Grand retour en arrière pour Era Medieval Legends, la nouvelle banque de Best Service et Eduardo Tarilonte, qui se consacre, comme son nom l'indique, aux instruments médiévaux. Mais pas seulement.
Si l’instrumentarium contemporain est de mieux en mieux couvert par les différents éditeurs de bibliothèques d’échantillons, en revanche les instruments plus anciens n’encombrent ni nos étagères et disques durs, ni les cartons des services de R & D des grandes marques. En cas de besoin, tout le monde ne peut pas procéder comme Miklos Rosza le fit pour la musique de Quo Vadis, un film de Mervyn LeRoy (1951), à savoir qu’il « a supervisé la construction de répliques d’instruments anciens […] en utilisant différentes sources comme les statues romaines, les vases antiques, les bas-reliefs, colonnes et stèles funéraires. Des luthiers italiens ont construit les instruments afin qu’ils soient le plus proche possible des originaux, ce qui a considérablement contribué à l’authenticité des scènes dans lesquelles ils ont été utilisés. » (Ron Prendergast, Film Music : A Neglected Art, WW Norton, 1977, traduction maison). Quelques rares exceptions nous évitent ces démarches hors de portée du commun des mortels ; ainsi de Dirk Campbell’s Origin, bibliothèque aux formats exs24 et Giga (ça ne nous rajeunit pas…), par exemple. Aussi accueille-t-on avec enthousiasme un produit se proposant de faire revivre tout une série d’instruments anciens, et plus précisément du Moyen-Âge. Enfin, plus précisément, façon d’écrire, puisque la période en question couvre quasiment un millénaire, pour simplifier, de l’an 500 à l’an 1500. Les instruments composant Era Medieval Legends sont, eux, et suivant les indications du manuel, issus en majorité d’une période allant du XIIe au XVIe siècle.
Introducing Best Service Eduardo Tarilonte’s Era Medieval Legends
La bibliothèque est conçue pour Engine, le dérivé d’Independence (voir le test ici) de Yellow Tools/Magix utilisé par Best Service pour les instruments qu’il distribue ou coproduit (voir les tests de Evolution Series World Percussion et Miroslav Vitous String Ensembles 2.0). On peut l’acheter sur le site de l’éditeur selon deux versions, via téléchargement ou sur DVD. La première solution permet de télécharger 6,77 Go d’échantillons, les deux solutions, une fois les fichiers décompressés, offrent plus de 10 Go d’échantillons 24 bits/44,1 kHz sous la forme particulière adoptée par Yellow Tools, des fichiers image au format .ytif. Les possesseurs d’Independence pourront bien entendu charger la bibliothèque et ainsi profiter des possibilités de Mapping et d’édition qui manquent à Engine.
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Le créateur, Eduardo Tarilonte, à la fois compositeur (voir son site ici) et producteur de bibliothèques d’échantillons (une dizaine déjà, voir ici) a ici décidé de faire appel à des musiciens expérimentés dans les instruments anciens, notamment issus de Il Gentile Lauro, afin de s’assurer une qualité d’interprétation optimale. On dispose de 45 instruments ainsi que des Soundscapes, programmes conçus à partir d’échantillons de la bibliothèque, avec force sound design, on y reviendra.
Pour ménestrels, trouvères et troubadours
L’interface graphique, un peu surchargée, regroupe une partie fixe, en bas, incluant quatre réglages, Volume, Pan, EQ Color et Reverb, ces deux derniers dotés d’un bouton d’activation. Pas moyen d’accéder à la réverbe, on ne pourra donc changer son type et ses paramètres, même dans Independence. Sauf à la contourner, et à utiliser Origami (version complète ou LE), la très bonne réverbe à convolution incluse, soit directement, soit via un bus dans la page Mixer. Ensuite, et autour de la partie centrale incluant un indicateur de niveau, affichant le nom de l’instrument et dont le globe (voir capture d’écran) indique la valeur du réglage manipulé, on pourra trouver différents paramètres en fonction de l’instrument chargé, de l’Expression jusqu’au volume des Key Release, en passant par le Vibrato Volume, le Vibrato Speed, le volume des Drones, des Noises, des Layers dans les programmes Soundscapes, etc. Le manuel détaille pour chaque instrument l’assignation des boutons, ainsi que celle des Keyswitches, ce qui n’est pas toujours le cas chez la concurrence.
Les Soundscapes disposent eux d’une enveloppe à cinq segments, AHDSR, visible dans la partie gauche, partie qui, pour les autres programmes, propose un cours résumé historico-pratique de l’instrument chargé. Un accès aux présets d’automation est aussi disponible dans cette fenêtre (rappelons que l’on peut sauvegarder l’intégralité des réglages d’automation sur la totalité des paramètres en fonction d’un contrôleur Midi et le charger à volonté). La famille Instruments est divisée en quatre catégories, Key, Percussion, String et Wind. Percussion offre cinq sous-catégories, Church Bells, Frame Drums, Hand Drums, Snares et Tambourines. String présente quant à elle une sous-catégorie Bowed et une autre Plucked. Wind regroupe Flutes, Reed et War Horns. La famille Sound Design compte elle trois catégories, Soundscapes, Mysterious Atmospheres et Whooshes, cette dernière présentant des programmes et deux sous-catégories, Bowed et Fire.
Instruments avant
Commençons donc par les instruments à claviers, dont l’Organetto, orgue portable à soufflet dont on trouvera quelques exemples contemporains sur le site de ce facteur. À ne pas confondre avec l’organetto italien, accordéon diatonique, même s’il est facile de les rapprocher (instrument portable, soufflet, etc.). La version proposée par Tarilonte offre trois octaves plus une octave moins un demi-ton de Drones (un seul échantillon), des sons simples, alors que les sons « main droite » offrent un bel ensemble de bruits de bois rendant l’ensemble très réaliste. Deux échantillons de Round Robin pour le son sortant du tuyau, mais jusqu’à dix échantillons pour les bruits de touches et encore dix pour leur release (les deux avec volume réglable). Voici un exemple des sonorités, suivi par un clin d’œil plus contemporain, en ayant étiré les notes basses jusqu’au do à l’octave supérieure (la basse est jouée par la Basse de viole de gambe en pizz, on en reparle plus bas).
Instrument suivant, Spinet, une épinette, donc. Réglages d’expression, de niveau des Release, et l’instrument offre trois échantillons Round Robin pour chaque section (terme de Yellow Tool, équivalent au groupe de l’exs24 ou de Kontakt), les sons tenus et les sons de relâchement. On l’entend dans l’exemple, bien éloigné du Moyen-Âge, mais déjà distant de nous d’exactement 50 ans…
Autre instrument de la famille du clavecin, le Virginal, doté des mêmes caractéristiques de programmation que le précédent. Du coup, on reprend le même exemple.
« Bells, I can hear Bells… »
Les percussions commencent par un ensemble de cloches d’église, quatre différentes, mappées sur le clavier selon diverses étendues, de deux tons à plus de quatre octaves. Rééchantillonnage oblige, les extrêmes seront difficilement utilisables, sauf effets spéciaux. Le programme Pealing Church Bells fait entendre une sonnerie d’à peu près 1 min 30 avant bouclage. On dispose aussi d’un programme Pigeons Flying, dont les deux échantillons sont malheureusement beaucoup trop courts. L’exemple suivant fait entendre le tout.
On passe ensuite aux Frame Drums, offrant plusieurs couches de vélocité, et différentes techniques de jeu, tout comme les Hand Drums (appelés ici Bumbac, ce qui est étrange puisque c’est le nom de tambours vénézuéliens). En tout cas, les uns comme les autres offrent de belles sonorités, ici avec les réglages de réverbe d’usine.
On continue avec cinq caisses claires différentes, de la piccolo au bombo leguero (un instrument argentin, cette fois…) et trois tambourins.
De belles gambes
Passons aux instruments à cordes, avec pour commencer une basse de viole de gambe (avec corde grave descendue au do via rééchantillonnage). Trois articulations sont offertes via KeySwitches, Legato, Staccato et Pizzicato, avec poussé-tiré pour les sons tenus, plusieurs layers de vélocité, quatre échantillons de Round Robin pour les Staccatos et quatre pour les Pizz.
Autre instrument, le Fidule, dérivé du rebab oriental, ne présentant que des notes assez courtes, ce qui est un peu dommage, sauf quand le moteur Round Robin appelle un échantillon incluant un poussé-tiré. On peut grâce au bouton Drone simuler une seconde corde jouée en bourdon.
On finit les cordes frottées avec un Hurdy Gurdy, offrant rythmes (2/4 et 6/8) en quatre tonalités (A, C, D et G) et les Chanters, notes permettant de jouer les mélodies. Un bon point, les rythmes ne sont pas des fichiers audio, mais des fichiers Midi, ce qui garantit une synchronisation au tempo interne ou de l’hôte, et permet de les importer dans sa DAW et de les ajuster en fonction des compositions.
Place aux cordes pincées, avec une guitare baroque, dont les KeySwitches appellent des échantillons tenus ou legato, ainsi que deux types d’accords, les uns arpégés une fois (mineurs ou majeurs selon l’octave jouée) les autres joués en boucle (mineurs ou majeurs de même). De nombreux bruits de jeu ajoutent au réalisme, même si certains enchaînements demandent un peu de pratique avant d’obtenir un résultat propre.
On continue avec un très beau Renaissance Lute, disposant de trois échantillons Round Robin Sustained, trois Round Robin Legato, et pas moins de 16 échantillons Round Robin pour chacune des sections suivantes : bruits de frettes, de glissés (deux groupes), de release et de déplacement ! Grâce à ces samples en nombre et aux réglages sur l’interface principale, l’instrument sonne très acoustique, avec suffisamment de « défauts » pour sembler réel.
La famille contient aussi un psaltérion, une cithare et deux harpes, ces dernières offrant des notes séparées et des arpèges déclenchés via Midi (les touches vertes, le code de Yellow Tools pour tout ce qui est géré en interne en Midi) sur deux octaves, chaque note offrant en fonction de la vélocité huit arpèges différents, bravo ! Seul regret, on ne retrouve pas ces arpèges en fichiers séparés comme ceux du Hurdy Gurdy.
Instruments à ère
Dernière famille d’instruments (le sound design est à part), les différents vents, principalement de la famille des bois. On commence par un assortiment de flûtes, avec le Gemshorn, un ocarina conçu à partir d’une corne de chamois ou de chèvre, au son très doux, avec deux échantillons de Round Robin. Puis l’éditeur propose une flûte traditionnelle en bois ainsi qu’une soprano. De bonne qualité, ces instruments sont complétés par un très beau quatuor de flûtes Renaissance, soprano, alto, ténor et basse. Legato (avec portato ou legato selon la vélocité), trilles, mordant, staccato via KeySwitches sont complétés par la vitesse et le volume du vibrato afin de proposer un ensemble cohérent et très réussi.
Ce principe de quatuor est aussi proposé pour les Crumhorns, offrant les mêmes KeySwitches (deux types de trilles au lieu d’un seul pour les flûtes) et réglages de vibrato. Là encore le son est impeccable. On entendra les articulations du Crumhorn basse dans l’exemple suivant.
Shofar, sho good
Autres anches, les Bagpipes, deux différentes plus un programme Drones. On peut très bien, comme pour le Hurdy Gurdy, charger une Bagpipe et les Drones en même temps sur un même canal Midi, l’éditeur ayant pris soin de ne pas se faire recouvrir les tessitures, ni les KeySwitches, bien vu. Si la qualité sonore est toujours égale, on peut cependant regretter la relative propreté des instruments, ainsi que leur justesse, un peu trop « parfaite ». On profite pourtant d’entre huit et neuf articulations selon la Bagpipe, mais ce n’est pas le point fort de la bibliothèque, d’autres éditeurs ayant proposé des solutions plus performantes à mon goût.
Toujours dans la même famille, on profitera de belles bombardes et Chirimias, dotées en articulations des mêmes articulations. Enfin, la catégorie War Horns inclut Anyafils et Shofars, à la fois sous forme de programmes à notes séparées, et des programmes incluant des phrasés typiques. Voici quelques exemples de Shofar Calls. On imagine aisément les Vikings Kirk Douglas et Tony Curtis débarquant à Jérusalem…
Enfin, les Soundscapes offrent des ambiances très réussies, parfois rappelant étrangement des sonorités de type D-50 ou PPG, constituées de plusieurs couches (entre trois et six) ayant chacune des réglages de volume sur la page Quick Edit. Moins réussis, les Wooshes trouveront peut-être une utilité en les jouant dans les octaves les plus graves.
Téléchargez les fichiers sonores : flac article
Bilan
Excellent, tout simplement. En proposant des instruments rares avec une très bonne qualité sonore et de programmation, Eduardo Tarilonte offre une bibliothèque très intéressante, à la fois pour les médiévistes (en herbe ou confirmés) et pour tous les compositeurs qui pourront utiliser des sons inhabituels, pas forcément inédits, mais qui apporteront une touche d’étrangeté, d’inattendu ou de réalisme (certains instruments avec leurs bruitages sont bluffants) à des pièces plus modernes. Quasiment aucun reproche à faire, bouclages, programmation, fichiers Midi, tout est parfaitement réussi. Ce qui fait aussi regretter que la plateforme Engine/Independence ne soit pas utilisée par de plus nombreux éditeurs, tant elle montre ici son efficacité et sa puissance. En tout cas, il faudra suivre les produits de monsieur Tarilonte avec attention, le niveau étant très haut.