La sortie du Montclarion Hall Piano nous donne l’occasion de présenter toute la gamme de pianos signés Tonehammer, qui se distinguent par la même approche originale que celle qui préside à tous leurs instruments.
En dehors de toutes les percussions, étranges ou traditionnelles, des sonorités basées sur des instruments réels ou inventés, et des bibliothèques dédiées à la voix soliste ou chorale, Tonehammer s’est aussi penché sur le piano, mais à sa manière. Encore une fois, le but de l’éditeur est de proposer des instruments qui soient très évocateurs, susceptibles de créer une émotion, un ressenti ou plus simplement un effet, en gardant en ligne de mire le côté cinématique, indissociable des produits de l’éditeur.
Il est vrai qu’en matière de pianos, quand vient l’heure du choix, le nombre de pianos proposés par la quasi-totalité des éditeurs ne simplifie pas la tâche. Entre les récents pianos de Synthogy (voir test ici), le VSL Imperial, les East West QL Pianos, le Galaxy Steinway, les instruments signés AcousticsampleS ou Imperfect Samples, le Pianoteq, The Grand, les pianos Native dérivés d’Akoustik Piano et le Alicia’s Keys, le Eighty Eight de Sonivox, les instruments d’Édition Burmann, ceux de PMI, l’Extended Piano de Soniccouture, etc., il n’est pas évident de s’y retrouver, surtout que les besoins peuvent être très différents. On voudra un piano passe-partout, ou alors avec beaucoup de caractère, ou un piano abîmé, ou trafiqué, ou joué avec des techniques inhabituelles…
La palette proposée par l’éditeur avec ses cinq instruments, Granny Piano, Bowed Grand Piano, Plucked Grand Piano, Emotional Piano et Montclarion Hall Piano est très large. Partons à la découverte du 88 notes vu par Tonehammer.
Introducing the pianos
Premièrement, les instruments ne répondent pas aux mêmes contraintes. Granny Piano et Montclarion Hall Piano sont des bibliothèques programmées pour la version complète de Kontakt (à partir de 3.5.1), pouvant être utilisées avec le Kontakt Player, mais seulement pendant 30 minutes. Bowed Grand Piano, Plucked Grand Piano et Emotional Piano sont quant à elles des bibliothèques Powered-By-Kontakt, utilisables avec Kontakt ou Kontakt Player à partir de la version 4.1.1 (on appellera les pianos par leur premier nom à partir de maintenant…).
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Toutes s’installent via le TH Downloader, une application Java dans laquelle on renseigne le code fourni lors de l’achat (à double fonction de mot de passe pour le téléchargement et de numéro de série pour l’autorisation des bibliothèques Powered-by-Kontakt via le Service Center de Native Instruments), et qui se charge de rapatrier sur l’ordinateur tous les fichiers. Une fois le tout installé, on se retrouve avec cinq dossiers de taille variable. Bowed offre 47 programmes Kontakt, 891 échantillons, 1.4 Go installés (compressés via le format lossless de Native, avec un rapport de 2:1), pour Emotional c’est 33/1800/4,81 Go, Granny offre 21/707/949 Mo (plus des programmes exs24 et sfz) et Plucked comporte 16/1406/2,6 Go. Tous ces pianos sont stéréo, avec une seule position de micros.
Un peu à part, le Montclarion offre trois positions de micros, 34 programmes, 2756 échantillons pour un total de 7,7 Go installés (format wave).
Chaque instrument offre de nombreuses variations, y compris des programmes très trafiqués, et des versions Lite, pour les machines moyennement puissantes et/ou pauvres en RAM et à l’inverse parfois des programmes Hi-Mem, pour les ordinateurs bien pourvus en RAM. Le Montclarion propose en plus des Multis, regroupant les trois positions de micros (de la place de l’instrumentiste, à six mètres, à 30 mètres).
Granny, comme vous avez…
Chronologiquement, c’est le premier piano réalisé par Tonehammer. L’éditeur a choisi d’échantillonner un vieux piano droit sans marque (âgé de 60 à 70 ans selon le livret), qui n’a pas été entretenu depuis des lustres, et dont l’état général n’est pas brillant. Vraiment désaccordé, Granny a aussi perdu des cordes dans les aigus, et fait entendre un bruit très présent de frappe et de retour de touche, comme on peut l’entendre ici :
Néanmoins, l’instrument a son charme, même désaccordé. L’éditeur a fourni plusieurs presets Untuned, puis les mêmes Tuned. Le piano est dispo en version Soft et Bright, et plusieurs programmes reprennent les précédents avec un réglage Tone commandé par la molette. Sont aussi présents des programmes utilisant des impulsions maison, Tunnel, Studio, Stairwell, Alley, Garage et Subway, et la réverbe à convolution de Kontakt. On peut modifier leurs réglages grâce aux fonctions d’édition. Impulses que l’on pourra réutiliser avec bonheur sur d’autres instruments Kontakt, puisqu’elles sont livrées dans un dossier séparé. On trouve aussi trois presets faisant appel à du sound design, sans souci de réalisme.
Dans le cadre cinématique, les différents pianos seront idéaux pour illustrer un moment nostalgique, une ambiance enfantine.
Les plus justes fonctionneront parfaitement sur des ambiances piano-bar, jazz bastringue, pour des vieux blues, du boogie, etc. si l’on pense à éviter les notes manquantes ou problématiques. L’instrument dégage une atmosphère indicible, et tous les pianistes ont connu ces moments où l’on se retrouve en vacances, chez un ami, de la famille, où l’envie de jouer prend, et ne peut être comblée que par le vieux piano déglingué qui traîne là. Et qui malgré son désaccord, ses notes manquantes, sa réponse aléatoire, finalement donne satisfaction et un retour insoupçonnable à l’origine. Granny a le même effet.
Quel drôle de son, qu’est-ce ?
Changeons de registre. Bowed et Plucked sont deux bibliothèques construites à partir du piano utilisé pour Emotional (voir plus bas). Le but est, plutôt que de proposer deux ou trois pianos différents, d’en présenter un seul que l’on peut jouer de trois façons : traditionnelle avec Emotional, cordes pincées ou martelées avec Plucked et cortes frottées avec Bowed. Sans être fondamentalement novateur, le concept est intéressant et garant d’une cohérence sonore qui peut être précieuse dans certaines configurations.
Les deux instruments utilisent une interface commune et originale, très Old America, avec néanmoins quelques différences entre les deux pianos. D’abord Adjustments, qui offre les réglages Attack, Dynamics, Release, Swell, Pedal Vol et Rel Vol, un choix Harp ou Dulcimer pour Plucked Piano et Hammered Piano et Swell, Dynamics, Pedal Vol, Rel Vol, Attack et Legato pour Bowed. La plupart de ces fonctions ont été détaillées dans le test de Requiem Light, rappelons que le Legato est polyphonique, et du côté nouveautés, Pedal Vol est le réglage du niveau du son produit par la pédale de sustain et Rel Vol le niveau des échantillons de release. Concernant Bowed, le Legato dispose en plus d’un réglage Amount (proportion de l’effet legato) et Time (sa durée). Bien entendu, et à la différence de Requiem, ce legato est artificiel, puisqu’il ne peut y avoir d’échantillons de legato réel sur un piano…
Voici le piano dans son utilisation basique, sachant qu’on dispose de trois programmes de base, Bowed Grand Piano, Staccato et Short Release.
L’éditeur a aussi offert 24 programmes Drones (excellente idée, le matériau s’y prêtant particulièrement bien) et neuf FX, incluant divers glissandos, des boucles, des grattements avec les ongles, etc.
Plucked, avec Harp, propose un comportement particulier : une fois le bouton enclenché, les notes résonnent jusqu’à ce qu’on appuie sur la pédale de sustain, qui les coupe. Et Dulcimer offre un effet de rebond du maillet, avec trois options, le nombre de répétitions (Echo), la pente de chute de volume des rebonds (Velocity) et le retard entre les rebonds. Les deux instruments offrent une section d’effets avec paramètres indépendants, comprenant Vibrato, Tremolo et Panner, très intéressants dans le contexte. 10 programmes FX sont disponibles, variés et très bien conçus.
On entendra ci-dessous le Plucked Grand en accompagnement, avec une mélodie en mode Dulcimer, puis la même chose avec Hammered Grand. Je ne l’ai pas fait pour cet exemple, mais l’idéal est d’assigner un contrôle Midi au nombre de répétitions, et de les faire varier en fonction de ce qui est joué.
Une section Reverb & Tone offre un EQ trois bandes avec bypass ainsi que la réverbe à convolution de Kontakt, agrémentée de 45 (!) impulsions maison, de l’espace classique à des effets de sound design. Elles sont de très bonne qualité, et les impulsions spéciales sont assez étonnantes. Dommage de ne pouvoir en bénéficier ailleurs, limite due au format verrouillé des bibliothèques Powered-by-Kontakt.
L’éditeur a aussi intégré à quelques programmes un arpégiateur, qu’il appelle Uberpeggiator. L’appellation n’est pas usurpée. On dispose d’une activation, normale ou tenue, d’un calage rythmique (du 1/128e à une mesure, avec des tas de résolutions complexes, chouette), du nombre de répétitions des notes avant de passer à la suivante et du volume de ces répétitions, de la durée, du décalage ternaire, de Pitch, un effet de variation de la hauteur très étrange, du sens de l’arpège et d’un mode Midi Thru, qui permet de jouer des notes normalement au-dessus de l’arpège, bravo, c’est très bien pensé ! Mais ce n’est pas fini : on peut aussi dessiner graphiquement la vélocité des notes arpégées (jusqu’à 16 pas, une fonction de l’Arpeggiator inclus dans Kontakt) mais surtout on peut l’assigner à une gamme (Key) et à un mode parmi 23 différents, de majeur à semi-diminuée (Loc#9). L’excellente nouvelle est qu’on peut sauver l’Uberpegiator sous forme de preset de script dans ses petits dossiers perso, puis le réutiliser avec d’autres programmes. Certes, on perd l’interface graphique et les boutons, mais cela a-t-il de l’importance ?
Quel beau son, qu’est-ce ?
On continue avec Emotional. Ce piano, qui a donc servi aux deux autres ci-dessus est présenté comme un piano pour l’image, pour l’émotion, et dont la qualité première devait être la douceur, la rondeur, un son plein et chaleureux. L’éditeur raconte comment il a mis des années à trouver le bon piano (et donc peu importe sa marque), en apportant une attention toute particulière aux niveaux les plus bas plutôt qu’aux plus élevés, sans approche de précision clinique et/ou technique.
L’interface du piano est extrêmement simple : une enveloppe trois segments (A/D/R), un réglage de Dynamics (réponse du piano au jeu), un de volume des sons de la pédale de sustain, un bouton High Damping permettant de simuler la présence d’étouffoirs au-dessus de Mi5 (ce qui n’est pas le cas dans la réalité), un EQ trois bandes avec bypass, la réverbe à convolution de Kontakt et des impulsions maison (21 dans le menu déroulant, et 42 dans le dossier Impulse de la bibliothèque), ainsi qu’un réglage Dry et un Wet. On dispose de quelques presets dont un simulant un certain piano âgé. Et c’est tout.
Il faut dire que le son du piano parle de lui-même. Dans l’exemple suivant, on entend d’abord le preset Master, puis le même preset avec une des impulsions Mystery de l’éditeur.
Allez aussi écouter les démos chez l’éditeur (ainsi que celles des autres pianos). À titre personnel, j’étais depuis longtemps à la recherche de ce type de son, pour des occasions très particulières. La seule solution que j’avais trouvée était d’enregistrer le Steinway de l’Ivory I en jouant très doucement, puis de compresser fortement le son (bonjour les prises de tête sur le release…). Là, Emotional est tout simplement parfait.
Que pouvait donc nous proposer l’éditeur en termes de piano après Emotional ? Eh bien une autre approche. Le Montclarion est donc un piano enregistré dans une chapelle à l’acoustique très spéciale, cette acoustique ayant été la motivation première de l’enregistrement (elle a servi à d’autres banques de l’éditeur). Et pour coller à cette démarche, le piano a été enregistré selon trois positions de micros (voir plus haut) que l’on pourra utiliser dans le cadre des programmes Multis.
L‘interface est là aussi simple, avec quelques réglages, une enveloppe A/R, un potard Dynamics, les volumes de la pédale et des échantillons de relâchement, un EQ trois bandes avec médium semi-paramétrique, et la réverbe à convolution dotée de 40 impulsions maison. Mais pourquoi donc une réverbe alors que c’est celle du lieu qui a conduit à ce piano ? Parce que les échantillons Close pourront en bénéficier pour emmener le piano vers d’autres horizons sonores. Et dans ce cas, more isn’t less…
On entendra les trois positions de micros séparément puis regroupées.
Mais la bibliothèque ne se contente pas des programmes traditionnels : l’éditeur a aussi inclus de nombreux programmes d’effets, de percussions, de bruitages directement effectués sur l’instrument, mais aussi faisant appel à du sound design ou les ambiances de la chapelle et de l’extérieur…
On est d’autant plus surpris de la qualité sonore quand on regarde comment l’instrument est conçu : il n’y a que quatre layers (avec crossfades) pour les notes normales et quatre layers pour les échantillons de relâchement…
Bilan
Tonehammer a la réputation (justifiée) de prendre les chemins de traverse en matière d’échantillonnage, en proposant des instruments rares, voire maison, ou des conditions d’enregistrement particulières sur des ensembles (voire la série des Epic). Ce qui ne l’empêche pas de s’attaquer à des sons plus communs, comme les chœurs et le piano, tout en gardant une approche particulière, avec une égale réussite. Il y a d’abord l’originalité des Bowed et Plucked, car même si on a pu rencontrer ici ou là des bibliothèques thématiquement similaires, aucune n’arrive à la qualité de celles-ci, qui en plus de leur excellence sonore, proposent de nombreux bonus (arpégiateur, programmes sound design, impulsions, etc.).
Côté plus traditionnel, Emotional est un cas unique, aucun des pianos virtuels actuels n’ayant cette qualité de rondeur particulière. C’est un de mes pianos favoris. Montclarion quant à lui dispose d’une acoustique particulière, et les modes Multis sont très intéressants pour créer une ambiance qui réponde parfaitement au souhait de départ. Niveau reproches, on remarquera quelques très légers mouvements de phase, surtout avec Emotional et Montclarion ; il suffira de resserrer un peu l’image stéréo (les modifications à faire sont suffisamment légères pour ne pas altérer le son) et tout ira bien. Et il faut quand même compter une machine puissante bien pourvue en RAM et/ou avec disques durs rapides.
On peut voir cette série comme plusieurs instruments individuels, mais aussi comme un bundle complet, offrant quasi toutes les ressources en termes de son de piano (manque peut-être un piano préparé), avec une qualité sonore irréprochable (Montclarion en 24 bits, aucun bouclage sur les release sauf dans les programmes FX ou Drones, pas de problème de justesse, de layers, etc.) pouvant compléter (ou non) un instrument plus “traditionnel” comme on en trouve chez d’autres éditeurs. En tout cas, le bundle complet ne coûte que 389 $ (à peu près 295 euros lors de la rédaction de ce test), ce qui, en regard de la qualité du contenu, est plus qu’une excellente affaire.