En seulement deux plug-ins, les gens de Process Audio se sont déjà taillé une sympathique réputation dans le monde de l’audio : celle de faire des outils bien pensés par et pour les ingénieurs du son, avec une attention particulière pour le rapport simplicité/efficacité. Du coup, on est bien curieux de voir leur relecture du processeur de saturation…
Fab Dupont n’est pas qu’ingé son et producteur, c’est aussi un pédagogue qui ne se lasse jamais de partager son savoir comme d’apprendre de nouvelles choses (enseigner, c’est apprendre deux fois, dit-on) via la plateforme Puremix et de découvrir de nouveaux outils. Du coup, lorsqu’il imagine le parfait plug-in de saturation pour répondre à ses besoins, il a à la fois des exigences fonctionnelles comme des attentes ergonomiques : il s’agit de concevoir un outil qui couvre le maximum de besoin tout en demeurant simple à utiliser. Et c’est de cette double volonté qu’est né Spicerack, un plug-in combinant plusieurs algos de saturation du signal suceptibles d’être utilisés dans la production et le mixage audio (lorsque Quincy Jones demande une caisse claire plus « gritty » à Bruce Swedeen sur Billy Jean) ou le mastering (pour renforcer la cohérence d’un mix, gagner en loudness et sonner plus gros).
Soulignons-le d’emblée en effet, il ne s’agit pas ici d’une distorsion « créative » au sens où le regretté Thrash d’Izotope, le Dist COLDFIRE d’Arturia ou le Fabfilter Saturn peuvent l’être : il n’est ainsi pas question ici de modulations dans tous les sens ou de filtre multimode résonnant pour faire du sound design barré, mais bien de disposer d’un outil polyvalent pour sculpter vos sons, apporter du caractère à vos pistes comme à vos mixes voire vos masters. On est donc plus dans un outil qui se place en face du SDRR de Klanghelm, du Spectre de Wavesfactory, du KClip 3 de Kazrog et surtout du Decapitator de Soundtoys qui demeure le plug le plus populaire dans le genre auprès des ingés son…
Cinq majeur
À la différence de ce dernier, il n’est toutefois pas question d’émuler telle ou telle saturation typique d’un modèle de préamp mais de proposer un choix plus large de traitements : en marge des attendus Drive (saturation typé transistor) et Tube (saturation typée vintage basée sur la modélisation de tubes AU7), on dispose ainsi d’Amp, modélisé d’après un ampli guitare High Gain (probablement un MesaBoogie), Fuzz, modélisé d’après des pédales de… fuzz, et enfin Lo-Fi qui concilie downsampling et bitcrushing pour dégrader le son…
Cinq « saveurs » pour cinq boutons au sommet de la fenêtre, ce qui est moins que Kclip ou Spectre, mais s’avère plus que Decapitator dont les cinq modes sont plus proches (émulation de préamps Ampex, EMI, Neve et d’un Culture Vulture), et suffit très probablement à couvrir tous les besoins sans pour autant se prendre deux heures la tête sur le choix de l’algo qui convient, vu que trop de choix tue parfois le choix. Chacun verra midi à sa porte sur ce point…
Histoire que vous perceviez bien leurs caractères distincts, voici d’ailleurs nos cinq lascars dans des réglages extrêmes, en utilisant un drive à 75% et un un son 100% wet sur une batterie puis une guitare :
- drumsDRY00:07
- drumsDRIVE-7500:07
- drumsTUBE-7500:07
- drumsAMP-7500:07
- drumsLO-FI-7500:07
- drumsFUZZ-7500:07
- guitarDRY00:10
- guitarDRIVE-75(2)00:10
- guitarTUBE-75(2)00:10
- guitarAMP-75(2)00:10
- guitarLO-FI-75(2)00:10
- guitarFUZZ-75(2)00:10
Premier constat appréciable : on dispose vraiment de cinq saturation bien différentes et qui, selon les cas, sans même avoir à jouer de l’EQ, s’avèreront plus ou moins brillantes ou sombres, plus ou moins agressives aussi dans les médiums… Il y a de quoi faire donc, de la gentille coloration à la destruction massive du signal. À la manière du Punish de Decapitator, un bouton permet d’appliquer un boost de +18 dB en entrée, et autant vous dire qu’avec ce dernier en poussant le drive, on peut vraiment aller dans le registre de l’ultra-saturation !
Deuxième constat appréciable : on dispose d’une fonction de compensation de gain qui permet de ne pas se laisser abuser par le « ça sonne mieux parce que ça sonne plus fort ». Et il est d’autant plus important de le mentionner que nombre de plug-ins, parfois chers et vendus pour être « pros », n’incorporent pas encore une telle fonction, obligeant à jouer sans cesse avec le potard de sortie pour pouvoir juger objectivement d’un traitement… Or en l’occurrence, Process Audio a bien fait les choses puisqu’on dispose même de la possibilité de calibrer cette dernière : quelques secondes déterminent alors le niveau LU du signal en entrée pour s’assurer que la sortie propose le même niveau moyen…
Mais ce n’est pas tant pour cela que Spicerack se distingue car Process Audio a eu à cœur d’aller un peu plus loin avec son joujou en lui adjoignant plusieurs fonctions malignes.
EQ sens dessus dessous
Cela commence par un Noise Gate salutaire dès qu’on monte un peu trop le gain de la saturation pour ne pas se retrouver avec une bouillie sonore envahissante. Ce dernier propose en seconde intention tous les réglages nécessaires en plus du taux de réduction et du seuil : attaque, relâchement et possibilité d’être déclenché par une entrée latérale flanquée d’un coupe-haut et d’un coupe-bas…
Mais on appréciera surtout l’intégration d’un EQ paramétrique composé d’un coupe-bas et d’un coupe-haut avec des pentes pouvant aller de 12 à 48 dB par octave et d’un filtre en cloche, en complément d’un réglage Tone qui n’est autre qu’un EQ Tilt : voilà qui bien pratique pour aller vite fait vers quelque chose de plus brillant ou plus sombre… Et cerise sur le gâteau, sachez qu’il est possible de changer le routing pour placer l’EQ en amont ou en aval de la saturation… Voilà qui étend considérablement le terrain de jeu et ne souffre aucune critique si ce n’est peut-être le design particulier du module qui n’a rien de très intuitif avec son orientation verticale : « on dirait une vulve » a commenté notre newseuse en voyant ce parti-pris. Et c’est vrai que ça y ressemble, sans qu’on y trouve de réel intérêt : cela fait un élément qui bouge sur l’interface mais on ne peut pas dire que cela amène vraiment des infos… Pas sûr qu’on n’aurait pas préféré un aperçu de la forme d’onde plus traditionnel avec les pics distordus en couleur comme c’est devenu une convention depuis le Pro-L de Fabfilter, ou encore un aperçu pédagogique de l’écrêtage comme le propose le Trantrum de Creative Intent…
En dehors de ce détail, vous me direz que tout cela est très bien mais qu’on ne va pas non plus crier au génie pour un Gate et un EQ pre ou post-traitement… Soit, mais en marge d’autres fonctions de base (dosage du signal, traitement en stéréo classique ou M/S), Spicerack propose deux choses qui pourraient bien faire la différence avec ses rivaux.
Ces petits plus qui font la différence
La première tient dans la capacité des différentes instances du plug-in à communiquer entre elles. De fait, un panneau escamotable permet de voir toutes les occurrences de Spicerack sur vos pistes ou bus et d’accéder à leurs réglages essentiels : choix de l’algo de saturation, Drive, Mix et niveau de sortie. Voilà qui s’avère diablement efficace pour faire des essais comme des réglages d’équilibre sans avoir à ouvrir et fermer 15 interfaces : le genre de fonctions qui sent le vécu d’avoir 15 Decapitator dans son projet…
Mais en marge de ce confort, l’important se trouve toutefois dans le son, sachant qu’en marge d’un rééchantillonnage pouvant aller jusqu’à 8x, l’éditeur a aussi passé un certain temps à développer une fonction qu’on ne voit habituellement pas dans les processeurs de distorsion : un mode à phase linéaire qui va jouer sur tous les filtres présents dans le soft…
Évidemment, cela se fait au prix d’une latence plus importante comme d’une plus grande consommation CPU, mais on s’aperçoit vite de la différence que cela induit en termes de résultats sonores, surtout sur un traitement qu’on aime doser en parallèle, ce qui génère invariablement des problèmes de phase lorsque le signal traité se retrouve confronté au signal original… Et c’est sur ce point qu’on se rend compte que le recours à un ingé son lors de la conception pèse positivement sur les qualités du plug-in…
Pour vous convaincre de l’utilité d’une telle fonction, voyez dans le haut du spectre ce qu’il advient de la ride et de la pédale de la charley sur cette boucle de batterie traitée sans phase linéaire, puis avec phase linéaire :
- BRUSHroomside00:08
- BRUSHroomsideLIN00:08
La même chose avec une basse, d’abord sans phase linéaire où le bas est « mangé », puis avec où il retrouve de sa superbe. Et quand on sait à quel point il est courant d’utiliser deux ou trois prise de basse en parallèle au mixage (une DI, une amplifiée et une saturée), on voit de suite le gain de temps que permet ce genre de fonction :
- BASSAMPnonlinphase00:04
- BASSAMPlinphase00:04
Pour moi, ce mode à phase linéaire est sans conteste LA fonction géniale de ce Spicerack, qu’on voudrait voir partout ! Grâce à lui, on sera d’autant plus à l’aise pour bosser avec sur des éléments où les problèmes de phase ont vite fait de survenir (prises de batterie ou d’instruments avec plusieurs micros) et peut-être même sur un master où le mode M/S saura aussi se rendre utile, bien que Process Audio ne communique pas sur cet usage, probablement parce qu’on ne peut pas aller régler en détail des harmoniques de chaque algo comme chez Vertigo ou Black Box, ou pour ne pas brouiller sa com’… En marge de la saturation ostentatoire, on se rend en tout cas compte que Spicerack peut ainsi servir d’exciter comme il peut aussi agir sur la largeur stéréo :
- BRUSHdry00:08
- BRUSHexciter(2)00:08
- BRUSHroomsideLIN00:08
Certains regretteront peut-être qu’il n’y ait pas de réglages plus avancés, qu’il n’y ait pas plus de types de saturations disponibles (saturation de bande par exemple ou de HP endommagé comme chez Kazrog), ou encore que Spicerack ne soit pas multibande… Gageons toutefois que ces ajouts auraient singulièrement alourdi le plug sur le plan fonctionnel et donc ergonomique alors qu’on sent bien que Process Audio a, comme avec Sugar, eu à coeur de demeurer simple et efficace…
Conclusion
Tout comme avec Sugar et Decibel, Process Audio signe avec Spicerack un logiciel qui concilie qualité de son, polyvalence et excellent rapport simplicité/fonctionnalités pour un prix tout à fait correct… Bref, on tient là un joli couteau suisse qui sera pertinent pour la prod et le mixage, et sans doute même pour le mastering grâce à l’attention particulière qu’il porte à la phase. De quoi en faire votre « Go to Sat » ? Les arguments ne manquent pas en tout cas et vous seriez bien avisé d’aller télécharger la démo pour vous faire votre propre idée. Pendant ce temps-là, on se demande bien sur quels lauriers s’est endormi Soundtoys pour n’avoir pas sorti un plug-in depuis cinq ans, ni avoir pris le soin de faire évoluer son excellent Decapitator depuis plus de douze ans… On sent bien du coup que le trône des saturations logicielles orientées mixage / prod n’est pas âprement défendu et que ce Spicerack a tout ce qu’il faut pour s’y hisser…