Fuzzzzz ! Cette onomatopée apparue pour évoquer les premières sonorités distordues d’un ampli est bien connue des guitaristes. La fuzz, c’est bien évidemment un effet de saturation, mais c’est aussi une culture à part entière. Il faut dire que cette pédale incarne à elle seule tout un pan du rock, et symbolise le désir d’émancipation et de renouveau d’une génération. Audiofanzine vous propose de (re)découvrir les grands modèles ayant marqué l’histoire de la musique.
Casser les codes (et les amplis)
La fuzz est considérée comme la toute première pédale de saturation de l’histoire de la guitare. Pour autant, la recherche d’un son distordu est antérieure à l’apparition de la fameuse machine. Dès la fin des années 40, plusieurs guitaristes et bassistes constatent que certains « défauts » liés aux amplis à lampes permettent d’obtenir un son original. La norme de l’époque impliquait en effet une synonymie entre qualité et clarté. La distorsion était tout simplement vue comme une imperfection. Pourtant, certains marginaux y trouvèrent un intérêt et n’hésitèrent pas à pousser leurs amplis de plus ou moins bonne facture pour faire saturer les lampes, quitte à y laisser leurs tympans. On citera notamment Willie Johnson, guitariste du bluesman Howlin’ Wolf, qui fit montre de son talent sur le morceau How many more years (1951), ou encore Chuck Berry et son Maybellene (1955).
D’autres instrumentistes découvrirent par accident que des lampes ou des haut-parleurs défaillants pouvaient produire une distorsion, sans forcément pousser le volume. Willie Kizart, qui officiait pour Ike Turner, utilisa ainsi un ampli dont le cône du haut-parleur avait été abimé par inadvertance sur le morceau Rocket 88 (1951). Certains guitaristes n’hésitèrent pas à carrément retirer des lampes ou lacérer intentionnellement des haut-parleurs pour arriver à leurs fins. Ces premières traces d’expérimentation ont été immortalisées sur des morceaux comme The Train Kept A Rollin’ (1956) de Johnny Burnette, ou encore chez le guitariste Link Wray avec son fameux Rumble (enregistré en 1954).
Si les années 50 marquent le désir de s’émanciper des canons lisses et sages alors en vigueur, ce sont les années 60 qui virent la popularisation de la saturation. En 1961, l’artiste Grady Martin sort un tube sur lequel il joue une guitare au son distordu et nasal, et l’intitule The Fuzz. Pour de nombreux musiciens, c’est un choc ! Une ribambelle de guitaristes souhaitent alors reproduire ce son « fuzz ». Quatre ans plus tard, alors que les premières pédales de fuzz ont vu le jour, les Rolling Stones emploient l’effet sur le légendaire Satisfaction. D’un choc confidentiel, l’on passe à un séisme mondial. La folie fuzz s’empare de la planète, et le visage du rock sera changé à jamais.
Nous allons à présent vous présenter sept pédales ayant posé les jalons du son fuzz. Toutes plus mythiques les unes que les autres, elles furent copiées un nombre incalculable de fois.
Maestro FZ1 Fuzztone – 1962
L’ancêtre. Il s’agit tout simplement de la première pédale de saturation commercialisée à grande échelle ! L’on doit son invention à Glenn Snoddy, un ingénieur du son. Glenn travaillait avec Grady Martin lors de l’enregistrement des morceaux The Fuzz (1961) et Don’t worry (1961). Tout heureux de pouvoir exploiter sa nouvelle console flambant neuve, l’ingé déchanta rapidement lorsqu’il constata l’étrange son de guitare que causait la défaillance d’un transformateur. Mais l’effet était intéressant, et Martin et Snoddy décidèrent de garder les prises, et même de ne pas réparer la console afin d’exploiter ce son saturé unique. Malheureusement, la console ne fit pas long feu, et Glenn décida de créer de toute pièce une machine produisant l’effet de fuzz. Épaulé par l’ingénieur Revis Hobbs, il expérimenta avec de nombreux transistors (en lieu et place des lampes) et finit par inventer un circuit qu’il proposa rapidement à Gibson. En 1962, Gibson sort donc officiellement la FZ1 Fuzztone sous sa marque Maestro.
La machine utilise trois transistors au germanium et est dotée de deux contrôles : Volume et Attack (le gain en réalité). Notons que les potards utilisés sont les mêmes que ceux qui équipent les Les Paul d’alors. Le son est particulier, nasillard et agressif. Ne sachant comment vendre son produit, Gibson met en avant la possibilité reproduire le son des cuivres, d’un violon, ou même d’un orgue. Les premières années de commercialisation sont un échec, mais un évènement va changer la donne ! En pleine production de Satisfaction, les Rolling Stones envisagent d’intégrer des cuivres pour jouer le riff principal. Cela ne se fait finalement pas et, peut-être séduit par la promesse de Gibson, Keith Richards achète la Maestro Fuzz qu’il utilise lors de l’enregistrement. La sortie du morceau en 1965 aura l’effet d’un raz de marée, et Gibson vend des Fuzztone à la pelle. La première pierre d’un édifice monumentale vient d’être posée.
On l’entend sur : Rolling Stones – Satisfaction :
Sola Sound Tone Bender – 1965
La Tone Bender est le pendant britannique de la Maestro FZ1 Fuzztone. Il faut en effet se replonger dans le contexte de l’époque : le matériel américain était très difficile d’accès en Europe, et seules des alternatives produites sur place permettaient de répondre à la demande.
Tout débute en avril 1965 dans les locaux du magasin de musique londonien Macari’s Musical Exchange. Le musicien Vic Flick, qui avait assuré la guitare pour le légendaire thème du film James Bond, amène sa Fuzztone. Il n’est pas satisfait du résultat, et demande des modifications pour notamment avoir plus de sustain. Le jeune électronicien Gary Hurst prend l’affaire en main, garde l’idée des trois transistors au germanium, mais change le circuit en ajoutant quelques composants et en augmentant la tension (de 3 à 9V). Le produit est bon : le son est moins nasillard et moins sec que la Fuzztone originale. Le magasin décide d’en produire plusieurs exemplaires et de les vendre sous sa propre marque, Sola Sound. La Tone Bender, c’est ainsi qu’elle sera nommée, se payera même le luxe d’être l’une des toutes premières pédales de l’histoire dotée du True Bypass. S’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait peut-être celle-là…
Dans les années qui suivirent la commercialisation de la Sola Sound Tone Bender, de nombreuses versions se succédèrent. D’abord la MK1.5 en 1966, qui vit le nombre de transistors passer de 3 à 2, mais qui offrait plus de stabilité et était moins chère. Sola Sound revit sa copie quelques mois plus tard avec la Tone Bender Professional MKII. C’est la version ultime de l’effet, qui fit sa gloire. Elle reprend l’architecture plus fiable de la MK1.5, mais y ajoute un troisième transistor offrant plus de gain et de sustain. À l’instar de la MK1.5, la pédale fut même proposée en version OEM à Vox qui la sortit sous le nom Vox Tone Bender Professional MKII.
On l’entend sur : The Yardbirds – Heart Full Of Soul, The Beatles – Think for yourself
Mosrite Fuzzrite – 1966
La Fuzzrite de Mosrite est indubitablement moins célèbre que la Sainte Trinité composée des Tone Bender, Fuzz Face et Big Muff. Pourtant, elle reste dans l’inconscient collectif comme un modèle important. Il faut dire que son histoire est intéressante à plusieurs égards.
Les rumeurs autour de sa genèse, tout d’abord, sont passionnantes. On raconte que le très populaire groupe américain The Ventures souhaitait un ampli qui incorporerait un circuit de fuzz, préférentiellement celui de la Red Rhodes. La Red Rhodes est une pionnière de la pédale de fuzz sortie en 1961, mais qui ne fut jamais produite en grandes quantités. Elle se contenta de circuler dans le milieu artistique, ce qui fit sa renommée. Toujours est-il que les Ventures se tournèrent vers le fabricant U.S. Mosrite, dont ils utilisaient parfois les guitares, pour créer le fameux ampli. Finalement, le constructeur eut du retard, et le groupe mit fin au projet.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, au même moment, Mosrite volait à la rescousse de l’artiste Leo LeBlanc, qui rencontrait des problèmes de fiabilité avec sa pédale de fuzz (apparemment une Maestro Fuzztone). Les ingénieurs de la marque bossèrent sur un nouveau circuit : la Fuzzrite. Ils l’intègrent dans des amplis, et en font aussi une pédale. Dans un premier temps, cette dernière fut produite à plus de 200 exemplaires, mais LeBlanc constata un problème… Les transistors au germanium ne supportaient par les températures un peu fraîches ! Une deuxième fournée fut mise en production avec, cette fois, des transistors au silicium.
On l’entend sur : Iron Butterfly – In a gadda da vida
Arbiter Fuzz Face – 1966
Retour en Angleterre avec la Fuzz Face. Son allure inimitable tout en rondeur et son utilisation par Jimi Hendrix en ont fait l’une des pédales de fuzz les plus iconiques de l’histoire de la guitare. Pourtant, la Fuzz Face ne brille pas par son originalité…
Comme beaucoup d’effets, notre pédale est née dans un magasin. Ivor Arbiter, son inventeur, tenait en effet plusieurs boutiques dont principalement une spécialisée dans les produits pour batteurs. Ouvert d’esprit et flairant certainement le bon filon, notre marchand se mit en tête de proposer sa propre pédale de fuzz pour guitare. Il développa donc un circuit grandement inspirée de la Gibson Maestro FZ1 Fuzztone. La bête est assez sommaire, et embarque deux transistors au germanium. Mais ce sont surtout les similitudes avec la Sola Sound Tone Bender MK 1.5 qui sont troublantes, et certains n’hésitent pas à parler de copie. Toujours est-il que la Fuzz Face à deux arguments de poids face à ses concurrents : son prix et son look. Surtout, la bête croise le chemin d’artistes majeurs. Jimi Hendrix, David Gilmour, George Harrison, tous utiliseront la Fuzz Face et la feront rentrer dans la légende.
Entre 1968 et 1969, Arbiter fusionne avec la Dallas Musical Instruments Company et les Fuzz Face sont dès lors estampillés Dallas Abiter. La pédale connaîtra d’ailleurs différentes versions au cours de son histoire, avec des changements réguliers de modèles de transistors (germanium et silicium).
On l’entend sur : Jimi Hendrix – Foxy Lady
Roger Mayer Octavia – 1967
S’il n’est pas le premier à avoir utilisé le son fuzz, Jimi Hendrix a énormément oeuvré pour l’effet. Pionnier des expérimentations guitaristiques, il utilise la pédale pour donner vie à ses envolées ravageuses. Le grand adepte de la Fuzz Face n’hésite d’ailleurs pas à jouer avec le volume de sa guitare pour apporter plus d’expressivité et de nuances à son jeu. Outre son talent, le bougre savait aussi s’entourer ! C’est ainsi que sa route croisa celle de Roger Mayer en 1967. Au début des années 60, Roger Mayer travaillait en tant qu’ingénieur spécialisé dans l’acoustique et les vibrations pour la British Admiralty, l’organe politique et administratif de la marine britannique. En parallèle de son activité, il bidouille des machines pour quelques « petits » musiciens tels que Jimmy Page, Jeff Beck, et Big Jim Sullivan. En janvier 1967, Mayer rencontre Hendrix dans un club. Moins d’un mois après, Jimi enregistre le solo de Purple Haze avec une machine que l’ingé vient de créer pour lui : l’Octavia.
L’Octavia n’est pas une pure pédale de fuzz. À vrai dire, la première version basée sur des transistors au germanium et un transformateur au ferrite avait même très peu de gain, et Hendrix utilisait une fuzz supplémentaire. Le principe était avant tout de produire un son supérieur d’une octave à la note jouée par le guitariste. De cette façon, le son était « doublé » et les harmoniques exacerbées dans les aigus. Jimi utilisait même son micro manche et la tonalité placée au minimum pour ne garder que les aigus générés par l’appareil.
Dès la fin des sessions d’enregistrement de Purple Haze et Fire, Mayer décide d’intégrer une section de saturation directement dans le boîtier de son effet, et d’ainsi faire d’une pierre deux coups. La pédale évoluera régulièrement par la suite, notamment pour améliorer sa fiabilité avec des transistors au silicium, mais ne sera pas commercialisée par Roger Mayer. Les premiers modèles à apparaître sur le marché destiné au grand public sont des copies de différentes marques. Quelques années plus tard, Mayer se lancera finalement dans le business de la pédale et produira ce qu’il considère être la seule véritable Octavia.
On l’entend sur : Jimi Hendrix – Purple Haze, Jimi Hendrix – Little Wing
Univox Super Fuzz – 1968
La Super Fuzz d’Univox reprend le principe de l’Octavia en générant, elle aussi, de la saturation et une octave supérieure. Mais elle se démarque en ajoutant également une octave inférieure, offrant ainsi un son plein. La marque américaine Univox utilisait en réalité un circuit japonais conçu par l’excellent fabricant Shin-Ei, au sein duquel oeuvrait Fumio Mieda à qui l’on doit l’Uni-Vibe et plusieurs claviers Korg.
Lors de sa sortie en 1968, la Super Fuzz incarne l’aboutissement des années d’expérimentations qui virent la fuzz prendre de l’ampleur. Elle embarque deux diodes au germanium, et le circuit offre des octaves inférieures et supérieures. En plus des traditionnels réglages de volume et de gain, elle était dotée d’un sélecteur agissant sur la tonalité qui permettait de creuser les médiums pour obtenir un son épais. Résolument moderne, l’effet va vite conquérir les coeurs, dont celui de Pete Townshend.
La marque Univox finira par disparaître en 1985, lorsque la société dont elle émanait, Unicord Corporation, fut rachetée par Korg. Pour autant, Shi-Ei continua de produire et vendre son circuit à de nombreuses marques comme Aria, Mica, ou Bruno. Enfin, ajoutons que de grands modèles de pédales de fuzz comme l’Ibanez Standard Fuzz, la Fender Blender, ou encore la Roland Bee Baa s’inspirent grandement du circuit de la Super Fuzz.
On l’entend sur : The Who – Live At Leeds
Electro-Harmonix Big Muff Pi – 1969
La dernière pédale de notre sélection des grands mythes de la pédale de fuzz n’est autre que la Big Muff Pi, un classique parmi les classiques. Conçue par Bob Myer, un électronicien qui ne jouait pas de musique, et Mike Matthews, qui venait de quitter son job chez IBM pour fonder Electro-Harmonix, la « Muff » va révolutionner la saturation pour guitare. Elle est plus fiable que la plupart de ses prédécesseurs, moins chère, et, surtout, propose un circuit original au son unique.
Mike Matthews souhaitait créer une distorsion avec trois boutons, offrant beaucoup de sustain. Avec l’aide de Bob Myer, il fabriqua un circuit avec quatre transistors au silicium, et développa un bouton de tonalité mêlant des filtres passe-haut et passe-bas. Avec la Big Muff Pi, les sonorités acides et nasillardes des premières pédales de fuzz sont reléguées aux oubliettes. Sans avoir recours à « l’artifice » des octaves supplémentaires très audibles, elle délivre un son massif, avec beaucoup de bas, tout en maintenant des notes définies.
L’histoire d’Electro-Harmonix étant longue et mouvementée, d’innombrables versions de Big Muff ont vu le jour, y compris sous la marque Sovtek lors de « l’exil » russe de Mike Matthews. Les deux plus marquantes sont certainement les deux premières. La V1, l’originale, était dotée de trois boutons formant un triangle. L’on parle donc de « Big Muff Triangle ». Quant à la V2, elle arborait une tête de bélier, depuis devenu l’emblème d’EHX. Elle est couramment appelée « Big Muff Ram’s Head ». C’est notamment ce modèle qu’affectionne particulièrement David Gilmour.
On l’entend sur : Pink Floyd – Comfortably Numb