveiller les voisins…
Cependant, pour le novice, il est facile de s’y perdre ! En particulier dans les appellations de pédale : overdrive, distorsion et fuzz. On a parfois tendance à les confondre, et ce n’est pas étonnant. En effet, d’un point de vue technique, ces trois types de pédales effectuent plus ou moins la même chose : elles prennent un signal et l’amplifient au-delà des limites inhérentes au circuit électronique. Cependant, les résultats obtenus seront assez différents, et dépendent des types de circuits utilisés à cette fin. Explications…
Écrêtage : ça taille sec
Le phénomène de saturation d’un système d’amplification d’un signal va générer ce qu’on nomme l’écrêtage (autrement dit, cela va couper les crêtes). Voici, ci-dessous, l’exemple d’une onde sinusoïdale :
Si l’on amplifie cette onde jusqu’à saturation du système, ses crêtes commencent à s’aplanir :
Cette petite ligne droite en haut et bas où l’onde ne forme plus une courbe, c’est l’image littérale de la limite d’amplification.
Sur la photo ci-dessus, on a une légère saturation. Toutefois, si l’on continue d’amplifier le signal, on aboutit presque à un angle droit :
Notre onde sinusoïdale commence à ressembler à un signal carré !
Et la particularité d’un signal carré est de générer un grand nombre d’harmoniques :
D’un point de vue musical, des harmoniques sont des notes qui résonnent derrière la note fondamentale et qui en modifient le timbre. Ainsi, plus un signal sonore est écrêté par saturation, plus de nouveaux harmoniques se forment et moins il ressemble au signal original, avec pour conséquence la sensation d’apparition de nouvelles fréquences, un changement du timbre de l’instrument. Ajoutez à cela la modification des transitoires, la perte de dynamique, etc.
Voilà pour l’explication technique succincte. Maintenant, voyons les pédales qui permettent de réaliser cela.
L’ancêtre vénérable : la Fuzz
La fuzz est la pédale de saturation la plus extrême. C’est aussi la plus ancienne : on reconnaît bien le son des premières fuzz sur des enregistrements de Jimi Hendrix ou The Rolling Stones. L’écrêtage peut se faire jusqu’à l’obtention d’un signal presque carré, qui donne le sentiment d’un son granuleux, vrombissant, avec un sustain augmenté. Une fuzz peut parfois sonner comme un ampli ou un haut-parleur défectueux.
Ce sont des pédales généralement simples du point de vue de leur prise en main : de nombreuses fuzz des années 1960 n’ont pas de réglage de tonalité, seulement un gain qui permet d’augmenter l’effet de saturation et un volume général pour contrôler le son en sortie.
Malgré leur saturation extrême, certaines Fuzz ont l’intérêt notable de réagir à l’amplitude du signal qu’elles reçoivent : il est donc possible d’obtenir moins de saturation, voir un son presque clair en jouant avec le bouton de volume de la guitare.
Deux classiques : Fuzz Face de Dunlop, Big Muff de Electro Harmonix.
Pour vous donner un exemple concret, j’ai mesuré l’effet de différentes pédales sur mon banc de travail. Chaque pédale a été reliée à un générateur basse fréquence, générant un signal sinusoïdal de 80 mV à 1 kHz.
L’onde obtenue à la sortie de la pédale est visualisée à l’aide d’un oscilloscope.
Voici donc l’onde obtenue à la sortie de la Woolly Mammoth de Zvex, qui est une variation autour d’une Dunlop Fuzz Face classique. Attention les yeux :
Le signal original est littéralement impossible à reconnaître. On voit ici l’effet extrême, proche d’une onde carrée déformée, dont je parlais dans le paragraphe consacré aux fuzz.
Overdrive : chaud devant
Une pédale d’overdrive est à l’opposé dans le spectre de la saturation. En effet, elle permet :
- un boost du signal sonore
- un écrêtage léger
- une certaine conservation des caractéristiques du son clean (plus ou moins selon les pédales).
Ce sont des pédales très utiles si vous voulez passer du son naturel de votre amplificateur (clean ou déjà saturé) à un son un peu plus saturé, plus chaud, qui « crunch » un peu plus. Selon l’utilisation que vous en faites, la saturation obtenue viendra soit de la pédale, soit de l’ampli (qui recevra un signal boosté et aura tendance à saturer lui aussi), soit des deux.
Attention : ces pédales ne peuvent pas véritablement reproduire l’effet que vous obtiendriez en augmentant seulement le gain sur l’ampli. En effet, elles ont souvent une petite (ou même une grosse) signature sonore : elles soulignent certaines fréquences et colorent le son. La plupart des pédales d’overdrive ont un réglage de tone, qui permet de jouer sur cette coloration en coupant des fréquences aigües.
Pourquoi les fréquences aigües ? Parce que justement, la saturation, en ajoutant des harmoniques, a tendance à faire ressortir les éléments aigus du son, jusqu’à devenir parfois agressif à l’oreille. Pour un « crunch » plus doux (certains aiment bien dire « crémeux »), on coupera donc une partie des aigus, ce qui rééquilibrera la sonorité d’ensemble de la guitare.
Exemples notables : Ibanez TS-9 Tube Screamer, Boss BD-2 Blues Driver
Voici le test d’une pédale d’overdrive Boss assez classique, la Blues Driver BD-2. Avec le gain à ¼ de sa course, on obtient une déformation légère de l’onde :
Mais si on pousse le potard de gain juste après la moitié de sa course, l’onde se tord fortement.
On est dans un domaine incomparable à la fuzz précédente. Mais il reste de la marge pour continuer à saturer… Et en effet, il arrive souvent que ces pédales d’overdrive, lorsqu’elles sont poussées à fond, réagissent comme des pédales de distorsion…
Distorsion : du gros son !
Les pédales de distorsion saturent généralement un cran au-dessus des overdrives : elles visent la reproduction du son d’un ampli jouant totalement dans la saturation, avec des amplitudes dynamiques limitées, et un son bien écrêté, compressé, gras et pêchu. Elles évoquent vite des esthétiques bien rock, hard rock, grunge, ou métal. Avec le bouton de gain à 0, elles offrent déjà un son écrêté.
Elles ont parfois des réglages de tonalités plus complexes, permettant de creuser le son sur diverses fréquences, et d’affiner le contenu harmonique de la saturation. De ce point de vue, elles sont plus adaptées à la recherche d’un son spécifique à la pédale, plutôt qu’à conserver le son préexistant de l’ampli. C’est pourquoi on les utilise souvent avec un ampli en son clair, bien à même de faire entendre la signature sonore de la pédale, et du guitariste.
Exemples notables : MXR Distortion +, ProCo Sound Rat, Boss MT-2 Metal Zone
Pour le test nous avons justement pris une Metal Zone MT-2, toujours chez Boss. Avec la distorsion au minimum, on obtient déjà un signal très écrêté :
En poussant un peu plus, on se retrouve avec une onde complètement déformée.
Cette onde présente un léger phénomène nommé « overshoot », où l’onde après une montée (ou une descente) presque verticale ondule autour de la limite de saturation. Ce phénomène est en lui-même une forme de distorsion supplémentaire, et ajoute au son des harmoniques (et donc agit sur le timbre de l’instrument).
Et c’est là que ça se complique…
… parce que ces définitions ne sont que des indications de base.
En effet, si la différence entre overdrive, distorsion et fuzz se marque à l’intensité de la saturation, de nombreuses pédales jouent entre ces catégories. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de norme absolue définissant les limites entre ces trois appellations, et que les constructeurs les emploient aussi de façon assez, disons, libre. Au final, on en revient à ma première explication : overdrive, distorsion ou fuzz, il s’agit toujours du même phénomène de base (la saturation), mais implémenté dans des circuits différents, donc avec des sonorités qui varient.
Regardons la photo ci-dessus : la MT-2, avec son gain poussé, commence à produire un signal proche du signal carré, comme la fuzz au début de l’article. Pourtant, les deux signaux ne se ressemblent pas, et les sons de ces deux pédales sont fortement différents.
Conclusion : s’il est intéressant de comprendre ce qu’il se passe lorsqu’on entend un son saturé, il faudra toujours s’appuyer sur son oreille et sa subjectivité pour choisir son système. D’autant plus que ces pédales feront toujours partie d’un « ensemble » guitare–pedalboard-ampli et que le résultat obtenu dépendra de tous ces éléments. La meilleure façon de savoir ce que l’on souhaite utiliser, c’est d’essayer, de comparer et, si possible… d’avoir le coup de foudre.